Přehled
Rozhodnutí
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 34690/21
Monica PANAET
contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 5 juillet 2022 en un comité composé de :
Yonko Grozev, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,
Vu la requête no 34690/21 dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante roumaine, Mme Monica Panaet (« la requérante »), née en 1981 et résidant à Roșu, a saisi la Cour le 26 juin 2021 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. La requérante était ingénieur responsable d’une équipe d’ouvriers. Le 31 juillet 2015, un accident du travail survint sur le chantier supervisé par l’intéressée, à la suite duquel B.C.I. fut gravement blessé.
2. Par un procès-verbal établi le 14 décembre 2015, l’inspection du travail constata que l’accident résultait du non-respect des normes de protection relatives à la sécurité au travail.
3. Par un réquisitoire du 25 octobre 2017, le parquet renvoya la requérante et S.M. en jugement devant le tribunal de première instance de Sinaia (« le tribunal de première instance ») des chefs de non-respect des normes légales relatives à la sécurité au travail et de blessures involontaires. Il était reproché à l’intéressée de n’avoir pas pris, en méconnaissance des activités et missions décrites dans la fiche du poste qu’elle occupait, les mesures nécessaires pour empêcher B.C.I. d’effectuer un travail risqué ne faisant pas partie de ses tâches et pour lequel il n’avait pas été formé.
4. Les témoins interrogés par le tribunal de première instance déclarèrent qu’ils n’avaient pas entendu la requérante désigner B.C.I. pour effectuer le travail à la suite duquel il s’était blessé. L’ouvrier S.D. affirma que l’intéressée lui avait assigné la tâche en question alors que B.C.I. déclara que la requérante avait demandé à deux ouvriers de participer à son exécution.
5. Une expertise technique fut réalisée à la demande du tribunal par un expert accompagné de deux autres experts, dont un désigné par la requérante. L’un des objectifs de l’expertise visait à déterminer, à la demande de la requérante, si, compte tenu de la topographie du lieu et de l’endroit où la requérante se trouvait au moment de l’accident, elle aurait pu observer, de manière objective, l’activité de B.C.I. D’après le rapport, l’expert constata à cet égard que l’intéressée aurait eu la possibilité d’observer B.C.I. et conclut que l’accident du travail résultait du non-respect des normes relatives à la sécurité au travail. L’expert désigné par la requérante apporta certaines modifications au rapport d’expertise et le signa.
6. La requérante présenta des objections au rapport d’expertise, soutenant que l’expert avait exprimé des opinions sur des aspects qui excédaient sa compétence et que certaines de ses conclusions n’étaient pas justifiées. Elle soutint aussi que la réponse donnée par l’expert à la question qu’elle avait posée était imprécise et sans justifications techniques.
7. Le 25 février 2020, le tribunal de première instance rejeta les objections formulées par l’intéressée, au motif que le rapport d’expertise avait répondu à toutes les questions posées, que la requérante avait désigné un expert qui avait apporté des modifications au rapport et l’avait signé, et que les objections en question représentaient des arguments sur le fond de l’affaire.
8. Le 9 juin 2020, la requérante demanda au tribunal de première instance d’interroger l’expert qui avait réalisé l’expertise technique, étant donné que selon elle des éclaircissements supplémentaires étaient nécessaires. Le tribunal rejeta cette demande, au motif que l’expert avait répondu de manière détaillée à toutes les questions posées et avait fourni des explications pour justifier ses conclusions.
9. Lors de la tenue des débats sur le fond, la requérante contesta les conclusions du rapport d’expertise.
10. Par un jugement du 23 juin 2020, le tribunal de première instance examina les deux chefs susmentionnés et prononça contre la requérante une peine de deux ans de prison avec sursis. Pour condamner l’intéressée, il se fonda sur un ensemble d’éléments de preuve, parmi lesquels la déclaration du coinculpé S.M. et celle de la requérante, les dépositions des témoins (paragraphe 4 ci-dessus), les conclusions de l’enquête menée par l’inspection du travail (paragraphe 2 ci-dessus), des photos prises sur le lieu de l’accident, les conclusions de l’expertise technique et la description des activités et missions figurant dans la fiche du poste que la requérante occupait.
11. L’intéressée interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel de Ploiești (« la cour d’appel »). Elle critiqua d’abord le rapport d’expertise. Elle fit valoir ensuite que, bien qu’il ressortît des preuves et surtout des dépositions des témoins qu’elle n’avait pas donné l’instruction à B.C.I. d’exécuter la tâche en question, le tribunal de première instance l’avait condamnée sur le fondement de la déposition faite par B.C.I. Elle contesta également la peine infligée. Elle demanda enfin à la cour d’appel d’ordonner un supplément d’expertise et, subsidiairement, l’interrogatoire de l’expert.
12. Le 8 octobre 2020, la cour d’appel rejeta la demande de la requérante tendant à ordonner un supplément d’expertise, au motif que les éléments de preuve administrés dans la procédure au fond, y compris les témoignages, étaient suffisants pour établir les faits.
13. Les témoins n’auraient pas été entendus pendant la procédure d’appel.
14. Par un arrêt définitif du 26 novembre 2020, la cour d’appel confirma la condamnation pénale de la requérante des deux chefs d’accusation. Elle constata que les dépositions des témoins étaient contradictoires. Elle jugea qu’en tout état de cause, compte tenu des activités et missions décrites dans la fiche du poste que l’intéressée occupait, il n’était pas pertinent de savoir si celle-ci avait ou non désigné B.C.I. pour exécuter la tâche en cause. La requérante était responsable de superviser les activités du chantier et devait s’assurer que celles-ci étaient exécutées dans le respect des normes relatives à la sécurité au travail, cette mission dont elle devait s’acquitter n’avait pas, selon la juridiction d’appel, été accomplie correctement. La cour d’appel réduisit la peine infligée à l’intéressée à un an et onze mois de prison avec sursis.
