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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
29.6.2021
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 28475/18
Aleksandra Nikolayevna LOBANOVA
contre la Russie

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant le 29 juin 2021 en un comité composé de :

Georges Ravarani, président,
Anja Seibert-Fohr,
Andreas Zünd, juges,

et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 15 mai 2018,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Mme Aleksandra Nikolayevna Lobanova, est une ressortissante russe née en 1969 et résidant à Perm. Elle a été représentée devant la Cour par Mme V.A. Bokareva, avocate.

Le Gouvernement a été représenté initialement par M. M. Galperine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par M. A. Fedorov, son successeur dans cette fonction.

Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

La requérante est mère de S., né le 26 septembre 2000.

  1. Le contentieux relatif à la limitation de l’autorité parentale de la requérante et au paiement de la prestation alimentaire

En 2013, l’école où S. était inscrit signala aux services sociaux que celuici était systématiquement absent et que la requérante le retenait à la maison. Différentes vérifications s’en suivirent.

En 2015, le département de tutelles et curatelles près la direction territoriale du ministère du développement social (« le département ») intenta une action en justice contre la requérante tendant à limiter l’autorité parentale (ограничение родительских прав) de celle-ci, à placer S. dans une institution pour enfants sous l’autorité dudit département et à enjoindre à la requérante de payer (взыскать) une prestation alimentaire au profit de son fils.

Par un jugement du 15 juin 2015, le tribunal du district Sverdlovski de Perm accueillit l’action du département et ordonna à la requérante de payer à l’institution où son enfant devait être placé, une prestation alimentaire mensuelle à la hauteur d’un quart des revenus mensuels de l’intéressée. Le 28 septembre 2015, la cour régionale de Perm confirma ce jugement en appel, en précisant que la prestation alimentaire serait à payer à compter du jour de placement de S. dans une institution et jusqu’à sa majorité.

  1. Les actions en justice intentées par la requérante

En 2016, la requérante introduisit une action tendant à faire lever la limitation de son autorité parentale à l’égard de S. Son action fut définitivement rejetée par un arrêt d’appel du 20 mars 2017.

Parallèlement, dans le cadre d’une action séparée dirigée contre le ministère du développement social, la requérante demanda d’« annuler le recouvrement » de la prestation alimentaire en arguant que son fils bénéficiait d’un enseignement à la maison. Cette action fut également rejetée en première instance et, le 16 août 2017, en appel. Les juridictions du fond estimèrent que l’obligation de payer la prestation alimentaire trouvait son origine dans le jugement définitif du 15 juin 2015, tel que modifié en appel le 28 septembre 2015, et était aussi la conséquence de la limitation de l’autorité parentale de la requérante, mesure restant en vigueur.

La requérante se pourvut en cassation en soutenant inter alia que son compte bancaire avait été illicitement bloqué (voir infra). Le 21 novembre 2017, un juge unique de la cour régionale de Perm refusa de transmettre le pourvoi de la requérante pour examen à son présidium. Il fit siennes les conclusions des juridictions inférieures et ajouta que les questions liées aux saisies et blocages du compte bancaire de l’intéressée pouvaient faire l’objet d’un contentieux relatif à l’exécution du jugement du 15 juin 2015.

Le 18 janvier 2018, un juge unique de la Cour suprême de Russie refusa de transmettre le pourvoi de la requérante pour examen à sa chambre civile.

  1. L’exécution du jugement du 15 juin 2015 et le contentieux y relatif

La requérante refusa de remettre son fils aux services sociaux, et S. continua à vivre avec elle jusqu’à sa majorité.

En décembre 2015, les huissiers ouvrirent la procédure d’exécution forcée du jugement.

En juin 2016, la requérante soumit deux demandes au tribunal du district Sverdlovski : i) de suspendre l’exécution du jugement du 15 juin 2015 aux motifs que S. bénéficiait d’un enseignement à la maison et qu’une action tendant à lever la limitation de son autorité parentale était pendante, et ii) de rendre une décision explicative du même jugement. Le 28 juin 2016, le tribunal rejeta ces demandes comme mal fondées.

Entre mai 2016 et septembre 2018, les huissiers rendirent plusieurs décisions tendant à recouvrer la prestation alimentaire au moyen de fonds sur les comptes bancaires de la requérante. En exécution de ces décisions, le 22 mai 2017, l’une des banques de la requérante effectua ce qui fut appelé un « blocage » (блокировка) du compte de l’intéressée à la hauteur de 113 364 roubles (RUB). Ce montant, qui ne se trouvait pas sur le compte de la requérante, figurait avec un signe « moins ». En outre, en juin 2017 et en septembre 2018 respectivement, 8 900 RUB et 5 500 RUB furent débités des comptes bancaires de la requérante en exécution des décisions des huissiers.

Le 26 septembre 2018, S. atteint la majorité, et la procédure d’exécution forcée du jugement fut terminée. Les 26 et 27 septembre, l’huissier en chef du service des huissiers dans le district Sverdlovski de Perm rendit plusieurs décisions de mettre fin (постановления об отмене) aux mesures de recouvrement de la prestation alimentaire sur les comptes bancaires de la requérante.

