Přehled
Rozhodnutí
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 69183/14
Traian-Puiu PORGE
contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 6 septembre 2022 en un comité composé de :
Yonko Grozev, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,
Vu la requête no 69183/14 dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Traian-Puiu Porge (« le requérant ») né en 1968 et résidant à Oradea, représenté par Me A. Lele, avocat à Oradea, a saisi la Cour le 15 octobre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agent, Mme O. Ezer, du ministère des Affaires étrangères,
Vu les observations des parties,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. Le requérant était policier au moment des faits. En décembre 2012, il fut renvoyé en jugement, avec S.F., au motif qu’il aurait incité M.F.C. à inciter S.F. à faire une fausse déclaration pour éviter une suspension du permis de conduire de M.F.C. pour excès de vitesse. La procédure contre ce dernier pour incitation à faire une fausse déclaration fut disjointe de la procédure contre le requérant. La transcription des conversations téléphoniques entre le requérant et M.F.C. faisait partie des preuves retenues dans le réquisitoire contre le requérant. Autorisées dans un autre dossier pénal que celui concernant les faits mentionnés ci-dessus dirigé contre M.F.C., ces enregistrements furent utilisées dans le réquisitoire dressé contre le requérant en vertu de l’article 912 de l’ancien code de procédure pénale, qui autorisait, sous certaines conditions, l’utilisation de données obtenues lors d’écoutes autorisées dans d’autres affaires pénales si leur contenu exposait des données relatives à la préparation ou à la commission d’une autre infraction pour laquelle l’interception pouvait être autorisée.
2. Devant le tribunal départemental de Bihor (« le tribunal »), le requérant demanda l’audition en qualité de témoin de M.F.C, détenu dans une prison belge, selon les informations fournies par Interpol. À l’audience du 16 octobre 2013, le tribunal rejeta la demande formulée par le requérant au motif que M.F.C. avait la qualité d’accusé dans le dossier pénal disjoint (paragraphe 1 ci-dessus).
3. Le 22 janvier 2014, au cours d’une audience publique et en présence du requérant, assisté par l’avocat de son choix, le tribunal examina les enregistrements mentionnés dans le réquisitoire. Le requérant allégua que la voix entendue sur certains passages n’était pas la sienne et demanda une expertise. Son avocat invoqua la nullité des interceptions téléphoniques parce que les décisions par lesquelles elles avaient été autorisées n’étaient pas accompagnées de procès-verbaux (minute). Le même jour, le tribunal rejeta la demande d’expertise des enregistrements au motif qu’elle n’était pas nécessaire compte tenu des autres éléments de preuve du dossier, dont les procès-verbaux de transcription des conversations téléphoniques impliquant d’autres personnes, ainsi que le requérant.
4. Par un jugement du 27 janvier 2014, le tribunal condamna le requérant à une peine de six mois de prison avec sursis. Il jugea que les normes de procédure n’exigeaient nullement la rédaction de procès-verbaux en cas d’autorisation des interceptions téléphoniques et rejeta les arguments de nullité soulevés par le requérant. Il jugea ensuite que les écoutes téléphoniques dénoncées avaient été effectuées dans le respect de la loi et que les enregistrements pouvaient être utilisés dans l’affaire dont il était saisi. Pour condamner l’intéressé, le tribunal prit en compte les procès-verbaux de transcription des enregistrements, qui étaient corroborés par les déclarations de plusieurs témoins, dont principalement N.R.A. qui avait été entendu par le parquet et par le tribunal, par les photos prises lors de l’incident routier et par les procès‑verbaux de constatation d’une contravention, dressés après l’incident.
5. Le requérant interjeta appel et exposa que les conditions légales pour l’utilisation des enregistrements comme preuve n’étaient pas remplies. Il demanda que les enregistrements fussent écartés du dossier. Il allégua également que le tribunal n’avait pas correctement établi les faits et avait exagéré l’importance des autres éléments de preuve. Il n’invoqua pas une méconnaissance de son droit au respect de sa vie privée.
