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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
19.6.2025
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 38919/20
Jean-Louis MULLER
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 19 juin 2025 en un comité composé de :

Andreas Zünd, président,
Mykola Gnatovskyy,
Vahe Grigoryan, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 38919/20 contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Jean-Louis Muller (« le requérant »), représenté par Me Waquet, avocate à Paris, a saisi la Cour le 1er septembre 2020 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement français, représenté par son agent, M.D. Colas, directeur des Affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (« le Gouvernement »), le grief concernant la durée de la procédure et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La requête concerne la durée d’une procédure pénale. Est en jeu l’article 6 § 1 de la Convention.

  1. La procédure pénale

2. Le 8 novembre 1999, l’épouse du requérant, B., âgée de quarantedeux ans, trouvait la mort, à son domicile, par blessure à la tête donnée par arme à feu. Un révolver se trouvait à ses pieds. À 21 h 24, le requérant fit part du « suicide » de son épouse à la gendarmerie. Le rapport d’autopsie conclut à un possible geste suicidaire sans exclure l’intervention d’une tierce personne. L’expertise des tamponnements prélevés sur les mains, le visage et les habits de B. et du requérant, confiée à M.G., n’exclut pas que la première ait tiré mais écarta que le second ait pu le faire.

3. Le 22 février 2000, le parquet classa l’affaire sans suite, au motif de l’absence d’infraction.

4. Le 17 mars 2000, il ouvrit une information pour recherche des causes de la mort, et le 19 octobre 2000, pour homicide volontaire contre X.

5. Le rapport d’expertise balistique et physico chimique remis par le laboratoire de police scientifique de Lille en juin 2001 fit le constat du « peu de particules » correspondant à la munition utilisée sur les tamponnements de B., et de la présence d’une « quantité importante » de ces particules sur ceux réalisés sur les mains du requérant. Une expertise confiée à l’office fédéral de la police judiciaire allemand à Wiesbaden aboutit au même constat.

6. Le 8 novembre 2001, le requérant, médecin, expert légiste, fut mis en examen pour homicide volontaire.

7. Entre le 14 novembre 2001 et le 27 mai 2002, le juge d’instruction et les militaires de gendarmerie entreprirent de très nombreux interrogatoires des parties civiles, de la famille et des anciens associés du requérant, des amis et des collègues de la victime, des employés de la maison et des voisins.

8. Le requérant fut lui-même interrogé les 8 et 27 novembre 2001, 19 décembre 2001, 30 janvier 2002, les 7, 12 et 22 mars 2002, 28 mai 2002, 25 janvier 2003 et le 6 février 2003.

9. Le dossier médical de B. fut soumis à l’expertise du Dr B. qui conclut en mai 2002 qu’elle ne présentait aucun trouble de la personnalité ayant pu concrétiser le passage à l’acte suicidaire. Le 19 juin 2002, le Dr P. chargé de l’expertise psychiatrique du requérant rendit son rapport.

10. Le 29 août 2002, le juge d’instruction se transporta sur les lieux des faits, assistés des services de la police et d’un expert allemand, le Dr. S., missionné par des ordonnances des 8 février, 2 avril, 29 avril et 2 juillet 2002, en présence du requérant et de son conseil.

11. Réétendu, l’expert M.G. maintint que les particules retrouvées sur les mains du requérant ne correspondaient pas à des résidus de tirs.

12. Le 19 décembre 2002, le Dr S. remit son rapport d’expertise balistique en raison des ordonnances précitées. Alors qu’un fusil de chasse, non listé par le requérant parmi les armes qui étaient en sa possession à son domicile, avait été retrouvé lors d’une perquisition effectuée le 12 mars 2002, l’expert mit en cause la possibilité d’un tir réalisé par B. avec le révolver compte tenu de l’axe du coup de feu, de la lésion et de la très faible quantité de résidus de tir retrouvée sur elle. Il conclut que « l’ensemble des lésions pourraient s’expliquer par un deuxième coup de feu ».

13. Le 20 janvier 2003, deux rapports d’expertises relatifs aux empreintes génétiques sur le révolver et le fusil furent déposés. Le 3 mars 2003, ils furent notifiés aux parties. Le 6 mars 2003, le juge d’instruction rejeta une demande de complément d’expertise des parties civiles.

14. Le 22 avril 2003, le requérant présenta une demande de transport sur les lieux afin d’effectuer une reconstitution. Les 9 et 30 mai 2003, le juge d’instruction, puis la chambre de l’instruction, la rejetèrent au motif que les conclusions des experts avaient été portées à sa connaissance et qu’une confrontation sur les lieux n’apparaissait pas utile à la vérité.

