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QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
Requêtes nos 46/15 et 744/15
Daniela NĂSTASE contre la Roumanie
et Adrian NĂSTASE contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 6 septembre 2022 en une chambre composée de :
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, présidente,
Tim Eicke,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,
Jolien Schukking, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,
Vu les requêtes susmentionnées introduites le 22 décembre 2014,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Les requérants, Mme Daniela Năstase et M. Adrian Năstase, sont nés respectivement en 1955 et en 1950 et résident à Bucarest. Ils ont été représentés par Me C.-L. Popescu, avocat à Bucarest.
2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères.
- Les circonstances de l’espèce
3. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
4. Le requérant est un homme politique et ancien dignitaire roumain. Il fut notamment ministre des Affaires étrangères, Premier ministre, président du parti social-démocrate et député à la Chambre des députés. Il est également ancien professeur à la faculté de droit de l’université de Bucarest et ancien avocat au barreau de Bucarest.
5. La requérante est son épouse.
- L’enquête pénale
6. Le 7 février 2006, alors que le requérant était président de la Chambre des députés, le parquet en charge des faits de corruption commis par les plus hauts dignitaires et fonctionnaires, la Direction nationale anticorruption (« la DNA »), saisie le 24 janvier 2006 sur dénonciation de C.P., ouvrit une information judiciaire (începerea urmăririi penale) contre le requérant et son épouse, accusés de plusieurs délits de corruption.
7. Certains des faits reprochés aux intéressés auraient été commis avec l’aide de I.P.J. et de I.P. qui furent également mis en accusation pour corruption active. I.P. fut entendu par la DNA qui mit fin à l’enquête dirigée contre lui et qui l’entendit comme témoin. Il versa au dossier de nombreux documents écrits incriminant les requérants et une somme d’argent qu’il aurait reçue de la part de ces derniers.
8. Le 10 mars 2006, O.C., un ami de I.P., fit une dénonciation pénale à la DNA en indiquant que le requérant avait pris contact avec lui et l’avait prié de participer à une rencontre. Il soupçonnait le requérant de vouloir lui parler de I.P. lors de cette rencontre.
9. Se fondant sur cette information, par une ordonnance du 13 mars 2006, le parquet autorisa à titre provisoire l’interception des conversations entre le requérant et O.C. Cette ordonnance fut confirmée par la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») par un jugement avant dire droit du 13 mars 2006 qui autorisa aussi la poursuite des enregistrements.
10. Les 13 et 14 mars 2006, à la demande du requérant, O.C. se rendit au bureau de ce dernier au Parlement, où les deux hommes s’entretinrent des déclarations faites par I.P. devant la DNA (paragraphe 6 ci-dessus).
11. Il ressort des copies des transcriptions des conversations qui eurent lieu entre le requérant et O.C. les 13 et 14 mars 2006 que le requérant avait mentionné la position de I.P. au cours de l’enquête pénale le concernant et qu’il avait déclaré avoir besoin de l’aide de O.C. à qui il avait fait appel en raison de l’autorité que ce dernier exerçait sur I.P. Le requérant demanda à O.C. d’intervenir auprès de I.P. afin de lui faire changer d’attitude au cours du procès. L’intéressé avait mentionné aussi que I.P.J. souhaitait rendre publique l’information selon laquelle I.P. avait été un agent infiltré (ofițer sub acoperire). Il avait indiqué que, s’il n’arrivait pas à trouver une « solution convenable avec [I.P.], il n’aurait pas d’autre solution que de le décrédibiliser ». Au cours des conversations en question, O.C. avait exprimé le souhait de ne pas intervenir dans les relations entre le requérant et I.P., il avait dit de déconseiller à I.P.J. de faire des déclarations publiques à l’égard de I.P. et avait indiqué à plusieurs reprises qu’il avait compris le message du requérant.
12. Le 26 juin 2006, la DNA ouvrit une information judiciaire supplémentaire contre le requérant, accusé de chantage à l’égard de I.P.
13. Par un réquisitoire du 13 novembre 2006, les requérants furent mis en accusation et renvoyés en jugement devant la Haute Cour. Ils étaient accusés de plusieurs faits de corruption passive ainsi que, la requérante, pour faux en documents et usage de faux, et le requérant, pour chantage. I.P.J. fut inculpée dans la même procédure.
14. À la suite d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée par le requérant, la Haute Cour prononça par un arrêt du 18 octobre 2007 la nullité de l’ouverture de l’information judiciaire ainsi que la nullité de l’instruction pénale, compte tenu de l’absence d’une demande antérieure de poursuites formulée par le Parlement. Elle renvoya l’affaire au parquet.
15. Au cours de la nouvelle instruction, par une décision du 19 juin 2008, le parquet décida de disjoindre l’enquête préliminaire ouverte contre les requérants en trois dossiers différents ayant abouti à trois procédures pénales distinctes : une première procédure menée contre le requérant portait sur le financement de sa campagne électorale de 2004 (paragraphes 16-20 ci‑dessous), une deuxième avait pris fin par l’acquittement de l’intéressé et la troisième fait l’objet de la présente requête devant la Cour (paragraphes 21‑95 ci-dessous).
- La procédure pénale ayant abouti à la condamnation pénale du requérant par l’arrêt définitif du 20 juin 2012
16. Par un réquisitoire du 16 janvier 2009, le requérant fut renvoyé en jugement devant la Haute Cour. Il était accusé d’avoir usé de son influence en tant que président d’un parti politique pour obtenir un financement illégal de sa campagne électorale de 2004, infraction continuée punie par l’article 13 de la loi no 78/2000 sur la prévention, la découverte et la sanction des faits de corruption (« la loi no 78/2000 ») combiné avec l’article 41 § 2 du code pénal.
17. Tranchant l’affaire en première instance, par un arrêt du 30 janvier 2012 adopté à la majorité, la Haute Cour, siégeant en une formation de trois juges, à savoir les juges I.B., I.M.M. et C.R., condamna le requérant à une peine de deux ans de prison ferme du chef susmentionné. La juge C.R. exprima une opinion séparée.
18. Dans la partie de son arrêt relative à l’établissement de la peine applicable, avant de déterminer celle à infliger au requérant, la Haute Cour nota que la corruption de la classe politique, « personnifiée au moins pour l’année 2004 » par le requérant, constituait un phénomène qui ne pouvait plus être toléré par la société roumaine, estimant que la justice devait avoir une position ferme.
19. Le requérant forma un recours et contesta entres autres la qualité de juge de I.B., contestation largement médiatisée. Par un arrêt définitif du 20 juin 2012, la Haute Cour, siégeant en formation de cinq juges, fit partiellement droit au recours du requérant et le condamna pour une infraction simple au sens de l’article 13 de la loi no 78/2000. Elle rejeta les allégations du requérant concernant la qualité de juge de I.B. et maintint la sanction pénale infligée au requérant en première instance.
20. Après avoir exécuté une partie de cette peine, le 18 mars 2013, le requérant fut remis en liberté conditionnelle.
21. Les griefs formulés par le requérant sur le terrain de différents articles de la Convention à l’égard de cette procédure, y compris celui concernant la qualité de juge de I.B., ont été examinés par la Cour dans la décision Năstase c. Roumanie ((déc.), no 80563/12, 18 novembre 2014).
- La procédure pénale faisant l’objet de la présente requête devant la Cour
a) La nouvelle enquête pénale concernant ces faits
22. Dans le troisième dossier disjoint du dossier initial (paragraphe 15 ci‑dessus), les requérants étaient notamment accusés d’avoir illégalement fait introduire en Roumanie, entre 2002 et 2004, des biens acquis en Chine, pour un montant compris entre 700 000 et 1 million de dollars américains (USD), destinés à la construction, à l’aménagement et à la décoration de certaines de leurs propriétés. Ces opérations se seraient déroulées par le biais de sociétés dirigées par des personnes occupant des positions officielles dans le gouvernement dirigé au moment des faits par le requérant, dont I.P.J., et avec l’aide, entre autres, de I.P., fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères en poste en Chine.
23. Le 7 mai 2009, la DNA ouvrit une information judiciaire concernant les faits dont elle était saisie. Elle procéda à une nouvelle administration de la plupart des preuves recueillies, afin de permettre aux requérants d’en prendre connaissance et de se défendre, à l’exception entre autres des enregistrements audio des conversations entre le requérant et le témoin O.C. (paragraphe 10 ci-dessus). Concernant ces dernières preuves, le parquet souligna que la pratique et la doctrine étaient unanimes pour considérer comme valables les mesures conservatoires et autres mesures procédurales préliminaires prises par le procureur avant l’ouverture de l’information judiciaire, y compris les mesures ordonnées par un juge, tels les enregistrements audio en l’espèce, ainsi que celles qui ne pouvaient pas être reprises. Le parquet souligna également que les preuves déjà administrées au regard des autres personnes visées par l’enquête en l’espèce n’étaient pas entachées de nullité.
24. Les requérants se virent présenter le dossier d’instruction.
25. Par un réquisitoire du 3 mai 2010, la DNA renvoya les requérants en jugement comme suit :
a) le requérant, pour l’infraction de corruption passive, visée à l’article 254 du CP, et celle de chantage, visée à l’article 131 de la loi no 78/2000 ;
b) la requérante, pour les infractions de complicité de corruption passive, de participation à l’usage de faux auprès des autorités douanières et de blanchiment d’argent, visées par l’article 254 du CP, l’article 273 de la loi no 86/2006 et l’article 23 § 1 c) de la loi no 656/2002 sur la prévention et la répression du blanchiment d’argent respectivement.
26. En particulier, le requérant se voyait reprocher d’avoir commis, en usant de son influence et de son autorité en tant que Premier ministre et président du parti social-démocrate au pouvoir, les faits suivants :
a) perception de sommes d’argent, au cours de la période 2002-2004, versées par I.P.J., correspondant, d’une part, à la valeur des biens destinés à son épouse et lui-même importés de Chine au nom de la société V., dirigée de facto par I.P.J., et, d’autre part, aux coûts liés à l’importation de ces biens, en échange de la nomination de I.P.J. à des postes de direction au sein de l’Inspection d’État pour les constructions (« l’Inspection pour les constructions »), structure rattachée au ministère des Travaux publics et des Transports ;
b) perception, en faveur de son épouse et de lui-même, au cours de la période 2002-2004, d’avantages sous forme de services, fournis par I.P., consistant en l’organisation tant de l’entreposage en Chine des biens mentionnés au point a) que de leur transport vers la Roumanie avec l’aide notamment de I.P.J. et de C.P., gérante de l’entreprise V., et, enfin ;
c) menace sur la personne de I.P., par personne interposée, à savoir O.C., lors d’entretiens menés à son initiative avec ce dernier les 13 et 14 mars 2006 (paragraphe 10 ci-dessus), aux fins de contraindre I.P. à ne pas l’incriminer et à ne pas incriminer son épouse, à revenir sur les déclarations accusatrices déjà faites et à détruire les preuves à charge en sa possession.
27. La requérante se voyait reprocher d’avoir aidé le requérant à obtenir des pots-de-vin de la part de I.P.J., d’avoir déterminé cette dernière à acheter des biens en Chine et d’avoir fait acheminer illégalement ces biens en Roumanie avec l’aide de I.P., de I.P.J. et de C.P.
28. I.P.J. fut inculpée dans la même procédure.
29. Ainsi qu’il ressort du réquisitoire, le dossier d’instruction comprenait notamment : les déclarations des requérants et de I.P.J. ; les déclarations de 167 témoins ; de nombreux procès-verbaux de perquisitions effectuées, entre autres, dans les propriétés des requérants ; des preuves recueillies lors de ces perquisitions, dont des biens, des sommes d’argent, ainsi que divers documents sur supports papier et informatique concernant les opérations d’acquisition, de transport et de dédouanement des biens importés ; des transcriptions d’enregistrements audio, notamment entre I.P. et O.C. et entre le requérant et O.C. ; et diverses expertises (comptable, informatique, audio, etc.).
30. À l’époque où le réquisitoire du 3 mai 2010 avait été rendu, I.B. (paragraphe 17 ci-dessus et paragraphe 52 ci-dessous) était conseillère du procureur en chef de la D.N.A. Par la suite, I.B. fut nommée juge à la Haute Cour.
b) La procédure en première instance
31. La Haute Cour, en tant que juridiction de première instance, siégeait en une chambre de trois juges.
32. I.P. se constitua partie civile pour les faits de chantage dont il aurait été victime de la part du requérant.
33. Lors de l’audience du 24 novembre 2010, la Haute Cour rejeta l’exception soulevée par les requérants concernant l’irrégularité alléguée de sa saisine, ainsi que leur demande de renvoi du dossier d’enquête au parquet pour une nouvelle instruction, fondée sur la prétendue illégalité de plusieurs actes d’instruction. Elle accueillit ensuite les demandes des requérants visant à l’obtention de copies sur support optique de l’ensemble des preuves du dossier.
34. La Haute Cour entendit les accusés, les parties civiles, ainsi que 71 témoins, dont O.C. et C.P. De même, I.P. fut entendu à des dates distinctes, une fois en qualité de témoin concernant les importations de Chine et une autre fois en sa qualité de partie lésée. Les preuves du dossier furent soumises à discussion.
35. Les requérants furent entendus le 27 février 2012. Ils nièrent les faits qui leur étaient reprochés.
36. Le 30 mars 2012, la Haute Cour rendit son jugement.
37. Pour établir les faits, notamment concernant l’ensemble des biens acquis en Chine sur la période 2002-2004 – leur entreposage avant exportation, leur transport vers la Roumanie, leur dédouanement, leur transit dans différents entrepôts en Roumanie, leur livraison aux requérants, les travaux de construction et d’aménagement effectués avec ces biens, le circuit des sommes d’argent liées à toutes ces opérations et les personnes impliquées dans celles-ci – et les agissements des accusés après les dénonciations et l’ouverture de l’enquête pénale, la Haute Cour se fonda, outre sur les déclarations des parties et des témoins, dont plus particulièrement ceux de I.P. et C.P., sur de nombreux écrits tels des documents douaniers, comptables, fiscaux, commerciaux et de transport, ainsi que sur des transcriptions d’enregistrements audio, des expertises et des perquisitions informatiques.