En décembre 2018, un montant total de 14 450 RUB (représentant l’addition de 8 900 RUB et 5 500 RUB précédemment débités) fut recrédité sur les comptes de la requérante.

GRIEF

Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, la requérante se plaint que les actions des huissiers relatifs au recouvrement de la prestation alimentaire sur ses comptes bancaires ont été arbitraires.

EN DROIT

La requérante se plaint des opérations de débit et de blocage sur ses comptes bancaires. Elle invoque l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention qui est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

  1. Thèses des parties

Le Gouvernement présente trois objections relatives à la recevabilité du grief. Premièrement, il argue en substance que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes car elle n’a jamais contesté en justice ou par voie hiérarchique les agissements des huissiers. Deuxièmement, il estime que les droits matériels de la requérante ont été rétablis au niveau interne à la majorité de S. et qu’elle ne peut donc plus se prétendre victime au sens de l’article 34 de la Convention. Enfin, le Gouvernement soutient que la requérante n’a pas « engagé de frais » dans la présente affaire et que donc ses droits conventionnels n’ont pas été violés.

La requérante estime que le remboursement des fonds illégalement débités ne la prive pas de sa qualité de victime d’une violation l’article 1 du Protocole no 1, et qu’elle a dûment épuisé les voies de recours internes car elle avait à plusieurs reprises invoqué devant les tribunaux l’illégalité des « saisies » sur ses comptes bancaires.

Elle argue que les actions des huissiers relatives au recouvrement de la prestation alimentaire ont été illégales, qu’elles ont abouti à un découvert sur son compte et à d’autres graves conséquences pécuniaires. La requérante ajoute que la clôture de l’exécution forcée du jugement du 15 juin 2015 n’a eu qu’une portée très limitée et que la procédure d’exécution peut être rouverte à tout moment.

  1. Appréciation de la Cour

En l’espèce, le grief de la requérante réside dans ce que, malgré l’absence de placement de son fils dans une institution pour enfants, les huissiers ont néanmoins effectué un blocage et des prélèvements sur ses comptes. La Cour estime que ces mesures s’analysent en une ingérence au droit de la requérante au respect de ses biens, au sens du second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1.

Elle observe tout d’abord que l’injonction judiciaire relative au placement de S. et au paiement de la prestation alimentaire à compter de ce placement a été prise en dehors du délai de six mois au sens de l’article 35 § 1 de la Convention et qu’en soi elle ne prête pas à contestation.

Elle relève également qu’en septembre 2018, la procédure d’exécution forcée de ladite injonction a été terminée et que les montants débités du compte de la requérante lui ont été remboursés. La Cour rejette l’argument de celle-ci selon lequel la procédure d’exécution du jugement du 15 juin 2015 peut être rouverte à tout moment. En effet, non seulement il s’agit d’une situation hypothétique, mais aussi et surtout à la majorité de S., l’exécution du jugement est devenue sans objet. Néanmoins, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la qualité de victime de la requérante car la requête est irrecevable pour d’autres raisons.

Elle rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes posée à l’article 35 § 1 impose de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite devant la Cour et commande en outre l’emploi des moyens de procédure propres à empêcher ou à remédier à une violation de la Convention (voir, par exemple, Gherghina c. Roumanie (déc.) [GC], no 42219/07, §§ 84-87, 9 juillet 2015).

En l’espèce, les parties ne sont pas en désaccord sur ce que les décisions des huissiers relatifs aux opérations sur les comptes bancaires de la requérante ainsi les actions prises par les banques, en exécution desdites décisions, ne pouvaient avoir lieu qu’à compter du placement de S. dans une institution pour enfants, un tel placement n’ayant pourtant jamais eu lieu.

Face à cette situation, la requérante a agi de trois façons : elle a formé un recours contre le ministère du développement social en demandant d’« annuler le recouvrement », elle a demandé au tribunal d’expliquer le jugement du 15 juin 2015 et elle en a sollicité la suspension de l’exécution. Or, la première demande a été dirigée contre une entité qui n’avait pas procédé au recouvrement incriminé, et les deux autres ont été introduites et traitées avant même que les comptes et avoirs bancaires de l’intéressée eussent été affectés et, en tout état de cause, elles tendaient en substance à contester le jugement et, accessoirement, son exécution.

Partant, de l’avis de la Cour, ces demandes n’étaient pas propres à remédier à la violation alléguée, à la différence d’un recours contre les décisions ou les actions des huissiers tendant à les déclarer illégales ou à allouer des dommages-intérêts. Néanmoins, à aucun moment, la requérante n’a introduit un tel recours, et cela sans aucune explication.

Constatant que, tout en blâmant les huissiers pour leurs décisions et actions non conformes au jugement du 15 juin 2015, la requérante a omis d’exercer un recours contre ceux-ci, la Cour juge qu’elle n’a pas usé des voies de recours qui étaient légalement à sa disposition et elle n’a ainsi pas donné l’opportunité aux instances nationales de remédier à l’ingérence alléguée. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Cette conclusion rend non nécessaire l’examen des autres arguments des parties.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 22 juillet 2021.

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Olga Chernishova Georges Ravarani
Greffière adjointe Président