15. Le 24 juin 2003, le requérant formula une demande d’actes complémentaires, rejetée par le juge d’instruction le 10 juillet 2003.

16. Le 25 juillet 2003, il fut soumis à un interrogatoire récapitulatif et se vit notifier un premier avis de fin d’information. L’un des passages de cet interrogatoire indique ce qui suit :

« (...) ces éléments témoignent de votre ingérence au cours de l’enquête judiciaire : votre façon véhémente de vous adresser à Mme la procureure et votre volonté, dès le 27 février 2000 à vouloir récupérer les objets placés sous scellés en sont également une illustration. Ces éléments vont « plomber » le cours d’une information judiciaire ouverte un an après les faits, et qui est largement tributaire de la qualité des constations initiales au moment de la découverte du cadavre. Ils vont également nous amener à dessaisir la gendarmerie et à saisir l’antenne de Metz (...) aux fins de délocaliser les investigations ».

17. Le 13 août 2003, il déposa une demande d’actes afin d’auditionner les gendarmes dans le cadre de la procédure de découverte de cadavre et réitéra sa demande de transport sur les lieux. Cette demande fut rejetée par le juge d’instruction le 28 août 2003. L’appel interjeté contre l’ordonnance de rejet fut audiencé le 11 décembre 2023, puis le 8 janvier 2004, à la suite d’une demande de renvoi de son conseil. Le 29 janvier 2004, la chambre de l’instruction confirma le rejet de la demande du requérant. Elle considéra le transport sur les lieux inutile tant pour vérifier l’angle des tirs dans l’hypothèse du suicide, que pour déterminer, dans l’hypothèse d’un homicide, si B. avait été tuée par son mari ou non.

18. Le 8 mars 2004, le juge d’instruction prit une ordonnance de soi communiqué aux fins de règlement. Par un réquisitoire supplétif du 27 juillet 2004, le parquet requit l’accomplissement de nouvelles expertises.

19. Entre décembre 2004 et juin 2005, le juge d’instruction délivra quatre commissions rogatoires aux enquêteurs, ordonna plusieurs expertises et entendit les parties civiles.

20. Les 22 mars et 11 avril 2005, le requérant déposa des requêtes en nullité d’acte de la procédure. Par des ordonnances des 4 avril et 2 juin 2005, la première requête fut déclarée irrecevable, la seconde rejetée.

21. Les 4 et 12 juillet 2005, le requérant déposa une demande de clôture de l’instruction. Le 28 juillet 2005, le juge d’instruction ordonna la poursuite de l’information. Par une ordonnance du 8 août 2005, le président de la chambre de l’instruction confirma cette ordonnance au motif qu’il serait « prématuré d’augurer les résultats possibles des investigations, lesquels pourraient servir à décharge plutôt qu’à charge, et contraire à toute logique [ainsi qu’] aux intérêts bien compris des parties, d’envisager l’interruption des recherches (...) ». Cette ordonnance fut frappée d’un pourvoi en cassation, qui fut non admis le 29 septembre 2005.

22. Plusieurs expertises furent ordonnées les 23 mars, 4 avril, 31 mai et 2 juin 2005 pour expérimenter les armes concernées et pour répondre aux questions soulevées par le requérant concernant les matériaux biologiques retrouvés sur les scellés. Plusieurs rapports d’expertise furent déposés les 6 septembre 2005, 24 janvier et 29 mars 2006. Celui du Dr S. conclut qu’il n’était pas possible de provoquer une lésion semblable à celle de la victime avec le révolver, et que la distribution des souillures organiques et des traces de sang était compatible avec l’hypothèse d’un coup de fusil sur la victime gisant à terre.

23. Le 30 janvier 2006, le requérant déposa une demande tendant à la clôture de l’instruction. Par une ordonnance du 27 février 2006, le juge d’instruction la rejeta et déclara qu’il y avait lieu de poursuivre l’instruction au motif « que l’une des investigations sollicitées par le ministère public demeure en cours d’exécution du fait de sa complexité, qu’elle est néanmoins en voie d’achèvement ». Le 8 mars 2006, il fut décidé qu’il n’y avait pas lieu de saisir la chambre de l’instruction de l’appel du requérant contre cette ordonnance.

24. Auparavant, le 6 mars 2006, le juge d’instruction ordonna une dernière expertise pour procéder à une nouvelle analyse des prélèvements génétiques réalisés sur le fusil. En mai, juin et juillet 2006, il procéda à des relances à expert. Le 2 août 2006, le dernier rapport d’expertise fut déposé.