38. Elle mentionna que le témoignage de I.P. était très important pour établir les faits et rejeta la demande des requérants de ne pas tenir compte de la déclaration de celui-ci en raison de sa qualité de partie lésée et d’un défaut d’objectivité de sa part. Elle considéra aussi que le témoignage de C.P. était aussi important pour établir les faits, elle étant d’ailleurs la dénonciatrice dans l’affaire (paragraphe 6 ci-dessus).
39. La Haute Cour jugea ensuite que, bien qu’il eût été établi que le requérant avait reçu des avantages indus de I.P.J. et I.P., ces faits ne constituaient pas l’infraction de corruption passive dans la mesure où il n’avait pas été prouvé que l’intéressé en sa qualité de Premier ministre avait procuré des avantages à I.P.J. et I.P. Elle estima qu’il ne ressortait ni de la succession des actes législatifs pertinents ni des documents écrits que le requérant était intervenu dans la nomination de I.P.J. aux postes importants qu’elle avait occupés au ministère des Transports et que l’intéressée avait offert bénévolement ses services pour permettre au requérant de justifier sa fortune en cas de contrôle, et ce dans le but de préserver une bonne relation avec « l’un des hommes les plus importants dans le pays ». En interprétant des documents écrits et la déposition du témoin I.P., la Haute Cour arriva à une conclusion similaire au sujet de l’aide fournie par ce dernier, considérant qu’il n’était pas établi que le requérant avait joué un rôle dans l’évolution positive de la carrière de l’intéressé et que ce dernier avait de sa propre initiative aidé bénévolement les requérants.
40. La Haute Cour jugea en outre, d’une part, qu’il n’était pas prouvé avec certitude que les requérants étaient les propriétaires d’un des deux immeubles situés à Bucarest, visés dans le réquisitoire et, d’autre part, que le montant des travaux effectués dans l’autre immeuble sis à Bucarest correspondait à la valeur de la facture qu’ils avaient réglée. Pour en décider ainsi, elle considéra que les pièces du dossier ne faisaient pas apparaître le caractère fictif des ventes successives portant sur l’immeuble en question pour pouvoir juger que les requérants étaient les bénéficiaires des travaux.
41. Elle conclut dès lors que les faits de corruption passive reprochés aux requérants n’existaient pas.
42. Concernant l’accusation de chantage, la Haute Cour jugea que le requérant avait proféré des menaces à l’adresse de I.P. après le début de l’enquête, dans le but de le déterminer à retirer ses déclarations accusatrices faites à son endroit, ainsi qu’il ressortait des conversations enregistrées entre le requérant et O.C. (paragraphes 10 et 32 ci-dessus) décrites par ce dernier dans son témoignage. La Haute Cour releva que ces menaces étaient telles qu’elles étaient de nature à faire naître chez I.P. de grandes craintes, objectivement amplifiées par le scandale médiatisé provoqué par l’enquête déclenchée contre un ex‑Premier ministre.
43. La Haute Cour souligna qu’il ressortait sans conteste du dossier que l’initiative des deux entrevues entre O.C. et le requérant appartenait à ce dernier, que lors de ces entretiens O.C. avait eu une attitude d’écoute, plutôt passive, et que rien dans le dossier ne permettait de conclure que O.C. était un agent provocateur, comme le prétendait le requérant (paragraphe 11 ci‑dessus).
44. Pour autant que le requérant arguait de l’illégalité de l’enregistrement audio des conversations qu’il avait eues avec O.C., la Haute Cour répondit, d’une part, que l’enregistrement avait été autorisé par une décision provisoire du 13 mars 2006 prise par le parquet, qu’elle-même avait confirmée le jour même (paragraphe 9 ci-dessus), et, d’autre part, que cet enregistrement n’avait pas été inclus dans les preuves du dossier. Elle indiqua que les éléments factuels pertinents à l’égard de ce chef d’accusation étaient étayés par d’autres preuves, parmi lesquelles figuraient l’ensemble des déclarations de O.C., y compris sur le déroulement des entretiens avec le requérant les 13 et 14 mars 2006, corroborées par d’autres déclarations. Elle nota, de surcroît, que le requérant n’avait à aucun moment nié la version donnée par O.C. sur la teneur des discussions enregistrées.
45. Dès lors, la Haute Cour, se prononçant à l’unanimité :
a) acquitta le requérant du chef de corruption passive, le déclara coupable du chef de chantage et le condamna à une peine d’emprisonnement de trois ans avec sursis et mise à l’épreuve de six ans ;
b) acquitta la requérante du chef de complicité de corruption passive et du chef de blanchiment d’argent, la déclara coupable du chef de participation à l’usage de faux auprès des autorités douanières et la condamna à une peine d’emprisonnement de trois ans avec sursis et mise à l’épreuve de cinq ans.
46. L’autre accusée, I.P.J., fut aussi condamnée.
c) Le pourvoi en recours
47. Tant le ministère public que les requérants se pourvurent en recours contre le jugement de la Haute Cour.
48. Le ministère public reprochait notamment à la Haute Cour d’avoir acquitté les requérants pour les faits liés à l’infraction de corruption passive et la requérante pour les faits de blanchiment d’argent.
49. Les requérants furent assistés par plusieurs avocats. Le requérant critiquait entre autres :
a) avoir été victime d’une provocation policière et que O.C. avait agi en tant qu’agent provocateur ; et
b) l’audition de I.P. en tant que témoin, arguant notamment d’une absence de crédibilité de celui-ci, au motif que, étant victime dans la même affaire et ayant été visé par l’enquête au début, ce témoin avait un intérêt à l’incriminer.
50. La requérante soutint entre autres que l’arrêt rendu en première instance était mal-fondé et que sa décision de condamnation était contredite par certaines preuves instruites. Elle remit en question la qualité de témoin de I.P. et de C.P.
- La composition de la formation de jugement pendant le pourvoi en recours
51. À l’époque des faits, la Haute Cour était dirigée par un président et deux vice-présidents. L’un des vice-présidents était la juge C.T., spécialisée en droit civil, et l’autre était la juge R.A.P., spécialisée en droit pénal.
52. Le 22 mars 2013, l’affaire des requérants fut enregistrée au rôle de la Haute Cour, siégeant en une chambre de cinq juges, à savoir la juge R.A.P., présidente (paragraphe 51 ci-dessus), et les juges I.B., A.D., L.L.Z. et C.R.
53. Une fois le mandat de vice-président de la juge R.A.P. expiré, soit le 17 septembre 2013, par une décision du même jour, la présidente de la Haute Cour nomma la juge C.M.J. pour siéger en tant que présidente de l’une des deux formations de cinq juges de la chambre pénale de la Haute Cour. Cette décision était justifiée par le fait que la procédure de nomination d’un second vice-président de la Haute Cour était encore pendante et que la vice‑présidente C.T. était spécialisée en droit civil. Elle était fondée sur l’article 32 § 5 de la loi no 304/2004 sur l’organisation judiciaire (« la loi no 304/2004 » – paragraphe 100 ci-dessous) et l’article 28 § 5 du règlement de cette haute juridiction (paragraphe 101 ci-dessous). La décision de nommer la juge C.M.J. était motivée par sa qualité de présidente de la chambre criminelle et de juge pénale.
54. Les audiences tenues les 7 octobre et 4 novembre 2013 dans l’affaire du requérant furent présidées par la juge C.M.J.
55. D’après les informations fournies par la Haute Cour, pendant la période où la juge C.M.J. avait été nommée temporairement à présider la formation de jugement de la chambre pénale, la vice-présidente C.T. avait présidé, sur décision du Conseil supérieur de la magistrature, la chambre pénale dans deux affaires, remplaçant la juge C.M.J. qui, ayant participé au jugement en première instance dans les deux affaires en question, ne pouvait y participer. La juge C.T. avait présidé également dans une affaire pénale à partir du 2 décembre 2013 dans laquelle un arrêt fut prononcé le 10 mars 2014.
56. Le 11 novembre 2013, le juge I.M.M. fut élu vice-président de la Haute Cour, le décret du président de la Roumanie portant nomination du juge à cette fonction datait du 20 novembre 2013 et fut publié au Journal officiel le même jour. Le juge I.M.M. présida une formation de jugement de la chambre pénale de la Haute Cour à partir du 25 novembre 2013.
57. Lors de l’audience du 2 décembre 2013, la formation de jugement jugeant l’affaire des requérants fut présidée, jusqu’à la fin du procès, par I.M.M., nouvellement nommé vice-président de la Haute Cour.
58. Le 5 décembre 2013, le collège directeur de la Haute Cour se prononça sur la composition des chambres de cinq juges pour l’année 2014 et le juge I.M.M. fut désigné pour présider durant l’année 2014 l’une des deux formations de jugement de cinq juges de la chambre pénale.
59. Après la nomination de I.M.M. en tant que vice-président de la Haute Cour, le président de la République, T.B., avait tenu des propos télévisés dans lesquels il exprimait sa satisfaction à la suite de cette nomination de I.M.M., il affirmant qu’il était « très content » de cette nomination et que, dans la lutte contre des pressions exercées sur la justice, il y avait des avancements, elles étaient « sous contrôle ».
- Les demandes préalables et les exceptions
60. Les requérants formulèrent d’emblée quatorze demandes procédurales, parmi lesquelles des demandes préalables, d’exceptions préliminaires et d’inconstitutionnalité, de saisine des sections réunies de la Haute Cour et de récusation.
61. À l’audience du 2 décembre 2013, ils soulevèrent des exceptions supplémentaires, dont une exception de nullité de la formation de jugement (paragraphe 65 ci-dessous).
62. Trois juges de la chambre de la Haute Cour formulèrent des demandes d’abstention, à savoir C.R., qui faisait valoir qu’elle enseignait dans le même établissement que le requérant, A.D., qui indiquait avoir fait partie de la chambre de la Haute Cour qui avait décidé de renvoyer l’affaire à la DNA le 18 octobre 2007 (paragraphe 14 ci-dessus) et de celle qui avait rejeté des demandes procédurales le 24 novembre 2010 (paragraphe 32 ci-dessus), et I.B., qui exposait avoir été conseillère du procureur en chef de la DNA au moment des réquisitions de la DNA concernant les requérants, le 3 mai 2010 (paragraphe 25 ci-dessus), et avoir siégé dans la composition de la Haute Cour ayant jugé le requérant dans une autre affaire (paragraphe 17 ci-dessous), aspects qui avaient donné lieu à des allégations à son égard dans la presse.
63. Les requérants récusèrent les juges I.B. et I.M.M., en se fondant sur plusieurs motifs et en invoquant l’article 6 de la Convention.
64. Concernant la récusation de la juge I.B., les requérants arguèrent entre autres que cette juge avait fait partie de la formation de la Haute Cour qui avait condamné le requérant dans une autre affaire très médiatisée de corruption et que, dans les arguments de l’arrêt rendu dans cette affaire, figurait la phrase suivante : « (...) la corruption de la classe politique en Roumanie, personnifiée au moins pour l’année 2004, par l’inculpé Năstase Adrian (...) » (paragraphes 17 et 18 ci-dessus). Or, selon le requérant, cette phrase ne laissait aucune place à l’impartialité de la juge I.B. dans une autre affaire le concernant et ayant porté sur des accusations de corruption.
65. Les requérants plaidèrent également que, juste avant sa promotion comme juge à la Haute Cour, la juge I.B. avait été conseillère du procureur en chef de la DNA., ce qui, pour eux, remettait en cause son impartialité puisque, en cette qualité, elle avait eu la possibilité d’examiner la légalité des documents préparés par la DNA (paragraphe 30 ci-dessus).
66. Concernant le juge I.M.M., qui présidait la formation de jugement en tant que vice-président de la Haute Cour, les requérants arguèrent notamment : a) qu’il avait fait lui aussi partie de la formation de jugement dans une autre affaire impliquant le requérant (paragraphe 17 ci-dessus), et b) que le président de la République, T.B., qui avait une relation d’inimitié notoire avec le requérant, avait tenu des propos télévisés dans lesquels il exprimait sa satisfaction à la suite de la nomination de I.M.M. en tant que vice-président de la Haute Cour.
67. L’ensemble des demandes d’abstention et de récusation fut rejeté, après examen en huis clos, par des décisions motivées, comme suit : les 27 mars et 2 avril 2013 pour les demandes d’abstention, et les 3 juin et 2 décembre 2013 pour les demandes de récusation. La Haute Cour, siégeant en une formation composée de juges autres que ceux dont l’abstention ou la récusation avait été demandée, entendit les parties et les magistrats concernés et, après un examen minutieux des motifs invoqués, des articles 46 à 48 du code de procédure pénale ((CPP) – paragraphe 96 ci-dessous) et de la jurisprudence de la Cour en la matière, jugea qu’il n’y avait en l’espèce aucun élément lui permettant de conclure à l’absence d’indépendance et d’impartialité, subjective ou objective, des juges en question.
68. Plus particulièrement, la Haute Cour estima que les opinions exprimées par ces juges dans une autre affaire visant le requérant ne suffisaient pas pour conclure à une situation d’incompatibilité concernant ces magistrats, puisque l’affaire portait sur d’autres faits et accusations. Quant au fait que la juge I.B. avait été conseillère du procureur en chef de la DNA (paragraphe 30 ci-dessus), la Haute Cour nota que, d’après les déclarations de I.B. faites devant la Haute Cour, celle-ci n’avait pas été consultée et n’avait pas examiné le dossier concernant les requérants de sorte que I.B. n’avait pas été amenée à examiner le bien-fondé et la légalité de la proposition du parquet ni à faire des propositions dans l’affaire. Elle releva de surcroît que les requérants n’avaient aucunement étayé leurs allégations d’attitude « inamicale » du juge I.M.M. ni avancé un quelconque élément apte à faire naître des appréhensions sur un éventuel manque d’impartialité subjective ou objective de la part de ce magistrat.
