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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
31.1.2017
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 6193/12
SOCIÉTÉ EDELWEISS GESTION et Christian PIRE
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 31 janvier 2017 en un comité composé de :

Síofra O’Leary, présidente,
André Potocki,
Mārtiņš Mits, juges,

et de Anne-Marie Dougin, greffière adjointe de section f.f.,

Vu la requête susmentionnée introduite le 13 janvier 2012,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Vu les commentaires soumis par l’agent du gouvernement belge en qualité de tiers intervenant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Les requérants, la Société Edelweiss Gestion, société de droit français, dont le siège est à Paris, et M. Christian Pire, ressortissant belge, né en 1961 et résidant à Annecy, ont été représentés devant la Cour par Me P. Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

2. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

A. Les circonstances de l’espèce

3. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

4. La requérante est une société de gestion de portefeuille de valeurs mobilières créée en 2004, dont le requérant préside le directoire.

5. Le 7 mars 2007, à la suite d’un courrier adressé par le commissaire aux comptes de trois fonds communs de placement, signalant des problèmes relatifs à leur méthode de valorisation et des irrégularités sur l’évaluation d’une ligne de titres non cotés, le secrétaire général de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) décida de faire procéder à un contrôle du respect de ses obligations professionnelles par la requérante.

6. Le 12 septembre 2007, le rapport de contrôle fut communiqué à cette dernière.

7. Le 5 novembre 2007, celle-ci présenta ses observations en réponse.

8. Le 22 février 2008, le président de l’AMF, en sa qualité de président du Collège, organe de poursuite de l’AMF, notifia aux requérants des griefs résultant de quatre ensembles de manquements à leurs obligations professionnelles : des griefs tirés de la combinaison des effets de levier et du plafonnement des performances des fonds concernés ; des griefs relatifs au respect des objectifs de gestion des mandants et de leur information ; un grief relatif à la publicité auprès des clients potentiels ; un grief relatif à la valorisation des instruments financiers non cotés.

9. Le 1er avril 2008, le Collège décida, à l’encontre de la société requérante, du « retrait d’agrément du programme d’activité spécialisé relatif à la gestion d’OPCVM contractuels avec ou sans effet de levier ».

10. Par une décision du 26 février 2009, la Commission des sanctions de l’AMF considéra que les manquements reprochés étaient caractérisés et qu’ils revêtaient une particulière gravité. Elle infligea une sanction pécuniaire de 300 000 euros (EUR) à la société requérante, ainsi qu’un blâme et une sanction pécuniaire de 30 000 EUR au requérant.

11. Elle décida également, conformément à l’article L 621-15 V du Code monétaire et financier (ci-après « CMF »), de publier sa décision au bulletin des annonces légales obligatoires, ainsi que sur le site internet et dans la revue de l’AMF, pour les raisons suivantes :

« (..) le législateur a entendu, d’une part, mettre en lumière les exigences d’intérêt général relatives à la loyauté du marché, à la transparence des opérations et à la protection des épargnants qui fondent le pouvoir de sanction de la Commission, et prendre en compte l’intérêt qui s’attache, pour la sécurité juridique de l’ensemble des opérateurs, à ce que ceux-ci puissent, en ayant accès aux décisions rendues, mieux appréhender le contenu des règles qu’ils doivent observer, d’autre part, éviter qu’une telle mesure n’entraîne pour les mis en cause des conséquences par trop dommageables ;

(...) aucune circonstance de l’espèce n’est de nature à démontrer que la publication de la décision entraînerait, compte tenu de ces exigences, des conséquences disproportionnées sur la situation [des requérants] ».

12. Il fut également précisé, à la fin de la décision, que celle-ci pouvait faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État dans les conditions prévues aux articles R. 621-44 à R. 621-46 du CMF.

13. Le 7 mai 2009, la décision de sanction fut publiée sur le site internet de l’AMF.

14. Le 14 mai 2009, les requérants déposèrent auprès du Conseil d’État une requête en référé et un recours au fond à l’encontre de la décision de la Commission des sanctions. Ils demandèrent la suspension de la décision attaquée et le retrait de celle-ci du site internet de l’AMF. Ils firent valoir que la publication était de nature à porter une atteinte grave et irrémédiable à leur image et à leur réputation professionnelle.

