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TROISIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 22677/21
Mohamed-Amin KOUT
contre le Luxembourg
La Cour européenne des droits de l’homme troisième section, siégeant le 14 juin 2022 en un comité composé de :
Georgios A. Serghides, président,
Georges Ravarani,
Darian Pavli, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête no 22677/21 contre le Luxembourg et dont un ressortissant belge, M. Mohamed-Amin Kout (« le requérant ») né en 1980 et résidant à Bruxelles, représenté par Me R. Schons, avocat à Luxembourg, a saisi la Cour le 27 avril 2021 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. La requête concerne l’équité d’une procédure pénale diligentée à l’encontre du requérant pour vol à l’aide d’effraction, blanchiment-détention et association de malfaiteurs dans le cadre d’un vol de produits de tabac au préjudice d’une station-service fermée la nuit.
2. Les empreintes digitales du requérant furent constatées sur le verre de la porte d’entrée de la station-service et un bouton contenant son ADN fut trouvé au sol près de la caisse. Les images de la caméra de vidéo-surveillance montraient que deux hommes (non identifiables) avaient forcé la porte d’entrée en écartant les volets coulissants et s’étaient dirigés vers les caisses pour y soustraire un grand nombre de paquets de tabac et de cigarettes.
3. Le 11 juin 2019, lors d’une audience publique en première instance, le requérant et trois témoins furent entendus, à savoir les enquêteurs de police S et M, et la gérante de la station-service L. Devant les juges, S et M confirmèrent leurs constatations policières faites sur les lieux. L témoigna que le nettoyage de la porte se faisait uniquement en cas de besoin et qu’en principe le sol de la station-service était nettoyé tous les soirs. L ne pouvait pas préciser si tel avait été le cas le soir avant le vol. Devant le tribunal, le requérant expliquait la présence de ses empreintes sur la porte par le fait qu’en tant que client régulier, il passait souvent à la station-service.
4. Le 11 juillet 2019, le tribunal correctionnel acquitta le requérant. Il estimait qu’il n’était pas établi à l’exclusion de tout doute que le bouton et les empreintes sur le verre de la porte, trouvés par la police le lendemain matin du cambriolage, y aient été déposés la nuit précédente ni, en conclusion, que le requérant était l’un des auteurs du vol.
5. Le 22 janvier 2020, la Cour d’appel réforma le jugement, après avoir réentendu le requérant mais sans avoir procédé d’office (le requérant ne le sollicitant pas) à une ré-audition, lors de l’audience en appel, des témoins S, M et L. Elle constata que les faits avaient été correctement décrits par les premiers juges et se rapporta à l’exposé fait par ceux-ci, estimant cependant nécessaire de revoir la qualification des faits.
Dans le cadre de son analyse, elle s’appuya sur les images de la caméra de vidéo-surveillance ainsi que les traces d’ADN sur le bouton et les empreintes trouvées sur la porte. Elle nota que, selon un rapport de police, seulement trois empreintes (dont deux du requérant) étaient présentes sur la porte, et cita par ailleurs le passage de la déposition de S en première instance où il précisait le nombre et l’endroit des empreintes sur la porte. Elle estima que l’explication du requérant selon laquelle la porte coulissante automatique était bloquée de sorte qu’il fallait la repousser des mains n’était pas crédible, car dans ce cas il aurait dû y avoir des empreintes de plusieurs personnes. Elle ajouta que les empreintes et les traces d’ADN attestaient certes seulement que la personne avait été à un moment donné dans tel lieu ou en contact avec tel objet, mais que les traces avaient, en l’occurrence, été trouvées sur le chemin précis suivi par les deux cambrioleurs sur les images de la caméra de vidéo-surveillance. Dans ces circonstances, la Cour d’appel estima que la présence du suspect était présumée et appelait de sa part des éclaircissements. Or, elle releva que les explications du requérant - qui, lors de l’audience d’appel, n’avait plus maintenu avoir été un client régulier de la station-service - étaient divergentes devant le juge d’instruction, en première et deuxième instance. Quant à la présence des empreintes, elle mit en évidence qu’en première instance, le requérant avait affirmé que « lors d’un de ses passages, il avait oublié que les portes d’entrée étaient coulissantes, de sorte qu’il a[vait] appuyé pour les ouvrir », alors qu’en appel, il ne précisait plus avoir été fréquemment dans cette station-service et semblait se souvenir qu’il arrivait que la porte coulissante fût bloquée et qu’il fût obligé de l’ouvrir de ses mains. Enfin, elle remarqua que le requérant ne s’en était pas tenu à la vérité quant à sa situation personnelle. Tous ces éléments réunis l’amenèrent à la conviction que le requérant avait participé au cambriolage. Elle confirma en revanche l’acquittement prononcé concernant l’infraction d’association de malfaiteurs.
