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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
6.2.2018
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 23225/05
Petru CALANCEA et autres
contre la République de Moldova

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 6 février 2018 en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Paul Lemmens,
Ledi Bianku,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Valeriu Griţco,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 10 juin 2005,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Les requérants, Mme Sofia Calancea (« la première requérante »), M. Petru Calancea (« le deuxième requérant ») et M. Serghei Cocieru (« le troisième requérant »), sont des ressortissants moldaves, nés respectivement en 1960, en 1957 et en 1971 et résidant à Codru. Ils ont été représentés devant la Cour par Me V. Zamă, avocat à Chișinău. La première requérante a également été représentée devant la Cour par Me N. Ichim, avocate à Strasbourg.

2. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, d’abord par M. V. Grosu, ensuite par M. L. Apostol.

A. Les circonstances de l’espèce

3. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. Contexte de l’affaire

4. Les deux premiers requérants sont mari et femme. Ils sont propriétaires d’une maison dont la construction fut achevée en 1999. Celleci est située sur un terrain traversé par une ligne à haute tension de 110 kV transportant du courant électrique alternatif à une fréquence de 50 Hz.

5. Le troisième requérant est propriétaire d’une maison dont la construction fut achevée en 2001. Sa maison est située sur un terrain voisin de celui des deux premiers requérants. Son terrain est également traversé par la ligne électrique évoquée ci-dessus.

6. Les deux terrains en question mesurent quatre ares chacun. Chaque maison est située à environ dix mètres de la ligne à haute tension. Cette dernière fut mise en exploitation dans les années 1960 et les autorisations pour la construction des deux maisons furent délivrées en 1989.

2. Constats opérés par les autorités étatiques

7. Entre août 2002 et janvier 2007, les autorités étatiques compétentes effectuèrent plusieurs mesures de l’intensité du champ électrique généré sur les terrains des requérants par la ligne à haute tension susmentionnée. Les données enregistrées peuvent être résumées comme suit :

a) l’intensité du champ électrique, juste au-dessous de la ligne électrique, atteignait des valeurs situées entre 0,41 et 1,8 kV/m sur le terrain des deux premiers requérants, et entre 0,67 et 1,4 kV/m sur le terrain du troisième requérant ;

b) à proximité de la porte de la maison des deux premiers requérants, l’intensité du champ électrique était de 0,6 kV/m et, à proximité de celle du troisième requérant, de 0,1 kV/m ;

c) dans les deux maisons, l’intensité du champ électrique était en dessous de la sensibilité de l’instrument de mesure, qui était de 0,012 kV/m.

8. Les autorités compétentes informèrent à plusieurs reprises les requérants que l’intensité du champ électrique mesurée sur leurs terrains dépassait à certains endroits la limite maximale admissible de 1 kV/m fixée par les normes applicables en l’espèce.

9. Dans différentes lettres adressées aux requérants, les autorités étatiques firent également savoir que la réglementation pertinente en l’espèce établissait une zone de protection de vingt mètres le long d’une ligne électrique de 110 kV, que leurs maisons étaient situées dans cette zone de protection et que les autorisations pour la construction des maisons avaient été délivrées sans l’aval de la société qui gérait la ligne à haute tension.

3. État de santé des deux premiers requérants

10. La première requérante souffre d’une affection cardiaque. En 1996, elle subit notamment une opération de chirurgie cardiaque.

11. Un cancer fut diagnostiqué au deuxième requérant en 1998. Il souffre également d’hypertension artérielle et de cardiopathie hypertensive.

4. Procédure civile engagée par les requérants

12. Le 11 avril 2004, les requérants intentèrent une action contre la société de gestion des réseaux électriques et contre la mairie de Codru aux fins d’obliger celles-ci à déplacer la ligne à haute tension à une distance conforme aux normes techniques et sanitaires. Ils réclamaient également réparation du dommage moral qu’ils estimaient avoir subi. Ils soutenaient ne pas avoir été informés en temps utile de l’existence d’un danger quelconque pour leur santé et que la proximité de la ligne avait provoqué chez les deux premiers requérants de graves problèmes de santé.

13. Par un jugement du 20 mai 2004, le tribunal de Rîșcani rejeta l’action comme mal fondée. Il releva notamment que les maisons avaient été construites après la mise en exploitation de la ligne à haute tension et sans l’accord de la société de gestion des réseaux électriques.

Les requérants interjetèrent appel.

14. Par un arrêt du 20 septembre 2004, la cour d’appel de Chişinău confirma le jugement contesté. Elle faisait siens les arguments du tribunal inférieur, et ajoutait que les requérants n’avaient pas contesté les décisions des autorités locales ayant autorisé la construction des maisons et que, de surcroît, il était techniquement impossible de déplacer la ligne électrique.

15. Le 23 mars 2005, la Cour suprême de justice confirma sur recours des requérants les décisions des instances inférieures.

