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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ZOGRAFOS ET AUTRES c. GRÈCE
(Requête no 29744/13)
ARRÊT
STRASBOURG
19 mai 2022
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Zografos et autres c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :
Krzysztof Wojtyczek, président,
Erik Wennerström,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Attila Teplán, greffier adjoint de section f.f.,
Vu :
la requête (no 29744/13) dirigée contre la République hellénique et dont trente-quatre ressortissants de différentes nationalités (« les requérants ») ont saisi la Cour le 30 avril 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement ») les griefs relatifs aux articles 3 et 13 de la Convention pour autant qu’ils concernent la prison de Kassandra et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,
le fait que les gouvernements albanais et bulgare n’ont pas usé du droit que leur conférait l’article 36 § 1 de la Convention d’intervenir dans la procédure,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 avril 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La présente affaire concerne les conditions de détention dans la prison agricole de Kassandra.
EN FAIT
2. Les requérants, dont la liste figure en annexe, sont incarcérés dans la prison agricole de Kassandra dans le cadre d’une détention provisoire ou d’une décision de condamnation. Ils sont représentés par Mes E.-L. Koutra, avocate au barreau d’Athènes et X. Moisidou, avocate au barreau de Thessalonique.
3. Le Gouvernement a été représenté par les déléguées de son agent, Mes A. Dimitrakopoulou et M. Gerani, assesseures auprès du Conseil juridique de l’État.
- LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÉCE
4. Le tableau suivant indique les lieux et périodes de détention de chaque requérant dans la prison de Kassandra selon les observations du Gouvernement, les fiches de détenus et les certificats délivrés par le directeur de la prison, qui contiennent des informations détaillées sur les requérants, les dates de leur entrée, de leur libération ou de leur transfert, et les chambrées ou les locaux où ils ont été détenus. Les requérants ne présentent pas d’observations spécifiques sur ces données.
Requérant no | Local fermé Immeuble A (chambrée non précisée) | Local ouvert Immeubles B ou C/ salle des soins | Semi-liberté | Local spécial |
1 | 05/11/2012 – 11/11/2012 | 12/11/2012 – 25/06/2013 immeuble B, chambrée 8 | 26/06/2013 – 21/03/2014 | |
2 | 18/01/2013 – 13/02/2014 | 14/02/2014 – l5/04/2014 | ||
3 | 11/07/2012 – 18/07/2012 | 19/07/2012 – 06/03/2013 immeuble C, chambrée 12 | ||
4 | 05/11/2012 – 11/11/2012 | 12/11/2012 – 01/02/2013 immeuble B, chambrée 7 | 02/02/2013 – 23/01/2014 | |
5 | 15/11/2011 – 27/03/2013 lieu de détention non précisé 11/10/2013 – 22/11/2013 détenu à nouveau afin d’y purger une autre peine à la suite d’une nouvelle condamnation prononcée par un arrêt rendu le 13 mai 2013 | |||
6 | 13/12/2012 – 20/12/2012 | 21/12/2012 – 26/05/2013 immeuble B, chambrée 6 | 27/05/2013 – 26/07/2013 | |
7 | [salle des soins] 28/01/2013 – au moins jusqu’à la date de rédaction des observations complémentaires | |||
8 | 21/12/2012 – 02/01/2013 | 03/01/2013 – 16/04/2013 immeuble B, chambrée 8 | ||
9 | 18/12/2012 – 20/12/2012 | 21/12/2012 – 05/03/2013 immeuble B, chambrée 6 | ||
10 | 12/11/2012 – 28/04/2013 | 29/04/2013 – au moins jusqu’à la date de rédaction des observations complémentaires | ||
11 | 13/12/2012 – 20/12/2012 | 21/12/2012 – 25/04/2013 immeuble B, chambrée 6 | 26/04/2013 – 07/10/2013 | 08/10/2013 – 29/10/2013 |
12 | 28/01/2013 – 28/06/2013 | |||
13 | 21/12/2012 – 24/12/2012 | 25/12/2012 – 22/05/2013 immeuble C, chambrée 11 | 23/05/2013 – 30/05/2013 | |
14 | 05/05/2011–11/05/2011 | 12/05/2011 – 19/06/2013 immeuble C, chambrée 9 | ||
15 | 30/10/2012 – 01/11/2012 | 02/11/2012 – 02/01/2013 immeuble C, chambrée 11 | 03/01/2013 – 17/04/2013 | 18/04/2013 – 25/04/2013 |
16 | 13/12/2012 – 20/12/2012 | 21/12/2012 – 14/04/2013 immeuble B, chambrée 6 | 15/04/2013 – 03/11/2013 | 04/11/2013 – 21/02/2014 |
17 | 21/11/2012 – 24/11/2012 | 25/11/2012 – 26/09/2013 immeuble C, chambrée 12 | ||
18 | 16/07/2012 – 20/07/2012 | 21/07/2012 – 19/03/2013 immeuble B, chambrée 6 | 20/03/2013 – 28/03/2013 | |
19 | 21/12/2012 – 02/01/2013 24/10/2013 – 24/02/2014 | 03/01/2013 – 03/03/2013 immeuble C, chambrée 10 | 04/03/2013 – 23/10/2013 | |
20 | 18/12/2012 – 20/12/2012 | 21/12/2012 – 04/06/2013 immeuble B, chambrée 6 | 05/06/2013 – 04/12/2013 | 05/12/2013 – 20/12/2013 |
21 | 11/06/2012 – 20/06/2012 | 21/06/2012 – 15/08/2012 immeuble C, chambrée 12 | 16/08/2012 – 23/04/2013 | |
22 | 21/11/2012 – 24/11/2012 | 25/11/2012 – 19/04/2013 immeuble B, chambrée 8 | ||
23 | 21/12/2012 – 02/01/2013 | 03/01/2013 – 28/02/2013 immeuble C, chambrée 10 | ||
24 | 03/09/2012 – 05/09/2012 | 06/09/2012 – 22/01/2013 immeuble B, chambrée 8 | 23/01/2013 – 24/01/2013 | |
25 | 21/12/2012 – 23/12/2012 | 24/12/2012 – 18/04/2013 immeuble B, chambrée 7 | ||
26 | 17/09/2012 – 19/09/2012 | 20/09/2012 – 14/10/2012 immeuble C, chambrée 12 | 15/10/2012 – 22/08/2013 | 23/08/2013 – 23/09/2013 |
27 | 03/08/2012 – 07/08/2012 | 08/08/2012 – 24/05/2013 immeuble C, chambrée 12 | ||
28 | 26/10/2012 – 29/10/2012 11/11/2013 – 29/11/2013 | 30/10/2012 – 05/05/2013, immeuble B, chambrée 7 Il a enfreint la permission de sortie | ||
29 | 11/04/2012 – 18/04/2012 | 19/04/2012 – 26/03/2013 immeuble C, chambrée 10 | ||
30 | 17/08/2012 – 24/08/2012 | 25/08/2012 – 07/05/2013 immeuble C, chambrée 12 | 08/05/2013 – 07/08/2013 | |
31 | 03/09/2012 – 25/01/2013 | |||
32 | Période antérieure non précisée 11/10/2013 – 20/11/2013 | 21/11/2013 – date non précisée immeuble B, chambrée 8 | ||
33 | 16/01/2013 – 24/01/2013 | 25/01/2013 – 26/08/2013 immeuble C, chambrée 12 | ||
34 | 17/10/2012 – 29/10/2012 09/02/2013 – 23/01/2014 lieu de détention non précisé | 30/10/2012 – 06/02/2013, immeuble C, chambrée 11 [06/02/2013 – 09/02/2013 Il a enfreint la permission de sortie] |
5. Le 15 mars 2013, les requérants désignés sous les nos 1, 2, 4 à 8, 10 à 20, 22, 25 à 30 et 32 à 34, ainsi que trois autres codétenus, ont adressé une requête, fondée sur l’article 572 du code de procédure pénale, au procureur près le tribunal correctionnel de Polygyros (Εισαγγελέας Πλημμελειοδικών) qui était le procureur superviseur compétent pour la prison de Kassandra. Ils se plaignaient de leurs conditions de détention. Invoquant plusieurs dispositions de la Convention, ils demandaient la prise de mesures immédiates de nature à améliorer les conditions de détention. Les requérants allèguent qu’ils n’ont reçu aucune réponse du procureur superviseur et qu’il n’y a eu aucune amélioration des conditions de détention.
- La version des requérants concernant leurs conditions de détention
6. Les requérants soutiennent qu’ils ont été détenus dans des conditions inhumaines et dégradantes. En particulier, ils allèguent qu’ils disposaient d’un lit assemblable et d’un chevet, et qu’ils n’avaient que des oreillers atypiques, faits par les détenus à l’aide de vêtements. Faute de salle à manger, les détenus auraient mangé sur les lits dotés de matelas très sales et vieux. Les chambrées n’auraient été équipées ni de chaises ni de tables. Selon les requérants, le nombre des détenus par chambrée était d’environ 17 et chaque détenu avait moins de 3 m2 d’espace personnel. Les lits auraient été espacés de 20 centimètres.
7. Ils allèguent que dans chaque chambrée il y avait deux toilettes, dont l’une était transformée en lieu de douches d’où sortaient des rats. Ils disent que, en moyenne, une toilette correspondait à 17 personnes et que les conditions d’hygiène étaient primitives voire déplorables. Selon eux, il n’y avait ni machine à laver ni étuve et tout le linge devait être lavé à la main.
8. Les requérants affirment que les repas étaient de mauvaise qualité nutritionnelle, ce qui aurait contribué à l’affaiblissement de leur système immunitaire. D’après eux, de la viande n’était proposée qu’une fois par semaine et en très petite quantité, et ceux qui travaillaient dans la cuisine n’étaient pas testés pour des maladies infectieuses et contagieuses.
9. Les requérants ajoutent que le chauffage fonctionnait de 19 h 30 à 21 h 30, ce qui aurait été traumatisant pour les détenus, qui tremblaient de froid surtout pendant la nuit. Les détenus n’avaient à leur disposition qu’une couverture et ils dormaient vêtus de pull-overs. L’humidité aurait rendu l’environnement encore plus mauvais pour la santé.
