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CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 23242/12
NML CAPITAL LTD
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 13 janvier 2015 en une Chambre composée de :
Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 27 mars 2012,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. La requérante, NML Capital LTD, est une société d’investissement, personne morale de droit des îles Caïman, dont le siège social se trouve à Ugland House, au Grand Cayman. Elle a été représentée devant la Cour par Me X. Nyssen, avocat à Paris.
A. Les circonstances de l’espèce
2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.
3. En 2000, la République Argentine émit deux séries d’obligations, de dette souveraine, payables respectivement en 2020 et 2030 et soumises aux conditions d’une convention d’agence financière (« fiscal agency agreement », ci-après « FAA »). Cette dernière prévoyait qu’en cas de défaut de la République Argentine, tout obligataire détenant au moins 25 % du montant total du principal de l’une des séries d’obligations était en droit de prononcer la déchéance du terme de celle-ci. Il était également stipulé que la République Argentine renonçait à l’immunité de juridiction et d’exécution dont elle jouit en tant qu’État souverain et reconnaissait la compétence de tout tribunal d’État ou fédéral de la ville de New York.
4. De 1998 à 2003, la République Argentine connut une crise économique très sérieuse qui la conduisit, à la fin de l’année 2001, à interrompre totalement le service de sa dette.
5. À la suite du défaut de paiement de la République Argentine, la requérante, qui avait acquis, à un prix non spécifié, entre le 6 juin 2001 et le 3 septembre 2003, des participations provenant des deux séries d’obligations pour une valeur faciale cumulée avoisinant les 172 000 000 dollars américains, déclara la déchéance du terme. En 2003, elle engagea une action en paiement devant le tribunal fédéral de district –division Sud de New York (United States District Court for the Southern District of New York).
6. En 2005, la République Argentine proposa aux investisseurs privés une offre d’échange, par laquelle les obligataires renonçaient à environ 75 % de leurs créances.
7. La requérante refusa cette offre et poursuivit son action.
8. Par deux décisions des 11 mai et 18 décembre 2006, le tribunal fédéral de district condamna la République Argentine à payer à la requérante la somme de 284 184 632,30 dollars américains.
9. En l’absence d’exécution volontaire par la République Argentine de ce jugement, la requérante effectua plusieurs tentatives de recouvrement forcé sur le territoire américain. Elle obtint la saisie de parts détenues par la République Argentine dans la Banco Hipotecario, d’une valeur approximative de 90 000 000 dollars américains, ainsi que l’immobilisation d’un compte détenu par la Agencia Nacional de promoción Cientifica y tecnológica auprès de la Banco de la Nación Argentina, contenant environ 3 260 000 dollars américains. Ses autres actions furent infructueuses.
10. La requérante effectua alors plusieurs tentatives de recouvrement forcé en France, en Suisse et en Belgique. Dans ces deux derniers États, les saisies furent infructueuses ou sont toujours en cours.
11. En France, la requérante fit pratiquer, le 3 avril 2009, une saisie conservatoire de créances entre les mains de la Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (BBVA), à concurrence de 314 807 622,01 dollars américains, en vertu du jugement prononcé par la justice américaine le 18 décembre 2006. Cette saisie portait sur les comptes de l’ambassade de la République Argentine, de la délégation permanente de l’Argentine auprès de l’organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (« UNESCO »), de l’attaché de défense de l’Argentine, de l’armée argentine, de la force aérienne argentine, de la fondation d’Argentine et de l’office de tourisme argentin.
12. Le 21 avril 2009, la République Argentine, l’ambassade d’Argentine en France et la délégation permanente d’Argentine auprès de l’UNESCO saisirent le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris pour que soit ordonnée la mainlevée de la saisie conservatoire et que la requérante soit condamnée à leur payer des dommages-intérêts.
13. Le 30 avril 2009, la requérante fit assigner la République Argentine devant le tribunal de grande instance de Paris en exequatur du jugement américain du 18 décembre 2006. Par une décision du 4 mai 2011, le tribunal fit droit à sa demande. Par un arrêt du 9 octobre 2012, la cour d’appel de Paris rejeta l’appel de la République Argentine. Par un arrêt du 28 mai 2014, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de cet État.
14. Par un jugement du 23 juin 2009, le juge de l’exécution ordonna, aux frais de la requérante, la mainlevée de la saisie conservatoire effectuée le 3 avril 2009 à l’encontre de la République Argentine, tout en déboutant cette dernière de sa demande de dommages-intérêts. Il considéra que même en présence d’une renonciation générale à l’immunité d’exécution, les comptes bancaires ouverts au nom d’une ambassade pour les besoins de son activité de service public sur le territoire de l’État accréditaire sont insaisissables du fait de l’immunité diplomatique d’exécution qui s’y attache, en application notamment de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques.
15. Par un arrêt du 1er octobre 2009, la cour d’appel de Paris confirma le jugement du 23 juin 2009 en toutes ses dispositions. Elle considéra qu’en vertu du droit international coutumier, les fonds des missions diplomatiques bénéficient d’une immunité d’exécution autonome par rapport aux autres biens de l’État accréditant, la renonciation à cette immunité ne pouvant être qu’expresse. Elle releva que si le FAA et les contrats d’émission des séries d’obligations comportaient une renonciation à l’immunité d’exécution, ils excluaient une saisie des réserves figurant sur le bilan de la Banco Central et les biens appartenant au domaine public ou en relation avec l’exécution du budget et ne prévoyaient donc pas cette renonciation pour les biens affectés aux missions diplomatiques de la République Argentine. Elle souligna à cet égard que les fonds affectés aux missions diplomatiques participaient à l’exécution de la souveraineté de l’État dans ses représentations à l’étranger et que, dès lors, ils bénéficiaient d’une présomption d’utilité publique.
