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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
13.9.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 64879/17
Ahmet TEMİZ
contre la Türkiye

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 13 septembre 2022 en un comité composé de :

Egidijus Kūris, président,

Pauliine Koskelo,

Gilberto Felici, juges,

et de Dorothee von Arnim, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 64879/17 contre la République de Türkiye et dont un ressortissant de cet État, M. Ahmet Temiz (« le requérant »), né en 1974 et détenu à Tekirdağ, représenté par Me H. Yalçın, avocat à Diyarbakır, a saisi la Cour le 25 mai 2017 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. Hacı Ali Açıkgül, chef du service des droits de l’homme au ministère de la Justice de Türkiye, le grief tiré de l’article 8 de la Convention et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La requête concerne l’interception par l’administration pénitentiaire d’une lettre destinée au requérant, détenu dans une prison, au motif que celle-ci constituait une communication entre les membres d’une organisation terroriste.

2. À l’époque des faits, le requérant, condamné du chef de tentative de soustraire une partie du territoire se trouvant sous la souveraineté de l’État à l’administration de l’État, purgeait sa peine de prison à l’établissement pénitentiaire d’Ankara.

3. Le 26 mai 2015, une lettre destinée au requérant fut reçue par l’administration pénitentiaire. Elle avait été envoyée de Belgique par M.A., mais signée par D.A. et N.S. Le texte de la lettre parlait d’une lutte que les auteures étaient en train de mener et l’éducation qu’elles suivaient et mentionnait une guerre qui allait avoir lieu au printemps et une révolution qui s’ensuivrait. La lettre se concluait par un poème qualifiant l’amour comme une dévotion au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation illégale armée) et l’effort comme [celui] des « guérilléros ».

4. Le 27 mai 2015, la commission disciplinaire de l’établissement pénitentiaire décida de la saisie de cette lettre en estimant qu’elle contenait des expressions de nature à servir la communication avec les membres du PKK se trouvant dans les montagnes.

5. Le 3 juin 2015, le juge de l’exécution d’Ankara Batı rejeta l’opposition formée par le requérant contre la décision de l’administration pénitentiaire. À cet égard, il releva notamment que les auteurs et l’expéditeur de la lettre litigieuse n’étaient pas les mêmes personnes, que la lettre contenait des phrases impliquant une communication avec les membres de l’organisation terroriste PKK se trouvant dans les camps de l’organisation telles que « nous sommes maintenant sur les champs libres », « il y aura une guerre ce printemps et une révolution à la fin » et « tu diras que nous allons bien et sommes ici, quand tu verras les nôtres ». Il considéra que la remise de la lettre en question au requérant ne serait pas conforme à l’article 68 § 3 de la loi no 5275 relative à l’exécution des peines et des mesures préventives.

6. Le 12 juin 2015, la cour d’assises d’Ankara Batı rejeta l’opposition formée par le requérant contre la décision du juge de l’exécution, en considérant cette décision conforme à la procédure et à la loi.

7. Le 20 avril 2017, la Cour constitutionnelle, saisie d’un recours individuel introduit par le requérant se plaignant de la saisie de la lettre litigieuse, déclara ce recours irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Elle estima que les motifs contenus dans la décision du juge de l’exécution étaient pertinents et suffisants pour l’interception de la lettre, que l’ingérence n’était pas démesurée et que la restriction apportée au droit du requérant au respect de la correspondance était nécessaire pour la préservation de l’ordre public et la prévention du crime.

8. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant allègue que l’interception de la lettre qui lui avait été envoyée porte atteinte à son droit au respect de la correspondance.

APPRÉCIATION DE LA COUR

9. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du défaut manifeste de fondement du grief. Il soutient à cet égard que la Cour constitutionnelle a dûment examiné ce grief dans le cadre du recours individuel du requérant qu’elle a déclaré irrecevable et qu’il n’y a aucune raison d’arriver à une conclusion différente dans le cadre de cette affaire, compte tenu du principe de subsidiarité.

10. Le Gouvernement soutient que si l’existence d’une ingérence est admise par la Cour en l’espèce, cette ingérence était prévue par l’article 68 § 3 de la loi no 5275 relative à l’exécution des peines et des mesures préventives et les articles 91, 122 et 123 du règlement sur la direction des établissements pénitentiaires et l’exécution des peines et des mesures préventives. Il estime par ailleurs que l’ingérence poursuivait les buts légitimes que constituent la défense de l’ordre, la protection de la sécurité et la prévention du crime et qu’elle était nécessaire dans une société démocratique dans la mesure où, selon lui, eu égard à la manière dont elle a été envoyée et à son contenu, à ses yeux, faisant la promotion de la violence, la lettre saisie visait à maintenir le lien du requérant avec une organisation terroriste.

11. Le requérant conteste l’exception du Gouvernement. Il argue que l’interception de la lettre en question qui lui avait été envoyée constitue une atteinte à son droit au respect de la correspondance.

12. Les principes fondamentaux qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour en matière de la correspondance des détenus se résument dans les arrêts Silver et autres c. RoyaumeUni (25 mars 1983, § 98, série A no 61), et Mehmet Nuri Özen c. Turquie (no 37619/05, § 17, 2 février 2010).

13. L’interception de la lettre litigieuse constitue une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa correspondance au sens de l’article 8 § 2 de la Convention (comparer Mehmet Nuri Özen, précité, § 14). Il ne prête pas à controverse entre les parties que cette ingérence était prévue par la loi, à savoir l’article 68 § 3 de la loi no 5275 relative à l’exécution des peines et des mesures préventives et les articles 91, 122 et 123 du règlement sur la direction des établissements pénitentiaires (voir, pour le texte de ces dispositions, Günana et autres c. Turquie, nos 70934/10 et 4 autres, §§ 40-46, 20 novembre 2018) et qu’elle poursuivait les buts légitimes de la défense de l’ordre, de la protection de la sécurité nationale et de la prévention des infractions pénales.

14. Quant à la nécessité de l’ingérence, il est à noter que les autorités pénitentiaires semblent avoir intercepté la lettre litigieuse en la soupçonnant de provenir des membres d’une organisation terroriste et d’avoir le but de maintenir une communication entre ces derniers et le requérant. La Cour constitutionnelle s’est souscrite à cette conclusion en estimant que les motifs retenus par les autorités à l’appui de la décision d’interception étaient pertinents et suffisants. À cet égard, il convient d’observer en particulier que le texte de la lettre contenait effectivement des passages de nature à faire la promotion du PKK et de la lutte armée qu’il mène et qu’il semblait annoncer les prochains actes violents de cette organisation illégale.

15. Eu égard à ce qui précède, la mesure d’interception adoptée en l’espèce par les autorités nationales dans le but d’empêcher la communication entre les membres d’une organisation illégale peut être considérée nécessaire dans une société démocratique au sens de l’article 8. Partant, il convient d’accueillir l’exception du Gouvernement et de déclarer la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 6 octobre 2022.

Dorothee von Arnim Egidijus Kūris
Greffière adjointe Président