10. Les requérants dénoncent également un manque d’activités récréatives, éducatives et de préparation à la réinsertion des détenus. Ils disent que les détenus n’avaient pas un accès suffisant aux informations (journaux, internet, par exemple). D’après eux, il y avait dans la cour de la prison seulement six téléphones pour plus de 170 détenus, qui étaient disponibles jusqu’à 17 h 30, heure de fermeture de la cour, mais inutilisables quand il pleuvait vu que la cour n’était pas couverte.
11. Ils allèguent que le suivi médical était insuffisant et que les installations sanitaires étaient partagées avec des personnes qui souffraient de maladies infectieuses et contagieuses. Ils disent qu’il n’y avait pas de médecin dans la prison, contrairement à ce que prévoyait la législation, ni de psychiatre, qu’un médecin se rendait dans le centre pénitentiaire une ou deux fois par semaine et qu’une infirmière s’occupait des besoins en médicaments. Ils allèguent que les détenus non-fumeurs étaient exposés au tabagisme passif. Ils indiquent que le requérant désigné sous le no 24 avait été atteint d’hépatites pendant sa détention, sans préciser dans quelle prison et sans fournir d’autres données médicales sur son état de santé. Aucune information concrète concernant en particulier l’état de santé des détenus n’a été fournie à la Cour.
12. Les requérants décrivent de façon générale, sans donner de précisions, que plusieurs détenus étaient des toxicomanes et que concernant le processus de désintoxication il n’y avait pas de soins médicaux. Ils allèguent que, dès leur incarcération, ces détenus étaient soumis à une « désintoxication abrupte », sans suivi médical par un spécialiste et un psychologue. Pendant les premiers jours, les toxicomanes auraient été complétement privés de traitements de substitution, ce qui aurait mis directement en danger leur intégrité physique et psychologique ou leur vie. Cependant, les requérants ne précisent pas qui étaient les détenus toxicomanes ni comment ceux-ci auraient été affectés par les carences alléguées du processus thérapeutique.
- La version du Gouvernement concernant les conditions de détention
13. Le Gouvernement affirme que la prison de Kassandra est une prison agricole qui appartient aux établissements pénitentiaires spéciaux, dont le fonctionnement est régi par l’article 19 du code pénitentiaire (loi no 2776/1999). Il dit que cet établissement est l’une des quatre prisons agricoles en Grèce qui se compose d’un établissement central et de trois annexes : Xenofontos, Karakalou et Pimniou.
14. L’établissement central se composait de trois immeubles qui hébergeaient les locaux de séjour de détenus, la cuisine, le four, la salle de repos, la bibliothèque, le dépôt des couvertures et lits, la laverie, le terrain de sports ainsi que le local spécial où séjournaient les étrangers en instance d’expulsion. Autour des immeubles il y avait une clôture de fil de fer barbelé.
15. Le local spécial où séjournaient les étrangers en instance d’expulsion était d’une superficie de 27,30 m2 et disposait d’un cabinet de toilette et d’une douche. Il était équipé de lits, de cintres, d’un téléviseur, d’une table et d’un réfrigérateur et il pouvait accueillir jusqu’à quatre personnes, soit environ 6,5 m2 par personne.
16. L’établissement central comprenait l’immeuble des services administratifs, un dispensaire, une dentisterie, une pharmacie, une salle de visites, une supérette et une salle de loisirs. Les locaux de l’établissement central auraient aussi comporté des unités de production animale et végétale, des ateliers de travaux électriques, d’ingénierie et de menuiserie, des entrepôts, une église, les chambres du personnel ainsi qu’un immeuble destiné aux détenus en régime de semi-liberté qui s’appelaient « logotimites » (« λογοτιμιτές »), c’est-à-dire ceux qui honorent leur parole.
17. Selon un document établi par le directeur de la prison, les détenus de la prison séjournaient dans les trois immeubles A, B et C, à l’exception des détenus en semi-liberté. L’immeuble A, un local fermé, aurait compris les chambrées nos 1 à 4. Les immeubles B et C, des locaux ouverts, auraient compris les chambrées nos 5 à 12. Les détenus de l’immeuble A auraient été considérés comme des détenus de prison fermée. Les détenus des immeubles B et C seraient quotidiennement sortis pour les travaux agricoles. Les deux types d’immeubles n’auraient été séparés que par une simple clôture basse.
18. Le Gouvernement expose que chacun des trois immeubles comprenait quatre chambrées, soit un total de douze chambrées. Chaque chambrée aurait été d’une superficie de 80 m2 et d’une capacité à héberger de 15 à 20 détenus. La capacité officielle de la prison aurait été de 280 à 300 détenus mais la population carcérale aurait été, durant la période en cause, nettement en deçà de cette capacité. En particulier, le nombre des détenus se serait élevé à 184 au 9 mai 2014, à 168 au 18 juillet 2013, à 175 au 1er janvier 2013 et à 139 au 1er octobre 2012. Le Gouvernement indique aussi que le nombre moyen de détenus était de 166, ce que confirment selon lui les allégations des requérants selon lesquelles il y avait six postes de téléphone pour plus de 170 personnes. Par ailleurs, environ 66 des détenus auraient été en semi-liberté, soit environ 100 détenus séjournant dans les douze chambrées précitées. Le Gouvernement affirme que, chaque chambrée étant d’une superficie de 80 m2, chaque détenu aurait eu à sa disposition 8 m2 en moyenne.
19. Le Gouvernement indique que chaque chambrée était composée du local de séjour et de deux sanitaires dont l’un servait de douche. Il allègue aussi que la rénovation des sanitaires avait été confiée à une société de construction.
20. Il ajoute que le local principal était équipé d’un lit avec matelas pour chaque détenu et de cintres, que les détenus pouvaient se procurer des oreillers auprès de la superette de la prison et que les chambrées étaient dotées d’un réfrigérateur, d’un téléviseur et d’une table avec banc pour que les détenus pussent y manger et écrire.
21. Le Gouvernement expose que de deux côtés de chaque chambrée il y avait trois fenêtres de 1,60 m x 1,80 m et que dans chaque sanitaire il y avait une fenêtre-hublot de 0,50 m à 0,60 m de diamètre. Les locaux en question étaient selon lui éclairés à l’électricité et aérés à l’aide de deux ventilateurs.
22. Les détenus étaient placés dans les douze grandes chambrées des immeubles de l’établissement central en vertu d’une décision du conseil de la prison. Les détenus placés dans les locaux ouverts avaient la faculté de travailler au sein des différentes équipes de travail sous surveillance et, après un certain temps, ils pouvaient être affectés à des postes de travail qualifié (à l’étable, l’atelier d’ingénierie etc.) et séjournaient dans l’immeuble de l’établissement central réservé aux détenus en semi-liberté ou dans les annexes. Les détenus placés dans le local fermé ne pouvaient pas participer aux travaux agricoles ou d’élevage avant d’avoir séjourné pendant un certain temps dans la prison et d’être qualifiés de détenus en semi-liberté, pouvant être admis au local ouvert de la prison. Cependant, ces détenus pouvaient être affectés à d’autres postes de travail (par exemple dans la cuisine ou au nettoyage).
23. Le Gouvernement dit que tous les détenus pouvaient regarder la télévision et écouter la radio ainsi qu’assister à divers évènements dans la salle de loisirs. Selon lui, au cours de l’année 2012, un programme de formation intitulé « conseil aux détenus » était assuré tous les jeudis et vendredis.
24. Selon lui, la prison disposait du chauffage central au fioul et il y avait tous les jours de l’eau chaude entre 12 et 13 heures et le soir de 20 à 22 heures. Lorsqu’il faisait froid, le chauffage était d’après lui prolongé.
25. Le Gouvernement a produit un programme quotidien pour les détenus du local fermé et du local ouvert, selon lequel ceux-ci devaient rester dans les dortoirs du coucher du soleil jusqu’à 7 h 30 puis de 13 h 30 à 14 h 30. Il précise que le programme quotidien des autres détenus était adapté aux particularités de chaque cas et du travail qui leur était confié. Ainsi, selon les besoins des animaux, certains détenus affectés à l’étable ne restaient pas dans les dortoirs. Une certaine confiance aurait été accordée aux détenus qui pour cette raison s’appelaient « logotimites ».
26. Le Gouvernement dit que les repas étaient servis trois fois par jour : le petit-déjeuner à 7 h 30, le déjeuner à 13 heures et le dîner trente minutes avant le coucher du soleil, et qu’ils comprenaient de la viande, du poisson, des féculents, des légumes et des fruits. Il présente divers menus du 2012, 2013 et 2014. Il ajoute qu’un espace spécial réservé à la restauration était situé en dehors de la cuisine et était équipé de tables en ciment et de chaises. Il s’agissait d’un réfectoire extérieur couvert utilisé notamment à partir du printemps.
27. Le Gouvernement expose que des détergents et des désinfectants étaient achetés et fournis chaque jour aux détenus. Il dit qu’au moins tous les trois mois une désinfection, une désinsectisation et une dératisation étaient effectuées. Il a produit des factures, des bons de livraison et d’autres éléments de preuve.
28. Le Gouvernement dit que la prison disposait aussi d’un dispensaire, d’une salle de soins dentaires, d’une pharmacie et d’une salle de soins d’une capacité de 10 lits. Il allègue qu’un médecin généraliste de l’établissement de santé public (κέντρο υγείας) se rendait dans les locaux trois jours par semaine. Il ajoute qu’une infirmière était en poste dans la prison tous les matins et qu’un dentiste s’y rendait un jour par semaine et chaque fois qu’il y avait une urgence. Il affirme que le dispensaire recevait quotidiennement des détenus et ceux qui ne pouvaient pas y être traités étaient renvoyés dans les établissements de santé publics extérieurs et dans les hôpitaux.
29. Le Gouvernement dit que des articles d’hygiène personnelle étaient fournis aux détenus par la prison et qu’il y avait un local à vêtements et à chaussures pour ceux qui en avaient besoin.
