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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
5.7.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 24183/21
Gheorghe PIPEREA
contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 5 juillet 2022 en un comité composé de :

Tim Eicke, président,
Faris Vehabović,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,

Vu la requête no 24183/21 dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, Me Gheorghe Piperea (« le requérant ») né en 1970 et résidant à Bucarest, a saisi la Cour le 30 mars 2021 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La présente requête porte sur les allégations du requérant, au regard des articles 8 de la Convention et 2 § 1 du Protocole no 4 à la Convention, selon lesquelles la mise en place de l’état d’alerte (declararea stării de alertă), qui a eu lieu en Roumanie le 18 mai 2020 pour endiguer la pandémie due au virus SARS-CoV-2, aurait conduit à une restriction de son droit à la liberté de circulation et aurait constitué une atteinte à son droit au respect de sa vie privée en raison de l’obligation, dans certains cas, de remplir une déclaration indiquant le but, la destination et la durée du déplacement, ainsi que d’autres données à caractère personnel.

2. La genèse de l’affaire et les mesures législatives et administratives mises en place dans un premier temps en Roumanie à partir du 16 mars 2020, par le décret no 195/2020 portant instauration de l’état d’urgence sont décrites dans la décision Terheş c. Roumanie ((déc.), no 49933/20, §§ 4-9, 13 avril 2021). À la suite de la cessation de l’état d’urgence, par une décision no 394/2020 datant du 18 mai 2020, le gouvernement instaura l’état d’alerte, qui fut successivement prolongé jusqu’au 8 mars 2022.

3. En particulier, le requérant se plaint d’avoir subi, en sa qualité de professeur de droit commercial enseignant à l’université, une restriction de sa capacité d’assurer sa mission d’enseignement dans des conditions optimales, du fait de la distanciation d’avec les étudiants.

4. En outre, il conteste de manière générale la décision du gouvernement no 293/2021 du 10 mars 2021 portant sur la prolongation de l’état d’alerte en Roumanie à partir du 14 mars 2021 et sur les mesures applicables pendant sa durée pour prévenir et endiguer les effets de la pandémie de Covid-19. Plus généralement, il met en cause des mesures comme la distanciation sociale, la nécessité du port du masque et de l’isolement pendant un certain nombre de jours en cas de test biologique positif au SARS-CoV-2, dont il doute de la fiabilité. Il estime l’ensemble de ces mesures à la fois insuffisantes et inutiles.

5. Il a engagé, le 16 mars 2021, devant les juridictions nationales une action en contentieux administratif contre la décision du gouvernement no 293/2021 du 10 mars 2021, procédure qui était, à la date des dernières informations, encore pendante.

APPRÉCIATION DE LA COUR

6. La Cour considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner si le requérant a épuisé les voies de recours internes, étant donné qu’il n’a pas informé la Cour de la suite de son action en justice, l’affaire étant en tout état de cause irrecevable pour les raisons suivantes (Baillard c. France (déc.), no 6032/04, 25 septembre 2008).

7. L’article 34 de la Convention n’autorise pas à se plaindre in abstracto de violations de la Convention. Celle-ci ne reconnaît pas l’actio popularis (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 33, série A no 28, et Parti travailliste géorgien c. Géorgie (déc.), no 9103/04, 22 mai 2007), ce qui signifie qu’un requérant ne peut se plaindre d’une disposition de droit interne, d’une pratique nationale ou d’un acte public simplement parce qu’ils lui paraissent enfreindre la Convention (Zambrano c. France (déc.), no 41994/21, § 41, 21 septembre 2021).

8. En outre, il appartient aux requérants d’étayer leurs griefs tant en fait, en fournissant à la Cour des éléments factuels précis et des preuves nécessaires, qu’en droit, en expliquant pourquoi, à leur avis, la disposition invoquée de la Convention a été violée (mutatis mutandis, Trofimchuk c. Ukraine (déc.), no 4241/03, 31 mai 2005). À cet égard, l’article 47 du règlement de la Cour, qui régit le contenu des requêtes individuelles, dispose :

« 1. Toute requête déposée en vertu de l’article 34 de la Convention est présentée sur le formulaire fourni par le greffe, sauf si la Cour en décide autrement. Elle doit contenir tous les renseignements demandés dans les parties pertinentes du formulaire de requête et indiquer :

(...)

d) un exposé concis et lisible des faits ;

e) un exposé concis et lisible de la ou des violations alléguées de la Convention et des arguments pertinents ; et

(...)