15. Par une ordonnance du 1er juillet 2009, le juge des référés du Conseil d’État considéra qu’il n’y avait pas de doute sérieux sur la légalité de la décision. Toutefois, il la suspendit aux motifs qu’eu égard aux résultats négatifs de la société à la suite du retrait d’agrément partiel, la sanction pécuniaire de 300 000 EUR mise à sa charge risquait d’affecter ses fonds propres dans des conditions mettant en cause le respect du ratio prudentiel exigé par l’article 312-3 du règlement général de l’AMF et pouvait conduire au retrait d’agrément de la société. Il enjoignit à l’AMF de mentionner cette suspension sur son site internet. Pour le reste, il considéra que les publications ordonnées par la décision contestée ne créaient pas une situation d’urgence, eu égard « au retrait d’agrément partiel intervenu le 1er avril 2008, rendu public et non contesté par la société (...), le comportement de la société et de ses dirigeants étant déjà connu des investisseurs (...) ».

16. Les requérants demandèrent au Conseil d’État l’annulation de la décision de la Commission des sanctions. Ils firent notamment valoir que la publication de la sanction portait atteinte à la présomption d’innocence et dénoncèrent la rapidité avec laquelle elle avait été mise en œuvre, contrairement à d’autres décisions de sanction prononcées par l’autorité de régulation.

17. Par un arrêt du 13 juillet 2011, le Conseil d’État confirma pour l’essentiel la décision de la Commission des sanctions. Il l’infirma toutefois sur le manquement tiré de ce que les investissements opérés au nom des mandants n’étaient pas adaptés à leur situation et ramena la sanction pécuniaire prononcée à l’encontre de la société requérante à 80 000 EUR et celle prononcée à l’encontre du requérant à 25 000 EUR. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 2 de la Convention, le Conseil d’État considéra ce qui suit :

« (...) Lorsqu’elle prononce la sanction complémentaire de publication de sa décision, l’[AMF] doit être regardée comme ayant légalement admis les manquements qui la fondent et que, dans l’hypothèse où la sanction serait ultérieurement jugée illégale, les personnes sanctionnées pourraient obtenir, outre son annulation, l’indemnisation du préjudice né de sa publication antérieurement à la décision d’annulation ;

Considérant, d’autre part, que la seule circonstance alléguée que la Commission des sanctions aurait procédé à la publication de la décision de sanction litigieuse plus rapidement qu’à celle d’autres décisions de sanction est sans incidence sur la légalité de la sanction de publication ;

Considérant, enfin, qu’il ne résulte pas de l’instruction que la publication de la décision de sanction litigieuse ait causé aux requérants un préjudice disproportionné ; que la présente décision, qui réforme les sanctions pécuniaires infligées, implique toutefois que l’AMF en fasse mention sur son site internet ».

18. Le Conseil d’État enjoignit à l’AMF de mentionner son arrêt sur son site internet.

B. Le droit pertinent

19. Les dispositions pertinentes au sujet de la procédure de sanction devant la Commission des sanctions de l’AMF ont récemment été rappelées par la Cour dans son arrêt X et Y c. France (no 48158/11, §§ 29 et s., 1er septembre 2016), auquel il est renvoyé.

20. Par ailleurs, l’article L 621-15 du CMF est ainsi libellé :

« (...) V. - La décision de la Commission des sanctions est rendue publique dans les publications, journaux ou supports qu’elle désigne, dans un format proportionné à la faute commise et à la sanction infligée. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées. Toutefois, lorsque la publication risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause, la décision de la Commission peut prévoir qu’elle ne sera pas publiée ».

21. L’article 28 § 2 de la directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 sur l’harmonisation des obligations de transparence concernant l’information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé, tel qu’applicable au moment des faits, se lisait comme suit :

« (...)