69. À l’audience du 2 décembre 2013, les requérants excipèrent de la nullité de la décision du 17 septembre 2013 portant nomination de la juge C.M.J. en tant que présidente de la chambre chargée de leur dossier (paragraphe 57 ci-dessus) et, par voie de conséquence, de la nullité de la formation de jugement. À l’appui de leur thèse, ils alléguaient que, en attendant la nomination du deuxième vice‑président, la vice-présidente de la Haute Cour, C.T., aurait dû être nommée pour présider la formation de jugement de leur affaire.
70. Le parquet s’opposa à cette exception, en plaidant, d’une part, que les requérants ne l’avaient pas soulevée lors des audiences antérieures présidées par la juge C.M.J. et, d’autre part, que la pratique de la Haute Cour allait dans le sens d’une spécialisation des formations de jugement et que c’était ce principe qui avait guidé la Haute Cour dans son choix de réorganiser son fonctionnement en introduisant un deuxième vice-président (paragraphe 50 in fine ci-dessus).
71. La Haute Cour, dans une formation présidée par le juge I.M.M., rejeta l’exception le 2 décembre 2013, jugeant que les dispositions de l’article 32 § 5 de la loi no 302/2004 avaient été respectées lors de la nomination de la juge C.M.J. en l’espèce.
- Les audiences sur le fond et les preuves administrées
72. À l’audience tenue le 3 juin 2013, la Haute Cour, siégeant en une formation de jugement composée de la juge R.A.P., présidente, et des juges I.B., A.D., L.L.Z. et C.R., se prononça sur les demandes de preuves formulées par les requérants. Le requérant sollicita l’audition de la requérante, de la coïnculpée I.P.J. ainsi que du témoin C.S., collaboratrice de la requérante. Il indiqua aussi qu’il souhaitait être interrogé par la juridiction de recours et demanda l’autorisation de verser au dossier des documents écrits. La requérante sollicita également l’autorisation de verser au dossier des preuves écrites.
73. Après avoir obtenu confirmation que la requérante et la coïnculpée I.P.J. n’entendaient pas se prévaloir de leur droit au silence, la Haute Cour fit droit à la demande du requérant d’interroger les coïnculpées et le témoin C.S. Elle fit droit partiellement à la demande du requérant de verser des documents écrits au dossier. Quant à la demande de la requérante, elle l’accueillit dans son intégralité.
74. La Haute Cour décida d’office d’entendre les témoins C.P. et I.P.
75. Lors de l’audience du 9 septembre 2013, la Haute Cour entendit le requérant.
76. Lors des audiences des 7 octobre et 4 novembre 2013, la Haute Cour, siégeant en une formation de jugement présidée par la juge C.M.J. (paragraphe 53 ci-dessus), interrogea les témoins C.S. et I.P. et la coïnculpée I.P.J. Le 4 novembre 2013, la requérante fut également entendue.
77. Lors de l’audience du 2 décembre 2013, la Haute Cour, siégeant en une formation présidée par le juge I.M.M. (paragraphe 55 ci-dessus), interrogea le témoin C.P. Lors de la même audience, à la demande de l’inculpé, la Haute Cour entendit l’intéressé sur certains éléments qu’il souhaitait préciser.
78. L’affaire fut ajournée le 19 décembre 2013 quand eurent lieu les débats. Elle fut ensuite mise en délibéré.
- L’arrêt prononcé à la suite du pourvoi en recours
79. Le 6 janvier 2014, la Haute Cour rendit son verdict en audience publique. La motivation de l’arrêt, rédigée sur 213 pages, fut mise à la disposition des parties le 3 juillet 2014.
80. La Haute Cour considéra d’abord que le fait pour les requérants d’avoir perçu des avantages avait été établi par la juridiction statuant en première instance (paragraphe 39 ci-dessus), que cet aspect de l’affaire n’était plus remis en cause et qu’elle devait se concentrer dans son examen sur l’aspect subjectif quant aux faits liés à l’infraction de corruption passive (infraction principale et complicité). Elle souligna ce qui suit : la juridiction du fond avait fondé à tort l’acquittement des requérants sur la disposition du CPP qui traitait de l’inexistence des faits matériels (paragraphe 41 ci-dessus) ; or la conclusion en droit de cette juridiction était contredite par les nombreuses preuves du dossier au fond indiquant le contraire, détaillées dans le jugement au fond ; en particulier, le jugement au fond décrivait sur de nombreuses pages la perception par les requérants des avantages en nature fournis par I.P.J. et I.P., en lien avec les biens en provenance de Chine, tout en concluant à l’absence de preuves quant au but poursuivi dans la commission des faits par les requérants, à savoir l’obtention d’un avantage en échange. La juridiction de recours jugea que le but poursuivi était lié à l’aspect subjectif de l’infraction reprochée et considéra que, au vu des arguments avancés dans son jugement par la juridiction du fond, cette dernière aurait dû conclure à l’absence d’un des éléments constitutifs de l’infraction reprochée, comme fondement légal de l’acquittement, et non à l’inexistence des faits dans leur matérialité, comme elle l’avait fait.
81. Se fondant sur un ensemble de preuves écrites administrées par la juridiction du fond et sur les nouveaux écrits administrés en recours, la Haute Cour conclut à l’existence d’un lien clair entre l’évolution des carrières de I.P.J. et I.P., d’un côté, et leurs relations avec les requérants et les services rendus à ceux‑ci, de l’autre côté.
82. S’agissant enfin du caractère fictif de l’acquisition de l’un des immeubles dont les requérants prétendaient ne pas être les propriétaires (paragraphe 39 ci-dessus), la Haute Cour se fonda sur un ensemble de preuves pour juger que les intéressés en étaient les véritables propriétaires. Elle examina en détail les documents écrits portant sur les transferts de propriété entre les propriétaires successifs de l’immeuble et conclut qu’il s’agissait d’un transfert de propriété fictif. Afin de décider que les requérants étaient les véritables bénéficiaires des travaux et des objets acquis à l’étranger, la Haute Cour prit en compte les déclarations des requérants et de I.P.J., qui avaient admis avoir acquis des biens utilisés pour la restauration de l’immeuble, qu’elle fit corroborer par des écrits et de nombreux témoignages livrés par l’architecte, qui avait assisté les requérants pour réaliser les travaux, des ouvriers, des chauffeurs, des chefs de chantier, des manutentionnaires, qui avaient déclaré que les requérants se rendaient dans cette propriété, s’y comportant en propriétaires. Elle conclut donc qu’il ressortait de l’ensemble des preuves que les bénéficiaires des travaux pour l’immeuble en question étaient les requérants.
83. S’agissant des allégations des intéressés concernant la crédibilité du témoin I.P. (paragraphe 49 ci-dessus), la Haute Cour expliqua que ce dernier avait dans la procédure une double qualité : celle de partie lésée pour l’infraction de chantage et celle de témoin pour les infractions de corruption passive et de participation à l’usage de faux auprès des autorités douanières en lien avec les biens acquis en Chine. Elle précisa qu’il n’y avait pas d’empêchement légal pour cumuler cette double qualité dans la procédure. Elle exposa que les mêmes arguments étaient de nature à justifier le rejet des allégations des requérants concernant la qualité de témoin de C.P. (paragraphe 50 ci-dessus). Elle ajouta que, en tout état de cause, les dépositions du témoin I.P. étaient confirmées par d’autres moyens de preuve, au principal par des écrits et des biens rendus aux organes d’enquête mais aussi par la déposition du témoin C.P. qui avait dévoilé le but des voyages en Chine de la requérante.
84. Concernant le chantage, pour autant que le requérant s’appuyait sur plusieurs motifs pour arguer de la nullité de l’enregistrement, en tant que moyen de preuve, des conversations qu’il avait eues avec O.C., la Haute Cour rappela d’abord que l’annulation prononcée par la décision du 18 octobre 2007 (paragraphe 14 ci-dessus) visait uniquement les actes postérieurs à l’ouverture de l’information judiciaire. Elle constata qu’en l’espèce l’enregistrement litigieux avait été effectué les 13 et 14 mars 2006, avant l’ouverture de l’information pour chantage, le 26 juin 2006 (paragraphe 12 ci-dessus). Elle jugea dès lors que l’enregistrement n’était pas entaché de nullité et qu’il pouvait être utilisé en tant que preuve. Elle constata enfin que l’enregistrement avait une base légale et avait été ordonné dans le respect des règles procédurales.
85. La Haute Cour rejeta ensuite l’allégation selon laquelle O.C. était un agent provocateur. Elle souligna que le requérant avait pris l’initiative de la rencontre avec O.C. et que ce dernier était resté passif pendant les conversations orientées par le requérant vers les arguments susceptibles de convaincre I.P. de modifier ses déclarations accusatrices à son endroit dans l’affaire de corruption passive.
86. Quant au fond, elle constata que, après l’ouverture de l’information pour corruption, I.P. avait été convoqué et avait fait des déclarations à la DNA, que le requérant avait ensuite invité O.C. à venir discuter dans son bureau au Parlement de la situation générée par les déclarations de I.P. et que O.C. avait alors fait un signalement à la DNA, laquelle lui avait conseillé de se rendre aux rendez-vous proposés par le requérant. Elle releva que, lors de ces entretiens avec O.C., le requérant avait essayé de déterminer I.P. à retirer ses déclarations, et qu’il avait aussi accusé I.P. de trahison et avait formulé des menaces à son endroit, indiquant que, si une solution convenable n’était pas trouvée, il l’attaquerait « sur tous les fronts » et le décrédibiliserait. La Haute Cour réfuta ensuite les allégations du requérant selon lesquelles les enregistrements avaient été modifiés, soulignant qu’il n’y avait en l’espèce aucun indice de contrefaçon et que de toute manière le requérant avait admis lui-même, au cours de ses déclarations, la teneur de ses entretiens avec O.C.
87. La Haute Cour cassa en partie le jugement du 30 mars 2012 (paragraphes 36-41 ci-dessus) et, rejugeant l’affaire en vertu de l’article 38515 § 2 d) du CPP (paragraphe 96 ci-dessous) et au regard des motifs de recours formulés par les parties, jugea à l’unanimité que :
a) le requérant, coupable du chef de corruption passive et du chef de chantage, devait être condamné à une peine d’emprisonnement de quatre ans, ainsi qu’à la privation de l’exercice de certains droits pendant cinq ans en tant que peine accessoire ;
b) la requérante, coupable du chef de complicité de corruption passive et du chef de participation à l’usage de faux auprès des autorités douanières, devait être condamnée à une peine d’emprisonnement de trois ans avec sursis et mise à l’épreuve de huit ans, ainsi qu’à la privation de l’exercice de certains droits pendant quatre ans en tant que peine accessoire. Elle fut en revanche jugée non coupable du chef de blanchiment d’argent.
- Demandes en accélération de la rédaction des motifs de l’arrêt du 6 janvier 2014
88. En février et mars 2014, le requérant adressa à la Haute Cour des lettres par lesquelles il demandait l’accélération de la rédaction de l’arrêt prononcé le 6 janvier 2014, exposant qu’il était incarcéré et que le délai légal de rédaction, de trente jours, avait expiré le 4 février 2014.
89. Le 4 avril 2014, il introduisit devant la Haute Cour une contestation fondée sur l’article 4881 du CPP (paragraphe 97 ci-dessous), demandant que l’arrêt fût rédigé dans un délai de cinq jours.
90. Le 5 mai 2014, la Haute Cour rejeta la contestation concernant le délai de rédaction de l’arrêt pour cause d’irrecevabilité.
91. Le 5 juin 2014, une décision fut rendue, portant classement d’une plainte disciplinaire que le requérant avait introduite en mars 2014 auprès du Conseil supérieur de la magistrature contre les juges ayant prononcé l’arrêt du 6 janvier 2014. Selon la motivation de cette décision, l’enquête menée par l’Inspection judiciaire n’avait relevé l’existence d’aucune faute commise par les magistrats en question, et des motifs objectifs, notamment la complexité du dossier ainsi que la charge importante de travail par ailleurs, étaient en cause dans le dépassement du « délai recommandé » prévu par l’article 406 §§ 1 et 2 du CPP (paragraphe 96 ci-dessous).
- La détention du requérant
92. Le jour même du prononcé de l’arrêt, à savoir le 6 janvier 2014, le requérant fut incarcéré.
93. Par une décision du 24 juin 2014, à la demande du requérant, la cour d’appel de Bucarest fusionna la peine infligée au requérant par l’arrêt définitif du 20 juin 2012 rendu par la Haute Cour (paragraphe 19 ci-dessus) avec sa nouvelle peine (paragraphe 87 ci-dessus) et ordonna l’exécution d’une peine supplémentaire de six mois de prison ferme.
94. Le 21 août 2014, le requérant fut remis en liberté conditionnelle.
95. Par un arrêt du 7 décembre 2021, la Haute Cour prononça la réhabilitation judiciaire du requérant. Le 5 janvier 2022, le délai de mise à l’épreuve de la requérante à la suite de sa condamnation pénale a pris fin.
- Le droit et la pratique internes pertinents
- Le code de procédure pénale (CPP)
96. Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP étaient ainsi libellées à l’époque des faits :
Article 46
Parenté entre juges
« Les juges qui sont conjoints, parents ou proches, jusqu’au quatrième degré inclus, ne peuvent pas faire partie du même collège. »
Article 47
[Cas du] juge qui s’est déjà exprimé
« Le juge qui a participé au règlement d’une affaire ne peut plus participer au jugement de la même affaire en appel ou au jugement de l’affaire après l’annulation de la décision à la suite d’un appel ou d’un recours.