B. Le droit interne pertinent

16. Les normes sanitaires et les règles relatives à la protection de la population contre l’influence du champ électrique généré par les lignes électriques aériennes de fréquence industrielle no 2971-84 du 28 février 1984 fixent les limites maximales admissibles de l’intensité du champ électrique. Celles-ci sont notamment de 0,5 kV/m à l’intérieur des habitations et de 1 kV/m sur les terrains des zones résidentielles.

17. Les dispositions du règlement relatif à la protection des réseaux électriques d’une tension supérieure à 1000 V, approuvé par la décision du Conseil des ministres de l’URSS du 26 mars 1984 et mis en application sur le territoire de la République de Moldova, établissaient une zone de protection de vingt mètres de chaque côté d’une ligne à haute tension de 110 kV. Elles interdisaient également la construction d’un bâtiment dans la zone de protection sans l’accord de la société qui gérait la ligne électrique.

Le règlement relatif à la protection des réseaux électriques, approuvé par la décision du Gouvernement du 23 avril 2002 ayant mis fin à l’application du règlement antérieur sur le territoire de la République de Moldova, contient des dispositions similaires à celles évoquées au paragraphe précédent.

C. Les standards internationaux

18. Les passages pertinents en l’espèce du manuel de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l’instauration d’un dialogue sur les risques dus aux champs électromagnétiques, publié en 2008, se lisent comme suit :

« QUI DÉCIDE DES LIGNES DIRECTRICES ?

Les pays définissent leurs propres réglementations nationales concernant l’exposition aux champs électromagnétiques. Toutefois, la majeure partie des réglementations nationales est basée sur les lignes directrices établies par la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP). Cette organisation non gouvernementale, reconnue officiellement par l’OMS, évalue les résultats scientifiques provenant du monde entier. L’ICNIRP établit des lignes directrices recommandant des limites d’exposition, qui sont périodiquement révisées et mises à jour.

SUR QUOI CES LIGNES DIRECTRICES SONT-ELLES BASÉES ?

Les lignes directrices élaborées par l’ICNIRP concernant l’exposition aux champs électromagnétiques couvrent la gamme de fréquences du rayonnement non ionisant située entre 0 et 300 GHz. Elles sont basées sur des examens très complets de l’ensemble de la littérature publiée dans des revues avec comité de lecture. Les limites d’exposition sont davantage basées sur les effets d’une exposition à court terme que sur une exposition à long terme, parce que les données scientifiques disponibles concernant les effets à long terme d’un faible niveau d’exposition aux champs électromagnétiques sont considérées comme insuffisantes pour permettre d’établir des limites quantitatives.

Se basant sur les effets à court terme, ces lignes directrices internationales définissent un niveau d’exposition approximatif, ou seuil, pouvant potentiellement entraîner des effets biologiques indésirables. (...) »

19. Le guide de l’ICNIRP publié en décembre 2010 (Health Physics 99(6):818-836, 2010) établit, pour le grand public et relativement à des fréquences de 50 Hz, une limite d’exposition de 5kV/m pour ce qui est de l’intensité du champ électrique et de 200 microteslas quant à l’intensité du champ magnétique.

Dans ce guide, l’ICNIRP relève en outre que les études épidémiologiques ont constamment montré que l’exposition quotidienne à un champ magnétique de faible intensité (supérieur à 0,3-0,4 microteslas) était associée à un risque accru de leucémie infantile et que le Centre international de recherche sur le cancer avait classé ces champs magnétiques comme probablement cancérigènes pour l’homme. Cependant, elle souligne qu’un lien de causalité entre les champs magnétiques et la leucémie infantile n’a pas été établi et que d’autres effets à long terme n’ont pas non plus été établis.

GRIEFS

20. Invoquant l’article 6 de la Convention, les requérants se plaignent que le tribunal de première instance a refusé d’ordonner une expertise, que la cour d’appel a examiné l’affaire en l’absence de leur avocat et que les décisions rendues par les tribunaux nationaux ne sont pas motivées.

21. Invoquant l’article 8 de la Convention, ils allèguent en outre que les autorités étatiques ne se sont pas acquittées des obligations positives qui seraient les leurs en vertu de cette disposition.

22. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ils allèguent enfin que la présence de la ligne à haute tension au-dessus de leurs terrains porte atteinte à leur droit au respect de leurs biens.

EN DROIT

A. Sur le grief tiré de l’article 8 de la Convention

23. Les requérants avancent que, compte tenu des circonstances de l’espèce, le seuil minimal pour l’applicabilité de l’article 8 de la Convention a été atteint. Ils arguent également que l’État a failli à ses obligations consistant selon eux à les informer des risques liés à la présence de la ligne à haute tension sur leurs terrains et à faire cesser la violation du droit au respect de la vie privée et familiale dont ils auraient été victimes.

24. Le Gouvernement conteste ces thèses.

25. La Cour renvoie aux principes généraux énoncés dans l’arrêt Martínez Martínez et Pino Manzano c. Espagne (no 61654/08, §§ 40-43, 3 juillet 2012).

