Přehled
Rozsudek
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE SZEWCZYKOWIE c. POLOGNE
(Requête no 51832/13)
ARRÊT
STRASBOURG
9 juin 2022
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Szewczykowie c. Pologne,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :
Erik Wennerström, président,
Krzysztof Wojtyczek,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête (no 51832/13) dirigée contre la République de Pologne et dont deux ressortissants de cet État, Mme Maria Szewczyk et M. Piotr Szewczyk (« les requérants »), nés respectivement en 1954 et en 1959 et résidant à Iwierzyce, représentés par Me A. Niżankowska-Horodecka, avocate à Cracovie, ont saisi la Cour le 6 août 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter à la connaissance du gouvernement polonais (« le Gouvernement »), représenté par ses agents, d’abord Mme J. Chrzanowska puis M. J. Sobczak, tous deux du ministère des Affaires étrangères, le grief formulé sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 mai 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
OBJET DE L’AFFAIRE
1. La présente affaire concerne l’atteinte au droit à un tribunal que les requérants estiment avoir subi à raison de l’obligation qui leur a été faite de payer des frais, selon eux trop élevés, pour le dépôt de leur appel contre un jugement rendu en leur défaveur.
2. Par un jugement qu’ils contestèrent en appel, les requérants avaient été condamnés solidairement à rembourser environ 634 000 dollars américains (USD) à leur adversaire et à payer des frais de procédure et des frais d’avocat s’élevant respectivement à 101 691 (environ 25 000 euros) et à 10 000 zlotys polonais (PLN). Dans le cadre de la procédure d’appel, les intéressés présentèrent une demande d’exonération du paiement de la part excédant 10 000 PLN des frais afférents à ce recours, indiquant qu’ils pourraient payer la somme de 10 000 PLN en contractant un emprunt fait auprès de leurs proches. Dans la déclaration de ressources qu’ils avaient jointe au dossier, ils exposaient que l’ensemble des biens immobiliers leur appartenant étaient grevés d’hypothèques et de crédits, que plusieurs composantes de leur patrimoine étaient indispensables à la poursuite de leur activité économique, que les revenus que l’activité en question leur procurait étaient insuffisants pour payer les frais de gestion de leur dette, que leur capacité d’emprunt était nulle en conséquence de leur taux d’endettement élevé et que le solde de leur compte bancaire d’un montant de 41 969 PLN ne pouvait être librement dépensé par eux.
3. Les juridictions nationales statuant sur la demande des requérants décidèrent de les exonérer du paiement de la part excédant 60 000 PLN des frais exigibles pour le dépôt de leur appel. Reconnaissant dans les motifs de leurs décisions que la situation financière des requérants était délicate, elles estimèrent, eu égard à la valeur du patrimoine des intéressés et à celle de leur épargne, que ceux-ci étaient en mesure de payer les frais exigés pour le dépôt de leur recours. Elles observèrent tout particulièrement que, compte tenu du type d’activité économique exercée par les requérants et des revenus que celle-ci leur procurait, les intéressés auraient dû réunir au préalable les fonds pour payer les frais de procédure. Notant que la somme présente sur le compte bancaire des requérants n’avait pas été saisie par un huissier de justice, que les revenus des intéressés provenaient de sources diverses et que ceux-ci avaient eux-mêmes déclaré pouvoir se procurer la somme de 10 000 PLN, elles conclurent que les requérants n’avaient pas satisfait aux conditions requises pour bénéficier de l’exonération demandée.
4. Le 18 février 2013, l’appel des intéressés fut déclaré irrecevable au motif que les frais exigibles pour le dépôt de ce recours n’avaient pas été payés.
5. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants allèguent que leur droit d’accès à un tribunal a été méconnu à raison de l’obligation qui leur avait été faite de payer 60 000 PLN pour le dépôt de leur appel.
L’APPRÉCIATION DE LA COUR
6. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
7. Le Gouvernement soutient que la situation financière des requérants, telle qu’exposée par eux dans leur déclaration de ressources, a fait l’objet d’un examen approfondi de la part de juridictions nationales, lesquelles, indique-t-il, ont tiré de leur analyse sur ce point les conclusions qui s’imposaient et ont dûment motivé leurs décisions afférentes. Il indique de plus que les intéressés ont été exonérés par le juridictions nationales du paiement d’une part équivalant à 40 % du montant total des frais litigieux.
8. Les requérants contestent les arguments du Gouvernement.
9. Les principes généraux applicables dans ce type d’affaires ont été exposés dans de nombreux arrêts (voir, par exemple, Kreuz c. Pologne (no 1), no 28249/95, CEDH 2001-VI, Nieruchomosci sp. z o.o. c. Pologne, no 32740/06, § 29, 2 février 2010, et Elcomp sp. z o.o. c. Pologne, no 37492/05, § 42, 19 avril 2011).
10. En l’espèce, après une analyse approfondie des observations des parties et de la jurisprudence pertinente, la Cour relève que le recours exercé par les requérants contre le jugement rendu en leur défaveur représentait pour eux un réel enjeu, eu égard, d’une part, au montant substantiel des sommes en litige et, d’autre part, à la situation financière dans laquelle les intéressés se trouvaient au moment du dépôt de leur appel. La Cour observe qu’il ne ressort pas des motifs des décisions des juridictions nationales que le refus d’exonérer les requérants du paiement des frais litigieux ait été motivé par le fait que le recours en question ait été manifestement voué à l’échec, et qu’il apparaît par conséquent que ce refus avait seulement pour but de protéger les intérêts pécuniaires du Trésor public et non de prévenir l’engorgement du rôle des tribunaux par des actions abusives ou dépourvues de toute chance de succès. La Cour estime en outre qu’il ne ressort pas des motifs en question que les éléments produits par les requérants pour démontrer leur incapacité à payer les frais afférents au dépôt de l’appel n’aient pas été suffisants ou dignes de foi.
11. Se référant toujours aux motifs des décisions des juridictions nationales, la Cour observe qu’il n’apparaît pas que lesdites juridictions aient répondu aux arguments des requérants concernant leur incapacité de payer les frais exigibles pour le dépôt de leur recours. Elle note de plus que les juridictions nationales – qui ont estimé que les requérants auraient dû veiller à réunir au préalable les fonds pour payer les frais de procédure en cause – se sont livrées à des hypothèses qui n’étaient pas véritablement corroborées par les éléments factuels que les intéressés leur avaient présentés. Elle observe de plus qu’en conséquence de décisions susmentionnées des juridictions nationales, les requérants ont dû se désister de leur recours et n’ont pas pu voir leur cause examinée par une juridiction d’appel.
12. Par ces motifs, la Cour conclut que l’obligation pour les requérants d’acquitter des frais de procédure a constitué une restriction disproportionnée à leur droit d’accès à un tribunal. Dès lors, elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
13. Les requérants demandent respectivement 980 000 et 25 000 euros (EUR) au titre du dommage matériel et moral qu’ils estiment avoir subi et 2 034 EUR pour les frais et dépens qu’ils disent avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour.
14. Le Gouvernement juge cette demande exorbitante et injustifiée.
15. La Cour ne distingue aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc la demande formulée à ce titre. En revanche, elle octroie aux requérants conjointement 7 800 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
16. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requérants la somme de 2 034 EUR pour les frais exposés dans la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme par eux.
17. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
- Déclare la requête recevable ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
- Dit,
a) que l’État défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans un délai de trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
- 7 800 EUR (sept mille huit cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral,
- 2 034 EUR (deux mille trente-quatre euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme par les requérants, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
- Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juin 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Liv Tigerstedt Erik Wennerström Greffière adjointe Président