25. Le 5 septembre 2006, le juge d’instruction interrogea le requérant et lui notifia les conclusions d’expertise. Le même jour, il rendit un avis de fin d’information. Le 26 septembre 2006, il rendit une ordonnance de règlement et transmit le dossier au procureur. Le 23 novembre 2006, ce dernier prit son réquisitoire définitif aux fins de mise en accusation devant la cour d’assises.

26. Par une ordonnance du 30 novembre 2006, le juge d’instruction, prononça la mise en accusation du requérant et le renvoya devant la cour d’assises du Bas-Rhin.

27. Par un arrêt du 12 avril 2007, la chambre de l’instruction, sur appel du requérant, confirma l’ordonnance de mise en accusation. Elle précisa, sur la demande de reconstitution du requérant, que cette dernière ne reposait que sur des conjectures, en « l’absence de témoin direct » et « d’élément précis permettant de déterminer la position de départ de la scène », ajoutant qu’un transport sur les lieux avait déjà eu lieu avec l’ensemble des parties et que la maison avait été vendue et l’apparence des lieux totalement modifiée. Le requérant forma un pourvoi en cassation que la Cour de cassation rejeta le 26 septembre 2007.

28. Le 8 juin 2008, la présidente de la cour d’assises se rendit sur les lieux.

29. Le 16 octobre 2008, la cour d’assises du Bas-Rhin déclara le requérant coupable des faits reprochés, et le condamna à la peine de vingt ans de réclusion criminelle.

30. Le 21 juin 2010, la cour d’assises du Haut-Rhin, statuant en appel, déclara le requérant coupable et le condamna à la même peine. Le 23 juin 2010, le requérant se pourvut en cassation. Le 28 octobre 2010, il déposa un mémoire soulevant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant la Cour de cassation, laquelle question fut renvoyée devant le Conseil constitutionnel le 19 janvier 2011. Le 1er avril 2011, ce dernier rendit sa décision.

31. Le 22 juin 2011, la Cour de cassation cassa l’arrêt de la cour d’assises de Colmar pour des motifs de procédure et renvoya l’affaire devant la cour d’assises de Meurthe et Moselle.

32. Le procès devant la troisième cour d’assises initialement fixé du 10 au 20 décembre 2012 se tint finalement en octobre 2013 à la suite d’une demande de renvoi du nouvel avocat du requérant.

33. Le 31 octobre 2013, cette cour acquitta le requérant au motif que les éléments à charge existant contre l’accusé étaient insuffisants et que le doute devait lui profiter, indiquant en particulier « qu’il résulte des expertises réalisées que si aucune hypothèse n’est à exclure totalement quant aux circonstances de la mort de B., aucune ne permet de trancher avec certitude l’une par rapport à l’autre ».

  1. La procédure de réparation du préjudice subi à raison de la détention provisoire

34. Le 8 décembre 2015, la commission nationale de réparation des détentions indemnisa le requérant à hauteur de 412 834 EUR en réparation du préjudice subi à raison de sa détention provisoire effectuée par périodes successives, du 8 novembre 2001 au 12 mars 2002, du 28 mars au 13 juin 2002, du 16 octobre au 20 novembre 2008 et du 21 juin 2010 au 22 juin 2011.

  1. La procédure en indemnisation sur le fondement de l’article L. 1411 du code de l’organisation judiciaire

35. Le 15 avril 2016, invoquant un fonctionnement défectueux du service public de la justice et la durée excessive de la procédure, le requérant fit assigner l’agent judiciaire du Trésor dans le cadre d’une action en responsabilité de l’État, aux fins d’obtenir la condamnation de celui-ci à lui payer la somme de 10 263 585,36 EUR à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et matériel.

36. Le 20 mai 2017, le tribunal de grande instance de Paris débouta le requérant de sa demande. S’agissant de la période de novembre 1999 à septembre 2003, il indiqua qu’aucune lenteur de la justice n’était démontrée, « le requérant reconnaissant lui-même que l’instruction a été conduite à un rythme normal jusqu’à fin 2002 », et que « trois interrogatoires se sont succédé jusqu’au 25 juillet 2003 ». S’agissant de la période de juillet 2004 à avril 2007, pour répondre à l’argument du requérant tenant au délai écoulé entre l’avis de fin de notification du 25 juillet 2003 et la délivrance du réquisitoire supplétif le 27 juillet 2004, le tribunal rappela le comportement du requérant au cours de cette période (paragraphe 17 ci-dessus). La période 2005-2006 fut jugée raisonnable, compte tenu « de la complexité des missions confiées à différents experts » et au motif « qu’elle avait pour but de répondre aux interrogations du ministère public et de satisfaire le mis en examen, dès lors qu’il contestait les charges pesant sur lui ». S’agissant de la période 2008-2013, le tribunal considéra que le délai de cinq ans au cours duquel quatre juridictions successives avaient été saisies n’était pas déraisonnable. Le requérant interjeta appel de ce jugement.

