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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
5.7.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 76551/16
Rahil SAMSSER KHAN
contre le Portugal

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 5 juillet 2022 en un comité composé de :

Armen Harutyunyan, président,
Jolien Schukking,
Ana Maria Guerra Martins, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,

Vu la requête (no 76551/16) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant mozambicain et portugais, M. Rahil Samsser Khan (« le requérant »), né en 1951 et résidant à Maputo, au Mozambique, représenté par Me J.M. Formosinho Sanchez et Me A. Mota Gomes, avocats à Lisbonne, a saisi la Cour le 2 décembre 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement portugais (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme M.F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe,

Vu les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. L’affaire concerne le décès de l’épouse du requérant (Mme O.) consécutivement à une intervention chirurgicale réalisée par la technique du court-circuit gastrique (bypass gastrique), pratiquée dans un hôpital privé. Le requérant formule des griefs sur le terrain des articles 2 et 6 de la Convention.

2. Au cours de l’année 2012, Mme O. consulta M.S., un chirurgien portugais, à l’hôpital de Maputo au Mozambique au sujet du problème d’obésité morbide dont elle souffrait. Elle se rendit au Portugal et, le 15 novembre 2013, à 12 h 13, elle subit une intervention chirurgicale réalisée par un court-circuit gastrique, pratiquée par M.S. dans un hôpital privé à Faro. Le 17 novembre 2013, à 8 h 38, souffrant de douleurs abdominales aigües, elle subit une nouvelle opération chirurgicale. Au cours de celle-ci, une nécrose décelée sur une partie de l’estomac fut retirée. Le lendemain, à 6 h 30, Mme O. décéda.

3. Le décès fut porté à la connaissance du parquet près le tribunal de Faro. Une enquête fut ouverte d’office. Le 19 novembre 2013, le corps de Mme O. fut autopsié à l’institut de médecine légale (« IML ») de Faro. D’après le rapport d’autopsie, établi le 20 février 2014, Mme O. était décédée d’une embolie pulmonaire. Tout en reconnaissant qu’il ne disposait pas des éléments pour déterminer l’ensemble des causes du décès, le médecin légiste conclut que le décès avait été causé par des complications post-opératoires, eu égard à l’obésité morbide et à l’état de santé fragile de Mme O. Il releva aussi qu’aucune erreur ou omission n’avait été décelée au niveau de l’intervention chirurgicale en cause.

4. Au cours de la procédure pénale, le requérant fut autorisé à intervenir en qualité d’auxiliaire du ministère public (assistente). Par une décision du 4 avril 2014, le parquet classa l’affaire sans suite. Il conclut qu’aucune erreur médicale n’avait été commise par le médecin qui avait opéré Mme O. et que l’embolie pulmonaire était un risque inhérent à toute intervention chirurgicale. Il se fonda sur une analyse du dossier médical de Mme O., sur le rapport d’autopsie et sur les déclarations faites par M.S. Faisant suite à un recours hiérarchique introduit par le requérant, le 8 mai 2015, le procureur hiérarchiquement supérieur à celui qui avait rendu la décision attaquée confirma celle-ci.

5. Le 19 janvier 2016, le requérant sollicita la réouverture de l’enquête en s’appuyant sur l’avis d’un expert médicolégal, établi le 16 août 2015, qui considérait qu’il était nécessaire, d’une part, de connaître les examens médicaux que Mme O. avait réalisés avant l’opération litigieuse afin de déterminer si elle présentait les conditions requises pour ce faire et, d’autre part, de savoir si elle avait été informée des risques que présentait une telle intervention chirurgicale. Le parquet fit droit à la demande de réouverture de l’enquête. Il sollicita une copie des examens médicaux qui avaient été réalisés avant l’opération et entendit de nouveau M.S.