De même, le juge qui a précédemment exprimé son opinion sur la solution qui pourrait être apportée dans cette affaire ne peut plus participer au jugement/traitement de l’affaire. »
Article 48
Autres causes d’incompatibilité
« 1. Le juge est également en situation d’incompatibilité pour siéger si, dans l’affaire en question :
a) il a ouvert une information ou requis le renvoi en jugement ou tiré des conclusions en tant que procureur, a décidé sur une demande de détention provisoire ou de prolongation de la détention provisoire pendant l’enquête pénale ;
b) il était représentant ou défenseur de l’une des parties ;
c) il était expert ou témoin ;
d) il existe des circonstances dont il ressort que lui-même, son conjoint ou tout parent proche est intéressé sous quelque forme que ce soit ;
(...)
g) il y a inimitié entre, d’une part, lui-même, son conjoint ou l’un de ses proches jusqu’au quatrième degré inclus et, d’autre part, l’une des parties, son conjoint ou ses proches jusqu’au troisième degré inclus ;
(...) »
Article 50
Abstention
« La personne en situation d’incompatibilité est tenue de déclarer, selon le cas, au président du tribunal, au procureur chargé de l’enquête pénale ou au procureur hiérarchiquement supérieur, qu’elle s’abstient de participer au procès pénal, en indiquant le cas d’incompatibilité qui constitue le motif de l’abstention.
(...) »
Article 51
Récusation
« Dans le cas où la personne en situation d’incompatibilité n’a pas fait de déclaration d’abstention, elle peut être récusée tant au cours de l’instruction pénale que pendant le procès, par l’une des parties, dès que celle-ci a découvert l’existence du cas d’incompatibilité.
La récusation est formulée oralement ou par écrit, indiquant pour chaque personne le cas d’incompatibilité invoqué et tous les motifs factuels connus au moment de la récusation. La demande de récusation ne peut concerner que les juges qui composent le jury.
(...) »
Article 52
« L’abstention ou la récusation du juge (...) est résolue par un autre collège, en chambre du conseil, sans la participation de celui qui déclare s’abstenir ou qui est récusé.
L’examen de la déclaration d’abstention ou de la demande de récusation se fait immédiatement, après audition du procureur lorsqu’il est présent au tribunal, et, si nécessaire, des parties, ainsi que de la personne qui s’abstient ou dont la récusation est demandée.
(...)
Lorsque, pour la résolution de l’abstention ou de la récusation, il n’est pas possible de réunir la composition conformément au premier alinéa, l’abstention ou la récusation est résolue par le tribunal hiérarchiquement supérieur. S’il constate que l’abstention ou la récusation est fondée et que, en raison de l’abstention ou de la récusation, il est impossible de réunir la formation du tribunal compétent pour trancher l’affaire, le tribunal hiérarchiquement supérieur désigne pour le jugement de l’affaire une juridiction de rang égal à celle devant laquelle l’abstention ou la récusation a été formulée.
(...)
La conclusion par laquelle l’abstention a été admise ou rejetée ainsi que celle par laquelle la récusation a été admise ne peuvent faire l’objet d’aucun recours. »
Article 38515
« Lorsqu’il statue sur un recours [recurs], le tribunal peut (...)
2. faire droit au recours, infirmer la décision attaquée et (...)
d) [inscrire] l’affaire à son rôle et la [juger] à nouveau (...) »
Article 38516
« Lorsque le tribunal qui a statué sur le recours [recurs] inscrit l’affaire à son rôle et la juge à nouveau conformément à l’article 385-15 par. 2 d), il se prononce également, par une décision, sur les questions relatives à l’administration des preuves et fixe une date pour les débats. Lors des débats, le tribunal doit entendre l’inculpé présent, conformément aux dispositions prévues dans la partie spéciale, titre II, chapitre II, lorsque ce dernier n’a pas été entendu par les juridictions ayant statué sur le fond et en appel ou encore lorsque ces juridictions n’ont pas prononcé antérieurement de décision de condamnation. »
Article 406
« 1) La décision est rédigée dans les 30 jours à compter du prononcé.
2) La décision est rédigée par l’un des juges qui ont participé à la résolution de l’affaire, dans les 30 jours suivant le prononcé, et est signée par tous les membres de la chambre et par le greffier. »
97. Le CPP a été modifié et, dans sa version en vigueur à partir du 1er février 2014, il prévoit :
Art 4881
« 1) Si l’activité d’enquête criminelle ou de procès n’est pas accomplie dans un délai raisonnable, un recours peut être fait, demandant l’accélération de la procédure. »
98. Conformément à l’article 105 de la loi no 255/2013 relative à l’application du CPP, les dispositions de l’article 4881 du CPP modifié sur la contestation de la durée de la procédure pénale ne sont applicables qu’aux procédures pénales engagées devant une juridiction après l’entrée en vigueur du CPP modifié, à savoir le 1er février 2014.
- La loi no 303/2004
99. L’article 53 § 1 de la loi no 303/2004 sur le statut des juges et des procureurs, tel qu’en vigueur au moment des faits, se lisait comme suit dans sa partie pertinente en l’espèce :
« Le président, le vice-président et les présidents de section de la Haute Cour de cassation et de justice sont nommés par le président de la Roumanie, sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature (...) »
- La loi no 304/2004
100. Les articles pertinents en l’espèce de la loi no 304/2004 sur l’organisation judiciaire, tel qu’en vigueur au moment des faits, se lisaient comme suit :
Article 19 § 3
« Au début de chaque année, le collège de direction de la Haute Cour de cassation et de justice, sur proposition de son président ou de son vice-président, peut approuver la constitution de formations spécialisées au sein des sections de la Haute Cour de cassation et de justice, selon le nombre et la nature des affaires, l’activité de chaque section, ainsi que la spécialisation des magistrats et la nécessité de valoriser leur expérience professionnelle. »
Article 32 § 5
« La chambre de cinq juges est présidée par le président ou le vice-président de la Haute Cour de cassation et de justice. En leur absence, la chambre peut être présidée par un président de section désigné à cet effet par le président ou, en son absence, par le vice-président de la Haute Cour de cassation et de justice. »
- Le règlement de la Haute Cour
101. L’article 28 du règlement pour le fonctionnement et l’organisation de la Haute Cour (« le règlement de la Haute Cour »), en vigueur au moment des faits, était ainsi libellé :
« 1) Au sein de la Haute Cour de cassation et de justice, il existe 4 chambres de 5 juges, dont la compétence est prévue par la loi.
2) Au début de chaque année, en matière pénale, deux chambres de 5 juges sont constituées, composées de juges de la section pénale, et, dans les matières autres que pénale, deux chambres de 5 juges sont constituées, composées de juges de la première section civile, de la deuxième section civile et de la section du contentieux administratif et fiscal.
3) Le président de la Haute Cour de cassation et de justice préside la chambre de 5 juges.
4) En l’absence du président, la chambre est présidée par l’un des vice-présidents de la Haute Cour de cassation et de justice.
5) En cas d’absence du président et des vice-présidents, la chambre est présidée par un président de section désigné à cet effet par le président ou, en son absence, par l’un des vice-présidents de la Haute Cour de cassation et de justice. »
102. Le Gouvernement a soumis des exemples de jurisprudence de la Haute Cour dans lesquels celle-ci était appelée à trancher des demandes de récusation ou d’abstention. Il en ressort qu’un juge est réputé être en situation d’incompatibilité dans le cas où il a reçu des menaces de la part de l’accusé, mais qu’il ne l’est pas dans les cas suivants : s’il a jugé l’accusé dans une autre procédure pour des accusations différentes ; si l’accusé a introduit une plainte pénale pour abus de procédure contre le juge ou les juges de la formation de jugement ; si le président de la formation de jugement et l’avocat d’une partie avaient travaillé auparavant ensemble sur des projets juridiques au sein de l’Institut des recherches juridiques.
GRIEFS
103. Les requérants estiment que la chambre de cinq juges de la Haute Cour n’avait pas été établie par la loi. À cet égard, ils indiquent qu’après la cessation des fonctions de la juge R.A.P. c’était la juge C.T., vice-présidente de la Haute Cour, qui aurait dû faire partie de la formation de jugement ayant examiné leur recours.
104. Les intéressés affirment ensuite que la chambre de cinq juges de la Haute Cour qui a examiné leur pourvoi en recours n’était pas un tribunal impartial, arguant que la juge I.B. aurait éprouvé des ressentiments envers eux à cause du fait que leur défenseur avait publiquement contesté la nomination en bonne et due forme de I.B. en tant que juge (paragraphe 19 ci‑dessus), contestation qui avait été largement médiatisée. Ils précisent qu’ils ne contestent pas la légalité du tribunal en raison de la nomination de la juge I.B. à la Haute Cour, question déjà tranchée par la Cour dans sa décision (paragraphe 21 ci-dessus) ; Năstase c. Roumanie ((déc.), no 80563/12, § 108, 18 novembre 2014). Le requérant expose aussi que la juridiction de recours n’avait pas été impartiale étant donné que les juges I.M.M. et I.B. ont siégé auparavant dans la formation de jugement qui avait rendu l’arrêt du 30 janvier 2012 (paragraphe 18 ci-dessus) et dans le libellé duquel il était noté que le requérant « représent[ait] la personnification de la corruption ».
105. Les intéressés se plaignent ensuite d’un manque d’équité de la procédure qu’ils avaient intentée devant la chambre de cinq juges de la Haute Cour, arguant que la juridiction de recours les a condamnés après leur acquittement au fond sans administrer directement la plus grande partie des preuves ayant servi de fondement à sa décision. En outre, le président I.M.M. de la formation de jugement en recours n’a intégré cette formation que pendant les deux dernières audiences publiques et n’a assisté qu’à l’audition d’un seul témoin et à une simple déclaration supplémentaire faite par le requérant.
106. L’intéressé critique également le recours ayant été fait, selon lui sans garanties spécifiques, à un agent provocateur en la personne du témoin O.C.
107. Il estime enfin que le délai de rédaction de l’arrêt du 6 janvier 2014 a été déraisonnable.
EN DROIT
- Sur la jonction des requêtes
108. Compte tenu de la similitude des requêtes quant aux faits et aux griefs soulevés, la Cour juge approprié de les joindre, en application de l’article 42 § 1 de son règlement.
- Sur les griefs formulés sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention
109. Les requérants affirment que la chambre de cinq juges de la Haute Cour n’était pas un « tribunal impartial, établi par la loi ». Ils se plaignent également d’un défaut selon eux d’équité de la procédure pénale et de la durée du délai de rédaction de l’arrêt définitif rendu à la suite du pourvoi en recours. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé, en sa partie pertinente en l’espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
- Sur le grief des requérants fondé sur l’article 6 de la Convention concernant la notion de « tribunal établi par la loi » de la chambre de cinq juges de la Haute Cour
a) Arguments des parties
- Le Gouvernement
110. Le Gouvernement indique d’emblée que les requérants ont uniquement critiqué devant la juridiction de recours la nomination de la juge C.M.J. Dès lors, il considère que, pour autant que les requérants critiquent la désignation du juge I.M.M. pour présider la chambre chargée de l’examen de leur affaire, cette partie des requêtes est irrecevable pour non‑épuisement des voies de recours internes.
111. En tout état de cause, il estime que le tribunal qui a jugé les requérants était établi par la loi, car, à ses yeux, la nomination des juges C.M.J. et I.M.M., en remplacement de la juge R.A.P., a respecté les dispositions internes, à savoir l’article 32 de la loi no 304/2004, ainsi que l’article 28 du règlement de la Haute Cour (paragraphes 100 et 101 ci-dessus). Il précise que la juge C.M.J. était la présidente de la section pénale et que le juge I.M.M. venait d’être nommé vice‑président de la Haute Cour. Il ajoute, concernant la juge C.T., qu’elle était spécialisée en matière civile et que c’est donc pour cette raison qu’elle n’a pas été nommée dans la formation de jugement en charge de l’affaire des requérants.
- Les requérants
112. Les requérants se plaignent de ne pas avoir été jugés par un « tribunal établi par la loi », alléguant que la composition de la juridiction de cassation était illégale à partir du 7 octobre 2013. Dans leurs observations, ils précisent leur grief et expliquent qu’ils entendent contester la légalité du tribunal qui a examiné leur recours lors des quatre dernières audiences, y compris celles présidées par le juge I.M.M. Ils ajoutent qu’ils ne pouvaient pas contester directement la légalité de la formation de jugement présidée par le juge I.M.M. car celui-ci était vice-président de la Haute Cour, comme la loi l’imposait. La seule possibilité s’ouvrant à eux était celle de contester d’abord la légalité de la formation présidée par la juge C.M.J. car cette formation n’était pas présidée par le président ou le vice-président de la Haute Cour. Ils expliquent que si seulement leur recours en contestation de la légalité de la formation de jugement présidée par la juge C.M.J. avait été admis, ils auraient eu la possibilité de soulever ultérieurement la question de la légalité de la formation de jugement présidée par le juge I.M.M. mais non pas pour le motif direct relatif à la présidence de celui-ci – question légale et isolée, car l’intéressé fut entretemps élu vice-président de la Haute Cour – mais pour la violation du principe de la continuité de la formation de jugement.
113. Ils estiment ensuite que, après la cessation du mandat de la juge R.A.P. (paragraphe 53 ci-dessus), la présidence de la formation de jugement aurait dû être assurée, en vertu de la loi no 304/2004 (paragraphe 100 ci‑dessus), par la vice-présidente de la Haute Cour, la juge C.T. (paragraphes 51 et 53 ci-dessus). Ils plaident que cette dernière a présidé dans certaines affaires pénales, avant l’élection d’un autre vice-président spécialisé dans les affaires pénales, et qu’il n’y avait aucune exigence à ce que la chambre fût présidée par un juge spécialisé en matière pénale. Selon eux, le juge I.M.M. aurait été partial lorsqu’il a rejeté l’exception de nullité de la nomination de la juge C.M.J. et celle de la formation de jugement (paragraphes 69 et 71 ci-dessus), ayant un intérêt à constater la validité de sa qualité de président de la formation de jugement.
b) Appréciation de la Cour
114. La Cour note que dans leurs formulaires de requête les requérants contestent la nomination de la juge C.M.J. dans la formation de jugement ayant tranché leur recours. Ils ont expliqué dans leurs observations qu’ils considéraient que la légalité du tribunal était compromise également lors des audiences présidées par le juge I.M.M. et que même lors de ces audiences, la juge C.T. auraient dû présider la formation de jugement.