6. Le 14 janvier 2021, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en cassation, dont un moyen par lequel le requérant reprochait à la Cour d’appel de l’avoir déclaré coupable, sans avoir procédé à une nouvelle audition des témoins entendus en première instance. Elle estima que le requérant ne tentait qu’à remettre en discussion l’appréciation de la pertinence d’une nouvelle audition des témoins (qu’il n’avait pas sollicitée) par la Cour d’appel, qui avait considéré que les éléments de preuve matériels au dossier et les explications divergentes fournies par le requérant, étaient suffisants pour emporter leur conviction quant à sa culpabilité.
7. Le requérant se plaint sous l’article 6 § 3 d) de l’inversement de son acquittement en première instance par la Cour d’appel sans ordonner une nouvelle audition des témoins à charge en appel.
APPRÉCIATION DE LA COUR
8. La Cour a rappelé les principes généraux relatifs à l’omission par une juridiction d’appel de réauditionner des témoins avant d’inverser un acquittement en première instance dans l’arrêt Zirnīte c. Lettonie (no 69019/11, §§ 45-48, 11 juin 2020).
9. D’emblée, la Cour note que la Cour d’appel a apprécié la question de la culpabilité du requérant après l’avoir entendu en personne et lui avoir donné l’occasion de faire valoir tous ses arguments. À cet égard, les garanties procédurales établies par la jurisprudence de la Cour ont dès lors été remplies (Ignat c. Roumanie, no 17325/16, §§ 49 et 57, 9 novembre 2021).
10. Quant à la question de la nécessité de réentendre les témoins, la Cour note que la Cour d’appel de Luxembourg a pleine compétence pour connaître d’une affaire en fait et en droit et étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence du requérant. Ceci implique, en principe, que la Cour d’appel ne saurait, pour des motifs d’équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des moyens de preuve et reconnaître coupable un requérant sur la base des témoignages mêmes qui avaient suffisamment fait douter le tribunal du bien-fondé de l’accusation à son encontre pour motiver son acquittement (voir, par exemple, Lorefice c. Italie, no 63446/13, § 36, 29 juin 2017).
11. La question à examiner en l’espèce, au vu des principes applicables en la matière, est celle de savoir si la procédure contre le requérant, prise dans son ensemble, a été équitable à la lumière des caractéristiques spécifiques de cette procédure (Ignat, précité, § 47). Dans ce contexte - et pour autant que la Cour d’appel n’a pas réinterprété les faits établis par la juridiction de première instance, estimant nécessaire de revoir la qualification des faits retenue par ces derniers - il faut tenir compte du fait que « les faits et l’interprétation juridique peuvent être imbriqués à un point tel qu’il est difficile de les séparer les uns des autres » (Júlíus Þór Sigurþórsson c. Islande, no 38797/17, § 37, 16 juillet 2019).
12. La Cour d’appel ne s’est pas référée aux dépositions de M et L faites en première instance. Certes, elle a cité un passage de la déposition que l’enquêteur S avait fait en première instance. Toutefois, ce témoin ne faisait que préciser le nombre et l’endroit des empreintes sur la porte coulissante, une information qui ressortait déjà des rapports de police. Et la Cour d’appel n’a pas examiné la fiabilité et la crédibilité de ce témoin (voir, mutatis mutandis, Marilena-Carmen Popa c. Roumanie, no 1814/11, § 46, 18 février 2020), s’appuyant, après un examen approfondi des preuves, sur un ensemble d’éléments qui, réunis, l’ont amenée à la conviction que le requérant avait participé au cambriolage. Il ressort donc de l’arrêt du 22 janvier 2020 que le témoignage de S n’était pas décisif pour la condamnation du requérant (Zirnīte, précité, §§ 53-54).
13. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’omission de la Cour d’appel d’entendre à nouveau les témoins avant d’infirmer le verdict d’acquittement dont le requérant avait bénéficié en première instance, n’a pas porté atteinte à l’équité du procès.
14. Dans ces conditions, la Cour conclut que le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
15. Le requérant a également soulevé d’autres griefs sous l’angle de divers articles de la Convention.
16. La Cour constate, au vu de l’ensemble des éléments en sa possession, et pour autant que les faits litigieux relèvent de sa compétence, que ces griefs soit ne satisfont pas aux critères de recevabilité énoncés aux articles 34 et 35 de la Convention, soit ne font apparaître aucune apparence de violation des droits et libertés consacrés par la Convention ou ses protocoles.
17. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 7 juillet 2022.
Olga Chernishova Georgios A. Serghides
Greffière adjointe Président