2. Les États membres autorisent l’autorité compétente à rendre publique toute mesure prise ou sanction infligée pour non-respect des dispositions adoptées en application de la présente directive, excepté dans les cas où leur divulgation mettrait gravement en péril les marchés financiers ou causerait un préjudice disproportionné aux parties en cause. »

GRIEF

22. Invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, les requérants soutiennent que la publication de la décision de la Commission des sanctions, avant que le Conseil d’État ne statue sur leur recours, a violé la présomption d’innocence.

EN DROIT

23. Les requérants allèguent que la publication de la décision de la Commission des sanctions de l’AMF prise à leur encontre au bulletin des annonces légales obligatoires, ainsi que sur le site internet et dans la revue de l’AMF, avant que celle-ci ne soit devenue définitive, constitue une violation de leur droit à la présomption d’innocence. Ils invoquent l’article 6 § 2 de la Convention, libellé comme suit :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

A. Thèses des parties

1. Les requérants

24. Les requérants font valoir qu’en rendant public le nom des personnes sanctionnées, la Commission des sanctions a révélé au public leur culpabilité. Ils soutiennent qu’une telle publication méconnaît leur droit à la présomption d’innocence, dès lors que la décision de sanction n’est pas devenue définitive. Ils ajoutent avoir subi une atteinte injustifiée et disproportionnée à leur honneur, à leur réputation et à leur crédibilité, du fait de cette publication, alors qu’ils avaient encore la possibilité de faire valoir leur innocence. Ils prétendent que cette faculté pour la Commission des sanctions d’ordonner la publication des décisions de sanction est très critiquée en droit interne. Les requérants considèrent qu’elle va au-delà de la législation européenne sur le sujet. Ils ajoutent que de nombreux auteurs souhaitent que soit mis en place un principe d’anonymisation des décisions de sanction jusqu’à l’épuisement des voies de recours. Les requérants prétendent enfin que la protection de la présomption d’innocence ne saurait cesser de s’appliquer en appel du seul fait que la procédure de première instance a entraîné la condamnation de l’intéressé.

2. Le Gouvernement

25. Le Gouvernement soutient que la Commission des sanctions de l’AMF doit être regardée comme décidant « d’accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention. Il ajoute que les sanctions prononcées par celle-ci ont un caractère exécutoire, bien qu’elles soient encore susceptibles de recours. Le Gouvernement indique que la publication des sanctions prononcées n’est pas automatique mais constitue une sanction complémentaire qui vise à assurer la transparence et le bon fonctionnement du marché. Il fait valoir que cette sanction de publication fait l’objet d’un contrôle approfondi de proportionnalité de la part du juge, lequel veille au respect d’un équilibre entre les exigences de régulation et la gravité du préjudice qui pourrait en résulter pour les personnes condamnées. Ce contrôle peut, comme en l’espèce, avoir lieu en référé avant même que le recours ne soit examiné au fond. Le Gouvernement relève enfin que dans l’hypothèse où la condamnation ou la sanction de publication seraient annulées, il appartient à l’AMF de publier la décision d’annulation dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles cette sanction avait été publiée.

3. Le tiers intervenant

26. Le Gouvernement belge estime qu’il convient d’avoir égard au fait que la décision publiée par l’AMF comporte systématiquement la mention encadrée qu’elle peut faire l’objet d’un recours et que, si un tel recours est introduit, son suivi sera assuré en marge de la publication effectuée sur le site internet de l’AMF. Il fait également valoir que la publication des décisions de sanction rendues en cette matière est conforme à l’article 29 de la directive « transparence » (Directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 sur l’harmonisation des obligations de transparence concernant l’information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé), ainsi qu’à l’article 34 du règlement (UE) no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché, lesquels tendent à imposer la publication immédiate des décisions de sanctions prises par les autorités de régulation, et ce à condition d’informer de l’existence d’un recours et de son résultat ultérieur.

B. Appréciation de la Cour

27. La Cour rappelle que, si le principe de la présomption d’innocence consacré par le paragraphe 2 de l’article 6 figure parmi les éléments du procès pénal équitable exigé par l’article 6 § 1, il ne se limite pas à une garantie procédurale en matière pénale : sa portée est plus étendue et exige qu’aucun représentant de l’État ne déclare qu’une personne est coupable d’une infraction avant que sa culpabilité n’ait été établie par un tribunal (voir, parmi beaucoup d’autres, Lagardère c. France, no 18851/07, § 73, 12 avril 2012).