115. La Cour n’estime pas nécessaire de trancher l’exception de non‑épuisement des voies de recours internes relative à la nomination du juge I.M.M car elle estime que ce grief est irrecevable pour les raisons exposées ci-dessous.
- Principes généraux
116. La Cour renvoie aux principes généraux relatifs à la notion de « tribunal établi par la loi », qui ont été résumés dans l’arrêt Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande ([GC], no 26374/18, §§ 211-215, 1er décembre 2020) :
« 211. (...) Cette expression reflète le principe de la prééminence du droit, qui est inhérent au système de protection établi par la Convention et ses Protocoles et expressément mentionné dans le préambule de la Convention (voir, par exemple, Jorgic c. Allemagne, no 74613/01, § 64, CEDH 2007-III).
(...)
212. (...) la « loi » visée à l’article 6 § 1 de la Convention comprend non seulement la législation régissant l’établissement et la compétence des organes judiciaires mais aussi toute autre disposition de droit interne dont le non-respect rendrait irrégulière la participation d’un ou de plusieurs juges à l’examen d’une affaire (Gorguiladzé c. Géorgie, no 4313/04, § 68, 20 octobre 2009, Pandjikidzé et autres c. Géorgie, no 30323/02, § 104, 27 octobre 2009, et Kontalexis c. Grèce, no 59000/08, § 38, 31 mai 2011) (...)
213. Autrement dit, l’expression « établi par la loi » concerne non seulement la base légale de l’existence même du « tribunal », mais encore le respect par celui-ci des règles particulières qui le régissent (Sokourenko et Strygoun c. Ukraine, nos 29458/04 et 29465/04, § 24, 20 juillet 2006) et la composition du siège dans chaque affaire (Richert c. Pologne, no 54809/07, § 43, 25 octobre 2011, et Ezgeta c. Croatie, no 40562/12, § 38, 7 septembre 2017).
(...)
214. L’expression « établi par la loi » qui figure à l’article 6 § 1 a pour objet d’« éviter que l’organisation du système judiciaire dans une société démocratique ne soit laissée à la discrétion de l’exécutif et de faire en sorte que cette matière soit régie par une loi du Parlement » (Zand c. Autriche, no 7360/76, rapport de la Commission du 12 octobre 1978, Décisions et rapports (DR) 15, pp. 70-80, et Miracle Europe Kft [c. Hongrie, no 57774/13], § 51[, 12 janvier 2016]).
215. Parallèlement, si la Cour a souligné l’importance croissante qui s’attache à la notion de séparation des pouvoirs et à la nécessité de préserver l’indépendance de la justice (Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, § 165, 23 juin 2016), elle a également dit que ni l’article 6 ni aucune autre disposition de la Convention n’obligeaient les États à se conformer à telle ou telle notion constitutionnelle théorique concernant les limites admissibles à l’interaction entre l’un et l’autre des pouvoirs (Ramos Nunes de Carvalho e Sá [c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres], § 144[, 6 novembre 2018]).
(...) »
- Application en l’espèce des principes susmentionnés
117. La Cour constate d’emblée qu’il n’est pas allégué en l’espèce qu’une méconnaissance des règles se soit produite au stade de la nomination initiale de la juge C.M.J. ou du juge I.M.M. en tant que juges à la Haute Cour, qui aurait eu pour conséquence de priver les requérants d’un tribunal « établi par la loi ».
118. Les requérants allèguent uniquement que la désignation de la juge C.M.J., présidente de la section pénale, pour siéger en tant que présidente dans la chambre criminelle de cinq juges jugeant leur affaire, était contraire à la loi interne, car cette magistrate n’était pas vice-présidente de la Haute Cour (paragraphe 112 ci-dessus). Le Gouvernement soutient, au contraire, que le droit interne a été respecté en l’espèce, ainsi que jugé par la Haute Cour (paragraphe 111 ci-dessus).
119. La Cour rappelle qu’elle a compétence pour se prononcer sur le respect des règles de droit interne sur l’établissement et la compétence des organes judiciaires, mais que, eu égard au principe général selon lequel c’est en premier lieu aux juridictions nationales elles-mêmes qu’il incombe d’interpréter la législation interne, elle ne peut pas, en principe, mettre en cause leur appréciation sauf en cas de violation flagrante de cette législation, c’est-à-dire sauf si leur conclusion peut être regardée comme arbitraire ou manifestement déraisonnable (Guðmundur Andri Ástráðsson, précité, §§ 216 et 244).
120. En l’espèce, elle constate que la désignation de la juge C.M.J., présidente de la chambre criminelle, pour siéger en tant que présidente de la chambre appelée à juger l’affaire des requérants a été faite en application de l’article 32 § 5 de la loi no 304/2004 et de l’article 28 § 5 du règlement de la Haute Cour (paragraphes 100 et 101 ci-dessus) et jugée légale par cette dernière (paragraphe 65 ci-dessus).
121. Elle note que l’article 32 § 5 de la loi no 304/2004 et l’article 28 § 5 du règlement de la Haute Cour prévoyaient en effet la possibilité pour le président de la Haute Cour de désigner, comme il l’a fait en l’espèce, le président de la section pénale chargé de présider la chambre criminelle de cinq juges. En l’absence du président ou du vice-président, la chambre pouvait être présidée par un président de section désigné à cet effet par le président. La Cour observe aussi que la loi prévoyait la constitution de formations spécialisées au sein des sections de la Haute Cour (paragraphe 100 ci-dessus).
122. Elle relève donc qu’en l’espèce, en raison de l’expiration du mandat de vice-président de la juge R.A.P., spécialisée en matière pénale, la présidente de la Haute Cour a décidé, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de désigner la juge C.M.J., présidente de la chambre pénale, pour présider temporairement une formation de cinq juges de la chambre pénale, jusqu’à la nomination d’un nouveau vice-président (paragraphes 51-53 ci-dessus). La désignation de la juge C.M.J. a été clairement motivée dans la décision du 17 septembre 2013 (paragraphe 53 ci‑dessus).
123. Dans le contexte de l’affaire et à la lecture des dispositions légales pertinentes, la Cour considère que la décision de désigner la juge C.M.J., pour siéger en tant que présidente de la chambre appelée à juger l’affaire des requérants, par la présidente de la Haute Cour, qui avait estimé que ni le président ni le vice-président de la Haute Cour ne pouvaient présider la formation de jugement en question, ne peut être regardée comme arbitraire ou manifestement déraisonnable. Il est tout à fait raisonnable qu’un président d’une haute juridiction puisse décider, dans l’intérêt d’une meilleure administration de la justice et dans les limites des dispositions légales applicables, de certaines mesures temporaires concernant la présidence des formations de jugement. La Cour ne voit aucune violation manifeste du droit interne ni dans la manière dont la composition de la chambre ayant jugé l’affaire des requérants a été établie ni dans l’appréciation faite par les autorités nationales de l’application du droit interne. De surcroît, elle note que la juge C.M.J. ne venait pas remplacer en qualité de juge suppléante un membre effectif de la chambre qui se serait absenté sans motif (voir, a contrario, Kontalexis c. Grèce, no 59000/08, §§ 19 et 42-44, 31 mai 2011).
124. Quant aux allégations des requérants selon lesquelles la juge C.T. avait présidé des formations de jugement en matière pénale (paragraphe 113 ci-dessus), la Cour observe que la décision de la présidente de la Haute Cour prise le 17 septembre 2013 n’interdisait pas de manière expresse à la juge C.T. de statuer dans des affaires pénales (paragraphe 53 ci-dessus) mais indiquait en effet que celle-ci était spécialisée en matière civile. Toutefois, elle constate que, pendant l’intervalle où la juge C.M.J. avait été désignée pour présider temporairement la formation de jugement de la chambre criminelle, la juge C.T. l’avait remplacée en raison de l’empêchement de la juge C.M.J. de siéger (paragraphe 55 ci-dessus). La juge C.T. avait présidé dans très peu d’affaires pénales (paragraphe 55 in fine), ce qui confirme la volonté constante de la Haute Cour à promouvoir et à veiller à la constitution de formations spécialisées pour examiner les affaires.
125. Quant à la désignation du juge I.M.M. pour siéger en tant que président de la formation de jugement, la Cour note que cette désignation a eu lieu à la suite de son élection en qualité de vice-président de la Haute Cour et de sa nomination par décret du président de la Roumanie (paragraphe 56 ci-dessus). Compte tenu de ce que la juge C.M.J. avait été nommée temporairement pour présider la formation de cinq juges de la chambre pénale et que la loi prévoyait qu’un vice-président pouvait présider une telle formation (paragraphe 100 ci-dessus), la Cour considère que le tribunal ayant jugé l’affaire des requérants avait été légalement établi. Dans la mesure où la nomination du juge I.M.M. en qualité de président de la formation de jugement des cinq juges tenait à sa qualité de vice-président de la Haute Cour nouvellement élu, ce magistrat ne peut être considéré comme ayant manqué d’impartialité en examinant l’exception de nullité de la nomination de la juge C.M.J., soulevée par les requérants (paragraphe 113 in fine ci-dessus). En tout état de cause, les intéressés n’ont pas contesté la composition de la formation de jugement dont le juge I.M.M. faisait partie, que ce soit la perspective de sa nomination en tant que président de ladite formation ou celle de la continuité de la formation de jugement.
126. La Cour observe que, dans leurs arguments présentés sur le terrain des articles 34 et 38, les requérants allèguent que le document établi par le collège directeur de la Haute Cour le 2 décembre 2013 aurait prévu expressément la nomination du juge I.M.M. pour siéger en tant que président d’une formation de jugement seulement pour l’année 2014 (paragraphe 188 ci-dessous). Toutefois, la Cour constate que ce document ne rend compte que des décisions prises par le collège directeur de la Haute Cour en vue de l’organisation et l’établissement des compositions de ses chambres pénales et civiles pour l’année 2014 (paragraphe 58 ci-dessus). S’il est vrai qu’il nomme expressément le juge I.M.M. pour présider une formation de jugement de cinq juges de la chambre pénale pour l’année 2014, ce document ne portait aucunement sur l’activité de la Haute Cour pendant la fin de l’année 2013 et ne pouvait d’ailleurs remettre en question la qualité de vice-président du juge I.M.M. nommé par décret du président de la Roumanie et les conséquences légales en découlant pour la présidence des formations de jugement.
127. La Cour constate enfin que, dans la présente affaire, aucune circonstance ne l’appelle à examiner en plus si, en dépit du constat ci-dessus de conformité aux normes internes, l’application des règles internes n’en a pas moins emporté des conséquences incompatibles avec l’objet et le but du droit à « un tribunal établi par la loi » au sens de la Convention (Guðmundur Andri Ástráðsson, précité, § 245).
128. Compte tenu de ces éléments, la Cour conclut que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
- Sur le grief des requérants fondé sur l’article 6 de la Convention concernant la notion de « tribunal impartial » de la chambre de cinq juges de la Haute Cour
a) Arguments des parties
- Le Gouvernement
129. Le Gouvernement considère que les requérants ont bénéficié d’un tribunal impartial et il renvoie aux exemples de jurisprudence constante de la Haute Cour en matière de récusation et d’abstention (paragraphe 102 ci‑dessus).
130. Pour autant que les requérants se plaignent du défaut d’impartialité du tribunal à raison des propos tenus par la juge I.B. dans une autre procédure (paragraphe 18 ci-dessus), le Gouvernement indique que la Cour a examiné cet aspect dans la décision précitée Năstase, et qu’elle a conclu que ces termes exprimaient la conclusion de la Haute Cour quant à la responsabilité de l’intéressé pour les faits de corruption à haut niveau pour lesquels il était jugé (ibidem, § 108). Pour ce qui est du fait que les juges I.B. et I.M.M. avaient siégé dans une autre affaire concernant le requérant, le Gouvernement considère qu’une telle circonstance ne soulève en soi aucun problème d’impartialité objective sous l’angle de l’article 6 de la Convention. Il plaide que les demandes de récusation et d’abstention soumises en l’espèce ont été examinées par des formations n’incluant pas les juges visés par ces demandes, que lors de leur examen les principes de la jurisprudence de la Cour ont été appliqués pour les deux aspects de l’impartialité, tant objectif que subjectif, et que la conclusion a été qu’aucun élément ne mettait en doute l’impartialité, objective ou subjective, de ces juges. En somme, de l’avis du Gouvernement, aucun des juges visés en l’espèce n’a tenu de propos susceptibles de jeter un doute sur leur impartialité.
- Les requérants
131. Les requérants estiment qu’ils ont été privés d’un tribunal impartial compte tenu du fait que les juges I.B. et I.M.M. avaient siégé auparavant dans l’affaire pénale qui avait abouti à la condamnation pénale du requérant par l’arrêt du 20 juin 2012 dans lequel il était noté que l’intéressé représentait « la personnification » de la corruption politique en Roumanie. Ils se plaignent dans ce contexte du rejet des demandes de récusation concernant les juges I.B. et I.M.M. ainsi que du rejet de la demande d’abstention de la juge I.B. devant la juridiction de recours (paragraphes 67 et 68 ci-dessus), cette dernière étant auparavant conseillère du procureur (paragraphe 30 ci-dessus). Ils se plaignent aussi de l’impartialité qu’ils qualifient de subjective de la juge I.B. qui aurait eu des ressentiments à leur égard, étant donné qu’ils ont publiquement contesté sa qualité de juge, et qui avait été amenée à trancher des questions liées à la légalité de sa propre nomination comme juge. Ils ajoutent que les déclarations du président de la Roumanie au sujet de la nomination du juge I.M.M. à la Haute Cour (paragraphes 55 et 56 ci-dessus) remettent en cause l’impartialité du juge I.M.M.
b) Appréciation de la Cour
- Principes généraux
132. Concernant l’exigence d’impartialité, la Cour renvoie aux principes qui se dégagent de sa jurisprudence, résumés dans l’affaire Ilnseher c. Allemagne ([GC], nos 10211/12 et 27505/14, § 287, 4 décembre 2018) :
« La Cour rappelle que, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement de tel juge, c’est-à-dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans tel cas, et aussi selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, entre autres, Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], nos 39343/98 et 3 autres, § 191, CEDH2003‑VI, et Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 104, CEDH 2013).