30. Le Gouvernement affirme que toutes les mesures de prévention étaient prises en cas de maladies infectieuses. Des tests de dépistage et des vaccinations facultatives auraient eu lieu et la prison se serait procuré des médicaments antiviraux. Des produits antiseptiques auraient été placés dans tous les locaux de la prison et des masques, des blouses et des gants jetables auraient été achetés.
31. Tous les détenus auraient subi un test de dépistage de la tuberculose et parfois des radiographies ou des contrôles des poumons auraient été faites. Les détenus atteints de tuberculose auraient été placés en isolement et auraient reçu un traitement médical approprié. Une liste a été fournie indiquant les noms des requérants, les dates des soins médicaux et dentaires reçus. Dans la cuisine seuls les détenus ayant subi un contrôle de santé auraient été employés.
32. Le Gouvernement affirme que la prison disposait de neuf cabines de téléphones à carte qui étaient placées dans la cour du local ouvert et du local fermé. Pour les besoins des détenus en semi-liberté il y aurait eu aussi trois cabines téléphoniques supplémentaires et un poste de téléphone dans chacune des annexes Karakalou et Poimniou.
- LE CADRE JURIDIQUE ET LA PARTIQUE INTERNE PETINENTS
- Le droit et la pratique internes pertinents
33. En ce qui concerne le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce, la Cour renvoie à sa décision Chatzivasiliadis c. Grèce (no 51618/12, §§ 17-21, 26 novembre 2013) et à son arrêt Kanakis c. Grèce (no 2) (no 40146/11, § 62, 12 décembre 2013).
34. Plus particulièrement, l’article 19 du code pénitentiaire, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, disposait en sa partie pertinente en l’espèce :
« 1. Les établissements pénitentiaires sont répartis en établissements a) généraux b) spéciaux et c) thérapeutiques.
(...)
3. Les établissements spéciaux sont les prisons agricoles, le Dépôt central du matériel de prisons, les établissements pénitentiaires pour mineurs et les centres de placement en régime de semi-liberté. (...) ».
35. En ce qui concerne le rôle du médiateur de la République, autorité administrative indépendante, consacrée par l’article 103 § 9 de la Constitution, la Cour renvoie à son arrêt Zabelos et autres c. Grèce, no 1167/15, § 36, 17 mai 2018).
- La visite du médiateur de la République dans la prison de Kassandra
36. Le 22 janvier 2014, le médiateur de la République effectua une visite dans la prison de Kassandra à la suite d’une plainte dont il avait été saisi concernant les conditions de détention dans cet établissement et sur la base des articles 4 § 5 de la loi no 3094/2003 et 52 § 7 du code pénitentiaire, qui l’autorisent à faire des visites dans les lieux de détention. Il agissait aussi dans le cadre des nouvelles compétences que la loi no 4228/2014 lui avait attribuées en qualité de mécanisme national de prévention de la torture.
37. Dans son rapport du 17 octobre 2014 le médiateur fit remarquer qu’en raison de la spécificité et de la finalité de l’institution des centres de détention agricoles ainsi que de l’organisation du centre de détention, les bâtiments étaient, dans la plupart des cas, organisés et conçus en tenant raisonnablement compte de la séparation et la répartition des détenus. Il s’agissait d’après lui d’une organisation très différente par rapport aux autres établissements pénitentiaires.
38. Selon le rapport, l’établissement pénitentiaire disposait au total d’une superficie de 420 hectares. Le domaine central de la prison de Kassandra était d’une superficie d’environ 240 hectares comprenant un immeuble pour les bureaux de l’administration et trois immeubles (A, B et C) pour les locaux de séjour des détenus. Il ressortait de la déclaration du directeur de la prison et de l’arrêté ministériel no 93316 du 15 novembre 2013 que chaque immeuble était capable d’héberger 80 détenus. À la date de la visite du médiateur, le nombre de détenus s’élevait au total à 180 personnes, dont 115 séjournaient dans le domaine central et 65 en dehors de ce domaine. De ces 115 détenus, 32 séjournaient dans l’immeuble A, le local « fermé », et 83 dans les immeubles B et C, les locaux « ouverts ».
39. Le médiateur constata que la différence entre ces deux types de locaux tenait à ce que les détenus des immeubles B et C travaillaient sous surveillance en dehors des immeubles et au sein de différentes unités de travail (par exemple, la production végétale et animale, les ateliers ou les entrepôts) tandis que ceux de l’immeuble A travaillaient dans des postes de travail habituels dans les immeubles (par exemple le nettoyage) jusqu’à qu’ils fussent transférés dans les différentes unités susmentionnées avant de passer enfin en statut de semi-liberté. Le changement de statut était décidé par le conseil de la prison selon des critères se rapportant probablement au bon comportement des détenus et au bon fonctionnement de la prison.
40. Chacun des trois immeubles disposait de quatre chambrées, chacune d’une superficie d’environ 80 m2, ainsi que d’une cour interne, et ils communiquaient par une cour commune accessible par tous les immeubles. Quand les détenus sortaient, c’est-à-dire de 8 heures à 13 h 30 et de 14 h 30 à 17 heures, les portes entre les cours restaient ouvertes et ils profitaient de cette espace unique. De 8 heures à 13 h 30, les détenus des immeubles B et C travaillaient en dehors des immeubles et les détenus de l’immeuble A étaient donc les seuls à utiliser la cour commune. Le jour de la visite du médiateur, environ 10 à 12 détenus séjournaient dans chaque chambrée. Chaque chambrée était équipée d’un cabinet de toilette, de deux lavabos et d’un second cabinet de toilette qui était converti en lieu de douches, de lits à un seul niveau, d’une table, d’un banc, d’un téléviseur, d’un réfrigérateur et de ventilateurs. Chaque immeuble était aussi équipé de deux à trois postes de téléphones à carte ainsi que d’un terrain de sports.
41. Le domaine central comprenait en outre deux cantines et deux salles de visite. Il comprenait aussi la cuisine, un réfectoire extérieur couvert doté de tables, une boulangerie, une église, un magasin de vêtements offerts par des citoyens et des associations, une supérette, une infirmerie, un espace de coiffure, une bibliothèque, une salle d’événements et une salle d’enseignement ainsi que nombreux entrepôts.
42. Dans ce domaine central se trouvaient aussi la plupart des lieux de travail utilisés pour les unités de production animale et végétale (par exemple, un jardin potager, un poulailler, un clapier, une fromagerie, une étable, un moulin), un atelier, un entrepôt de carburants, des tracteurs, ainsi qu’un atelier de mouture des aliments pour les animaux.
43. Autour des immeubles A, B et C il y avait des dortoirs (petites maisons) et des chambrées dispersées de détenus en semi-liberté. Certains d’entre eux étaient complètement autonomes et d’autres étaient attachés aux locaux de travail, par exemple à l’atelier ou à l’entrepôt des carburants. Le jour de la visite du médiateur environ 45 détenus séjournaient dans l’espace autour des immeubles A, B et C. La capacité exacte de cet espace affecté aux détenus en semi-liberté n’était pas précisée mais il était apparent à l’œil nu qu’elle était bien supérieure au nombre des détenus pendant la visite du médiateur. Enfin, les trois annexes de la prison hébergeaient une vingtaine de détenus en semi-liberté qui travaillaient dans les travaux d’élevage. L’un de ces détenus séjournait seul en tant que gardien des immeubles.
44. Le médiateur constata des « défauts importants dans la plus grande partie des infrastructures immobilières, notamment dans les lieux de détention et dans certains lieux de travail », mais que, en ce qui concerne les immeubles A, B et C, il n’y avait pas de manque important d’espace vital. L’état des infrastructures immobilières était très mauvais et elles avaient besoin d’une rénovation immédiate. L’état des couvertures et des matelas était lui aussi mauvais et il fallait les changer. La provision d’eau chaude pendant une heure l’après-midi à la rentrée des détenus du travail et pendant trois heures le soir n’était pas suffisante. Le chauffage était lui aussi considéré comme insuffisant compte tenu de l’emplacement géographique de la prison. Le rapport nota aussi que la machine à laver était en panne et que les détenus devaient tout laver à la main.
45. Par ailleurs, dans les maisons et les chambrées des détenus en semi-liberté les conditions étaient meilleures, en raison non pas d’une meilleure infrastructure mais probablement du fait que ces détenus bénéficiaient d’une plus grande liberté de mouvement et d’organisation des lieux de séjour. Ils disposaient chez eux de machines à laver.
46. En ce qui concerne les lieux de travail, le médiateur releva qu’ils étaient particulièrement vétustes, au niveau tant de l’infrastructure que de l’équipement, ce qui compromettait la sécurité des détenus pendant le travail.
47. Concernant les vêtements, les produits d’hygiène et les cigarettes, le médiateur indiqua que les besoins y relatifs étaient assurés par des dons de l’église et des citoyens. La quantité et la qualité de la nourriture ne posaient aucun problème aux détenus. L’établissement disposait d’un four à pain qui a été par la suite mis en vente. Une partie du lait, du fromage et des légumes produits dans la prison était utilisée pour l’alimentation des détenus et une autre partie était fournie à d’autres établissements de détention. Les animaux élevés étaient envoyés à un abattoir extérieur et une partie de la viande était utilisée pour l’alimentation des détenus.
48. Le médiateur souligna que l’un des problèmes majeurs de l’établissement était l’insuffisance des soins médicaux et l’absence d’un service social et d’une aide psychologique. Un médecin généraliste se rendait trois fois par semaine dans la prison, qui était équipée d’un cabinet médical et d’une dentisterie. Le médiateur nota cependant que la plupart des détenus disposaient déjà un dossier médical des autres établissements pénitentiaires et qu’il ne fallait que continuer à leur fournir les soins médicaux déjà prescrits. Les soins médicaux étaient complétés par l’établissement de santé public de Kassandra et l’hôpital de Polygyros à une distance de 50 km. Le personnel assumait les fonctions de psychologue et de service social. L’absence totale de service social s’accompagnait d’une absence d’assistance juridique, qui était palliée par l’agent de la prison ayant le plus d’ancienneté. Un programme thérapeutique pour les toxicomanes était assuré une fois par semaine par l’organisme de droit privé sans but lucratif KETHEA (Kέντρο Θεραπείας Εξαρτημένων Ατόμων, ΚEΘΕΑ).