6. Le 14 avril 2016, le parquet classa de nouveau l’affaire sans suite. Il considéra que Mme O. remplissait les conditions pour être éligible à l’opération litigieuse étant donné son indice de masse corporelle et les pathologies dont elle souffrait en raison de son obésité. Il considéra aussi qu’elle avait été informée des risques qu’elle présentait. Il se fonda sur les nouveaux éléments joints au dossier d’enquête et sur les clarifications qui avaient été apportées par M.S. Le requérant forma un recours hiérarchique. Il demanda que les pièces concernant les examens préopératoires fussent examinées par un expert en chirurgie. Il réclama aussi l’audition des membres de la famille de Mme O., celle de la patiente qui avait partagé sa chambre lors de son hospitalisation ainsi que celle de l’équipe médicale qui était intervenue auprès d’elle. Par une décision du 3 juin 2016, le procureur hiérarchiquement supérieur déclara le recours irrecevable au motif qu’il n’avait pas été introduit dans le délai imparti. Il considéra que, quoi qu’il en soit, les nouveaux actes d’enquête réclamés par le requérant n’étaient pas pertinents pour déterminer la négligence médicale alléguée. Il approuva la décision attaquée.

APPRÉCIATION DE LA COUR

7. Invoquant l’article 2 de la Convention, le requérant allègue que l’enquête pénale menée sur les circonstances du décès de son épouse n’a pas été suffisamment approfondie. Sur le terrain de l’article 6 de la Convention, il se plaint aussi de l’irrecevabilité du recours hiérarchique qu’il a interjeté contre la décision de classer sans suite l’affaire, rendue par le parquet le 14 avril 2016.

8. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime approprié d’examiner les griefs du requérant sous l’angle seulement du volet procédural de l’article 2 de la Convention (voir Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, § 145, 19 décembre 2017).

9. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes tel qu’exigé par l’article 35 § 1 de la Convention étant donné qu’il n’a pas introduit le dernier recours hiérarchique dans le délai qui lui était imparti. L’intéressé conteste l’exception soulevée. La Cour observe pour sa part qu’après avoir considéré que le recours avait été introduit en dehors du délai imparti, le procureur hiérarchiquement supérieur a estimé que les nouveaux moyens de preuves réclamés par le requérant n’étaient pas pertinents, et qu’il a approuvé la décision de classement sans suite attaquée (paragraphe 6 ci-dessus). Force est de constater que le procureur hiérarchiquement supérieur s’est finalement prononcé sur le fond de l’affaire même s’il ne l’a fait que brièvement. Par conséquent, la Cour estime qu’il convient de rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes formulée par le Gouvernement (voir, Vladimir Romanov c. Russie, no 41461/02, § 52, 24 juillet 2008).

10. Afin d’examiner les griefs soulevés par le requérant en l’espèce, la Cour tiendra compte des principes généraux en matière d’obligation procédurale découlant de l’article 2 de la Convention dans le domaine de la santé, notamment en cas de décès d’un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, lesquels ont été résumés dans l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes, précité, §§ 214-221.

11. La Cour constate que l’épouse du requérant est décédée dans un hôpital privé le 18 novembre 2013, trois jours après avoir subi une intervention chirurgicale réalisée par la technique du court-circuit gastrique (bypass gastrique) (paragraphe 2 ci-dessus). Le requérant n’allègue pas que le décès ait été intentionnellement provoqué mais qu’il serait imputable à une négligence médicale. Aussi, il n’était pas forcément nécessaire aux fins de l’article 2 qu’une voie de recours pénale fût ouverte. Cela étant dit, si elle était jugée effective, une telle voie de recours suffirait à satisfaire à l’obligation procédurale découlant de cette disposition (Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, § 202, 9 avril 2009).

12. La Cour note que, pour déterminer les circonstances dans lesquelles était survenu le décès de Mme O., une enquête pénale a été ouverte d’office. Elle relève aussi que le requérant a été autorisé à intervenir en qualité d’auxiliaire du ministère public au cours de celle-ci (à cet égard, voir la note de bas de page 4 de l’arrêt Fernandes Pedroso c. Portugal, no 59133/11, 12 juin 2018). L’intéressé ne conteste pas l’indépendance et l’impartialité des autorités d’enquête internes et des experts qui ont déposé, il n’allègue pas non plus que la procédure n’a pas été menée promptement. En revanche, il estime que celle-ci n’a pas été suffisamment approfondie.

