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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
15.9.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 40401/20
N.Z.
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme cinquième section, siégeant le 15 septembre 2022 en un comité composé de :

Stéphanie Mourou-Vikström, présidente,

Ivana Jelić,

Mattias Guyomar, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 40401/20 contre la France et dont un ressortissant marocain, N.Z.(« le requérant ») né en 1983 et résidant à Casablanca (Maroc), a saisi la Cour le 9 septembre 2020 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La présente affaire concerne principalement, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, les restrictions du droit du requérant de comparaître aux audiences tenues par le tribunal correctionnel et la cour d’appel dans son affaire pénale.

2. En 2013, le requérant se présenta au commissariat de police et porta plainte pour violences volontaires et menaces de mort commises par son excompagne, le père et les amis de cette dernière.

3. Par un jugement du 4 décembre 2015, le père de son ex-compagne fut condamné pour des faits de violence avec usage d’une arme, en l’espèce une béquille, à une interdiction d’entrer en contact avec la victime pendant un an.

4. Parallèlement, le requérant fut mis en examen du chef notamment de violences aggravées sur le père de son ex-compagne et sur cette dernière et d’appels téléphoniques malveillants réitérés. À l’issue de l’instruction, il fut renvoyé devant le tribunal correctionnel.

5. Par exploit d’huissier du 15 mars 2016 remis à étude (accusé réception non retourné), le requérant fut cité à l’audience du 9 mai 2016. Ce dernier allègue que la citation a été envoyée à son ancienne adresse. Il n’a ni comparu ni été représenté à l’audience du 9 mai 2016.

6. Par un jugement contradictoire à signifier du même jour, le requérant fut condamné à neuf mois d’emprisonnement assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve pendant deux ans.

7. Contestant la qualification du jugement, et soutenant qu’il aurait dû être rendu par défaut, le requérant en forma opposition, puis interjeta également appel de celui-ci.

8. Par un jugement contradictoire du 16 novembre 2016, le tribunal correctionnel déclara irrecevable cette opposition. Le requérant n’interjeta pas appel de cette décision.

9. Par exploit d’huissier du 31 mai 2018 remis à étude (lettre recommandée avec accusé de réception - LRAR - retournée avec la mention pli avisé non réclamé), le requérant fut cité à l’audience d’appel du 18 juin 2018. À cette audience, le requérant n’était ni présent, ni représenté. Par un courrier du 29 juillet 2018, il adressa à la cour d’appel de Lyon une note en délibéré pour lui demander :

« 1- A titre principal, ... de prononcer la relaxe ... et à titre subsidiaire de revoir tout le jugement du 9 mai 2016 en tenant compte de la situation et tous les éléments communiqués ...

2- d’être rejugé surtout que la première notification devant le tribunal correctionnel ne [lui avait] pas été faite à la bonne adresse ».

10. Il expliqua qu’il était en vacances au Maroc du 30 mai au 20 juin 2018, et qu’il n’avait pas pu réceptionner la LRAR du 31 mai 2018, qui était restée à la poste jusqu’au 19 juin 2018, soit le lendemain de l’audience devant la cour d’appel.

11. Par un arrêt contradictoire à signifier du 3 septembre 2018, la cour d’appel refusa de rouvrir les débats et, au fond, confirma le jugement sur la culpabilité, mais l’infirma sur la peine pour la porter à six mois d’emprisonnement ferme. Après avoir rappelé que le requérant avait toujours contesté les faits, elle releva notamment que son ex-compagne avait déjà déposé une main-courante pour des faits de violence commis précédemment par le requérant, que ce dernier avait reconnu devant le juge d’instruction avoir tenté de frapper son ex-compagne avec une ceinture et qu’il ressortait des vérifications opérées par les enquêteurs, notamment des images de la vidéo-surveillance, que le requérant était bien armé d’une ceinture.

12. Par un arrêt du 14 novembre 2019, notifié le 2 décembre 2017, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. Sur le moyen tiré de la compatibilité avec le droit à un procès équitable et de la qualification d’« arrêt contradictoire à signifier » retenue par la cour d’appel, elle répondit ce qui suit :

« Le demandeur au pourvoi a justifié, dans les pièces annexes au mémoire, du fait qu’il se trouvait à l’étranger au moment de la délivrance de la citation et lors de l’audience des débats.