49. Quant aux activités éducatives et récréatives, le médiateur nota l’absence de programmes de formation professionnelle ou d’enseignement. Cependant, un programme d’activités sportives était organisé par la municipalité avec un entraîneur trois fois par semaine et des matchs de football. Enfin, le médiateur observa que les autorisations de sortie étaient fréquentes.
50. En général, selon le rapport du médiateur, le problème majeur des conditions de détention dans la prison de Kassandra, qui était le premier établissement pénitentiaire de type agricole fonctionnant depuis 1930 et qui disposait de très grands terrains, était l’infrastructure.
51. Le médiateur était d’avis que la privation de liberté, surtout des détenus en semi-liberté qui séjournaient dans des dortoirs autour des immeubles centraux mais aussi des détenus qui séjournaient dans les immeubles B et C, semblait objectivement avoir des effets moins sévères sur leur qualité de vie. Il estima cependant, que les installations obsolètes, le dysfonctionnement de certaines unités de production, le manque de personnel spécialisé et l’absence totale de conception centralisée de la gestion et de l’exploitation de toutes les possibilités de culture et de production sur ces terrains pouvaient mettre en cause la justification de l’institution de la prison agricole.
52. Enfin, dans sa lettre datée du 21 novembre 2014 adressée au secrétaire général du ministre de la Justice qui accompagnait le rapport de la visite dans la prison de Kassandra, le médiateur de la République souligna la nécessité urgente d’une conception centralisée et stratégique du fonctionnement des prisons agricoles et de l’adoption d’un règlement interne afin de soutenir cette institution et de remédier à l’encombrement des autres prisons. Il nota en outre que parmi les points à traiter immédiatement figuraient l’amélioration de l’infrastructure des bâtiments et surtout des lieux sanitaires, le changement de la literie, la désignation d’un médecin permanent, d’un travailleur social et d’un psychologue, ainsi que l’achat d’une machine à laver pour les bâtiments A, B et C. Il ajouta que parmi les enjeux importants, il y avait le recrutement de personnel spécialisé, le renforcement du personnel de garde et la fourniture de programmes de formation professionnelle et d’enseignement. Il proposa aussi la mise en place immédiate d’une unité thérapeutique de traitement des détenus toxicomanes.
EN DROIT
- SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
53. Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants se plaignent des conditions dans lesquelles ils ont été détenus dans la prison agricole de Kassandra. Ladite disposition est ainsi libellée :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
- Sur l’exception préliminaire du Gouvernement
- Les arguments des parties
54. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes au motif que les requérants désignés sous les nos 3, 8, 9, 15, 18, 21, 22, 24, 25 et 29 avaient été libérés avant la date d’introduction de la requête. Il estime qu’avant de saisir la Cour ils auraient dû engager une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.
55. Le Gouvernement note aussi que, le 1er mars 2013, le requérant désigné sous le no 23 a enfreint la permission de sortie qui lui avait été accordée et qu’il n’est pas rentré à la prison de Kassandra. Il ajoute que le requérant désigné sous le no 31 a été transféré dans la prison de Diavata à Thessalonique. Il soutient qu’en saisissant la Cour, ces requérants ne visaient pas à mettre fin à une situation continue mais à obtenir a posteriori un constat de la violation de l’article 3 qu’ils alléguaient et une indemnité pour le préjudice moral qu’ils estimaient avoir subi.
56. Concernant en particulier le requérant désigné sous le no 5, le Gouvernement affirme que, à la date d’introduction de la requête devant la Cour, il avait été libéré. Ce détenu aurait été détenu dans la prison de Kassandra du 15 octobre 2012 au 27 mars 2013. Il y aurait été réincarcéré le 11 octobre 2013 afin d’y purger une nouvelle peine à la suite d’une nouvelle condamnation prononcée par un arrêt rendu le 13 mai 2013. Il aurait par la suite été remis en liberté le 22 novembre 2013. Dès lors, selon le Gouvernement, il ne se plaint que des conditions dans lesquelles il a été détenu, mais pas de l’éventualité d’être détenu à l’avenir dans la même prison en exécution d’une nouvelle décision de condamnation rendue après sa remise en liberté.
57. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes également pour les requérants désignés sous les nos 1, 2, 4 à 6, 11 à 14, 16, 17, 19, 20, 24, 26 à 28, 30, 31, 33 et 34. Selon lui, ceux-ci n’étaient plus détenus dans la prison de Kassandra à la date à laquelle il a rédigé ses observations. Les seuls qui y étaient détenus pendant cette période auraient été les requérants désignés sous les nos 7, 10 et 32. Dès lors, le Gouvernement invite la Cour à rejeter également cette partie de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes au motif que ces requérants visaient non pas à mettre fin à une situation continue mais à obtenir a posteriori un constat de la violation de l’article 3 qu’ils alléguaient et une indemnité pour le préjudice moral qu’ils estimaient avoir subi, ce qu’ils pouvaient demander auprès les juridictions internes.
58. Les requérants combattent la thèse du Gouvernement et plaident que l’action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil ne constituait pas un recours effectif et pratique en raison de la durée de la procédure y relative : six ans environ en première instance et treize ans en total pour l’épuisement des voies de recours.
59. De plus, les requérants s’appuient sur l’arrêt Kaja c. Grèce (no 32927/03, § 40, 27 juillet 2006) et soutiennent que la Cour a jugé qu’une action en dommages-intérêts n’était pas un recours susceptible de remédier à la violation alléguée de l’article 3 de la Convention. Ils citent en outre l’arrêt Mamedova c. Russie (no 7064/05, § 56, 1er juin 2006) ainsi que l’arrêt Nieciecki c. Grèce (no 11677/11, §§ 41-43, 4 décembre 2012), faisant valoir que la Cour a rejeté l’exception de non-épuisement des recours internes au motif que les griefs des requérants portaient sur un phénomène structurel qui ne concernait pas exclusivement leur cas particulier.
- L’appréciation de la Cour
60. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, s’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, la situation peut être différente entre une personne qui a été détenue dans des conditions qu’elle estime contraires à l’article 3 de la Convention et qui saisit la Cour après sa mise en liberté et un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce (Chatzivasiliadis c. Grèce (déc.), no 51618/12, § 30, 26 novembre 2013).
61. En effet, pour qu’un système de protection des droits des détenus garantis par l’article 3 de la Convention soit effectif, les recours préventifs et indemnitaires doivent coexister de façon complémentaire. L’importance particulière de cette disposition impose que les États établissent, au-delà d’un simple recours indemnitaire, un mécanisme effectif permettant de mettre rapidement un terme à tout traitement contraire à l’article 3 de la Convention. À défaut d’un tel mécanisme, la perspective d’une possible indemnisation risquerait de légitimer des souffrances incompatibles avec cet article et d’affaiblir sérieusement l’obligation pour les États de mettre leurs normes en accord avec les exigences de la Convention (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012, et Chatzivasiliadis, décision précitée, § 29).
62. La Cour souligne aussi que l’obligation pour le requérant d’épuiser les voies de recours internes s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant elle (Zabelos et autres c. Grèce, no 1167/15, § 60, 17 mai 2018).
63. La Cour a conclu dans plusieurs affaires qu’un requérant qui avait saisi la Cour d’un grief relatif à des conditions de détention après avoir été mis en liberté et sans avoir au préalable engagé l’action de l’article 105 précité ne s’était pas conformé à l’exigence d’épuisement des voies de recours internes (voir, parmi d’autres, Zournatzidis et autres c. Grèce, no 23261/13, §§ 31-35, 24 avril 2017, et Koureas et autres c. Grèce, no 30030/15, §§ 58‑60, 28 mai 2018).
64. Pour ce faire, elle a pris en considération notamment les observations des parties dans des affaires similaires qui datent de la même période. Il a été alors jugé que l’action indemnitaire fondée sur l’article 105 précité constituait une voie de recours qui aurait dû être exercée par les requérants mis en liberté. Toutefois, vu que l’obligation pour le requérant d’épuiser les voies de recours internes s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant la Cour (voir paragraphe 62 ci-dessus), elle tient à préciser que la conclusion à laquelle elle est parvenue ne préjuge en rien d’un éventuel réexamen de la question de l’effectivité du recours indemnitaire à la lumière de la pratique et des éventuelles décisions rendues des juridictions nationales (voir Turgut et autres c. Turkey (dec.), no 4860/09, § 57, 26 mars 2013).
65. En l’espèce la Cour observe que les requérants désignés sous les nos 3, 8, 9, 15, 18, 21, 22, 24, 25 et 29 avaient été libérés à différentes dates entre le 24 janvier 2013 et le 25 avril 2013 (voir en détail le tableau au paragraphe 4 ci-dessus), avant de saisir la Cour.
66. La Cour note aussi que, le 28 février 2013, le requérant désigné sous le no 23 a enfreint la permission de sortie qui lui avait été accordée et qu’il n’est pas rentré à la prison de Kassandra.
67. Concernant en particulier le requérant désigné sous le no 5, la Cour note qu’il a été libéré le 27 mars 2013 et qu’il a été à nouveau placé dans la prison de Kassandra le 11 octobre 2013 afin d’y purger une nouvelle peine dans le cadre de laquelle il a été libéré le 22 novembre 2013.
68. Étant donné que, le 30 avril 2013, date à laquelle ils ont saisi la Cour, lesdits requérants n’étaient plus détenus dans la prison de Kassandra, ils visaient de toute évidence non pas à cesser d’être maintenus en détention dans des conditions inhumaines et dégradantes, mais à obtenir a posteriori de la Cour un constat de violation de l’article 3 de la Convention et, le cas échéant, une indemnité pour le dommage moral qu’ils estimaient avoir subi. La même conclusion vaut alors pour le requérant désigné sous le no 5 puisqu’à la date d’introduction de la requête devant la Cour il n’avait pas épuisé les voies de recours internes. Sa nouvelle détention dans la même prison, par l’effet d’un arrêt de condamnation du 13 mai 2013 postérieur à la date d’introduction de la requête, ne le dispensait pas de l’obligation d’épuisement.