37. Le 13 novembre 2018, la cour d’appel de Paris confirma le jugement.

38. Le 18 mars 2020, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant par une décision ainsi motivée :

« (...) 5. L’arrêt expose, en deuxième lieu, les difficultés particulières résultant de l’intervention des experts. Après avoir rappelé que les premières investigations pour identifier les causes du décès de R... U... n’excluaient pas l’intervention d’une tierce personne et que les expertises balistiques révélaient la présence, sur les mains de M. U..., d’une quantité importante de particules correspondant à la munition utilisée, l’arrêt relève que les hypothèses envisagées successivement par les services de police, telles que l’évocation d’un tir de gauche à droite, n’étaient pas en soi fautives, les expertises ultérieures de 2002 et 2006 n’ayant pas apporté de conclusions certaines, notamment quant à la l’analyse de la forme des traces de sang. Il ajoute que les difficultés rencontrées lors de la phase d’instruction résultaient de la nécessité, d’une part, de solliciter des experts transfrontaliers, dès lors que M. U..., lui même médecin généraliste, expert légiste, avait indiqué entretenir des liens amicaux avec les médecins intervenus au début de la procédure, d’autre part, de vérifier les conclusions apportées par les expertises au moyen d’autres expertises, en raison des divergences des résultats. Il rappelle que dix-huit expertises ont ainsi été effectuées et que les nouvelles expertises ordonnées après le réquisitoire supplétif sont intervenues pour répondre aux observations de M. U....(...)

6. En troisième lieu, l’arrêt relève que la période de quatorze années entre la découverte du corps sans vie de R... U... et l’arrêt d’acquittement correspond au temps rendu nécessaire par l’enquête de police, la première information pour recherche des causes de la mort et la seconde, ouverte contre personne non dénommée du chef de meurtre, au cours de laquelle se sont déroulées les expertises précitées, M. U... ayant été entendu par le juge d’instruction les 8 et 27 novembre 2001, 30 janvier, 7 et 22 mars, 28 mai 2002, 21 janvier, 6 février et 25 juillet 2003. Il précise qu’après l’ordonnance de refus d’actes supplémentaires du 28 août 2003 dont l’intéressé a fait appel, l’affaire, audiencée le 11 décembre 2003, a fait l’objet d’un renvoi à la demande du mis en examen, a été évoquée le 1er janvier 2004 et jugée par arrêt du 29 janvier 2004. Il précise que le juge d’instruction a rendu une ordonnance de soit-communiqué aux fins de règlement le 8 mars 2004, que le procureur de la République a déposé un réquisitoire supplétif très motivé le 27 juillet 2004, soit dans les quatre mois et demi de la réception du dossier et que plusieurs actes de poursuite d’information sont intervenus ensuite sur des requêtes de M. U....

7. De ces énonciations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire, malgré la gravité de l’enjeu pour la personne poursuivie, d’une part, que le délai de douze ans pour juger un crime de meurtre, dont l’accusé a été déclaré coupable deux fois avant d’être acquitté, n’était pas excessif au regard de la complexité de l’affaire illustrée par le nombre d’actes, de décisions et d’expertises et les avis divergents qui en ont résulté, d’autre part, qu’aucune faute lourde ne résultait ni de la nécessité pour les juges de vérifier les conclusions incertaines ou contradictoires des experts, ni de l’absence de reconstitution, ni du fonctionnement de la justice dans la période postérieure à l’avis de fin d’information du 25 juillet 2003, laquelle ne révélait pas d’inaction des services judiciaires.

8. Ayant enfin constaté que la Cour de cassation avait renvoyé l’accusé, comparaissant libre, devant la cour d’assises le 22 juin 2011, la cour d’appel a relevé que le procès, initialement fixé du 10 au 20 décembre 2012 s’était finalement tenu en octobre 2013, à la suite d’une demande de renvoi de M. U..., justifiant ainsi le délai de jugement. »

APPRÉCIATION DE LA COUR

39. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant allègue que la durée de la procédure a été excessive. Il fait valoir que l’affaire n’était pas complexe et qu’une reconstitution aurait évité douze ans de procédure. Celle improvisée par son avocat lors du troisième procès, rapportée par la presse, aurait été déterminante pour son acquittement.