6. Par un arrêt du 15 avril 2014, la cour d’appel de Oradea (« la cour d’appel ») confirma le jugement du tribunal en ce qui concerne l’établissement des faits et leur qualification juridique. Elle jugea que l’utilisation des enregistrements avait été légale. Elle rejeta comme inutile une demande du requérant visant à entendre M.F.C. Elle fit toutefois droit à l’appel uniquement dans la partie relative à la peine et remplaça la peine de prison par une amende pénale d’un montant de 3 000 lei roumains, soit environ 675 euros.
7. Le requérant fut représenté en appel par un avocat de son choix.
8. Par un arrêt du 31 octobre 2014, la Haute Cour de cassation et de justice rejeta sans examen au fond le recours en cassation formé par le requérant, au motif que les conditions requises par la loi pour former un tel recours n’étaient pas remplies en l’espèce.
9. Invoquant les articles 6, 8 et 17 de la Convention, le requérant allègue que son droit à un procès équitable et son droit au respect de sa vie privée ont été enfreints.
APPRÉCIATION DE LA COUR
- Sur le grief fondÉ sur l’article 6 de la Convention
10. Les principes pertinents relatifs à l’utilisation des preuves dans la procédure pénale ont été résumés dans les arrêts Bykov c. Russie ([GC], no 4378/02, §§ 88-93, 10 mars 2009), Prade c. Allemagne (no 7215/10, §§ 32‑35, 3 mars 2016) et Danilov c. Russie (no 88/05, §§ 108-111, 1er décembre 2020).
11. Le requérant allègue que les enregistrements de ses conversations téléphoniques avec M.F.C. ont été les seules preuves pour justifier sa condamnation et qu’ils avaient été obtenus de manière illégale.
12. La Cour note que les procès‑verbaux de transcription des enregistrements étaient corroborés par d’autres éléments de preuve (paragraphe 4 ci-dessus). Ces enregistrements n’ont donc pas constitué la preuve unique ayant justifié la condamnation du requérant. La Cour peut admettre que ces preuves revêtaient un certain poids et que leur utilisation a causé des difficultés à la défense (voir, mutatis mutandis, Valdhuter c. Roumanie, no 70792/10, § 49, 27 juin 2017).
13. À cet égard, il convient toutefois de noter que, lors de la procédure en première instance, le requérant a pu entendre et débattre les enregistrements, en présence de son avocat et en audience publique. Il a pu ainsi soulever des arguments quant au contenu des enregistrements et mettre en cause leur crédibilité. Le tribunal a examiné ses arguments et les a rejetés en motivant sa décision. L’intéressé n’a pas réitéré ces arguments en appel. En effet, ses motifs d’appel étaient limités à des questions de procédure. En outre, les juridictions nationales ont procédé à une analyse équilibrée de tous les éléments de preuve et ont examiné attentivement leur valeur probante (voir, en ce sens, Bykov, précité, § 98).
14. Quant à l’argument du requérant selon lequel l’utilisation de certaines preuves dans la procédure à son encontre était illégale, la Cour note, à l’instar du Gouvernement, que les juridictions nationales ont examiné leur légalité et ont jugé que les enregistrements avaient été utilisées dans le respect des conditions requises par la législation en la matière.
15. Pour autant que le requérant allègue, en s’appuyant sur certaines décisions juridictionnelles internes, dont une décision de la Cour constitutionnelle, que les enregistrements avaient été effectués illégalement par le Service roumain d’informations, la Cour note, d’une part, que le requérant n’a jamais soulevé ce grief devant le juge interne et, d’autre part, que la jurisprudence interne invoquée devant la Cour concerne d’autres dispositions normatives que celles appliquées par les juridictions internes dans son cas.
16. S’agissant du refus par les tribunaux de procéder à l’audition de M.F.C., la Cour renvoie aux principes exposés dans l’affaire Murtazaliyeva c. Russie ([GC], no 36658/05, §§ 150-158, 18 décembre 2018).
