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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
13.9.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 15687/13
Fatma Füsun YAZICIOĞLU
contre la Türkiye

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 13 septembre 2022 en un comité composé de :

Branko Lubarda, président,

Jovan Ilievski,

Diana Sârcu, juges,

et de Dorothee von Arnim, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 15687/13 contre la République de Türkiye et dont une ressortissante turque, Mme Fatma Füsun Yazıcıoğlu (« la requérante »), née en 1949 et résidant à Istanbul, représentée par Me H. Özer, avocate dans la même ville, a saisi la Cour le 13 février 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. Hacı Ali Açıkgül, chef du service des droits de l’homme du ministère de la Justice de Türkiye,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La requête concerne la cession de deux biens expropriés ayant appartenu à la requérante à une autre administration et leur vente ultérieure à une société privée.

2. En 1982, deux terrains qui appartenaient à la requérante furent expropriés par le ministère de la Défense nationale dans le but d’y établir une zone d’interdiction militaire de niveau 1 autour d’infrastructures sensibles réalisées dans le cadre d’un programme de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord.

3. En 2006, le ministère en question conclut un accord avec l’administration des logements collectifs (« Toplu Konut İdaresi », ci-après « l’ALC ») en vue de transférer à cette dernière plusieurs terrains dont elle n’avait plus l’utilité, en déduction du coût d’acquisition de logements militaires sur d’autres sites. Parmi les terrains en cause figuraient ceux qui avaient appartenu à la requérante avant d’être expropriés.

4. La requérante initia, sur le fondement du code l’expropriation, deux recours visant à obtenir une indemnité correspondant à la différence entre la valeur actuelle des terrains et l’indemnité d’expropriation versée en 1982. Ces actions furent rejetées par les tribunaux au motif que l’article 22 du code de l’expropriation refusait explicitement de reconnaître à l’ancien propriétaire du bien un droit à obtenir la rétrocession (ou une indemnité si la rétrocession s’avère impossible) lorsque l’administration à laquelle la propriété avait été transférée détenait elle-même un pouvoir d’expropriation.

5. À une date non précisée, les biens furent cédés par l’ALC à une société de construction privée.

6. La requérante soutient que l’administration expropriante n’aurait jamais fait usage des biens dans la mesure où aucune construction n’y aurait été érigée. Elle affirme qu’elle aurait dû obtenir une indemnisation tant en vertu de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (première branche) qu’en vertu du droit interne (deuxième branche) et allègue avoir été victime d’une atteinte à son droit au respect de ses biens.

APPRÉCIATION DE LA COUR

7. La Cour observe d’emblée que le grief que la requérante a soulevé devant les juridictions nationales concerne le transfert des biens expropriés à une autre administration et que l’intéressée n’a jamais, au cours de ces actions en droit interne, tiré moyen de la circonstance que les biens aient par la suite été vendus à une société privée.

8. En vertu de la règle de l’épuisement des voies de recours internes, la requérante n’est donc pas fondée à soulever de grief reposant sur cette dernière vente. Par conséquent, la Cour n’examinera en principe la requête que pour autant qu’elle concerne la cession des biens par l’administration expropriante à une autre administration.

9. En ce qui concerne le grief de la requérante selon lequel elle aurait dû obtenir une indemnisation en vertu de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (première branche), la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que l’article 1 du Protocole no 1 ne saurait être interprété comme prévoyant une obligation de restitution ou d’indemnisation au bénéfice des anciens propriétaires lorsqu’un bien régulièrement exproprié cesse d’être utilisé dans l’intérêt général après l’avoir été pendant un certain temps (voir SociétéAnonyme Çiftçiler et autres c. Turquie (déc.), nos 62323/09 et 64965/09, § 78, 24 novembre 2020, où un bien exproprié avait été cédé à une société privée après avoir été utilisé pour une cause d’utilité publique pendant une très longue période).

10. Elle estime que rien dans les circonstances de l’espèce ne milite en faveur d’une autre approche.

11. La Cour relève que la requérante affirme que les biens expropriés n’auraient jamais été utilisés conformément à l’intérêt public ayant motivé leur expropriation dans la mesure où aucune infrastructure n’y aurait été réalisée. Elle observe que les biens ont été acquis par le ministère de la Défense nationale qui y a établi une zone d’interdiction militaire tel que prévu par la décision d’expropriation, ce qui constitue assurément une cause d’utilité publique. Elle relève que l’établissement d’une telle zone ne nécessite pas de construction particulière, étant donné que son but est de maintenir les personnes non autorisées à distance des infrastructures sensibles afin d’en assurer la sécurité. C’est donc à tort que la requérante affirme, en se fondant sur l’absence de construction, que les biens n’auraient pas été affectés à usage d’intérêt public.

12. La Cour observe par ailleurs que les biens en cause ont été régulièrement expropriés avant d’être utilisés de manière conforme à l’intérêt général qui avait motivé leur expropriation pendant au moins 24 ans. La circonstance que les biens aient été cédés à une autre administration après cette période puis vendus à un tiers, ne saurait faire naître au bénéfice de la requérante un quelconque droit à restitution ou à indemnisation sur le fondement de la Convention.

13. Il s’ensuit que cette branche du grief est incompatible rationemateriae avec les dispositions de la Convention.

14. Cela étant posé, il va sans dire que, même si la Convention n’impose pas une telle obligation, les autorités nationales demeurent libres de prévoir dans leur réglementation interne un droit à restitution des biens expropriés ou à indemnisation et de l’assortir des conditions qu’elles estiment adéquates. Un tel droit peut, dans certaines circonstances, constituer un intérêt patrimonial bénéficiant de la protection de la Convention (ibidem, §§ 80 et 89).

15. La seconde branche du grief consiste précisément à affirmer que le droit interne aurait octroyé un droit à obtenir une indemnisation à la requérante.

16. Sur ce point, la Cour relève que l’article 22 du code de l’expropriation indiquait expressément qu’il ne pouvait être question d’un quelconque droit à rétrocession ou à indemnité lorsque le bien exproprié était transféré à une administration disposant elle-même du pouvoir d’expropriation (voir paragraphe 4 ci-dessus). C’est sur la base de cette disposition que les juridictions internes ont rejeté les demandes de la requérante par des jugements qui ne reposent sur aucune appréciation arbitraire ou autrement déraisonnable.

17. Les revendications de la requérante ne disposent donc pas d’une base légale suffisante en droit interne. Il en résulte que l’intéressée ne saurait se prévaloir d’une « espérance légitime » et donc d’un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1.

18. Il est vrai que les biens expropriés ont par la suite été vendus par l’ALC à une personne privée. La Cour ne peut toutefois se pencher sur la question – soulevée par la requérante – de savoir si le droit interne, tel qu’interprété à l’époque des faits par les tribunaux nationaux, prévoyait ou non une obligation d’indemnisation en cas de cession du bien exproprié à un particulier, étant donné, comme la Cour l’a déjà souligné, que ce moyen ne constituait pas l’objet des actions entreprises par la requérante en droit interne, que l’intéressée ne l’a pas soulevé ni même évoqué devant les tribunaux nationaux et qu’il se heurte de ce fait à la règle de l’épuisement des voies de recours internes (voir paragraphe 8 ci-dessus).

19. Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède cette branche du grief est également irrecevable pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention.

20. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 6 octobre 2022.

Dorothee von Arnim Branko Lubarda
Greffière adjointe Président