Pour qualifier l’arrêt de contradictoire à signifier, en l’absence du prévenu, la cour d’appel a fait application des dispositions de l’article 503-1 du code de procédure pénale et de la jurisprudence de la Cour de cassation qui retient que la citation est réputée faite à personne lorsque l’huissier de justice qui délivre la citation à la dernière adresse déclarée du prévenu appelant, conformément à l’art. 503-1 précité, a effectué les diligences prévues par l’article 558, alinéas 2 et 4, que l’intéressé demeure ou non à l’adresse dont il a fait le choix, peu important que le prévenu n’ait pas signé l’avis de réception.

En l’espèce, les pièces de procédure font apparaître que l’huissier de justice s’est transporté à l’adresse déclarée de l’appelant, qu’il s’est assuré de sa domiciliation effective et qu’il a accompli, du fait de l’impossibilité de lui remettre l’acte en personne ou à une personne présente au domicile, les diligences prévues par les alinéas 2 et 4 de l’article 558 du code de procédure pénale.

Le délai de dix jours prévu par l’article 552 du code de procédure civile entre la notification de la citation et la date d’audience, a par ailleurs, été respecté.

Enfin, à la date du prononcé de la décision, la cour d’appel était en mesure de constater que l’accusé de réception se trouvait au dossier avec la mention “pli avisé et non réclamé ».

13. Le moyen du requérant tiré de la contestation de la qualification de jugement « contradictoire à signifier » rendu par le tribunal correctionnel fut déclaré non admis, le requérant n’ayant pas formé appel du jugement du 16 novembre 2016 rendu sur opposition (paragraphe 8 ci-dessus).

L’APPRÉCIATION DE LA COUR

14. La Cour relève d’emblée que le requérant a pris connaissance de la décision de la Cour de cassation le 17 décembre 2020. Le délai de six mois fixé par l’article 35 § 1 de la Convention, prorogé de trois mois en raison de la crise sanitaire, a donc commencé à courir le lendemain, soit le 18 mars 2021 et a expiré le 17 septembre 2021 (Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, § 60, 29 juin 2012). La requête introduite le 9 septembre 2020 n’est donc pas tardive.

15. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant soutient que sa condamnation pénale sans avoir été entendu personnellement est contraire au droit à un procès équitable.

16. La Cour renvoie à cet égard aux principes bien établis en matière de condamnation pénale prononcée en l’absence du condamné présentés dans les affaires Hermi et Sejdovic (Hermi c. Italie, [GC], no 18114/02, § 58-67, CEDH 2006XII, et Sejdovic c. Italie, [GC], no 56581/00, §§ 81-88, CEDH 2006II). En particulier, la Cour a précisé que si une procédure se déroulant en l’absence du prévenu n’est pas en soi incompatible avec l’article 6 de la Convention, il demeure néanmoins qu’un déni de justice est constitué lorsqu’un individu condamné in absentia ne peut obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit, alors qu’il n’est pas établi qu’il a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre (voir Sejdovic précité, § 82 et la jurisprudence citée). Pareille renonciation peut être expresse ou tacite en fonction du comportement de l’accusé. Toutefois, la renonciation au droit de prendre part à l’audience doit se trouver établie de manière non équivoque et être entourée d’un minimum de garanties plus ou moins étendues en fonction de l’importance de la renonciation en cause (Sejdovic précité, § 86). Il n’incombe pas à l’accusé de prouver qu’il n’entendait pas se dérober à la justice, ni que son absence s’expliquait par un cas de force majeure. En même temps, il est loisible aux autorités nationales d’évaluer si les excuses fournies par l’accusé pour justifier son absence étaient valables ou si les éléments versés au dossier permettaient de conclure que son absence était indépendante de sa volonté (Sejdovic précité, § 88).

17. En l’espèce, la Cour relève qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la citation à comparaître devant le tribunal correctionnel aurait été envoyée à une ancienne adresse. En effet, le jugement du 9 mai 2016 a bien été signifié « à personne » à cette même adresse. De plus, la décision de la cour d’appel mentionne cette même adresse qui est celle donnée par le requérant lorsqu’il a fait appel. Dans ces conditions, en l’absence d’éléments permettant de douter de l’exactitude des mentions figurant dans le jugement du 9 mai 2016, la Cour n’est pas en mesure de considérer que la qualification de jugement contradictoire à signifier retenu par le tribunal correctionnel serait erronée, et partant, que le rejet de son opposition à ce jugement, contreviendrait à l’article 6 de la Convention. En tout état de cause, le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes étant donné qu’il n’a pas formé appel du jugement du 16 novembre 2016 (paragraphe 8 ci-dessus).