13. Sur ce point, la Cour note qu’une autopsie a été pratiquée sur le corps de Mme O. le lendemain de son décès et que, d’après le rapport d’autopsie établi le 20 février 2014 par l’IML de Faro, la cause du décès était due à une embolie pulmonaire, intervenue à la suite de complications post-opératoires. Elle relève aussi que le rapport en question concluait à l’absence d’erreurs ou d’omissions commises lors de l’intervention chirurgicale en cause (paragraphe 3 ci-dessus). Se fondant sur ce rapport, sur une analyse du dossier médical de Mme O. et sur le témoignage de M.S., le parquet a classé l’affaire sans suite le 4 avril 2014, excluant toute négligence médicale.

14. La Cour note qu’en tenant compte du rapport d’un expert médicolégal soumis par le requérant, le parquet a par la suite ordonné la réouverture de l’enquête. Il a alors sollicité une copie des examens médicaux auxquels Mme O. avait été soumise. Il a par ailleurs entendu de nouveau M.S.

15. La Cour estime que les allégations du requérant selon lesquelles, d’une part, son épouse avait été victime d’une négligence médicale et, d’autre part, elle n’avait pas été informée des risques de l’intervention chirurgicale (paragraphe 5 ci-dessus) ont fait l’objet d’un examen approfondi (voir, a contrario, Altuğ et autres c. Turquie, no 32086/07, § 78, 30 juin 2015). En effet, se fondant sur les nouveaux éléments de preuve qu’il avait obtenus ainsi que sur les clarifications apportées par M.S., le parquet a conclu que Mme O. remplissait les conditions pour être éligible à une intervention chirurgicale réalisée par la technique du court-circuit gastrique et qu’elle avait été informée des risques de l’opération (paragraphe 6 ci-dessus).

16. La Cour est d’avis que les demandes de mesures d’enquête qui n’ont pas été satisfaites au cours de la procédure (paragraphes 5-6 ci-dessus) ne sont pas de nature à remettre en cause l’effectivité de l’enquête menée par les instances judiciaires internes (voir, à cet égard, mutatis mutandis, Ramsahai et autres c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, § 348, CEDH 2007II). Eu égard aux conclusions de l’IML de Faro concernant les causes du décès de Mme O. (paragraphe 3 ci-dessus), elle ne voit effectivement pas en quoi l’analyse du dossier par un expert en chirurgie ou l’audition des membres de sa famille, celle de la patiente qui avait partagé sa chambre à l’hôpital ou celle de l’équipe médicale auraient pu remettre en cause les conclusions auxquelles avait abouti le parquet en l’espèce.

17. Au demeurant, elle constate que l’intéressé a participé de manière active à la procédure et qu’il a exercé ses droits procéduraux pour influer celle-ci (comparer avec Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 226). Il a ainsi été autorisé à intervenir en qualité d’auxiliaire du ministère public, il a introduit un recours hiérarchique contre la première décision de classement sans suite (paragraphe 4 ci-dessus) et il a obtenu, par la suite, la réouverture de l’enquête en vue de l’examen de nouveaux moyens de preuve (paragraphes 4 et 5 ci-dessus). Tel que relevé ci-dessus (paragraphe 9 ci-dessus), à l’issue de la réouverture de la procédure, bien qu’il eût considéré le recours hiérarchique irrecevable, le procureur hiérarchiquement supérieur s’est prononcé sur le fond de la cause (paragraphes 6 et 9 ci-dessus).

18. Dès lors, étant donné que l’enquête menée sur les faits de la présente espèce a été suffisamment approfondie et que le requérant y a été associé à un degré suffisant pour la sauvegarde de ses intérêts et l’exercice de ses droits, la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 1er septembre 2022.

Ilse Freiwirth Armen Harutyunyan
Greffière adjointe Président