40. Le Gouvernement prie la Cour de rejeter le grief en raison, d’une part, de la complexité de l’affaire due aux difficultés techniques à déterminer objectivement les causes de la mort de B. et à la multiplicité des personnes à interroger pour élucider la question du meurtre ou du suicide, d’autre part, de la participation du requérant à l’allongement de la procédure (paragraphes 14, 15, 17, 20 et 21 ci-dessus) et, enfin, de l’absence de période de latence imputable à l’État. Il ajoute que la demande de reconstitution a été rejetée par l’ensemble des juges d’instruction, magistrats de la chambre de l’instruction et de la Cour de cassation.

41. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II, Goetschy c. France (CTE), no63323/12, 8 février 2018).

42. La Cour reconnaît que la période à examiner, qui s’étend sur presque douze années, est longue au vu de la gravité de l’enjeu pour le requérant. Elle relève toutefois, ainsi que cela ressort du paragraphe 34 ci-dessus, que l’intéressé était libre la majeure partie de la procédure (a contrario, Abdoella c. Pays-Bas, 25 novembre 1992, § 24, série A no 248-A, mutatis mutandis, Liblik et autres c. Estonie, nos 173/15 et 5 autres, § 103, 28 mai 2019).

43. La Cour considère, à l’instar des juridictions internes et du Gouvernement, que l’affaire revêtait une certaine complexité. Elle relève que les autorités judiciaires ont rencontré des difficultés liées aux hypothèses parallèlement envisagées dans le dossier qui ont nécessité, d’une part, le concours de nombreux experts, dont les rapports aux conclusions incertaines ou divergentes ont conduit à de nouvelles expertises et à des vérifications très poussées, et d’autre part, en l’absence de témoins, l’audition de nombreuses personnes. Elle note également que ces expertises, au vu des liens qu’entretenait le requérant, expert légiste, avec les médecins intervenus au début de la procédure, ont dû être confiées à des experts transfrontaliers.

44. La Cour observe ensuite qu’il ne peut pas être exclu que l’attitude du requérant ait été source de complication de la phase d’instruction (paragraphe 16 ci-dessus). Elle considère toutefois qu’il ne saurait lui être reproché d’avoir produit devant le juge d’instruction les éléments qu’il jugeait de nature à le disculper, réclamé de lui qu’il procède à certaines investigations ou d’avoir tiré pleinement parti des voies de recours que lui ouvrait le droit interne. En particulier, si ses demandes de reconstitution criminelle, rejetées unanimement comme inutiles pour la manifestation de la vérité, ont été présentées alors même qu’un transport sur les lieux avait déjà eu lieu, qu’il venait de se voir notifier le premier avis d’information ou que les lieux avaient changé d’apparence (paragraphes 10, 17 et 27 ci-dessus), il ne peut lui être fait grief d’avoir sollicité cet acte dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et d’avoir contribué à retarder l’issue de l’instruction à cet égard.

45. Enfin, s’agissant du comportement des autorités judiciaires, la Cour constate tout d’abord que l’instruction a duré cinq ans sans connaître de retards ou de périodes de latence significatifs. Au contraire, elle a été menée à un rythme régulier jusqu’au premier avis de fin d’information le 25 juillet 2003. Par la suite, le réquisitoire supplétif, « très motivé » du procureur de la République du 27 juillet 2004, est intervenu moins de quatre mois après l’ordonnance de soit-communiqué du 8 mars 2004, et, à l’exception de la période comprise entre ce réquisitoire et le début de la seconde étape de l’instruction, la période d’activité qui a suivi était soutenue avec le déroulement d’opérations d’expertises techniques diligentées aux fins de répondre aux contestations du requérant et d’évaluer leur pertinence.

46. Compte tenu de son constat quant à la complexité de l’affaire, la Cour considère que l’instruction a été conduite avec une diligence raisonnable et que sa durée n’était pas excessive.

47. Par ailleurs, s’agissant du procès, la Cour relève qu’il s’est étalé sur cinq ans, avec la saisine de quatre juridictions, trois cours d’assises et la Cour de cassation (y compris le renvoi d’une QPC devant le Conseil constitutionnel). Compte tenu des contingences des procès d’assises, des délais acceptables d’audiencement devant les trois cours d’assises, de la comparution libre du requérant et de la demande de renvoi de son avocat devant la cour d’assises de Meurthe et Moselle, la Cour considère que la phase de jugement de l’affaire ne fait pas apparaître de retards excessifs.

48. Eu égard à tout ce qui précède, la Cour, qui ne voit aucune raison sérieuse de se départir de l’appréciation faite par les juridictions internes, considère que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 10 juillet 2025.

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Martina Keller Andreas Zünd
Greffière adjointe Président