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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
3.7.2018
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 9385/10
Suat ASLAN
contre la Turquie

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 3 juillet 2018 en un comité composé de :

Ledi Bianku, président,
Nebojša Vučinić,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 1er février 2010,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Le requérant, M. Suat Aslan, est un ressortissant turc né en 1981 et résidant à Ardahan. Il a été représenté devant la Cour par Me M. Çiftçi Yolaçan, avocat exerçant à Ardahan.

Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

3. Le recensement concernant le contingent auquel le requérant était rattaché pour l’accomplissement du service militaire obligatoire eut lieu le 26 mai 2000.

4. Le requérant fut soumis à la procédure habituelle d’examen médical, préalable à toute incorporation. Celle-ci comprenait entre autres un examen psychologique. Les médecins le déclarèrent apte à faire le service militaire.

5. Le 10 avril 2001, il fut transféré à l’hôpital militaire de l’armée de terre d’İzmir. Les médecins diagnostiquèrent chez lui un trouble psychotique et décidèrent de l’hospitaliser. L’intéressé resta à l’hôpital jusqu’au 25 avril 2001.

6. Le 25 avril 2001, les médecins décidèrent d’une suspension de son service militaire pendant trois mois. Ils lui prescrivirent également un traitement médicamenteux.

7. À l’issue des trois mois, le requérant retourna dans sa caserne.

8. Le 17 août 2001, il fut de nouveau transféré à l’hôpital militaire. Les médecins décidèrent une nouvelle fois d’une suspension de son service militaire d’une durée de trois mois car il continuait de souffrir des troubles psychotiques. Un traitement médicamenteux fut également mis en place.

9. À l’issue des trois mois, le requérant retourna dans sa caserne.

10. Quelques jours après, à savoir le 22 novembre 2001, les médecins décidèrent une nouvelle fois d’une suspension de son service militaire, cette fois d’une durée de deux mois. Ils recommandèrent au requérant de continuer à prendre son traitement médicamenteux de manière régulière.

11. Le 23 janvier 2002, la décision de la suspension du service militaire du requérant fut renouvelée pour une durée de deux mois.

12. Le 22 mars 2002, les médecins de l’hôpital militaire de l’armée de terre d’İzmir décidèrent que le requérant était inapte à faire le service militaire en raison des troubles psychotiques chroniques dont il souffrait.

13. Le 19 septembre 2006, le requérant fut placé sous tutelle.

14. Le 10 novembre 2006, il saisit, par l’intermédiaire de son tuteur, le ministère de la Défense d’une demande de dommages et intérêts pour être tombé malade lors de son service militaire obligatoire.

15. Le ministère de la Défense transféra le dossier au ministère de l’Intérieur.

16. Le 21 décembre 2006, le ministère de l’Intérieur rejeta la demande du requérant.

17. Le 13 février 2007, le requérant saisit, par l’intermédiaire de son tuteur, la Haute Cour administrative militaire d’une action de plein contentieux contre le ministère de l’Intérieur.

18. La Haute Cour désigna un comité d’experts composé de trois professeurs spécialistes en psychiatrie de la faculté de médecine universitaire de Gazi et chargé de déterminer l’origine de la maladie du requérant.

19. Dans leur rapport du 14 décembre 2008, les experts notèrent que la maladie du requérant avait commencé par des troubles psychotiques qui avaient évolué vers une schizophrénie chronique. Ils conclurent que l’administration militaire ne pouvait être tenue pour responsable de cette situation.

20. Le 27 mai 2009, la Haute Cour, se fondant sur le rapport d’expertise judiciaire du 14 décembre 2008, débouta le requérant. Elle considéra que le lien de causalité entre la maladie psychiatrique chronique dont souffrait le requérant et le service militaire n’avait pas été établi.

21. Le 16 septembre 2009, la Haute Cour rejeta le recours en rectification de l’arrêt formé par le requérant.

GRIEFS

22. Le requérant soutient être tombé malade lors de son service militaire obligatoire et ne pas avoir bénéficié de soins adéquats. Il allègue que cette situation a emporté violation de la Convention.

23. Le requérant se plaint également que sa cause n’a pas été entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

24. La situation dénoncée par le requérant relative à son état de santé (paragraphe 22 ci-dessus) relève de l’article 8 de la Convention.

