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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
5.7.2022
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 23843/17
Abdullah BÜYÜK
contre la Bulgarie

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 5 juillet 2022 en un comité composé de :

Iulia Antoanella Motoc, présidente,
Yonko Grozev,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 23843/17 contre la Bulgarie et dont un ressortissant turc, M. Abdullah Büyük (« le requérant ») né en 1973 et détenu en Turquie, selon les derniers éléments versés au dossier, par lui, le 5 décembre 2018, représenté par Me M. Koc, avocat à Istanbul, a saisi la Cour le 8 mars 2017 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement bulgare (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme R. Nikolova, du ministère de la Justice, les griefs concernant les mauvaises conditions de détention en Bulgarie tirés des articles 3 et 13 de la Convention, ainsi que ceux relatifs aux risques de mauvais traitements prétendument encourus en Turquie et au renvoi vers ce pays, tirés des mêmes dispositions, et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. Le requérant, un homme d’affaires turc arriva sur le sol bulgare le 1er février 2016. Le 17 février 2016, il fut placé en détention pour une durée de 40 jours sur une ordonnance d’un procureur, confirmée par une décision du tribunal de la Ville de Sofia du 19 février 2016. Le 29 février 2016, le même tribunal ordonna la prolongation de la détention en attendant l’examen d’une demande d’extradition de la part du Parquet Général d’Istanbul du 15 février 2016, par les autorités bulgares. L’intéressé fut relaxé le 28 mars 2016.

2. En particulier, le requérant fit l’objet d’une demande d’extradition dans le cadre d’une procédure pénale conduite contre lui en Turquie pour crimes liés à des activités terroristes en relation avec le mouvement Gülen. Par une décision définitive du 28 mars 2016, la cour d’appel de Sofia confirma la décision du tribunal de la Ville de Sofia rejetant la demande d’extradition. Cette cour considéra qu’il ressortait de certains éléments du dossier que le requérant partageait les opinions politiques de Fetullah Gülen et que ce dernier était connu pour être un opposant déterminé du parti au pouvoir en Turquie. Les faits, les documents versés au dossier, ainsi que les allégations des autorités turques conduisirent la cour d’appel à conclure que la demande d’extradition était très probablement fondée sur les convictions politiques du requérant, ce qui remplissait les conditions de refus d’extradition. Cependant, la cour d’appel nota que la Turquie était État partie à la Convention et que ce pays avait présenté des assurances que le droit à un procès équitable du requérant y serait garanti. La cour d’appel ajouta qu’il n’existait pas de données dans la présente affaire laissant douter que les droits du requérant prévus par l’article 6 § 3 de la Convention n’avaient pas été respectés dans la procédure pénale ouverte contre lui en Turquie. Enfin, le requérant ne bénéficiait pas du statut de réfugié et d’asile en Bulgarie.

3. Par ailleurs, le 24 février 2016 et le 8 mars 2016, le requérant demanda l’asile et une mesure de protection temporaire, respectivement, auprès des autorités bulgares compétentes, soit le Président de la République et l’Agence nationale pour les réfugiés. Dans ces demandes, le requérant évoqua ses craintes de subir des mauvais traitements en raison d’une persécution politique en Turquie. Par une lettre du 29 juillet 2016, notifiée au requérant le 2 août 2016, l’administration du Président de la République informa l’intéressé de la décision du vice-président de lui refuser l’octroi de l’asile. Selon les documents versés au dossier par le Gouvernement dans la présente affaire, le requérant aurait retiré sa demande de protection temporaire lors d’un entretien, tenu à une date non précisée en fin avril 2016, avec un représentant de l’Agence nationale pour les réfugiés, en présence de son avocat.

4. Le 10 août 2016, le requérant fut arrêté par la police, qui établit que ce dernier ne disposait pas de documents d’identité et d’un titre de séjour en Bulgarie valides. Il fut remis aux autorités des services « Migration » auprès du ministère des Affaires Intérieures. Il fut conduit à Kapitan Andreevo, au poste-frontière avec la Turquie, et remis aux autorités turques le même jour.

5. Après son retour en Turquie, le requérant fut placé en détention provisoire dans le cadre d’une procédure pénale dirigée contre lui pour la direction d’une organisation terroriste et pour avoir fait de la propagande pour une organisation terroriste armée. L’acte d’accusation établi par le parquet le 27 septembre 2017 indique que cette détention avait duré du 10 août 2016 au 8 septembre 2016. Selon le même acte, plus de vingt autres personnes furent accusées dans la même procédure. Le requérant affirme que des membres de sa famille, son avocat et des collègues à lui en firent partie. Il aurait été maintenu en détention après cette dernière date à la prison de Silivri, près d’Istanbul.

6. Une décision du tribunal d’Istanbul du 5 octobre 2018 témoigne du maintien du requérant en détention à cette date.

7. Le requérant affirme que pendant son séjour en prison, il aurait subi de nombreuses restrictions à ses libertés dont l’accès à un avocat. Il aurait été occupé pour organiser sa défense dans la procédure pénale en Turquie. Il présenta sa requête devant la Cour grâce à l’aide d’un avocat qui put collecter les informations pertinentes pendant les visites en prison, effectuées à des dates non précisées.

L’APPRÉCIATION DE LA COUR

8. Le requérant se plaignait, sur le terrain des articles 3 et 13, d’une part, des mauvaises conditions de détention en Bulgarie, et d’autre part, des décisions des autorités bulgares de le renvoyer dans son pays, compte tenu notamment de ses craintes d’être victime de mauvais traitements et d’une persécution politique en Turquie.