(...) Pour ce qui est de la démarche subjective, l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (Morel c. France, no 34130/96, § 41, CEDH 2000‑VI, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 94, CEDH 2009).
(...) Quant à l’appréciation objective, elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge ou d’une juridiction collégiale un défaut d’impartialité, l’optique de la personne concernée entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant est le point de savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (Wettstein c. Suisse, no 33958/96, § 44, CEDH 2000‑XII, et Micallef, précité, § 96). »
- Application en l’espèce des principes susmentionnés
133. En l’espèce, les doutes soulevés par les requérants quant à l’impartialité personnelle de la juge I.B. tiennent au fait qu’ils avaient, par l’intermédiaire de leur avocat, publiquement contesté la qualité de juge de celle-ci. Ils ont exprimé des doutes à l’égard de l’impartialité du juge I.M.M. en raison des déclarations du président de la Roumanie au sujet de la nomination du juge I.M.M. à la Haute Cour. Enfin, ils ont contesté devant la Haute Cour la participation des juges I.B. et I.M.M. dans la formation de jugement pendant le pourvoi en recours alors qu’ils avaient participé à une autre procédure concernant le requérant et que I.B. avait fait partie des membres du parquet.
134. La Cour estime que les arguments des requérants ne constituent pas des éléments de nature à renverser la présomption d’impartialité subjective des magistrats en cause. En contestant la qualité de juge de I.B. dans une procédure pénale antérieure (paragraphes 19 et 99 ci-dessus), le requérant a entendu contester la légalité de la formation de jugement établie dans ladite procédure, en se prévalant donc d’un moyen procédural de défense. La Cour note également que la contestation de la qualité de juge de I.B. avait été tranchée par l’arrêt définitif de la Haute Cour du 20 juin 2012 et qu’elle-même avait jugé que le tribunal ayant condamné l’intéressé avait été « établi par la loi » (Năstase c. Roumanie (déc.), no 80563/12, §§ 50 et 70, 18 novembre 2014). Dans ce contexte, et malgré la médiatisation de cette contestation à l’époque, la démarche des requérants ne peut remettre en cause en soi l’impartialité subjective de la juge I.B.
135. La Cour note ensuite que les arguments tirés de la déclaration du président quant à la nomination de I.M.M. comme vice-président de la Haute Cour (paragraphe 55 ci-dessus) restent très généraux et n’ont pas de lien avec l’affaire des requérants.
136. Ainsi, les arguments soulevés par les intéressés ne sont que des spéculations et rien dans le dossier n’indique que ces magistrats aient fait preuve d’hostilité ou de malveillance envers les requérants ni qu’ils aient montré un parti pris contre les intéressés ou employé publiquement des expressions sous-entendant une appréciation négative de leur cause (voir, a contrario, Buscemi c. Italie, no 29569/95, §§ 67-69, CEDH 1999‑VI, et Olujić c. Croatie, no 22330/05, §§ 56-68, 5 février 2009).
137. Quant à l’argument du requérant tiré du libellé de l’arrêt rendu par la Haute Cour le 30 janvier 2012 dans une formation de jugement dont I.B. et I.M.M. avaient fait partie (paragraphe 18 ci-dessus), la Cour rappelle qu’elle a considéré, sur le terrain de l’article 18 de la Convention, qu’en exposant que la corruption de la classe politique était « personnifiée » par le requérant, la haute juridiction nationale exprimait la conséquence de sa conclusion quant à la responsabilité pénale de l’intéressé, établie à la suite d’un procès pénal, pour des faits de corruption réalisés à haut niveau (Năstase, décision précitée, § 108). Placée dans son contexte, l’expression en cause visait à faire une appréciation générale sur l’état de la corruption en Roumanie pour l’année 2004 et à marquer que l’état de droit ne tolérait pas de tels comportements. Même si le nom du requérant a été mentionné, il ne peut pas être considéré qu’en soi, cette expression peut justifier des appréhensions quant à l’impartialité des juges qui ont rendu ledit arrêt à l’égard de tout autre fait de nature pénale concernant l’intéressé.
138. Dès lors, la Cour considère qu’aucun élément n’est susceptible de mettre en doute l’impartialité subjective de ces magistrats et est d’avis que les allégations des requérants, selon lesquelles les juges en question étaient motivés par des ressentiments, voire par une idée préconçue de leur culpabilité, ne se fondent sur aucun élément concret.
139. Quant à l’appréciation objective, la Cour note qu’en l’occurrence la crainte d’un manque d’impartialité tient au fait que les juges I.B. et I.M.M. faisant partie de la formation de jugement amenée à statuer sur le recours s’étaient auparavant prononcés dans le cadre d’une procédure pénale qui avait abouti à sa condamnation pénale par un arrêt définitif du 6 juin 2012 (paragraphes 17 et 19 ci-dessus). Devant la Haute Cour, l’intéressé a aussi mentionné des craintes qui tiennent au fait que la juge I.B. avait été conseillère du procureur en chef de la DNA au moment des réquisitions de la DNA le 3 mai 2010 (paragraphe 30 ci-dessus).
140. Si pareilles situations pouvaient susciter des doutes chez l’intéressé, on ne saurait pour autant les considérer comme objectivement justifiés dans tous les cas : la réponse varie suivant les circonstances de la cause. En particulier, la Cour doit avoir égard à la nature des tâches dont les juges mis en cause s’étaient acquittés avant de connaître du fond de l’affaire (voir, mutatis mutandis, Borg c. Malte, no 37537/13, § 89, 12 janvier 2016). La simple circonstance qu’un magistrat se soit déjà prononcé sur des infractions similaires mais distinctes ne saurait, à elle seule, porter atteinte à l’impartialité de ce juge : cette dernière est par contre minée si les jugements précédemment rendus contiennent des références ou anticipations quant à la culpabilité de l’accusé pour les affaires qui sont à trancher (Craxi III c. Italie (déc.), no 63226/00, 14 juin 2001, et, a contrario, Ferrantelli et Santangelo c. Italie, 7 août 1996, §§ 59-60, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III).
141. En l’espèce, les faits de l’affaire dans laquelle le requérant avait été condamné par l’arrêt du 20 juin 2012 et dans le cadre de laquelle les juges I.B. et I.M.M. s’étaient prononcés dans l’arrêt du 30 janvier 2012 (paragraphe 17 ci-dessus) étaient tout à fait différents de ceux qui formaient l’objet de l’affaire qui a pris fin par l’arrêt du 6 janvier 2014 (paragraphes 79 ci-dessus). D’ailleurs, le requérant n’allègue pas que l’arrêt rendu dans le cadre de la première affaire contenait des références au rôle qu’il aurait joué dans la deuxième (voir, mutatis mutandis, Craxi III, décision précitée, et, a contrario, Otegi Mondragon et autres c. Espagne, nos 4184/15 et 4 autres, § 65, 6 novembre 2018). Il se limite à contester l’impartialité des juges en raison de l’expression utilisée qui le décrivait comme « la personnification » de la corruption, aspect déjà examiné par la Cour (paragraphe 137 ci-dessus).
142. S’agissant du défaut d’impartialité de la juge I.B. en raison de son activité de conseillère auprès du procureur en chef de la D.N.A., la Cour remarque que cet argument n’a pas été développé par les requérants dans leurs formulaires de requête (paragraphe 104 ci-dessus) mais pendant la procédure interne (paragraphe 65 ci-dessus). Toutefois, étant donné qu’il s’agit d’un argument soulevé par la juge I.B. dans sa demande d’abstention (paragraphe 62 ci-dessus), la Cour estime utile de s’y pencher brièvement. Elle rappelle à cet égard que le fait qu’un juge ait occupé un poste au sein du parquet ne constitue pas en soi une raison de craindre un manque d’impartialité (Paunović c. Serbie, no 54574/07, §§ 38-43, 3 décembre 2019) et que ce qui importe, ce sont l’étendue et la nature des décisions qu’il a été amené à prendre (Bulut c. Autriche, 22 février 1996, §§ 33-34, Recueil 1996‑II). Or, en l’espèce, la Cour note que lorsqu’elle était conseillère auprès du procureur en chef de la DNA, I.B. n’a aucunement été amenée à traiter l’affaire des requérants, comme elle l’a déclaré alors qu’elle était interrogée par la Haute Cour (paragraphes 30 et 68 ci-dessus). D’ailleurs, les requérants n’ont invoqué devant les juridictions internes ni des éléments concrets pour prouver l’intervention de I.B. dans l’examen de leur affaire ni l’impartialité de celle-ci en raison de ses éventuels liens hiérarchiques avec le procureur qui a traité l’affaire des intéressés (voir, pour comparer, Paunović, précité, § 41).
143. La Cour note enfin que la Haute Cour a examiné les motifs indiqués dans les demandes d’abstention et de récusation et a jugé qu’il n’y avait pas de motifs d’incompatibilité des membres de la juridiction de recours (paragraphes 67-68 ci-dessus). En outre, elle observe que la demande d’abstention de la juge I.B. a été examinée par une formation de jugement de la Haute Cour, qui, après avoir comparé les objets des deux affaires, a rendu une décision motivée en expliquant que les deux affaires portaient sur des questions différentes et que les deux juges ne s’étaient pas prononcées sur l’affaire concernant le requérant (paragraphe 68 ci-dessus ; voir, mutatis mutandis, Alexandru Marian Iancu c. Roumanie, no 60858/15, § 70, 4 février 2020). La Cour ne voit pas de raisons de remettre en cause les constats de la juridiction interne (voir, parmi d’autres, George‑Laviniu Ghiurău c. Roumanie, no 15549/16, § 66, 16 juin 2020, avec des références ultérieures).
144. Compte tenu de ces éléments, la Cour conclut que les doutes que les requérants pouvaient entretenir quant à l’impartialité de la formation de jugement en recours ne sont ni subjectivement ni objectivement justifiés. Elle estime que le grief relatif à l’absence alléguée d’un tribunal impartial est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
- Sur le grief des requérants fondé sur l’article 6 de la Convention concernant l’omission de la Haute Cour d’administrer directement toutes les preuves ayant servi de fondement à sa décision et le respect du principe d’immédiateté
a) Arguments des parties
- Le Gouvernement
145. Le Gouvernement expose que toutes les preuves décisives ont été administrées devant la juridiction de recours. Il insiste sur le fait que cette dernière a accueilli toutes les demandes d’audition de témoins formulées par les requérants devant elle (paragraphe 73 ci-dessus), que tous les accusés ont été entendus à nouveau par elle, que cette instance a décidé d’office d’entendre à nouveau les témoins jugés essentiels, à savoir I.P. et C.P. (paragraphe 74 ci-dessus), et que les demandes de production de nouveaux écrits soumises par les requérants ont été accueillies dans leur grande majorité (paragraphe 73 ci-dessus). Il dit que, quoi qu’il en soit, l’ensemble des preuves, y compris celles administrées devant la juridiction de première instance, a été débattu en audience publique avec la participation des requérants et de leurs avocats.
146. Le Gouvernement indique aussi que les requérants auraient pu demander à la juridiction de recours, après la désignation du juge I.M.M. pour siéger dans la formation de jugement, de réentendre les témoins essentiels et les accusés, ce qu’ils n’ont pas fait, sauf pour le requérant lui‑même (paragraphe 71 ci-dessus).
- Les requérants
147. Les requérants se plaignent de ne pas avoir bénéficié d’une procédure équitable devant la juridiction de recours. Ils allèguent que cette dernière les a condamnés pour la première fois des chefs de corruption passive, pour l’un, et de complicité de corruption passive, pour l’autre, uniquement sur la base de preuves administrées en première instance, précisant que la plupart d’entre elles n’ont plus été administrées devant la juridiction de cassation. Dans leurs formulaires de requête, ils ont mentionné que leur condamnation pour corruption passive et pour complicité de corruption passive respectivement a été fondée essentiellement sur les dépositions de I.P. et C.P. combinées avec d’autres preuves qu’ils considèrent illégalement recueillies. Ils ajoutent que ni les dépositions des accusés ni les déclarations des témoins n’ont été administrées devant le juge I.M.M., qui a présidé la formation de jugement uniquement à partir du 2 décembre 2013 (paragraphes 57 et 71 ci-dessus).
148. Le requérant se plaint aussi que la juridiction de recours l’ait condamné en recours pour corruption passive sans réexaminer le premier élément de l’infraction reprochée, à savoir la perception d’avantages d’ordre patrimonial, le privant ainsi du droit à un tribunal de pleine juridiction.
b) Appréciation de la Cour
- Principes généraux
149. La Cour renvoie aux principes énoncés dans sa jurisprudence lorsqu’il y a eu condamnation d’un prévenu par un tribunal de dernière instance après que l’intéressé a été acquitté par une juridiction inférieure, sans que le tribunal de dernière instance ait entendu le témoignage du prévenu ou les autres témoins dans l’affaire (Júlíus Þór Sigurþórsson c. Islande, no 38797/17, §§ 30-38, 16 juillet 2019). En particulier, lorsqu’une juridiction d’appel est compétente pour réexaminer des points factuels, sous l’angle de la culpabilité ou de la fixation de la peine, ou des deux, le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 peut, selon les circonstances particulières de l’affaire, interdire à la juridiction d’appel de condamner un inculpé qui a été acquitté par la juridiction inférieure. Compte tenu de ce qui est en jeu pour l’accusé, la question globale à examiner est celle de savoir si la juridiction d’appel pouvait, dans le cadre d’un procès équitable, apprécier correctement les questions à trancher sans évaluer directement les éléments de preuve présentés en personne par l’accusé ou le témoin (ibidem, § 35).
150. Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour en la matière, considérée dans son ensemble et dans son contexte, établit une distinction entre les situations où une juridiction d’appel, qui a infirmé un acquittement sans entendre elle-même les dépositions orales sur lesquelles l’acquittement était fondé, non seulement était compétente pour examiner des questions de fait et de droit, mais a procédé à une nouvelle appréciation des faits, et les situations où la juridiction d’appel n’était en désaccord avec la juridiction inférieure que sur l’interprétation de la loi et/ou son application aux faits établis, même si elle était également compétente pour connaître des faits (ibidem, § 36).
151. La Cour renvoie aussi aux principes bien établis concernant le respect du principe d’immédiateté tels qu’exposés dans les affaires Graviano c. Italie (no 10075/02, § 38, 10 février 2005), Beraru c. Roumanie (no 40107/04, § 64, 18 mars 2014), ou encore Svanidze c. Géorgie (no 37809/08, §§ 32-33, 25 juillet 2019). Ce principe d’immédiateté est une garantie importante du procès pénal en ce que les observations faites par le juge au sujet du comportement et de la crédibilité d’un témoin peuvent avoir de lourdes conséquences pour l’accusé (P.K. c. Finlande (déc.), no 37442/97, 9 juillet 2002). Toutefois, le principe d’immédiateté ne saurait être regardé comme faisant obstacle à tout changement dans la composition d’un tribunal pendant le déroulement d’un procès. Des problèmes administratifs ou procéduraux particulièrement évidents peuvent surgir et rendre impossible la participation continue d’un juge au procès. Des mesures peuvent être prises afin que les juges qui reprennent l’affaire en comprennent bien les éléments et arguments, par exemple en leur remettant les procès-verbaux lorsque la crédibilité du témoin en question n’est pas contestée, ou en organisant de nouvelles plaidoiries ou une nouvelle audition de témoins importants devant le tribunal recomposé (Cutean c. Roumanie, no 53150/12, § 61, 2 décembre 2014).
- Application en l’espèce des principes susmentionnés
152. La Cour note à titre liminaire que, dans leurs formulaires de requête, les requérants ont indiqué de manière générale que la juridiction de recours n’a pas procédé à l’administration directe de toutes les preuves, sans mentionner celles qu’ils estimaient essentielles ni celles qui auraient dû être réadministrées par la juridiction de recours. Ils ont noté toutefois que leur condamnation a été fondée essentiellement sur les témoignages de I.P. et C.P.
153. La Cour note ensuite que le jugement de la Haute Cour rendu en première instance (paragraphe 36 ci-dessus) a fait l’objet d’un recours du parquet et des requérants (paragraphe 47 ci-dessus). La cassation partielle du jugement au fond était circonscrite, comme souligné par la juridiction de recours, à des erreurs de droit commises par la juridiction du fond et aux motifs de recours avancés par les parties (paragraphe 80 ci-dessus). Les requérants, assistés par plusieurs avocats, ont été informés des moyens de recours du parquet (paragraphes 48-50 ci-dessus). Ils étaient donc conscients que, en vertu des dispositions légales applicables en matière de recours (paragraphes 87 et 96 ci-dessus), la Haute Cour en tant que juridiction statuant en recours avait la possibilité d’infirmer l’arrêt contesté et de rejuger l’affaire.
154. La Cour constate ensuite que la présente affaire se distingue de celles qu’elle a précédemment examinées et dans lesquelles la juridiction de recours n’avait pas satisfait à l’obligation de prendre des mesures en vue d’un interrogatoire à l’égard des témoins dont elle avait apprécié la crédibilité (voir, par exemple, Lazu c. République de Moldova, no 46182/08, §§ 36-37, 5 juillet 2016). En effet, en l’espèce, le requérant a demandé qu’un témoin, C.S., soit interrogé et sa demande a été accueillie par la Haute Cour qui a interrogé ce témoin le 7 octobre 2013 (paragraphes 73 ci-dessus). En outre, la Haute Cour a décidé d’office qu’il était nécessaire de faire interroger deux autres témoins, à savoir C.P. et I.P. (paragraphe 74 ci-dessus), dont les déclarations ont été considérées comme essentielles par le requérant pour sa condamnation du chef de corruption passive (paragraphes 147 ci-dessus). Ces deux témoins ont été interrogés les 4 novembre et 2 décembre 2013 (paragraphes 76 et 71 ci-dessus).
155. À cet égard, la Cour rappelle que, bien qu’il soit nécessaire pour la juridiction qui condamne pour la première fois un inculpé d’apprécier directement les preuves sur lesquelles elle fonde sa décision, il ne s’agit pas là d’une règle automatique qui rendrait un procès inéquitable pour la seule raison que la juridiction en cause n’a pas entendu tous les témoins mentionnés dans son arrêt et dont elle a dû apprécier la crédibilité (Chiper c. Roumanie, no 22036/10, § 63, 27 juin 2017). La question qui se pose à la Cour est de savoir si, dans les circonstances, la Haute Cour pouvait, dans le cadre d’un procès équitable, examiner correctement les questions à trancher sans une appréciation directe des dépositions des autres témoins sur les témoignages desquels elle avait fondé sa décision de condamnation (Marilena-Carmen Popa c. Roumanie, no 1814/11, § 42, 18 février 2020).
156. Or, à ce sujet, la Cour remarque que la juridiction de recours a noté d’abord que le fait pour les requérants d’avoir perçu des avantages avait été établi par la juridiction statuant en première instance, que cet aspect de l’affaire n’était plus remis en cause et qu’elle devait se concentrer dans son examen sur l’aspect subjectif quant aux faits liés à l’infraction de corruption passive (paragraphe 80 ci-dessus). Elle note ensuite que la conclusion de la Haute Cour selon laquelle il y avait un lien clair entre l’évolution des carrières de I.P.J. et I.P. d’un côté, et leurs relations avec les requérants et les services rendus à ceux-ci d’un autre côté était fondé sur des écrits versés au dossier en première instance et pendant la procédure de pourvoi en recours (paragraphe 81 ci-dessus).
157. C’est pour décider du caractère fictif de l’acquisition de l’un des immeubles en cause que la Haute Cour s’est fondée sur plusieurs déclarations des témoins qu’elle n’avait pas entendus. Toutefois, même à cet égard, la Cour observe que pour rendre sa décision la Haute Cour a pris en compte les déclarations des requérants et de la coïnculpée I.P.J., tous entendus directement, qui avaient admis avoir acquis des biens destinés à la restauration de l’immeuble en question. La Haute Cour s’est ensuite penchée sur des documents écrits qui prouvaient, selon elle, qu’il s’agissait d’une transaction fictive. Pour conforter sa décision, elle a fait référence à plusieurs témoignages qui prouvaient l’implication des requérants dans la rénovation et l’aménagement de l’immeuble (paragraphe 82 ci-dessus).
158. Dès lors, la Cour observe d’une part que les déclarations des témoins qui n’avaient pas été entendus en recours n’avaient pas constitué la preuve déterminante pour la condamnation des requérants des chefs de corruption passive et de complicité à cette infraction. En outre, les intéressés n’ont pas remis en cause devant la juridiction de recours la fiabilité et la crédibilité de ces témoins et n’ont pas indiqué devant la Cour pour quelles raisons ils considéraient que ces témoins devaient être à nouveau interrogés. De plus, la Cour note qu’il ne ressort pas des éléments de preuve disponibles que la juridiction de dernière instance a réinterprété, en tant que tel, ou donné une connotation différente aux dépositions de ces témoins (voir, pour des situations différentes, Mischie c. Roumanie, no 50224/07, §§ 35-38, 16 septembre 2014, et Marilena-Carmen Popa, précité, § 43).
159. La Cour observe enfin que le requérant critique le fait que le juge I.M.M., qui avait rejoint la formation de jugement le 2 décembre 2013, n’a pas interrogé tous les témoins ni entendu tous les inculpés (paragraphe 147 ci-dessus). Or la Cour note qu’en l’espèce la formation de jugement pendant le pourvoi en recours était constituée de cinq juges et que seulement l’un d’entre eux a été remplacé (paragraphes 54 et 57 ci-dessus), tous les autres ayant entendu les témoins et les inculpés (à comparer avec Graviano, précité, § 39, et Škaro c. Croatie, no 6962/13, § 29, 6 décembre 2016, et voir, a contrario, Svanidze, précité, § 35, et Cutean, précité, § 64). Elle observe que le changement de l’un des cinq juges composant la chambre de la Haute Cour n’a pas privé le requérant de son droit d’interroger les témoins qui ont été entendus pendant la procédure de pourvoi en recours, ceux-ci ayant été interrogés lors des débats publics en présence des requérants et de leurs avocats qui ont eu l’occasion de leur poser les questions qu’ils estimaient utiles pour la défense. Comme indiqué plus haut, les requérants n’ont pas avancé les raisons pour lesquelles la crédibilité de certains témoignages ou la fiabilité de certains témoins auraient justifié un nouvel interrogatoire devant le juge I.M.M.
160. La Cour note que les requérants ont mis en doute devant la juridiction de recours la crédibilité et la qualité de témoins de I.P. et C.P. (paragraphes 49-50 ci-dessus). Or le témoin C.P. a été entendu par la formation dans laquelle le juge I.M.M. était membre (paragraphes 76-71 ci‑dessus). Concernant leur qualité de témoin, la Haute Cour a expliqué le cadre légal applicable. Quant à la crédibilité de I.P., elle a souligné que la déposition de celui-ci était corroborée par celle de C.P., témoin entendu en présence du juge I.M.M. (paragraphe 83 ci-dessus). Dans ces circonstances, le fait que le nouveau juge de la formation de jugement ait disposé des procès‑verbaux d’audition des autres témoins compensait dans une large mesure l’absence d’immédiateté du procès (voir, mutatis mutandis, Famulyak c. Ukraine (déc.), no 30180/11, §§ 35 et 40-47, 2 mai 2019). Rien n’indiquait que le président de la formation de jugement eût été remplacé pour que l’issue du procès fût autre ou pour toute autre raison abusive (paragraphe 125 ci‑dessus).
161. Enfin, la Cour note que la juridiction de recours a rendu un arrêt motivé, qui n’apparaît pas arbitraire ou manifestement déraisonnable, dans lequel elle explique pourquoi elle a décidé de s’écarter des conclusions de la juridiction inférieure et d’annuler son jugement et, plus important encore, pourquoi elle a jugé que l’élément subjectif des infractions existait en l’espèce, ce qui avait pesé lourd dans la décision de la juridiction inférieure d’acquitter les requérants des chefs de corruption passive et de complicité de corruption passive respectivement (paragraphes 80-83 ci-dessus). Les parties ont eu la possibilité de débattre de toutes les preuves devant la juridiction de recours, y compris de celles administrées uniquement devant la juridiction du fond. Pour autant que les requérants reprochent à la juridiction de recours de ne pas avoir jugé l’affaire en « plénitude de juridiction », et de ne pas avoir procédé à une nouvelle évaluation du constat de perception d’avantages matériels opéré par la juridiction du fond, la Cour note que la juridiction de recours a expliqué qu’elle devait circonscrire son examen aux motifs de recours formulés par les parties (paragraphe 80 ci-dessus).
162. Compte tenu de tout ce qui précède, la Cour considère qu’en l’espèce les exigences d’un procès équitable n’ont pas nécessité un nouvel interrogatoire de tous les témoins qui n’ont pas été entendus en recours et que le principe d’immédiateté n’a pas été méconnu. Partant, elle estime que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
- Sur le grief du requérant fondé sur l’article 6 de la Convention concernant la provocation policière
a) Arguments des parties
- Le Gouvernement
163. Le Gouvernement réfute d’emblée les allégations de recours à un agent provocateur et se réfère au raisonnement de la juridiction de cassation et aux preuves sur lesquelles celle-ci s’est fondée pour conclure à l’absence d’incitation dans la commission des faits (paragraphe 85 ci-dessus). Selon lui, le requérant a joui de toutes les garanties procédurales, y compris de la possibilité de soumettre à l’examen des juridictions l’assertion selon laquelle O.C. était un agent provocateur.
- Le requérant
164. Le requérant se plaint enfin de sa condamnation du chef de chantage fondée selon lui sur la seule preuve d’un enregistrement illégal de ses conversations avec O.C., qu’il considère comme un agent infiltré par les organes d’enquête. Il allègue ne pas avoir bénéficié devant les juridictions nationales des garanties procédurales spécifiques à toute procédure fondée sur le recours à un agent infiltré.
b) Appréciation de la Cour
- Les principes généraux
165. Les principes généraux relatifs aux garanties d’un procès équitable dans le contexte du recours à des techniques spéciales d’investigation afin de lutter contre la corruption sont détaillés dans l’affaire Ramanauskas c. Lituanie ([GC], no 74420/01, §§ 49-61, CEDH 2008) et ont été rappelés dans l’affaire Virgil Dan Vasile c. Roumanie (no 35517/11, §§ 37-50, 15 mai 2018). En particulier, la Convention n’empêche pas de s’appuyer au stade de l’enquête préliminaire, et lorsque la nature de l’infraction peut le justifier, sur des sources telles que des indicateurs anonymes. Toutefois, l’intervention d’agents infiltrés doit être clairement circonscrite et entourée de garanties (Ramanauskas, précité, §§ 53-54) : si elle peut agir en secret, la police ne peut pas provoquer la commission d’une infraction (Opriș c. Roumanie, no 15251/07, § 51, 23 juin 2015).
166. Pour distinguer entre la provocation policière et l’usage permissible de techniques spéciales d’investigation, la Cour se sert principalement de deux critères : un critère de fond et un critère procédural (voir, pour une présentation détaillée de ces critères, Virgil Dan Vasile, précité, §§ 40-46, et Akbay et autres c. Allemagne, nos 40495/15 et 2 autres, §§ 111-124, 15 octobre 2020). Elle a expliqué la méthodologie qu’elle suit lors de l’application de ces critères dans l’affaire Matanović c. Croatie (no 2742/12, §§ 131-135, 4 avril 2017 ; voir aussi Virgil Dan Vasile, précité, §§ 47-50).