69. Quant au requérant désigné sous le no 31, la Cour note qu’il a été transféré dans la prison de Diavata, à Thessalonique, le 25 janvier 2013. Il se trouvait donc incarcéré dans une autre prison le 30 avril 2013, date de la saisine de la Cour. Dès lors, à la date d’introduction de la requête devant la Cour, il n’était plus soumis aux conditions de détention dénoncées par lui. Qui plus est, ce requérant ne se plaint pas dans la requête des conditions de sa détention ultérieure dans la prison de Diavata, au sujet de laquelle il ne donne d’ailleurs aucune information dans la requête.
70. Il s’ensuit qu’en saisissant la Cour, le requérant no 31 visait non pas à mettre fin à une violation continue et à ne pas subir un traitement inhumain et dégradant dans la prison de Kassandra, mais à obtenir une décision a posteriori de la Cour sur la violation de l’article 3 de la Convention qu’il alléguait à raison des conditions de détention dans cet établissement et, le cas échéant, à recevoir une satisfaction équitable pour le dommage moral qu’il aurait subi (Igbo et autres c. Grèce, no 60042/13, §§ 30-32, 9 février 2017, et Georgiou et autres c. Grèce, no 6813/12 §§ 40-42, 15 mars 2018).
71. La Cour rappelle en outre que, dans son arrêt A.F. c. Grèce (no 53709/11, §§ 55-60, 13 juin 2013), elle a estimé qu’il convenait d’examiner si les dispositions d’un texte législatif ou réglementaire susceptibles d’être invoquées aux fins d’une action fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil étaient rédigées en des termes suffisamment précis et si elles garantissaient des droits « justiciables » (ibidem, § 60).
72. À cet égard, elle relève que les requérants étaient détenus dans la prison de Kassandra et qu’ils étaient ainsi soumis aux dispositions du code pénitentiaire. Les principaux griefs qu’ils formulent devant la Cour concernant les conditions de détention qui étaient les leurs à l’époque sont notamment tirés de problèmes de surpopulation, d’hygiène et d’alimentation. Or les articles 21, 25 et 32 du code pénitentiaire grec garantissent en ces domaines des droits subjectifs invocables en justice (Chatzivasiliadis, décision précitée, § 34). L’action indemnitaire fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil combiné avec les articles susmentionnés du code pénitentiaire, ainsi qu’avec l’article 3 de la Convention, qui est directement applicable dans l’ordre juridique interne, constituait ainsi une voie de recours que les requérants auraient dû intenter.
73. Il s’ensuit que, pour autant que le grief concerne les requérants désignés sous les nos 3, 5, 8, 9, 15, 18, 21 à 25, 29 et 31, il doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
74. Concernant en particulier les requérants désignés sous les nos 1, 2, 4, 6, 7, 10 à 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30 et 32 à 34 la Cour observe que, à la date d’introduction de la requête, le 30 avril 2013, ils étaient détenus dans la prison de Kassandra. Il en résulte que le recours indemnitaire fondé sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil invoqué par le Gouvernement ne peut pas à leur égard être considéré comme effectif aux fins de l’épuisement des voies de recours car il manque à cette action un caractère préventif au sens de la jurisprudence de la Cour (voir Pilalis et autres c. Grèce, no 5574/16, § 44, 17 mai 2018). La Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes pour autant qu’il concerne ces requérants.
- La détention dans les immeubles B et C (locaux ouverts) et en semi-liberté
75. La Cour note que, pendant certaines périodes indiquées en détail dans le tableau précité (paragraphe 4 ci-dessus), les requérants désignés sous les nos 1, 2, 4, 6, 7, 10, 11, 13, 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30 et 32 à 34 ont été détenus dans les immeubles B, C ou dans la salle des soins, qui fonctionnait en tant que prison ouverte, ou en régime de semi-liberté.
- Les arguments des parties
a) Le Gouvernement
76. Pour l’intégralité des arguments du Gouvernement, la Cour renvoie à ce que dit le Gouvernement sur les conditions de détention des requérants dans la prison de Kassandra (paragraphes 13-32 ci-dessus).
77. Renvoyant à ce qu’il dit au sujet des conditions de détention dans la prison de Kassandra (paragraphes 13-32 ci-dessus), le Gouvernement s’en tient à sa position selon laquelle ces conditions sont substantiellement différentes, voire meilleures que celles dans des autres établissements pénitentiaires en Grèce et que les griefs de traitements inhumains ou dégradants formulés par les requérants sont infondés.
78. Le Gouvernement admet l’existence de problèmes et d’une possibilité d’amélioration des conditions de détention. Il nie cependant le problème de surpopulation, d’alimentation, de propreté et de suivi médical. Il soutient que les détenus sont en contact direct et quotidien avec la nature, que la qualité et la quantité de la nourriture sont suffisantes, que le suivi médical des problèmes de santé est assuré d’une manière scientifiquement indiquée et que les relations entre le personnel et les détenus sont excellentes.
79. En ce qui concerne les griefs tirés du traitement des toxicomanes et du tabagisme passif, le Gouvernement affirme qu’aucun requérant ne soutient précisément qu’il est toxicomane et qu’il a été obligé lors de son placement dans la prison de Kassandra d’interrompre soudainement son traitement, qu’il a été privé des produits de substitution ou qu’il est non-fumeur. Ces griefs sont exposés de manière vague et doivent être rejetés.
80. Le Gouvernement se réfère au rapport du médiateur de la République du 17 octobre 2014 relatant sa visite dans la prison de Kassandra (paragraphes 36-52 ci-dessus), en notant que le médiateur a établi son rapport après avoir rencontré en personne le directeur de la prison et après avoir parlé avec les détenus. Il dit que, hormis certaines défaillances révélées par le médiateur et certains points appelant des améliorations, ses constats ne faisaient état d’aucun cas permettant de qualifier la détention dans cette prison de traitement en cause inhumain ou dégradant, au sens de l’article 3 de la Convention.
81. Le Gouvernement soutient que la moyenne des détenus par chambrée était de dix et que chacun avait à sa disposition en moyenne 8 m2. Il n’y avait donc pas selon lui de problème de manque d’espace.
82. Le Gouvernement expose enfin que les requérants désignés sous les nos 1, 4, 10, 16, 17, 19, 20, 26 et 33 ont été transférés d’autres prisons dans la prison de Kassandra à leur propre demande.
b) Les requérants
83. Pour l’intégralité des arguments des requérants, la Cour renvoie à ce que disent les requérants au sujet de leurs conditions de détention dans la prison de Kassandra (paragraphes 6-12 ci-dessus). En principe, les requérants se plaignent des conditions de détention dans cette prison et d’une incompatibilité entre l’état de santé corporel et mental des détenus et leur détention. Ils dénoncent aussi une absence de processus thérapeutique de désintoxication des toxicomanes.
84. Ils renvoient aussi à ce qu’ils ont indiqué au sujet de leurs conditions de détention dans la requête du 15 mars 2013 fondée sur l’article 572 du code de procédure pénale et adressée au procureur superviseur compétent, soulignant qu’ils n’ont reçu aucune réponse de ce dernier (paragraphe 5 ci-dessus).
85. Les requérants se référent en outre à la lettre du 21 novembre 2014 adressée au secrétaire général du ministre de la Justice par le médiateur de la République, jointe au rapport du 17 octobre 2014 relatant la visite de ce dernier dans la prison de Kassandra. Ils renvoient notamment aux points suivants soulignés par le médiateur : la nécessité urgente d’une conception centralisée et stratégique du fonctionnement des prisons agricoles, de la rénovation des lieux sanitaires et du changement des couvertures et de l’affectation de personnel médical, de personnel pénitentiaire spécialisé et de psychologues (paragraphe 52 ci-dessus).
86. Renvoyant au rapport du médiateur du 17 octobre 2014 relatant sa visite dans la prison de Kassandra, les requérants font leurs ses constats concernant notamment les mauvaises infrastructures, les couvertures et matelas, le chauffage, l’insuffisance de soins médicaux et l’absence de programmes d’éducation professionnelle (paragraphes 36-52 ci-dessus).
87. Cependant, ils contestent le nombre des détenus par chambrée en soutenant qu’environ 17 personnes partageaient chaque chambrée et que chaque détenu disposait de moins de 3 m2 d’espace personnel (paragraphe 6 ci-dessus).
88. Concernant l’alimentation, ils contestent l’observation du médiateur selon laquelle la quantité et la qualité de la nourriture ne posaient aucun problème aux détenus (paragraphe 47 ci-dessus), soutenant que l’alimentation était un point problématique pour les requérants et que ceux-ci avaient donné leurs réponses en la présence du directeur de la prison, ce qui avait eu selon eux une incidence sur le retour d’informations au médiateur.
89. Concernant leurs griefs tirés d’une absence de processus thérapeutique de désintoxication des détenus toxicomanes, les requérants reprennent les observations du médiateur (paragraphe 48 ci-dessus), et citent une publication – qu’ils ne soumettent pas à la Cour – des agents pénitentiaires de la prison selon laquelle au moins la moitié des détenus étaient des toxicomanes.
90. Enfin ils notent que les requérants avaient demandé à être transférés dans la prison de Kassandra non pas parce que les conditions de détention y auraient été bonnes mais afin de profiter du système de calcul des peines selon lequel la durée de détention comptait double.
- L’appréciation de la Cour
a) Les principes généraux
91. En ce qui concerne les principes généraux d’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente cause, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, §§ 96‑141, 20 octobre 2016).
92. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine et que les modalités d’exécution de la mesure en cause ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI, et Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 141, 10 janvier 2012).