15. Invoquant l’article 6 §§ 1, 2 et 3 d) de la Convention, la requérante allègue que la cour d’appel n’a pas pris en compte les déclarations des témoins qui lui étaient favorables et qu’elle les a écartées sans entendre ces témoins. Elle se plaint aussi du rejet par les juridictions nationales de ses demandes tendant à ordonner un supplément d’expertise et à auditionner l’expert. Elle considère enfin que son droit à la présomption d’innocence n’a pas été respecté par la cour d’appel, au motif que cette juridiction n’a pas attaché suffisamment de poids aux témoignages qui lui étaient favorables.
APPRÉCIATION DE LA COUR
16. La Cour rappelle que l’admissibilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne. La tâche assignée à la Cour par la Convention ne consiste pas à se prononcer sur le point de savoir si des témoignages ou une expertise ont été à bon droit admis comme preuves, mais à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d’autres, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 250, CEDH 2016).
17. S’agissant des allégations de la requérante selon lesquelles la cour d’appel n’a pas attaché suffisamment de poids aux déclarations des témoins, la Cour n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et ne saurait remettre en cause sous l’angle de l’article 6 § 1 l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf en cas de conclusions arbitraires ou manifestement déraisonnables (Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 61, CEDH 2015). Or, en l’espèce, la cour d’appel a fait sa propre interprétation des dépositions des témoins et a expliqué les raisons qui l’ont décidée à ne pas en tenir compte (paragraphe 14 ci-dessus).
18. En l’espèce, la cour d’appel n’a pas entendu directement les témoins. Toutefois, à la différence des affaires Ovidiu Cristian Stoica c. Roumanie (no 55116/12, § 42, 24 avril 2018) et Dan c. Moldova (no 8999/07, § 30, 5 juillet 2011) – citées par l’intéressée, affaires dans lesquelles les requérants alléguaient que la juridiction de recours les avait condamnés pénalement en l’absence d’administration directe des preuves alors qu’ils avaient été acquittés par la juridiction de première instance sur le fondement des mêmes éléments – en l’espèce, la requérante a été condamnée pénalement tant en première instance qu’en appel. En outre, la juridiction d’appel n’a pas fondé sa décision sur les dépositions des témoins mais plutôt sur la description des activités et missions figurant dans la fiche du poste que l’intéressée occupait, un élément à forte valeur probante n’ayant aucun lien avec les auditions des témoins (paragraphe 14 ci-dessus).
19. S’agissant du rejet des demandes de la requérante tendant à ordonner un supplément d’expertise ou à auditionner l’expert, l’exigence d’un procès équitable n’impose pas à un tribunal l’obligation d’ordonner une expertise ou toute autre mesure d’instruction du seul fait qu’une partie l’a demandée (Hodžić c. Croatie, no 28932/14, § 61, 4 avril 2019). De même, lorsque la défense insiste pour que le tribunal recueille d’autres éléments de preuve (tels qu’un rapport d’expert), il appartient aux juridictions internes de décider s’il est nécessaire ou souhaitable d’accepter ces éléments de preuve pour examen lors du procès (Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie (no 2), nos 42757/07 et 51111/07, § 487, 14 janvier 2020).
20. En l’espèce, une expertise technique a été ordonnée par le tribunal de première instance. La requérante a pu désigner un expert qui y a participé, a apporté des modifications au rapport d’expertise et l’a signé sans formuler de commentaires. L’intéressée a été informée du contenu de l’expertise qu’elle a pu contester lors des débats sur le fond de l’affaire (paragraphes 5 et 9 ci‑dessus ; voir, mutatis mutandis, Klimentïev c. Russie, no 46503/99, § 97, 16 novembre 2006). La Cour estime que le refus par les juridictions nationales d’ordonner un supplément d’expertise ou d’interroger l’expert n’apparaît pas arbitraire, tant le tribunal de première instance que la cour d’appel ont motivé leur décision par des éléments objectifs (paragraphes 7, 8 et 12 ci‑dessus).
21. De surcroît, la requérante a pu, conformément au principe du contradictoire, présenter et faire examiner par les juridictions nationales les arguments qu’elle jugeait pertinents pour sa cause. En outre, les décisions qui ont été rendues sont motivées et dénuées d’arbitraire.
22. S’agissant enfin de la présomption d’innocence, la Cour rappelle que celle-ci se trouve méconnue si, sans établissement légal préalable de la culpabilité d’un prévenu, une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment qu’il est coupable (voir, mutatis mutandis, Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, 6 décembre 1988, § 91, série A no 146). En l’occurrence, il ne ressort pas du dossier que les juridictions nationales aient pris, pendant la procédure, des décisions ou qu’elles aient eu des attitudes révélant un tel sentiment.
23. Compte tenu de ce qui précède et de ce que l’équité de la procédure doit être examinée dans son ensemble, il convient de conclure que l’article 6 §§ 1, 2 et 3 d) n’a pas été méconnu en l’espèce. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 1er septembre 2022.
Crina Kaufman Yonko Grozev
Greffière adjointe f.f. Président