28. Elle rappelle également que l’article 6 § 2 de la Convention n’empêche aucunement les autorités compétentes de faire référence à la condamnation existante du requérant, alors que la question de sa culpabilité n’a pas été définitivement résolue (Konstas c. Grèce, no 53466/07, § 34, 24 mai 2011). Ainsi, il va de soi que la condamnation du requérant en première instance est l’élément objectif qui constitue le point central de la procédure en appel. En outre, l’article 6 § 2 ne saurait, au regard de l’article 10 de la Convention, ni empêcher les autorités de renseigner le public sur la condamnation en cause ni, le cas échéant, interdire toute discussion y relative dans la presse à grande diffusion, parmi le public en général, ou lors d’un débat parlementaire (Konstas, précité). Pour autant, la Convention devant s’interpréter de façon à̀ garantir des droits concrets et effectifs et non théoriques et illusoires (voir, entre autres, Capeau c. Belgique, no 42914/98, § 21, CEDH 2005I), la présomption d’innocence ne saurait cesser de s’appliquer en appel du seul fait que la procédure en première instance a entraîné la condamnation de l’intéressé (Konstas, précité, § 36).

29. Il n’en reste pas moins que la Cour doit examiner si les déclarations faisant référence à la condamnation du requérant ont eu lieu dans des circonstances et d’une manière telles qu’elles pouvaient être considérées comme susceptibles d’affecter le pouvoir d’appréciation de la juridiction devant laquelle l’affaire était pendante. En d’autres termes, la Cour doit rechercher si les propos des autorités en cause donnaient à penser que celles-ci avaient préjugé du réexamen de l’affaire qui serait effectué par la juridiction compétente (Konstas, précité, § 37).

30. Or, en l’espèce, la Cour constate d’emblée que le grief des requérants porte non pas sur des déclarations extérieures visant les requérants ou la procédure en cours, mais sur la publication de la décision de première instance elle-même, rendue par la Commission des sanctions de l’AMF, organe statuant au fond.

31. Partant, la publication litigieuse est intervenue alors que la culpabilité des requérants venait précisément d’être légalement établie par un tribunal, à savoir par ladite Commission des sanctions, dont la Cour a par ailleurs déjà jugé qu’elle présentait les qualités d’indépendance et d’impartialité requises au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (X et Y c. France, précité, §§ 37 et 42 et s.),

32. La Cour relève par ailleurs que : d’une part, la publication de la décision de sanction, qui n’est pas automatique, a fait l’objet d’un contrôle de proportionnalité tant par la Commission des sanctions elle-même (paragraphe 11 ci-dessus), que par le juge des référés (paragraphe 15 ci-dessus), puis par le Conseil d’État en qualité de juridiction de recours (paragraphe 17 ci-dessus) ; d’autre part, comme cela a été expressément relevé par le Conseil d’État, le droit interne assure, en cas d’annulation ou réformation partielle de la condamnation prononcée par la Commission des sanctions de l’AMF, une publicité équivalente de la décision sur recours et ouvre droit à réparation pour le préjudice subi du fait de la diffusion de la décision de sanction (paragraphe 17 ci-dessus).

33. Ainsi, en l’espèce, bien que la décision de condamnation prise en l’espèce par la Commission des sanctions ait été, pour l’essentiel, confirmée par le Conseil d’État, la réforme partielle affectant le montant des sanctions pécuniaires a entraîné pour l’AMF l’obligation d’en faire à son tour mention sur son site internet (paragraphes 17-18 ci-dessus). De même, le juge des référés avait préalablement enjoint à l’AMF de mentionner sur son site internet la décision de suspendre la sanction pécuniaire (paragraphe 15 cidessus).

34. En conclusion, ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il n’y pas a eu, dans les circonstances de l’espèce, violation de l’article 6 § 2 de la Convention à la suite de la publication de la décision de sanction rendue en première instance au fond.

35. Il s’ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 23 février 2017.

Anne-Marie Dougin Síofra O’Leary
Greffiière adjointe f.f. Présidente