26. En l’espèce, la Cour note que les autorités locales ont autorisé la construction des maisons des requérants dans la zone de protection de vingt mètres autour d’une ligne à haute tension, ce qui semble être contraire à la réglementation technique moldave en vigueur. Cependant, elle note que ce constat n’est pas suffisant à lui seul pour conclure à une violation de l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, López Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994, § 55, série A no 303C, et Furlepa c. Pologne (déc.), no 62101/00, 18 mars 2008).

27. La Cour doit déterminer si l’exposition aux champs électromagnétiques produits par la ligne à haute tension située sur les terrains des requérants a dépassé le seuil minimum de gravité pour constituer une violation de l’article 8 de la Convention. À ce sujet, elle rappelle que la constatation de ce seuil est relative et dépend des circonstances de l’affaire, telles que l’intensité et la durée de la nuisance et de ses effets physiques ou psychologiques (voir, par exemple, Fadeïeva c. Russie, no 55723/00, § 69, CEDH 2005IV, et Mileva et autres c. Bulgarie, nos 43449/02 et 21475/04, § 90, 25 novembre 2010).

28. En l’espèce, la Cour considère que les requérants n’ont pas démontré que l’intensité du champ électrique enregistrée sur leurs terrains (paragraphes 7 ci-dessus) était telle qu’il y avait un risque réel pour leur santé.

29. À titre surabondant, elle observe que toutes les mesures enregistrées sont largement en dessous de la limite de 5 kV/m recommandée par l’OMS (paragraphes 18 et 19 ci-dessus). Elle rappelle avoir déjà tenu compte des standards fixés par l’OMS en matière de nuisances sonores (voir, par exemple, Oluić c. Croatie, no 61260/08, § 60, 20 mai 2010) et ne voit aucune raison de procéder autrement pour ce qui est des limites d’exposition aux champs électromagnétiques.

30. La Cour remarque en outre que, à la différence du champ électrique, le dossier de la présente affaire ne contient aucune mesure de l’intensité du champ magnétique montrant que les limites d’exposition recommandées auraient été dépassées sur les terrains des requérants (comparer avec Galev c. Bulgarie (déc.), no 18324/04, 29 septembre 2009, où aucune constatation sérieuse des nuisances sonores n’avait été effectuée).

31. Quant aux maladies dont les deux premiers requérants souffrent (paragraphe 10 et 11 ci-dessus), la Cour observe que l’affection cardiaque de la première requérante et le cancer du deuxième requérant ont été diagnostiqués avant l’achèvement de la construction de leur maison, c’est-à-dire en 1999. En l’absence d’affirmation contraire de la part des deux premiers requérants, elle suppose que ceux-ci occupent leur maison depuis 1999. Dans ces conditions, elle ne saurait conclure à l’existence d’un lien de causalité entre la présence de la ligne à haute tension sur leur terrain et les maladies évoquées ci-dessus. Pour ce qui est de l’hypertension artérielle et de la cardiopathie hypertensive dont souffre le deuxième requérant, la Cour estime que les éléments dont elle dispose ne lui permettent pas non plus d’établir dans quelle mesure ces maladies ont été causées ou aggravées par la présence de la ligne électrique. Quant au troisième requérant, elle note qu’il n’a soutenu ni devant les instances nationales ni devant elle que sa santé a été affectée d’une quelconque manière par la présence de la ligne électrique litigieuse.

32. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’il n’a pas été prouvé que les valeurs des champs électromagnétiques générés par la ligne à haute tension ont atteint un niveau propre à avoir un effet néfaste sur la sphère privée et familiale des requérants. Elle juge donc que le seuil minimum de gravité requis pour pouvoir considérer qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention n’a pas été atteint. Partant, elle ne saurait conclure que l’État a omis de prendre des mesures raisonnables afin de protéger les droits des requérants garantis par cette disposition.

33. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Sur les autres griefs

34. Les requérants soulèvent plusieurs griefs tirés de l’article 6 de la Convention (paragraphe 20 ci-dessus). Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, et pour autant qu’elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par cette disposition.

35. Il s’ensuit que les griefs tirés de l’article 6 de la Convention sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

36. Les requérants allèguent enfin qu’il a été porté atteinte à leurs droits garantis par l’article 1 du Protocole no 1 du fait de la présence de la ligne à haute tension au-dessus de leurs terrains. La Cour observe que les intéressés ne donnent pas d’autres détails au sujet de ce grief. Quoi qu’il en soit, elle relève que, de toute évidence, les requérants ne pouvaient ignorer la présence de la ligne à haute tension et qu’ils ont acquis les terrains constructibles et ensuite bâti leurs maisons en connaissance de cause. Compte tenu de cela et eu égard à la teneur du grief formulé devant elle, la Cour estime qu’il n’a pas été démontré qu’il y a eu ingérence dans les droits des requérants au respect de leurs biens (comparer avec Łącz c. Pologne (déc.), no 22665/02, 23 juin 2009).

37. Il s’ensuit que le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 est également manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 1er mars 2018.

Stanley Naismith Robert Spano
Greffier Président