17. La procédure pénale contre M.F.C. a été disjointe et aucune déclaration de ce dernier n’a été utilisée pour fonder l’accusation contre le requérant. M.F.C. n’a pas eu la qualité de témoin à charge dans la procédure engagée contre le requérant, dont la condamnation s’appuie sur d’autres éléments de preuve (paragraphe 4 ci-dessus). Les arguments du requérant à cet égard doivent être entendus comme une demande d’audition d’un témoin à décharge afin de proposer une interprétation différente des faits retenus à son encontre.
18. Faisant application du critère en trois branches découlant de l’arrêt Murtazliyeva (précité, § 158), la Cour observe que les tribunaux internes ont motivé en détail leur rejet de la demande d’entendre M.F.C., jugeant son audition dépourvue de pertinence (paragraphes 2 et 6 ci-dessus ; Murtazaliyeva, précité, §§ 158 et 160-161). La Cour juge les raisons avancées par les tribunaux internes suffisantes au sens de sa jurisprudence (Murtazaliyeva, §§ 158 et 162-166). Elle note ensuite que les tribunaux internes ont garanti à l’intéressé le droit de proposer des témoins en défense.
19. Enfin, dans la mesure où la condamnation du requérant était fondée sur un ensemble d’éléments de preuve et que les tribunaux ont examiné de manière détaillée et exhaustive les arguments de la défense, la Cour conclut que le refus par les juridictions d’entendre M.F.C. n’a pas nui à l’équité globale du procès (ibidem, §§ 158 et 167-168).
20. Dès lors, la procédure conduite dans l’affaire du requérant, considérée dans son ensemble, n’a pas méconnu les exigences du procès équitable (Bykov, précité, § 104).
21. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
- sur le grief fondÉ sur l’article 8 de la convention
22. Le Gouvernement avance que l’intéressé n’a pas épuisé les voies de recours internes dans la mesure où il ne s’est pas plaint devant les tribunaux internes de la violation de son droit au respect de sa vie privée.
23. Le requérant allègue qu’il s’est plaint devant les tribunaux de l’illégalité des écoutes téléphoniques le concernant et ayant fondé sa condamnation, ce qui équivaut, indirectement, à alléguer une violation de son droit au respect de sa vie privée. Il expose que le Gouvernement aurait dû démontrer, avec des exemples concrets, qu’il aurait pu invoquer la Convention directement devant les juges nationaux.
24. Les principes généraux relatifs à l’obligation à la charge des requérants d’épuiser les voies de recours internes avant de saisir la Cour sont résumés, entre autres, dans la décision Gherghina c. Roumanie ((déc.) [GC], no 42219/07, §§ 83-89, 9 juillet 2015) et Mucea c. Roumanie ((déc.), no 24591/07, § 32, 24 mai 2016, et les références qui y sont citées).
25. En l’espèce, le requérant n’a invoqué devant les juridictions nationales ni directement ni indirectement la protection que lui reconnait l’article 8 de la Convention. Or, il lui aurait été loisible de soulever de tels griefs soit pendant la procédure pénale dirigée contre lui ou bien par le biais d’une procédure judiciaire séparée (Simsek c. Roumanie (déc.), no 61697/11, § 20, 3 mars 2015, et les références qui y sont citées). Le requérant n’a pas démontré que de telles voies de recours n’étaient pas efficaces ou qu’il lui était objectivement impossible de les exercer (voir, pour la jurisprudence des tribunaux internes, Patriciu c. Roumanie (déc.), no 43750/05, §§ 36 et 86, 17 janvier 2012).
26. Il y a donc lieu de faire droit à l’exception soulevée par le Gouvernement et de rejeter ce grief pour non‑épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
- SUR LE GRIEF fondé sur l’article 17 de la convention
27. Le requérant invoque aussi une méconnaissance de l’article 17 de la Convention.
28. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, et pour autant qu’elle est compétente pour connaître de ce grief, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention et ses Protocoles.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 29 septembre 2022.
Crina Kaufman Yonko Grozev
Greffière adjointe f.f. Président