16. Par un arrêt du 28 septembre 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par la requérante. Elle considéra que, selon le droit international coutumier, les missions diplomatiques des États étrangers bénéficient, pour le fonctionnement de la représentation de l’État accréditaire et les besoins de sa mission de souveraineté, d’une immunité d’exécution autonome à laquelle il ne peut être renoncé que de façon expresse et spéciale. Elle ajouta que cette immunité s’étend, notamment, aux fonds déposés sur les comptes bancaires de l’ambassade ou de la mission diplomatique et que, faute de renonciation particulière et expresse à cette immunité, la renonciation de la République Argentine prévue à l’égard de ses créanciers était en l’espèce inopérante.
B. Le droit et la jurisprudence internes pertinents
1. Le droit interne
17. La loi no 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution, dans ses dispositions pertinentes, se lit comme suit :
Article 1er
« Tout créancier peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard. Tout créancier peut pratiquer une mesure conservatoire pour assurer la sauvegarde de ses droits. L’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution. »
Article 67
« Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. (...) »
Article 68
« Une autorisation préalable du juge n’est pas nécessaire lorsque le créancier se prévaut d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire. Il en est de même en cas de défaut de paiement d’une lettre de change acceptée, d’un billet à ordre, d’un chèque ou d’un loyer resté impayé dès lors qu’il résulte d’un contrat écrit de louage d’immeubles. »
Article 72
« Même lorsqu’une autorisation préalable n’est pas requise, le juge peut, à tout moment, au vu des éléments qui sont fournis par le débiteur, le créancier entendu ou appelé, donner mainlevée de la mesure conservatoire s’il apparaît que les conditions prescrites par l’article 67 ne sont pas réunies. (...) »
2. La jurisprudence interne
18. La Cour de cassation comme le Conseil d’État ont reconnu l’existence d’une règle coutumière de droit public international garantissant par principe aux États l’immunité d’exécution pour les biens affectés aux missions diplomatiques à l’étranger.
19. Parallèlement, afin de préserver les droits des créanciers, le Conseil d’État a reconnu que la responsabilité de l’État français était susceptible d’être recherchée, sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques, dans le cas où l’application de cette immunité d’exécution entraîne un préjudice grave et spécial (CE Section, 14 octobre 2011, Mme Saleh et autres, publié au recueil Lebon).
C. Le droit international pertinent
20. Les dispositions pertinentes de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, ratifiée par la France et l’Argentine se lisent comme suit :
Article 22
« 1. Les locaux de la mission sont inviolables. Il n’est pas permis aux agents de l’État accréditaire d’y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission. (...)
3. Les locaux de la mission, leur ameublement et les autres objets qui s’y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne peuvent faire l’objet d’aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d’exécution. »
Article 24
« Les archives et documents de la mission sont inviolables à tout moment et en quelque lieu qu’ils se trouvent. »
GRIEFS
21. Invoquant l’article 6 de la Convention, la requérante allègue que les juridictions françaises, en retenant l’immunité d’exécution diplomatique au profit de la République Argentine, l’ont privée de son droit à l’exécution d’une décision de justice qui fait partie intégrante du droit d’accès à un tribunal.
22. La requérante se plaint également de ce que la décision de la Cour de cassation l’a empêchée de recouvrer ses créances, en violation de l’article 1 du Protocole no 1.
EN DROIT
23. La requérante se plaint d’une violation de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
Article 6
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. ».
24. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. La finalité de cette règle est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser – normalement par la voie des tribunaux – les violations alléguées contre eux avant qu’elles ne soient soumises à la Cour (voir, entre autres, Cardot c. France, 19 mars 1991, § 36, série A no 200). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention –et avec lequel elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V).
25. En l’espèce, la Cour constate que le pourvoi de la requérante contre l’arrêt d’appel ordonnant la mainlevée de la saisie conservatoire effectuée le 3 avril 2009 à l’encontre de la République Argentine a été rejeté par la Cour de cassation. Elle observe également que la requérante a obtenu, de manière définitive, l’exéquatur du jugement de la United States District Court for the Southern District of New York en date du 18 décembre 2006. Elle note toutefois que celle-ci se plaint, dans ses griefs, de ce que l’effectivité de cet exéquatur aurait été compromise du fait de la mainlevée de la saisie conservatoire.
26. Or, la Cour constate qu’il existe en France une voie de recours permettant de saisir les juridictions administratives d’une action en responsabilité de l’État. Elle observe en effet qu’à l’occasion d’affaires présentant des similitudes avec les faits de l’espèce (en ce que des créanciers d’un État étranger s’étaient vus opposer l’immunité d’exécution diplomatique), le Conseil d’État a reconnu la possibilité de rechercher la responsabilité de l’État, sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques, dans le cas où l’application de l’immunité d’exécution diplomatique entraîne un « préjudice grave et spécial » (paragraphe 19 ci-dessus). La Cour considère que s’il peut exister un doute quant au mode d’appréciation par les juridictions administratives du caractère « grave et spécial » du préjudice subi par la requérante, elle ne saurait préjuger de l’issue susceptible d’être donnée par les juges internes à une action en responsabilité de l’État exercée par cette dernière. À cet égard, elle rappelle que le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non‑utilisation de recours internes (voir, parmi beaucoup d’autres, Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, § 82, 4 mars 2014).
27. Par conséquent, la Cour considère que la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 5 février 2015.
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffière Président