18. S’agissant du procès en appel, la Cour relève tout d’abord que la citation à comparaître délivrée au requérant a été jugée régulière par la Cour de cassation après la vérification des diligences accomplies par l’huissier de justice conformément à l’article 558 du code de procédure pénale (CPP). Cet article impose à l’huissier de justice de mentionner dans l’acte de signification les diligences qu’il a faites pour vérifier, sur place, qu’il existe des éléments confirmant que la personne est domiciliée à cette adresse. Il ressort également de la motivation de la Cour de cassation que si le jour de l’audience, la cour d’appel n’avait pas reçu le retour de la citation délivrée au requérant, elle disposait lors du prononcé de son arrêt d’éléments suffisants lui permettant de constater que le requérant avait été touché à la bonne adresse et qu’il n’avait pas pris ses dispositions pour informer le greffe de son absence. La Cour de cassation en a conclu qu’en se prononçant par un arrêt contradictoire à signifier, la cour d’appel avait justifié sa décision.

19. La Cour ne voit aucune raison de remettre en cause cette analyse faite par la Cour de cassation. Par ailleurs, la Cour constate que, conformément à l’article 503-1 du CPP, lorsqu’il est libre, le prévenu qui forme appel doit déclarer son adresse personnelle et signaler auprès du procureur de la République tout changement de l’adresse déclarée, que toute citation, faite à sa dernière adresse déclarée est réputée faite à sa personne et que le prévenu qui ne comparaît pas à l’audience, sans excuse reconnue valable par la cour d’appel, est jugé par un arrêt contradictoire à signifier. En l’espèce, la Cour constate que le requérant n’allègue pas qu’il aurait prévenu la cour d’appel de son absence à son domicile pendant vingt-deux jours pour prendre des vacances. Elle observe qu’en refusant de rouvrir les débats, la juridiction d’appel n’a pas reconnu comme valable l’excuse présentée tardivement par le requérant dès lors qu’il lui appartenait, puisqu’il avait fait appel et savait qu’il pouvait être convoqué à tout moment, de s’organiser en conséquence s’il souhaitait impérativement être présent à son procès.

20. Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant a, en toute connaissance de cause, et valablement renoncé, de manière implicite, à son droit de comparaître en personne devant la cour d’appel (Lena Atanasova c. Bulgarie, no 52009/07, §§ 47-53, 26 janvier 2017) et a, à tout le moins, contribué, dans une large mesure, à créer une situation dont il aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences, l’empêchant de comparaître devant la cour d’appel (Rusu c. Roumanie (déc.) no 6246/04, § 29, 31 août 2010).

21. En conséquence, eu égard à l’ensemble de ces éléments, ce premier grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

22. Sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, le requérant se plaint d’une atteinte à la présomption d’innocence du fait que le juge d’instruction l’aurait traité de minable. Il dénonce également l’absence de prise en compte par la cour d’appel de sa note en délibéré contenant des preuves de son innocence.

23. S’agissant de ce grief, en sa partie relative à l’attitude du juge d’instruction, la Cour constate qu’il n’est pas étayé. La Cour constate également que, conformément à sa demande figurant dans la note en délibéré, la cour d’appel, après avoir rappelé qu’il avait toujours nié les faits, a pleinement et objectivement motivé sa décision en prenant en compte tous les éléments du dossier (paragraphe 11 ci-dessus). En conséquence, ce deuxième grief est également manifestement mal fondé et doit également être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

24. Par ailleurs, pour le reste, s’agissant de l’absence de prise en compte par la cour d’appel du contenu de la note en délibéré, cette doléance relève de l’article 6 § 1 de la Convention. Au vu de ce qu’elle a dit ci-dessus (paragraphes 18 et 21 ci-dessus), la Cour considère que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 6 octobre 2022.

Martina Keller Stéphanie Mourou-Vikström
Greffière adjointe Présidente