93. Dans l’arrêt Muršić c. Croatie [GC], précité, §§ 96-141), la Cour a exposé les principes pertinents, notamment ceux relatifs à la surpopulation carcérale et aux facteurs susceptibles de compenser le manque d’espace personnel. Elle a dit notamment que, lorsque la surface au sol dont dispose une personne détenue en cellule collective est inférieure à 3 m², le manque d’espace personnel est considéré comme étant à ce point grave qu’il donne lieu à une forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention. La charge de la preuve pèse alors sur le gouvernement défendeur, qui peut toutefois réfuter la présomption en démontrant la présence d’éléments propres à compenser cette circonstance de manière adéquate (ibidem, § 137). En revanche, lorsqu’un détenu dispose dans la cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids dans l’appréciation que la Cour fait du caractère adéquat ou non des conditions de détention. En pareil cas, la Cour conclura à la violation de l’article 3 si le manque d’espace s’accompagne d’autres mauvaises conditions matérielles de détention, notamment d’un défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturelle, d’une mauvaise aération, d’une température insuffisante ou trop élevée dans les locaux, d’une absence d’intimité dans les toilettes ou de mauvaises conditions sanitaires et hygiéniques (ibidem, § 139).
b) Application des principes précités à la présente espèce
94. En ce qui concerne la thèse de la surpopulation, notamment le nombre des détenus par chambrée, mais aussi les autres conditions dans la prison de Kassandra, les thèses des parties diffèrent. Pour former son opinion, la Cour se fondera sur les constats qu’elle juge établis car non contestés entre les parties et sur les éléments les plus objectifs. La Cour note que la requête a été introduite devant la Cour le 30 avril 2013 et le médiateur de la République a effectué sa visite le 22 janvier 2014. Or, le rapport ne se trouve pas loin dans le temps des faits allégués. Elle attache alors plus d’importance aux observations qui sont confirmées par les constats du médiateur.
95. En ce qui concerne le nombre de détenus, la Cour note que, selon les informations fournies par le médiateur de la République, au 22 janvier 2014, 115 personnes séjournaient dans les trois immeubles A, B et C, pour une capacité officielle de 240 détenus. En particulier, 32 détenus séjournaient dans l’immeuble A qui servait de prison fermée, d’une capacité de 80 personnes, et 83 détenus séjournaient dans les immeubles B et C qui étaient les locaux « ouverts », d’une capacité de 160 personnes (80 personnes par immeuble). Cette capacité est confirmée par la déclaration du directeur de la prison et par l’arrêté ministériel no 93316 du 15 novembre 2013.
96. La Cour relève aussi que, les petites maisons dispersées autour des immeubles A, B et C accueillaient au jour de la visite du médiateur environ 45 personnes en semi-liberté. Elle note que la capacité exacte de cet espace n’était pas précisée mais qu’il était apparent qu’elle était bien supérieure au nombre des détenus (voir paragraphe 43 ci-dessus). Enfin, les trois annexes de la prison hébergeaient une vingtaine de détenus en semi-liberté affectés aux travaux d’élevage, dont l’un séjournait seul en tant que gardien des immeubles. Il ressort donc du dossier que, concernant l’espace dont disposaient les détenus en semi-liberté, la prison fonctionnait bien en deçà de sa capacité.
97. La Cour constate qu’il ressort du cadre législatif et du dossier que la prison de Kassandra, en tant que prison agricole, avait une finalité et une organisation qui étaient très différentes de celles des autres établissements pénitentiaires et que les détenus y étaient séparés dans les bâtiments en fonction de leurs différents statuts. Elle note d’emblée l’observation du médiateur selon laquelle la privation de liberté, surtout des détenus en semi-liberté mais aussi des détenus qui séjournaient dans les immeubles B et C, « semblait objectivement avoir des effets moins sévères sur leur qualité de vie ».
98. La Cour observe que, d’une part, les détenus dans les immeubles B et C et, d’autre part, les détenus en semi-liberté (dénommés « logotimites ») qui séjournaient autour des immeubles ou dans les trois annexes de la prison, profitaient d’un régime de prison ouverte qui se distinguait considérablement du régime de prison fermée dans l’immeuble A.
99. En particulier, concernant les requérants désignés sous les nos 1, 4, 6, 11, 13, 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30 et 32 à 34, la Cour note qu’ils ont été détenus pendant certaines périodes (exposées en détail au paragraphe 4 ci-dessus) dans les immeubles B ou C, en régime de prison ouverte. Ils travaillaient alors sous surveillance en dehors des immeubles et au sein de différentes unités de travail (par exemple la production végétale et animale, les ateliers ou les entrepôts) et jouissaient d’une grande liberté de mouvement puisqu’ils travaillaient en dehors des immeubles pendant cinq heures et demie.
100. Il ressort du dossier que le requérant désigné sous le no 7 était détenu dans la salle des soins. La Cour ne dispose pas d’informations détaillées sur ce local mais, selon les observations du Gouvernement, non contestées par les requérants, il ne se trouvait pas sous le régime de prison fermée.
101. Concernant la question de la surpopulation, la Cour renvoie à la déclaration du directeur de la prison et l’arrêté ministériel no 93316 du 15 novembre 2013 qui coïncident sur ce point avec le rapport du médiateur, selon lesquels chaque immeuble disposait de quatre chambrées, chacune d’une superficie d’environ 80 m2, ce qui n’est pas contesté par les requérants. Elle se fonde sur les constatations du médiateur selon lesquelles, le jour de sa visite, environ 10 à 12 détenus séjournaient dans chaque chambrée, ce qui signifie qu’ils disposaient d’un espace personnel de 8 m2 à 6,67 m2, ce qui coïncide partiellement avec les arguments du Gouvernement selon lesquels chaque détenu disposait d’un espace personnel de 8 m2. La Cour prend note de l’allégation des requérants selon laquelle 17 personnes partageaient chaque chambrée et observe qu’aucun élément objectif ne le confirme. En tout état de cause, cette allégation reviendrait à dire que l’espace personnel était non pas inférieur à 3 m2, comme le soutiennent les requérants, mais de 4,7 m2 par détenu, y compris les toilettes.
102. Quant aux requérants désignés sous les nos 1, 2, 4, 6, 10, 11, 16, 19, 20, 26 et 30, la Cour relève qu’ils se trouvaient en semi-liberté pendant certaines périodes qui sont indiquées en détail ci-dessus (paragraphe 4). Elle observe qu’ils bénéficiaient sans doute d’un régime spécial. Certains entre eux étaient complémentent autonomes et d’autres étaient affectés aux locaux de travail. Leur liberté de mouvement, inhérente à leur statut et à la nature de leur travail, est incontestable.
103. La Cour prend note de l’argument du médiateur selon lequel « la capacité exacte de cet espace dédié aux détenus en semi-liberté n’était pas précisée mais il était apparent à l’œil nu qu’elle était bien supérieure au nombre des détenus ». Elle se fonde sur le constat général dans le rapport du médiateur selon lequel, dans les maisons et les chambrées des détenus en semi-liberté, les conditions étaient meilleures parce que ceux-ci bénéficiaient d’une plus grande liberté de mouvement et d’organisation des lieux de séjour malgré la mauvaise infrastructure.
104. La Cour conclut des considérations qui précèdent que les détenus dans les locaux ouverts et en semi-liberté bénéficiaient d’une grande liberté de circulation lorsqu’ils travaillaient dans la journée en dehors des chambrées. Les détenus dans les locaux ouverts qui travaillaient sous surveillance se distinguaient nettement de ceux dans les prisons fermées qui étaient confinés en cellules et dont les possibilités de se promener dans la cour de la prison étaient limitées. Les détenus en semi-liberté qui séjournaient dans des maisons distinctes disposaient d’une autonomie considérable, qui déterminait leur statut, et d’une liberté de circuler sur une très grande surface. Étant donné qu’il a été conclu qu’il n’y avait en l’espèce aucun problème de surpopulation, d’autant plus que ces détenus disposaient d’une grande liberté de mouvement, et que les requérants ne décrivent pas les autres conditions de détention spécifiques et relatives à leur régime spécial et à leur situation individuelle, ni la manière dont ils ont été affectés par ces conditions pendant qu’ils étaient détenus sous ce régime, la Cour ne peut pas conclure qu’il y a eu un manque d’espace accompagné d’autres mauvaises conditions matérielles de détention.
105. La Cour constate qu’en ce qui concerne les griefs relatifs à la toxicomanie, au tabagisme passif ainsi qu’au suivi médical, aucune information précise ne lui a été soumise afin d’identifier qui étaient les détenus affectés. Les requérants n’ont pas précisé s’ils ont été effectivement lésés ni, dans l’affirmative, à quel point.
106. Concernant le suivi médical ou pharmaceutique des détenus ayant des problèmes de santé, les requérants n’ont fourni aucun élément pertinent ni formulé de griefs concrets relatifs au manque de suivi. En tout état de cause, le Gouvernement fournit une liste détaillée sur laquelle sont indiqués les noms des requérants ainsi que les dates des soins médicaux et des soins dentaires reçus. La Cour estime que les allégations précitées des requérants sont vagues, non individualisées et non étayées.
107. Il s’ensuit que, pour autant que les griefs des requérants désignés sous les nos 1, 2, 4, 6, 7, 10, 11, 13, 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30 et 32 à 34 tirés de l’article 3 de la Convention, concernent leurs périodes de détention dans les locaux ouverts et en semi-liberté, la Cour estime qu’ils sont manifestement mal fondés et qu’il convient de les déclarer irrecevables en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
- La détention dans l’immeuble A et dans le local spécial des étrangers (locaux fermés)
108. La Cour note que les requérants désignés sous les nos 1, 2, 4, 6, 10 à 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30 et 32 à 34 ont été détenus dans l’immeuble A pendant certaines périodes qui sont indiquées en détail dans le tableau précité ci-dessus (paragraphe 4). Les requérants désignés sous les nos 11, 13, 16, 20 et 26 étaient en outre détenus pendant certaines périodes dans le local spécial où séjournaient les étrangers en instance d’expulsion. Il ressort du dossier que ces locaux étaient sous un régime de prison fermée.
- Sur la recevabilité
109. La Cour constate que la partie de la requête relative aux requérants nos 1, 2, 4, 6, 10 à 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30, 32 à 34, pour autant qu’elle concerne les conditions pendant leur période de détention dans des locaux de la prison qui fonctionnaient en tant que prison fermée n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.