2. a) Toutes les informations visées aux alinéas d) à f) du paragraphe 1 ci-dessus doivent être exposées dans la partie pertinente du formulaire de requête et être suffisantes pour permettre à la Cour de déterminer, sans avoir à consulter d’autres documents, la nature et l’objet de la requête.

(...) »

9. Or, le requérant se contente de dire qu’il a subi une restriction de son droit à la liberté de circulation et invoque l’article 2 § 1 du Protocole no 4 à la Convention, sans étayer davantage son grief. Il indique, comme seul élément factuel concret, qu’en sa qualité de professeur de droit enseignant à l’université, il a subi une restriction de sa capacité d’assurer sa mission d’enseignement dans des conditions optimales, du fait de la distanciation d’avec les étudiants. Il ne donne pas davantage de précisions à cet égard, en mentionnant par exemple les dates (ou les périodes) auxquelles il a eu l’intention de se rendre dans les locaux de l’université et en a été empêché. Il n’indique pas non plus quels étaient les aménagements concrets mis en place sur son lieu de travail, qui auraient été de nature à porter atteinte à son droit à la liberté de circulation.

10. Par ailleurs, la Cour remarque que les mesures dénoncées par le requérant s’inscrivent dans un contexte particulier, ayant été imposées dans le cadre de l’état d’alerte instauré en Roumanie le 18 mai 2020, consécutivement à l’état d’urgence établi le 16 mars 2020, pour des raisons sanitaires. À n’en pas douter, la pandémie de Covid-19 peut avoir des effets très graves non seulement sur la santé, mais aussi sur la société, l’économie, le fonctionnement de l’État et la vie en général, et que la situation doit donc être qualifiée de « contexte exceptionnel imprévisible » (voir à cet égard Terheş c. Roumanie (déc.), no 49933/20, § 39, 13 avril 2021).

11. La Cour observe ensuite que les mesures contestées de manière générale et imprécise par le requérant ont visé l’ensemble de la population, en raison de conditions sanitaires que les autorités nationales compétentes ont jugées graves (Terheş, précité, § 40). Le requérant n’indique pas avoir fait l’objet d’une mesure de prévention individuelle et ne prétend pas qu’il n’aurait pas eu la liberté de quitter son domicile pour différentes raisons, ni qu’il aurait été contraint à l’isolement pendant une certaine période, pour cause de test positif (ibidem, §§ 42-43).

12. S’agissant de la prétendue atteinte au droit du requérant au respect de sa vie privée, qui aurait été contraire à l’article 8 de la Convention en raison de l’obligation dans certains cas de remplir une déclaration indiquant le but, la destination et la durée du déplacement, ainsi que d’autres données à caractère personnel, la Cour note que l’intéressé n’a pas précisé non plus s’il a effectivement fait l’objet de contrôles lors de ses déplacements, ni de quelle manière le droit au respect de sa vie privée a concrètement été lésé.

13. Elle accorde aussi de l’importance au fait que le requérant n’a pas expliqué précisément quels effets ces mesures avaient eu sur son état. De manière plus générale, il n’a présenté aucun élément concret pour décrire la manière dont il avait effectivement vécu cette période (Terheş, précité, § 44).

14. Enfin, la Cour relève que le requérant se plaint in abstracto de l’insuffisance et de l’inadéquation des mesures prises par l’État roumain pour lutter contre la propagation du virus SARS-CoV-2. Là encore, il ne fournit pas d’informations sur sa situation personnelle et n’explique pas précisément en quoi les manquements allégués des autorités nationales seraient susceptibles de l’affecter directement et de le viser en raison d’éventuelles caractéristiques individuelles (paragraphe 4 ci-dessus).

15. Au vu de l’ensemble des éléments en sa possession et pour autant que les faits litigieux relèvent de sa compétence, la Cour estime que ces griefs soit ne satisfont pas aux critères de recevabilité énoncés aux articles 34 et 35 de la Convention, soit ne révèlent aucune apparence de violation des droits et libertés consacrés par la Convention ou ses Protocoles.

Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 1er septembre 2022.

Crina Kaufman Tim Eicke
Greffière adjointe f.f. Président