25. Le Gouvernement indique que le requérant a été déclaré apte à faire le service militaire à l’issue d’une consultation psychologique adaptée. Par la suite, les autorités se sont rendu compte que la maladie dont souffrait l’appelé avait évolué. Elles ont aussitôt pris toutes les mesures nécessaires pour le protéger. Il a été hospitalisé, un traitement médicamenteux lui a été prescrit et une suspension de son service militaire a été décidée avant que, eu égard à la persistance de sa maladie, devenue par la suite chronique, l’intéressé ne soit finalement déclaré inapte au service militaire. Le Gouvernement estime que, dans ces circonstances, il n’y a pas eu d’atteinte à l’intégrité morale et physique du requérant au sens de l’article 8 de la Convention.

26. La Cour rappelle que, lorsqu’un État décide d’appeler ses citoyens sous les drapeaux, le cadre législatif et administratif doit être renforcé de manière à comprendre une réglementation adaptée au niveau du risque qui pourrait en résulter pour la vie et/ou l’intégrité physique, notamment du fait de la nature de certaines activités et missions militaires (Lütfi Demirci et autres c. Turquie, no 28809/05, § 31, 2 mars 2010).

27. En effet, dans le domaine du service militaire obligatoire, il est exigé qu’il soit mis en place – par les instances de santé concernées de l’armée des mesures réglementaires propres à assurer la protection des appelés (Álvarez Ramón c. Espagne (déc.), no 51192/99, 3 juillet 2001), étant entendu que les actes et omissions du corps médical militaire à cet égard peuvent, dans certaines circonstances, engager leur responsabilité.

28. La Cour a donc pour tâche de déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, l’État a pris toutes les mesures requises pour protéger le requérant pendant l’accomplissement de son service militaire obligatoire.

29. Elle considère que les autorités militaires devaient s’assurer que l’appelé était médicalement apte à supporter les conditions inhérentes à l’unité et au lieu de son affectation militaire.

30. À cet égard, compte tenu des éléments dont elle dispose, la Cour observe en premier lieu que le requérant a bien été soumis à la procédure habituelle d’examen médical avant de commencer son entraînement militaire et qu’il a été considéré par les médecins comme apte à accomplir son service militaire.

31. Elle observe ensuite que, dès que les autorités militaires se sont rendu compte que l’intéressé souffrait de problèmes psychologiques, ils l’ont transféré à l’hôpital. À cet égard, aucun manque de bonne volonté ne saurait leur être reproché. Elles ont réagi correctement et suffisamment rapidement une fois que les problèmes de comportement du requérant ont été identifiés. En effet, l’hospitalisation de l’intéressé, la mise en place d’un traitement médicamenteux et d’un suivi médical régulier ainsi que les suspensions de son service militaire sont autant d’éléments qui dénotent sans doute aucun le sérieux dont ont fait preuve les autorités militaires.

32. La Cour observe enfin que, dès lors que les médecins ont estimé que le requérant ne pouvait continuer à faire le service militaire en raison de l’évolution de sa maladie vers des troubles psychotiques chroniques, celui-ci en a été exempté. Aussi considère-t-elle dès lors qu’il n’y a pas eu d’atteinte à l’intégrité physique et morale du requérant au sens de l’article 8 de la Convention.

33. Les circonstances de la cause ne sont pas donc de nature à entraîner la responsabilité de l’État défendeur au sens de la disposition susmentionnée. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

34. Les allégations du requérant relatives à l’indépendance et l’impartialité de la Haute Cour administrative militaire (paragraphe 23 cidessus) relève de l’article 6 § 1 de la Convention.

35. Le gouvernement conteste également la thèse du requérant à cet égard.

36. La Cour indique qu’elle a déjà examiné un grief identique dans sa décision de principe Oğuz Baysal c. Turquie (no 29698/11, 22 mai 2018), et qu’elle a conclu à l’irrecevabilité de l’article 6 § 1 de la Convention au motif que la loi no 7103 du 21 mars 2018 prévoyait désormais la possibilité d’un nouveau procès dans les affaires concernant l’indépendance et l’impartialité de la Haute Cour administrative militaire (Oğuz Baysal, précité, §§ 6-8 et 14-18). En l’espèce, la Cour ne relève aucune raison qui la conduirait à s’écarter de cette conclusion.

37. Elle déclare donc ce grief irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 6 septembre 2018.

Hasan Bakırcı Ledi Bianku
Greffier adjoint Président