- Application en l’espèce des principes susmentionnés
167. En l’espèce, la Cour constate que, avant la dénonciation de O.C., les autorités ne disposaient pas d’éléments faisant peser sur le requérant des accusations de chantage. Force est de constater que O.C. a indiqué dans sa déclaration faite auprès de la DNA que le requérant avait pris contact avec lui et qu’il pensait que ce dernier souhaitait lui parler de I.P. (paragraphe 8 ci‑dessus). Se fondant sur ces éléments, le parquet a autorisé O.C. à rencontrer le requérant tout en mettant sur écoute leurs conversations (paragraphe 9 ci‑dessus).
168. Étant informés des rencontres de O.C. avec le requérant et mettant sur écoute leurs conversations, les enquêteurs ont certes pris part au déroulement des événements. Toutefois, compte tenu de ses obligations de vérifier les plaintes pénales et de l’importance de contrecarrer l’effet corrosif qu’a la corruption sur l’état de droit dans une société démocratique, la Cour considère que les enquêteurs n’ont pas outrepassé leurs fonctions de ce fait (Milinienė c. Lituanie, no 74355/01, § 38, 24 juin 2008, et voir, mutatis mutandis, Trifontsov c. Russie (déc.), no 12025/02, § 33, 9 octobre 2012). Lorsque l’intervention de la police se limite à aider une personne privée à constater la commission d’un acte illégal par une autre personne privée, le facteur déterminant demeure le comportement de ces deux personnes (Ramanauskas c. Lituanie (no 2), no 55146/14, § 56, 20 février 2018).
169. À cet égard, la Cour constate que ce n’était pas O.C. qui avait pris l’initiative d’entrer en contact avec le requérant, mais que c’était ce dernier qui avait invité le premier dans son bureau de parlementaire à deux reprises (paragraphe 10 ci-dessus). Elle note aussi que la teneur des conversations des deux hommes était tournée dès le début vers l’information ouverte par le parquet au sujet de supposés faits de corruption, reprochés au requérant, et des déclarations faites dans ce contexte par le témoin I.P. devant les organes d’enquête, le but de la rencontre entre le requérant et O.C. étant de convaincre I.P. de modifier ses déclarations (paragraphe 11 ci-dessus). O.C. avait eu une attitude passive pendant ces conversations (paragraphe 11 ci-dessus in fine).
170. Partant, la Cour estime que le requérant ne saurait alléguer avoir été soumis ni à la provocation des agents de l’État ni à celle de O.C. dans le but de commettre les actions pour lesquelles il a été ensuite poursuivi et condamné. Les enquêteurs se sont greffés sur l’activité criminelle et ils ne l’ont pas provoquée, de sorte que O.C. a joué en l’espèce le rôle d’un agent infiltré mais non celui d’un agent provocateur (Blaj c. Roumanie, no 36259/04, § 110, 8 avril 2014).
171. À titre surabondant, la Cour note que l’intéressé a soutenu devant les autorités nationales qu’il avait été victime d’une provocation policière (paragraphe 49 ci-dessus) et que la Haute Cour, à chaque degré de juridiction, a répondu à ses arguments et les a rejetés pour défaut de fondement (paragraphes 50 et 85 ci-dessus ; voir, a contrario, Opriş, précité, § 61). La Cour relève enfin que O.C. a participé à la procédure et qu’il a été entendu par la Haute Cour siégeant en première instance (paragraphe 34 ci-dessus). Le requérant, représenté par ses avocats, a eu l’occasion de l’interroger. De même, la légalité des enregistrements des conversations avec O.C. avait été confirmé par la Haute Cour (paragraphe 84 ci-dessus). Au vu de l’ensemble des éléments versés par les parties au dossier, la Cour ne dispose pas d’éléments pour remettre en question les constats des tribunaux internes.
172. Eu égard à ces éléments, la Cour estime, sur la base des informations disponibles dans le dossier devant elle, pouvoir conclure avec un degré suffisant de certitude que les autorités de poursuite ont enquêté sur l’activité du requérant de manière essentiellement passive et qu’elles ne l’ont pas provoqué à commettre l’infraction de chantage qu’il n’aurait pas commis autrement. Les mesures de surveillance ne sont pas constitutives de provocation au sens de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 6 de la Convention. L’utilisation ultérieure, dans le cadre de la procédure pénale menée à l’encontre du requérant, des éléments obtenus par le biais des mesures de surveillance ne soulève pas de question sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention (Matanović, précité, § 145).
173. Compte tenu des éléments exposés ci-dessus, la Cour ne saurait déceler aucune apparence de violation de l’article 6 de la Convention en l’espèce relatif à la provocation policière. Partant, elle estime que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
- Sur le grief du requérant relatif au délai de rédaction de l’arrêt du 6 janvier 2014
a) Arguments des parties
- Le Gouvernement
174. Le Gouvernement expose que le requérant a commencé à purger sa peine découlant de sa condamnation le 6 janvier 2014 le jour même (paragraphe 92 ci-dessus), mais qu’à cette date il était déjà condamné à une autre peine, celle infligée dans le cadre de l’affaire objet de la décision Năstase, précitée (paragraphes 19 et 20 ci-dessus). Il ajoute que, le 21 août 2014, l’intéressé a bénéficié d’une libération conditionnelle (paragraphe 94 ci-dessus) et qu’il a donc purgé une partie de sa peine seulement, à savoir sept mois et demi d’emprisonnement, sur les cinq ans qui représentaient sa peine dans la présente affaire. Il considère que, au cours de la période comprise entre le 3 juillet et le 21 août 2014, le requérant a largement eu le temps d’étudier et de comprendre les motifs de sa condamnation. Il ajoute que, de surcroît, l’Inspection judiciaire avait procédé à une enquête approfondie pour connaître les raisons pour lesquelles la rédaction des motifs de l’arrêt prenait du temps et était parvenue, sur la base de motifs détaillés, à la conclusion que le délai en question avait des causes objectives (paragraphe 91 ci-dessus). Pour étayer la conclusion de l’Inspection judiciaire attribuant ce délai à l’importante charge de travail des juges, y compris du juge I.M.M., à qui il revenait de procéder à la rédaction de l’arrêt, le Gouvernement indique que, au cours de la période allant de janvier à juin 2014, la chambre criminelle de la Haute Cour a été particulièrement surchargée, puisqu’elle a examiné, à chaque audience publique, entre soixante-dix et quatre-vingt-huit affaires. Il estime ainsi que, compte tenu d’une telle charge de travail et de la complexité de l’affaire, le délai en l’espèce ne peut être considéré comme déraisonnable au sens de la jurisprudence de la Cour.
- Le requérant
175. Le requérant estime que le délai de rédaction de la motivation de l’arrêt du 6 janvier 2014 ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention. En particulier, il indique qu’il a été libéré de prison peu de temps après que la Haute Cour eut motivé son arrêt, de sorte qu’il aurait purgé sa peine sans connaître les motifs de sa condamnation.
b) Appréciation de la Cour
176. La Cour note que le requérant critique le délai de rédaction de la motivation de l’arrêt définitif du 6 janvier 2014 rendu contre lui, qu’il considère ne pas satisfaire à l’exigence du « délai raisonnable ».
177. La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention, donnant à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, a pour objet, en matière pénale, d’obtenir que les accusés ne demeurent pas pendant un temps trop long sous le coup d’une accusation et qu’il soit décidé sur son bien-fondé (Kart c. Turquie [GC], no 8917/05, § 68, CEDH 2009 (extraits)). Afin de juger si, dans une affaire donnée, l’exigence du « délai raisonnable » a été garantie, la Cour prend en considération l’ensemble de la période pendant laquelle l’accusé a été sous le coup d’une accusation pénale dont le bien-fondé n’a pas encore été définitivement tranché et ne prend pas en compte séparément les différentes étapes d’une procédure pénale.
- La période à prendre en considération
178. La Cour constate, en l’espèce, que la période à considérer a débuté le 7 février 2006, avec l’ouverture de la première information judiciaire (paragraphe 6 ci-dessus). Elle note aussi que la Haute Cour a rendu un arrêt définitif le 6 janvier 2014 et que cet arrêt a été rédigé et mis à la disposition des parties le 3 juillet 2014 (paragraphe 79 ci-dessus).
179. S’agissant du point final de la procédure, la Cour rappelle avoir décidé récemment qu’au regard de l’exigence de la durée raisonnable de la procédure au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, une procédure ne peut être considérée comme achevée avant le dépôt de la décision définitive motivée au greffe du tribunal l’ayant rendue, voire avant la notification à l’intéressé de cette décision, surtout lorsque de longs délais séparent le prononcé des jugements de la notification de la décision aux parties (Mierlă et autres c. Roumanie (déc.), nos 25801/17 et 2 autres, § 81, 2 juin 2022). Dès lors, la durée de rédaction d’une décision de justice est prise en compte dans le calcul de la durée d’une procédure.
180. Partant, il convient de considérer en l’espèce que la procédure a pris fin le 3 juillet 2014, date à laquelle l’arrêt définitif a été motivé et mis à la disposition du requérant. La procédure a donc duré huit ans et cinq mois environ pour deux degrés de juridiction, dont six mois environ ont été nécessaires pour rédiger l’arrêt définitif rendu contre les intéressés.
181. Étant donné que la durée nécessaire pour rédiger la motivation de l’arrêt est prise en compte dans le calcul de la durée globale de la procédure, la Cour considère qu’elle doit examiner, à la lumière du principe rappelé ci‑dessous (paragraphe 182 ci-dessous), la durée de la procédure dans son ensemble.
- Sur le caractère raisonnable de la durée de la procédure
182. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
183. La Cour relève qu’en l’espèce la procédure a comporté deux enquêtes pénales et que les juridictions ont eu à examiner, outre les éléments touchant au fond de l’affaire et les nombreux moyens et preuves, une exception d’inconstitutionnalité, qui a été accueillie, de très nombreuses exceptions de nullité d’actes de procédure, des demandes de récusation et d’abstention, ainsi que l’admissibilité des motifs de recours exposés par les parties sur une centaine de pages (voir, notamment, les paragraphes 25 et 47 ci-dessus). Il s’agit donc d’une procédure pénale complexe au cours de laquelle les requérants ont fait usage des différents moyens de procédure mis à leur disposition par le droit interne pour défendre leurs droits et auxquels les juridictions nationales ont répondu de manière constante.
184. Pour ce qui est de l’attitude des autorités, elle observe que les autorités ont agi avec diligence et qu’aucune période d’inactivité ne peut être décelée dans le déroulement de la procédure. De l’avis de la Cour, la complexité de l’affaire a contribué à l’allongement de la procédure.
185. S’agissant du délai de rédaction de la motivation de l’arrêt, la Cour observe que l’article 406 du code de procédure pénale (paragraphe 96 ci‑dessus) prévoit que le texte de l’arrêt doit être rédigé dans un délai de trente jours. Ce délai n’est pas un délai strict, puisque la Haute Cour l’a jugé comme étant indicatif (paragraphe 91 ci‑dessus). Elle note aussi que le requérant a pu exposer son grief devant les autorités internes, qui ont amplement motivé leur conclusion de retard justifié par des éléments objectifs (paragraphe 91 ci‑dessus).
186. Elle note enfin que l’ensemble de la procédure, les décisions partielles rendues en réponse aux demandes et exceptions formulées et l’analyse des preuves ayant fondé la sentence finale se trouvent résumés dans l’arrêt du 6 janvier 2014, qui représentait l’aboutissement de près de huit années de procédure. La Cour comprend dès lors que la tâche de rédaction de l’arrêt était particulièrement ardue et importante.
187. À la lumière des éléments susmentionnés, et tout en considérant qu’il serait souhaitable pour une personne détenue de connaître les raisons de sa condamnation pénale dès le moment de son placement en détention, la Cour estime que le délai observé dans le cadre de la procédure dans la présente affaire prise dans son ensemble ne saurait déceler aucune apparence de violation du principe du « délai raisonnable » inscrit à l’article 6 de la Convention.
188. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
- Sur les griefs des requérants formulés sur le terrain des articles 34 et 38 de la Convention
189. Le 25 juillet 2019, dans leurs observations en réponse à celles du Gouvernement, les requérants indiquent que certaines des informations présentées par le Gouvernement dans ses observations sont délibérément mensongères dans le but de tromper la Cour. Plus particulièrement, ils notent que l’affirmation que la juge C.T. n’a jamais présidé une formation de jugement de cassation en matière pénale car spécialisée en droit civil était manifestement et intentionnellement mensongère et que la citation de l’article 911 de l’ancien code civil régissant les enregistrements des communications était incomplète. Ils ajoutent que la décision du 5 décembre 2013 du collège directeur de la Haute Cour envoyée dans sa version en langue roumaine indique expressément qu’elle s’applique pour l’année 2014 concernant la nomination du juge I.M.M. Ils demandent à la Cour de constater, de ce fait, une violation des articles 34 et 38 de la Convention.
190. Le Gouvernement, à qui ces observations avaient été adressées pour commentaires, ne s’est pas exprimé sur ce point.
191. La Cour renvoie aux principes applicables relatifs à l’article 34 de la Convention énoncés dans l’arrêt Cotleţ c. Roumanie (no 38565/97, § 69, 3 juin 2003) ainsi qu’aux principes pertinents relatifs à l’article 38 de la Convention énoncés dans l’arrêt Bucur et Toma c. Roumanie (no 40238/02, § 71, 8 janvier 2013 ; voir aussi les références qui y sont citées). À la lumière des documents qui lui ont été soumis par les parties, la Cour considère que les informations mentionnées par les requérants (paragraphe 189 ci-dessus) ne constituent pas en l’occurrence une forme de pression illicite et inacceptable ayant entravé leur droit de recours individuel et méconnu l’article 34 de la Convention. En outre, elle observe que lesdites informations ne l’ont pas empêchée d’examiner les griefs du requérant présentés dans le cas d’espèce. Dans ces circonstances, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas manqué à ses obligations découlant de l’article 38 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Décide de joindre les requêtes ;
Déclare les requêtes irrecevables.
Fait en français puis communiqué par écrit le 29 septembre 2022.
Ilse Freiwirth Gabriele Kucsko-Stadlmayer
Greffière adjointe Présidente