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Rozhodnutí
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 19444/14
Alexandru FIERĂSCU
contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 6 septembre 2022 en un comité composé de :
Yonko Grozev, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,
Vu la requête no 19444/14 dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Alexandru Fierăscu (« le requérant ») né en 1981 et résidant à Bucarest, représenté par Me M. Breahnă, avocat à Bucarest, et par M. M. Fierăscu, a saisi la Cour le 27 février 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme O. Ezer, du ministère des Affaires étrangères, le grief concernant l’équité de la procédure pénale contre le requérant, et notamment ses allégations de provocation policière, et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
Vu les observations des parties,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. En février 2010, le parquet ouvrit une enquête en raison des soupçons pesant sur le requérant selon lesquels il vendait de la drogue, dont des amphétamines, à Rădăuţi, à Suceava et aux alentours. Un agent infiltré fut autorisé par le parquet à prendre contact avec le requérant et à lui acheter de la drogue. Le parquet autorisa, à deux reprises, l’interception des conversations entre l’agent et le requérant lors de leurs rencontres. Les ordonnances du parquet, valables pour une durée de 48 heures, furent ultérieurement confirmées par le juge. Il ressort du dossier que l’interception des conversations téléphoniques autorisée n’a pas été utilisée dans l’affaire.
2. Le 22 février 2010, l’agent infiltré rencontra l’intéressé et lui acheta un gramme de poudre blanche. Des examens scientifiques ultérieurs, réalisés par un laboratoire à Iaşi, révélèrent la présence de la benzylpipérazine (BZP).
3. Il ressort du dossier que, le 24 février 2010, le requérant prit contact avec l’agent pour lui vendre à nouveau de la drogue. Le 27 février 2010, l’intéressé lui proposa de lui vendre six grammes de poudre, mais l’agent lui en acheta un gramme qui fut ensuite soumis à un examen scientifique révélant la présence de la BZP.
4. Le 25 février 2010 et le 2 juin 2011, des poursuites pénales furent déclenchées contre le requérant pour trafic de drogues à haut risque. Le 2 juin 2011, il fut informé des accusations portées contre lui. Les 2 et 3 juin et le 22 juillet 2011, il fit des déclarations en présence d’un avocat. Il fut renvoyé en jugement par un réquisitoire du 26 juillet 2011.
5. L’affaire fut enregistrée par le tribunal départemental de Suceava (« le tribunal »). Le 13 janvier 2012, le tribunal entendit l’agent infiltré en présence du requérant et de l’avocat de son choix. Le père de l’intéressé fut également entendu en tant que témoin.
6. Par un jugement du 13 février 2012, le tribunal condamna le requérant à une peine de trois ans de prison. Il rejeta la thèse soutenue par l’intéressé selon laquelle il s’agissait d’une provocation. Après avoir rappelé les principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour, il prit note du casier judiciaire du requérant et du fait qu’il était consommateur de drogues. Il affirma ensuite être convaincu que le parquet avait disposé d’indices suffisants pour ouvrir l’enquête pénale et jugea que l’opération d’infiltration avait été menée conformément à la loi. Il nota que l’agent avait agi dans les limites de sa mission et que l’intéressé disposait d’une quantité de drogues supérieures à celle qu’il avait vendue à celui-ci, qu’il avait pris l’initiative d’en vendre et qu’il s’était montré disposé à vendre tout type de drogue. Selon le tribunal, l’agent infiltré avait donné à l’intéressé « une occasion habituelle » de commettre l’infraction. Le requérant soutint aussi qu’il avait vendu de l’aspirine écrasée et que les preuves scientifiques avaient été altérées, mais le tribunal rejeta ces arguments estimant qu’ils étaient improbables et qu’ils n’étaient pas corroborés par des preuves.
7. Le 3 décembre 2012, la cour d’appel de Suceava (« la cour d’appel ») rejeta l’appel de l’intéressé et confirma le jugement du tribunal. La cour d’appel jugea que les preuves les plus pertinentes étaient : la déclaration de l’agent infiltré ; les procès‑verbaux dressés par celui-ci ; les rapports scientifiques ; la transcription des conversations que le requérant avait eues avec l’agent en question le 22 février 2010 et la déclaration de l’intéressé qui avait reconnu les faits pendant les poursuites pénales. La cour d’appel rejeta la thèse de la provocation, pour les mêmes motifs que ceux retenus par le tribunal.