9. La Cour souligne que les règles énoncées à l’article 35 § 1 concernant l’épuisement des voies de recours internes et le délai de six mois sont étroitement liées (Jeronovičs c. Lettonie [GC], no 44898/10, § 75, CEDH 2016). Lorsqu’il apparaît clairement d’emblée que le requérant ne disposait d’aucun recours effectif, le délai de six mois commence à courir à compter de la date des actes ou mesures dénoncés ou de la date à laquelle l’intéressé en a pris connaissance ou en a ressenti les effets ou le préjudice (Dennis et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 76573/01, 2 juillet 2002).

10. Les principes généraux applicables concernant le délai de six mois pour l’introduction d’une requête énoncée à l’article 35 § 1 ont été exposés, par exemple, dans les arrêts suivants : Sabri Güneş c. Turquie [GC] (no 27396/06, § 44, 29 juin 2012) ; et Ilias et Ahmed c. Hongrie [GC] (no 47287/15, § 81, 21 novembre 2019).

11. En l’espèce, la Cour note qu’il n’est pas contesté entre les parties que le requérant n’a exercé aucun recours auprès des autorités bulgares.

12. La Cour observe aussi que le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité des griefs les estimant tardifs. Concernant d’abord les allégations du requérant en relation avec les conditions de sa détention, le Gouvernement explique que dans la mesure où le requérant ne s’est pas prévalu de la possibilité de demander une indemnisation auprès des juridictions administratives comme il lui était loisible selon le droit bulgare, le délai de six mois devait être calculé à partir de la date de sa libération. Pour ce qui est des griefs portant sur le renvoi du requérant en Turquie, le Gouvernement considère que le délai de six mois est à compter à partir de la date de remise du requérant aux autorités turques.

13. La Cour relève ensuite que l’intéressé justifie le retard de l’introduction de sa requête devant elle par les restrictions qu’il se voyait imposer en prison, le fait qu’il était principalement occupé à se défendre en Turquie, que des membres de sa famille et des proches étaient également détenus et qu’il avait des difficultés pour rencontrer un avocat afin de préparer la présente requête (paragraphe 5 ci-dessus). Il reproche également aux autorités bulgares de l’avoir transféré aux autorités turques de manière soudaine et rapide, le privant de la possibilité de contester la mesure de renvoi prise à son égard.

14. Selon la Cour, une question peut se poser de savoir si le requérant avait accès aux recours internes pour contester aussi bien les conditions de sa détention en Bulgarie, que son renvoi. Il n’est toutefois pas nécessaire de l’examiner. En effet, à supposer même que le requérant n’avait pas de recours effectifs et accessibles pour exposer ses griefs devant les autorités bulgares, il aurait dû introduire sa requête dans un délai de six mois après les événements litigieux. La Cour estime dès lors que, pour ce qui est des griefs tirés des articles 3 et 13 en lien avec les conditions de détention du requérant, le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention a commencé à courir le 29 mars 2016, soit le lendemain de la libération du requérant (paragraphe 1 ci-dessus), pour prendre fin le 28 septembre 2016. Le requérant a saisi la Cour le 8 mars 2017, soit cinq mois et huit jours après cette date. Quant aux griefs tirés du renvoi de l’intéressé en Turquie, ce délai a débuté le 11 août 2016, le lendemain de ce transfert (paragraphe 4 ci-dessus), et s’est terminé le 10 février 2017. Le requérant a introduit ses griefs vingt-six jours après cette date, soit le 8 mars 2017.

15. Le requérant a ainsi soumis l’ensemble de ses griefs à la Cour en dehors du délai de six mois. Pour justifier ce retard, il explique principalement qu’il se trouvait en détention de manière ininterrompue en Turquie, qu’il ne pouvait contacter ses proches, eux aussi incarcérés, qu’il était surtout occupé de défendre ses droits en Turquie et que son accès à un avocat était restreint. Or, selon ses dires, le 8 mars 2017 il se trouvait toujours en détention mais il a pourtant réussi à saisir la Cour grâce aux services d’un avocat. En particulier, le requérant affirme avoir rencontré un avocat et ce dernier a déposé la requête aussi vite que possible. Cependant, l’intéressé ne précise pas si les autorités turques lui avaient imposé une interdiction totale de rencontrer un avocat après son retour en Turquie et dans l’affirmative, à partir de quelle date il avait l’autorisation de rencontrer son avocat. Il ne précise par ailleurs pas les dates relatives à ces visites (paragraphe 7 ci-dessus). Ainsi, le requérant n’affirme pas que l’accès à un avocat ait été complètement interdit pendant le délai de six mois pour le dépôt d’une requête. En outre, il n’a pas présenté d’éléments tangibles expliquant en quoi la situation en Turquie à l’époque examinée aurait eu des répercussions concrètes sur sa situation personnelle, et l’aurait empêché ainsi de saisir la Cour.

16. Au regard de ces considérations, la Cour est dans l’impossibilité de constater que le requérant ait été privé de tout lien avec le monde extérieur pendant le délai de six mois dont il disposait pour introduire sa requête, même si au cours de cette période il se trouvait en prison. Elle ne décèle dans le dossier aucun autre élément justifiant de déroger à la règle impérative des six mois et considère dès lors que la requête est tardive.

17. Il convient dès lors de la rejeter en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 1er septembre 2022.

Ilse Freiwirth Iulia Antoanella Motoc
Greffière adjointe Présidente