- Sur le fond
a) Les arguments des parties
110. En ce qui concerne les arguments des parties la Cour renvoie aux paragraphes 83-90 ci-dessus pour ceux avancés par les requérants et aux paragraphes 76-82 ci-dessus pour ceux avancés par le Gouvernement.
b) L’appréciation de la Cour
111. Concernant les principes généraux d’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles qui se posent en l’espèce, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (Muršić c. Croatie [GC], précité, §§ 96‑141, paragraphes 91-93 ci‑dessus).
112. La Cour constate qu’en ce qui concerne les griefs relatifs à la toxicomanie, au tabagisme passif ainsi qu’au suivi médical, aucune information précise n’a été soumise à la Cour afin d’identifier qui étaient les détenus affectés. Les requérants n’ont pas précisé s’ils ont été effectivement lésés ni, dans l’affirmative, à quel point. Concernant l’allégation tirée d’une publication des agents pénitentiaires de la prison selon laquelle au moins la moitié des détenus étaient des toxicomanes, la Cour note que cette publication n’a pas été produite devant elle.
113. Concernant le suivi médical ou pharmaceutique des détenus atteints de problèmes de santé, les requérants n’ont fourni aucun élément pertinent ni formulé de griefs concrets relatifs au manque de suivi. En tout état de cause, le Gouvernement fournit une liste détaillée avec les noms des requérants ainsi que les dates des soins médicaux et des soins dentaires reçus.
114. La Cour estime que les allégations précitées des requérants sont vagues, non individualisées et non étayées. Elle précise d’emblée qu’il lui faut limiter son examen aux griefs tirés des conditions générales de détention des requérants dans la prison de Kassandra.
115. Quant à la surpopulation, notamment en ce qui concerne le nombre des détenus par chambrée, mais aussi les autres conditions dans la prison de Kassandra, les thèses des parties s’opposent. Pour former son opinion, la Cour se fondera sur les constats qu’elle considère établis car non contestés par les requérants et sur les éléments les plus objectifs en attachant alors plus d’importance aux observations qui sont confirmées par les constats du médiateur, ainsi qu’il a été expliqué ci-dessus (voir paragraphe 94).
116. La Cour rappelle que, selon les informations fournies par le médiateur de la République, à la date du 22 janvier 2014, 32 détenus séjournaient dans l’immeuble A, qui fonctionnait en tant que prison fermée d’une capacité de 80 personnes. La capacité de l’immeuble est confirmée par l’arrêté ministériel no 93316 du 15 novembre 2013.
117. Selon la déclaration du directeur de la prison et le rapport du médiateur, le nombre de chambrées dans l’immeuble A, la superficie de chaque chambrée et le nombre de détenus par chambrée sont identiques à ceux qui ont été exposés concernant les immeubles B et C, auxquels la Cour renvoie (paragraphe 101).
118. Par ailleurs, concernant les conditions de détention spécifiques et relatives à l’immeuble A, la Cour observe que les détenus dans cet immeuble pouvaient utiliser, hormis la cour interne, une cour commune accessible par tous les immeubles. Les détenus sortaient pendant cinq heures et demie le matin et deux heures et demie l’après-midi ou travaillaient à l’intérieur des immeubles. Puisque le matin les détenus des immeubles B et C travaillaient en dehors des immeubles, les détenus de l’immeuble A pouvaient aussi se promener seuls dans la cour commune. Ces éléments prouvent que ces requérants disposaient d’une grande liberté de mouvement pendant la journée en dehors des chambrées.
119. En ce qui concerne l’alimentation, la Cour accorde du crédit aux observations du Gouvernement et aux comptes rendus du médiateur qui a dit que l’établissement disposait d’un four à pain et qu’une partie du lait, du fromage, des légumes produits et de la viande des animaux élevés dans la prison servait à l’alimentation des détenus. Elle observe qu’en premier lieu le Gouvernement a fourni des fiches indiquant un menu hebdomadaire assez varié et que, en second lieu, le médiateur a noté que l’excédent des produits alimentaires était fourni aux autres établissements pénitentiaires, ce qui dénote une certaine autosuffisance dans ce domaine. Elle n’est donc pas convaincue par la thèse des requérants selon laquelle les détenus connaissaient des problèmes pour ce qui est de la quantité et de la qualité de nourriture.
120. La Cour note de surcroit qu’en ce qui concerne l’hygiène le Gouvernement a produit des factures d’une société privée qui désinfectait des parties de la prison, et que le médiateur a constaté que les besoins relatifs aux produits d’hygiène et aux vêtements étaient couverts par des dons de l’église et des citoyens.
121. La Cour observe que les détenus avaient accès à certaines activités. Le médiateur a affirmé que les chambrées étaient équipées de téléviseurs, qu’il y avait un terrain de sports par immeuble et une bibliothèque. Un programme d’activités sportives était organisé trois fois par semaine ainsi que des matches de football. Les autorisations de sortie étaient fréquentes.
122. La Cour prend note des observations des requérants et des affirmations du médiateur faisant état de problèmes relatifs aux infrastructures immobilières, au chauffage et à l’eau chaude. Or, elle estime que ces éléments ne sauraient suffire en eux-mêmes pour conclure à une violation de l’article 3 de la Convention.
123. Les requérants désignés sous les nos 11, 13, 16, 20 et 26 ont été en outre détenus pendant une certaine durée dans le local spécial où séjournaient les étrangers en instance d’expulsion. La Cour note que les seuls éléments dans le dossier qui décrivent en particulier ce local sont les affirmations du Gouvernement selon lesquelles cet endroit était d’une superficie de 27,30 m2 et disposait d’un cabinet de toilette et d’une douche. Il était équipé de lits, de cintres, d’un téléviseur, d’une table et d’un réfrigérateur. Il pouvait accueillir jusqu’à quatre personnes, de sorte que chaque détenu disposait d’environ 6,5 m2 d’espace personnel. Ces données ne sont pas contestées par les requérants.
124. Ces éléments, associés aux considérations exposées par la Cour concernant les conditions de détention générales dans la prison (paragraphes 119 - 122 ci-dessus), qui valent aussi pour la détention dans cet espace, suffisent à la Cour pour conclure que les requérants susmentionnés, pendant leur séjour dans le local des étrangers, n’étaient pas détenus dans des conditions constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant.
125. La Cour estime que, dans ces circonstances, concernant les requérants désignés sous les nos 1, 2, 4, 6, 10 à 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30 et 32 à 34, à la lumière des informations qui lui ont été fournies, elle n’est pas en mesure de conclure que, pendant qu’ils étaient détenus dans l’immeuble A, ils ont été détenus dans des conditions constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant. Les conditions de détention des requérants susmentionnés ne sauraient donc être considérées comme contraires à l’article 3 de la Convention.
126. La Cour note d’emblée qu’en ce qui concerne en particulier le requérant désigné sous le no 32, sa fiche de détention se réfère à sa détention du 11 octobre 2013 au 20 novembre 2013, une période postérieure du 30 avril 2013, date de l’introduction de la requête. Aucune information n’est fournie concernant sa détention jusqu’au 11 octobre 2013. Cependant, selon les informations fournies par ce requérant dans la requête, il était déjà détenu dans la prison de Kassandra à la date de la saisine de la Cour, ce qui ressort aussi du pouvoir qu’il avait signé et donné à ses représentantes, daté du 18 janvier 2013 et portant le cachet de la prison de Kassandra, qui certifie l’authenticité de sa signature. Les parties ne présentent pas d’observations sur ce point. Dès lors, la Cour considère que ledit requérant était détenu dans la prison de Kassandra à la date d’introduction de la requête devant elle.
127. Partant il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.
- SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 3
128. Se plaçant sur le terrain de l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent de n’avoir disposé en droit interne d’aucun recours effectif pour dénoncer leurs conditions de détention. Ladite disposition est ainsi libellée :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
- En ce qui concerne les requérants désignés sous les nos 3, 5, 8, 9, 15, 18, 21 à 25, 29 et 31
129. Le Gouvernement renvoie à ses arguments relatifs au non-épuisement des voies de recours internes, en l’occurrence l’action en dommages-intérêts fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil (paragraphes 54-57).
130. Les requérants renvoient à leurs arguments et soutiennent que l’action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil ne constituait pas un recours effectif et pratique (paragraphes 58-59).
131. Au vu des considérations qu’elle a énoncées quant au défaut d’engagement par les requérants désignés sous les nos 3, 5, 8, 9, 15, 18, 21 à 25, 29 et 31 de l’action indemnitaire qui leur était ouverte en vertu de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil (paragraphes 60-74 ci-dessus), la Cour estime que les griefs tirés de l’article 13 doivent être rejetés comme manifestement mal fondés, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
- En ce qui concerne les requérants désignés sous les nos 1, 2, 4, 6, 7, 10, 11, 13, 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30 et 32 à 34 et leur période de détention dans la partie ouverte de la prison ou en régime de semi-liberté
132. Les requérants se prévalent de l’arrêt Papakonstantinou c. Grèce (no 50765/11, §§ 48-52, 13 novembre 2014). Ils disent qu’ils ont adressé au procureur superviseur compétent une requête fondée sur l’article 572 du code de procédure pénale, que le Gouvernement propose habituellement comme recours effectif, mais qu’ils n’ont reçu aucune réponse de ce procureur et que la requête ne s’est pas révélée effective. Ils soutiennent en outre que le Gouvernement n’apporte pas, et n’a jamais apporté jusqu’à présent, un seul exemple de jurisprudence dans lequel un détenu qui se serait plaint au procureur compétent de problèmes systémiques dans un établissement pénitentiaire, sur le fondement de l’article 572 du CPP, aurait obtenu satisfaction. Ils considèrent que les procureurs ne peuvent rien faire face aux situations dénoncées devant eux et qu’ils se contentent de lancer des appels « dramatiques » au ministre de la Justice, ce qui démontrerait leur embarras en la matière.