8. Le 6 septembre 2013, la Haute Cour de cassation et de justice rejeta le recours du requérant et confirma les décisions rendues, notamment en leur partie relative à l’examen de la thèse de la provocation policière.
APPRÉCIATION DE LA COUR
9. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint d’un manque d’équité de la procédure pénale menée contre lui et estime que les juridictions nationales n’ont pas dûment examiné la thèse de la provocation policière.
10. S’agissant du recours à des techniques spéciales d’investigation pour lutter contre le trafic de stupéfiants ou la corruption, les principes généraux relatifs aux garanties d’un procès équitable ont récemment été résumés dans l’arrêt Kuzmina et autres c. Russie (nos 66152/14 et 8 autres, §§ 85-94, 20 avril 2021). Pour distinguer entre la provocation policière et l’utilisation permise de techniques spéciales d’investigation, la Cour se sert de deux critères, un critère de fond et un critère procédural qu’elle applique selon la méthodologie développée dans l’affaire Matanović c. Croatie (no 2742/12, §§ 131-135, 4 avril 2017).
11. Quant au critère de fond, la Cour vérifie s’il existait des soupçons objectifs selon lesquels le requérant avait été mêlé à une quelconque activité criminelle ou avait une propension à se livrer à une telle activité, si les agents infiltrés s’étaient simplement « associés » aux actes criminels ou étaient à l’origine de ces actes, et s’ils avaient exercé des pressions sur l’intéressé pour qu’il commette l’infraction en cause (Bannikova c. Russie, no 18757/06, §§ 38-44, 4 novembre 2010).
12. Lorsque l’examen du critère de fond n’est pas suffisamment concluant, l’examen du critère procédural devient nécessaire (Matanović, précité, § 134 ; et Ramanauskas c. Lituanie (no 2), no 55146/14, § 62 in fine, 20 février 2018).
13. En l’espèce, les tribunaux ont vérifié les motifs ayant justifié l’enquête et ont jugé que le parquet avait disposé d’indices suffisants indiquant que le requérant était impliqué dans un trafic de drogues (voir, en ce sens, Virgil Dan Vasile c. Roumanie, no 35517/11, § 51, 15 mai 2018). Ils ont jugé en outre que l’opération d’infiltration avait été menée conformément à la loi interne. L’argument de l’intéressé selon lequel les juridictions nationales n’ont pas examiné correctement les raisons ayant justifié l’opération doit donc être écarté. La Cour accepte l’argument du requérant selon lequel être consommateur de drogues ne signifie pas être trafiquant. Toutefois, même si les tribunaux internes ont noté que l’intéressé avait reconnu être consommateur de drogues, il n’apparaît pas que cet élément ait été décisif dans leur examen.
14. Les tribunaux internes ont vérifié le déroulement de ses rencontres avec l’agent infiltré, dont le contenu avait été enregistré par les autorités, et ils ont jugé que le comportement de l’agent avait été adéquat et limité aux objectifs de sa mission. En outre, le requérant n’a pas démontré avoir subi de pressions de la part de celui-ci. À l’instar du Gouvernement, la Cour note que l’agent n’a pas insisté et que, de toute évidence, le requérant a pris l’initiative d’entrer en contact avec lui par téléphone et a démontré une certaine expérience pour ce type de transactions.
15. Ces éléments donnent des raisons de douter de la thèse du requérant selon laquelle il s’agissait d’une provocation.
16. En outre, les juridictions nationales ont examiné en détail les arguments que le requérant a tirés de la provocation policière et les ont rejetés, s’appuyant sur les circonstances concrètes de l’affaire. La condamnation du requérant était fondée, comme l’indique le Gouvernement, sur un ensemble d’éléments de preuve corroborés. Le requérant a eu accès aux preuves et a pu les discuter dans le respect du principe du contradictoire. Le tribunal a notamment entendu l’agent infiltré en audience publique et en présence du requérant. Les déclarations de l’agent n’ont pas été l’unique élément de preuve à la charge de l’intéressé. Les tribunaux ont aussi disposé de preuves scientifiques selon lesquelles la poudre vendue contenait des substances prohibées et ont écarté les allégations du requérant d’altération de ces preuves comme non-étayés.
17. Dès lors, l’utilisation, dans le cadre des procédures pénales dirigées contre le requérant, d’éléments obtenus par le recours à des techniques spéciales d’investigation ne soulève pas de question sur le terrain de l’article 6 de la Convention.
18. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 29 septembre 2022.
Crina Kaufman Yonko Grozev
Greffière adjointe f.f. Président