133. Selon le Gouvernement, les requérants ne peuvent pas invoquer l’article 13 de la Convention, faute de « grief défendable ». À titre subsidiaire, il indique qu’ils auraient dû engager une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil combiné avec l’article 3 de la Convention.
134. La Cour note qu’à l’égard d’une partie des requérants désignés sous les nos 1, 4, 6, 7, 11, 13, 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30 et 32 à 34, et pour autant que leur requête concerne leur période de détention dans la partie de la prison qui fonctionnait en tant que prison ouverte, ainsi que des requérants désignés sous nos 1, 2, 4, 6, 10, 11, 16, 19, 20, 26 et 30 pendant leur période de détention en régime de semi-liberté, les griefs relatifs à la violation de l’article 3 ont été rejetés pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention (paragraphes 91 - 107 ci-dessus). En ce sens, aucune apparence de violation de cette disposition n’a pas pu être décelée et ces requérants, en ce qui concerne leurs périodes de détention dans la prison ouverte ou en semi-liberté, n’ont pas soulevé de griefs défendables.
135. Dès lors leurs griefs relatifs à l’article 13 et pour les périodes susmentionnées doivent être rejetés comme manifestement mal fondés, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention (Gökçe et Demirel c. Turquie, 22 septembre 2006, §§ 69-70).
- En ce qui concerne les requérants désignés sous les nos 1, 2, 4, 6, 10 à 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30 et 32 à 34 et leur période de détention dans la partie fermée de la prison
- Sur la recevabilité
136. La Cour constate qu’à l’égard des requérants désignés sous les nos 1, 2, 4, 6, 10 à 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30 et 32 à 34 et pour autant que leur requête concerne leur période de détention dans la partie de la prison qui fonctionnait en tant que prison fermée, leurs griefs relatifs à l’article 13 ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention. La Cour les déclare donc recevables.
- Sur le fond
a) Les arguments des parties
137. Les parties reprennent leurs arguments présentés ci-dessus aux paragraphes 132 et 133.
b) L’appréciation de la Cour
138. La Cour rappelle que le constat de violation d’une autre disposition de la Convention n’est pas une condition préalable à l’application de l’article 13 (Sergey Denisov c. Russie, no 21566/13, § 88, 8 octobre 2015, et les références qui y sont citées). Dans la présente affaire, même si elle a finalement conclu à la non-violation de l’article 3 de la Convention à l’égard des requérants et des périodes considérées, elle n’a pas estimé que leurs griefs étaient à première vue indéfendables. Elle est parvenue à cette conclusion seulement après avoir examiné le bien-fondé de leurs griefs (paragraphes 110-127 ci-dessus). Elle en conclut que les requérants ont soulevé des griefs défendables aux fins de l’article 13 de la Convention.
139. La Cour rappelle aussi que dans plusieurs affaires relatives aux conditions de détention dans des prisons, alors qu’elle avait conclu à la non-violation de l’article 3 de la Convention pris isolément, elle a constaté la violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 (Pilalis et autres, précité, § 65, D.M. c. Grèce, no 44559/15, §§ 42-45, 16 février 2017, Singh et autres c. Grèce, no 60041/13, §§ 62-64, 19 janvier 2017, Konstantinopoulos et autres c. Grèce, no 69781/13, §§ 57‑59, 28 janvier 2016, et Papakonstantinou, précité, § 51).
140. Quant au recours compensatoire que constitue l’action en dommages–intérêts contre l’État sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, la Cour rappelle qu’outre le fait que l’exercice d’une telle action présuppose de démontrer à la base du manquement de l’État une illégalité au sens du droit grec, elle a jugé cette action effective seulement lorsqu’elle est engagée après la mise en liberté de l’intéressé et non pendant la détention car il lui manque un caractère préventif au sens de la jurisprudence de la Cour (voir, parmi plusieurs autres, Konstantinopoulos et autres, précité, § 39, Patrikis et autres c. Grèce, no 50622/13, § 37, 28 janvier 2016, Adiele et autres c. Grèce, no 29769/13, §§ 34-35, 25 février 2016, Papadakis et autres c. Grèce, no 34083/13, §§ 50‑51, 25 février 2016, Kagia c. Grèce, no 36442/15, § 37, 30 juin 2016, et Pilalis et autres, précité, § 44).
141. La Cour ne voit aucune raison dans la présente affaire de s’écarter de sa jurisprudence constante en la matière. Concernant les requérants désignés sous les nos 1, 2, 4, 6, 10 à 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30 et 32 à 34 et pour autant que leurs griefs concernent leurs conditions de détention dans la partie de la prison qui fonctionnait en tant que prison fermée, il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.
- SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
142. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
- Dommage
143. Au titre du préjudice matériel et moral qu’ils estiment avoir subi, les requérants désignés sous les nos 1, 4, 10, 14, 16, 17, 19, 32 et 34 réclament 24 000 EUR pour la violation alléguée de l’article 3 de la Convention et 9 000 EUR pour celle de l’article 13. À ce même titre, les requérants désignés sous les nos 2, 20, 26 et 30 réclament 20 000 EUR pour la violation alléguée de l’article 3 et 9 000 EUR pour celle de l’article 13. Les requérants désignés sous les nos 6, 11, 27 et 33 réclament 15 000 EUR pour la violation alléguée de l’article 3 et 6 000 EUR pour celle de l’article 13. Les requérants désignés sous les nos 12, 13 et 28 réclament 12 000 EUR pour la violation alléguée de l’article 3 et 6 000 EUR pour celle de l’article 13. Ils demandent que les sommes soient versées directement sur le compte bancaire de leurs représentantes.
144. Le Gouvernement s’oppose à ces demandes. Il observe qu’à supposer même que la Cour conclue à la violation de l’article 3 concernant les conditions de détention dans la prison fermée, leur demande ne doit pas être acceptée au vu de la brièveté de leur durée de détention dans l’immeuble A qui fonctionnait en tant que prison fermée et de leur passage dans les régimes de prison ouverte et de semi-liberté. Il estime que les sommes demandées sont excessives et que le constat de la violation constituerait une satisfaction suffisante quant au dommage moral.
145. Le Cour rappelle qu’elle n’a conclu à la violation que de l’article 13 de la Convention concernant les requérants désignés sous les nos 1, 2, 4, 6, 10 à 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30 et 32 à 34 et pour autant que leurs griefs concernaient leur période de détention dans la partie de la prison qui fonctionnait en tant que prison fermée.
146. Dans ces circonstances, eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacun des requérants désignés sous les nos 1, 2, 4, 6, 10 à 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30 et 32 à 34 la somme de 2 000 EUR au titre du préjudice moral.
- Frais et dépens
147. Les requérants réclament également 1 000 EUR chacun au titre des frais et dépens qu’ils ont engagés devant les autorités nationales et devant la Cour et pour couvrir partiellement les honoraires de leurs représentantes, avec lesquelles ils disent avoir conclu un accord. Ils demandent aussi que ces sommes soient versées directement sur le compte bancaire de leurs représentantes.
148. Le Gouvernement estime que les sommes réclamées sont excessives du fait que la requête a été introduite par plusieurs requérants et que la procédure conduite n’était qu’écrite. Il soutient aussi que les requérants n’ont produit aucun document officiel de nature à prouver qu’ils ont payé des honoraires à leurs représentantes.
149. La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 de la Convention présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). Dans le cas d’espèce, elle note que les requérants n’ont produit aucune facture attestant des frais engagés devant elle. Il y a donc lieu de rejeter leurs prétentions à ce titre (voir aussi à cet égard Dikaiou et autres c. Grèce, no 77457/13, § 91, 16 juillet 2020, Koureas et autres c. Grèce, no 30030/15, § 106, 18 janvier 2018).
- Intérêts moratoires
150. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
- Déclare les griefs concernant les requérants nos 1, 2, 4, 6, 10 à 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30, 32 à 34 pour leur période de détention dans des locaux de la prison qui fonctionnaient en tant que prison fermée recevables et le surplus de la requête irrecevable ;
- Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention ;
- Dit
a) que l’État défendeur doit verser à chacun des requérants nos 1, 2, 4, 6, 10 à 14, 16, 17, 19, 20, 26 à 28, 30, 32 à 34, dans les trois mois, le somme de 2 000 EUR (deux mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
- Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 mai 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Attila Teplán Krzysztof Wojtyczek
Greffier adjoint f.f. Président
ANNEXE
No | Prénom NOM | Nationalité |
1 | Konstantinos ZOGRAFOS | grec |
2 | Athanasios ANASTASIOU | grec |
3 | Almano BANUSLARI | albanais |
4 | Georgios BATZALIS | grec |
5 | Tzonis BOZIDIS | grec |
6 | Danail CHERVENKOV | bulgare |
7 | Prodromos CHRISTIANIDIS | grec |
8 | Dimitrios EVAGGELIDIS | grec |
9 | Fotios FOTAKIS | grec |
10 | Sokol FRROKU | albanais |
11 | Abdoulahi GOUGHAY | somalien |
12 | Stylianos GOUSIS | grec |
13 | Rudin IDRIZI | albanais |
14 | Panagiotis KARATZOUNIS | grec |
15 | Shpetin KECI | albanais |
16 | Eihadie-Lamarana KEITA | guinéen |
17 | Amni KELLEZI/KLEZ | albanais |
18 | Ervin KUMURIJIA-KUMURIJA | albanais |
19 | Gani KURTI | albanais |
20 | Emilian LAMKOLLARI | albanais |
21 | Foto LERNO | albanais |
22 | Tryfon LIOUNIS | grec |
23 | Luftim LUFI | albanais |
24 | Saimir MUSAJ | albanais |
25 | Tzevat NAZIFOGLOU | grec |
26 | Michael-Emeka OSIGWE | nigérian |
27 | Alehander-Aleksander PILA-PYLLA | albanais |
28 | Dimitrios SAMARAS | grec |
29 | Ervis TANKA | albanais |
30 | Bilbil TOTA | albanais |
31 | Fotios TSAKAS | grec |
32 | Christos VASILIOU | grec |
33 | Andreas VESIM | grec |
34 | Vasilios ZAGGAS | grec |