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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
13.5.2014
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 21719/10
Bilal ÇETİNER
contre la Turquie

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 13 mai 2014 en un comité composé de :

Nebojša Vučinić, président,

Paul Lemmens,

Egidijus Kūris, juges,

et de Abel Campos, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 25 mars 2010,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Le requérant, M. Bilal Çetiner, est un ressortissant turc né en 1974. Il a été représenté devant la Cour par Me M. Özbekli, avocat à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

2. Le 21 janvier 2002 vers 6 heures, dans le cadre d’une opération menée contre l’organisation Hizbullah (une organisation illégale armée), le requérant fut arrêté avec un autre suspect alors qu’il tenait un pistolet entre les mains.

3. Il ressort du procès-verbal d’arrestation du requérant que les policiers furent contraints à recourir à l’usage de la force en raison de la résistance opposée par celui-ci avec l’arme à feu qu’il tenait.

4. Le même jour, il fut placé en garde à vue à la direction de sûreté de Batman.

5. Avant son placement en garde à vue, le requérant fut emmené à l’hôpital public de Batman afin de subir un examen médical.

6. Dans le rapport médical établi le même jour, à savoir le 21 janvier 2002, il était indiqué que le requérant se plaignait de coliques néphrétiques et qu’il avait des ecchymoses répandues sur le dos.

7. Le 24 janvier 2002, à la sortie de sa garde à vue, le requérant passa un examen médical à l’hôpital public de Batman.

8. Dans le rapport médical établi le même jour, il était mentionné que le requérant se plaignait de coliques néphrétiques et qu’il avait des égratignures sur le dos. Le médecin précisa que le corps du patient ne présentait pas de trace de violence.

9. A la même date, le procureur de la République de Batman recueillit la déposition du requérant.

10. L’intéressé fut ensuite traduit devant le tribunal d’instance pénal. Après l’avoir entendu, le juge assesseur décida de sa mise en détention provisoire.

11. Le 25 janvier 2002, le requérant subit un contrôle médical. Le rapport médical conclut à l’absence de trace de violence sur le corps de l’intéressé.

12. Le même jour, la cour de sûreté de Diyarbakır autorisa la remise du requérant pendant dix jours aux policiers rattachés à la section de lutte contre le terrorisme près la direction de la sûreté de Diyarbakır en vue d’y subir un interrogatoire.

13. Le 26 janvier 2002, le requérant fut remis aux policiers rattachés à cette section.

14. Le même jour, le requérant fut examiné à l’hôpital de Batman. Il ressort du rapport établi à l’issue de l’examen médical que l’intéressé avait des rougeurs légères au niveau du dos et qu’il se plaignait de douleurs rénales. Il ne présentait pas de trace de violence.

15. Pendant la période où il resta à la section de lutte contre le terrorisme près la direction de la sûreté de Diyarbakır, le requérant fit l’objet de plusieurs examens médicaux à l’hôpital public de Diyarbakır.

16. Selon le rapport médical établi le 28 janvier 2002, le requérant fut hospitalisé afin de recevoir des soins médicaux pour des calculs rénaux.

17. Le rapport médical établi le 4 février 2002 mentionna que le requérant avait au creux de son dos des lésions d’hyperémie cutanée non réactive d’un diamètre de 5-6 cm. Le médecin indiqua également que le résultat des analyses urinaires était normal.

18. Le 4 février 2002, la cour de sûreté de Diyarbakır accorda une deuxième autorisation de dix jours pour le placement du requérant aux mains des forces de l’ordre de la section de lutte contre le terrorisme près la direction de la sûreté de Diyarbakır.

19. Le 5 février 2002 à 1 h 45 et le 8 février 2002 à 1 h 50, le requérant fut hospitalisé suite à ses plaintes pour douleurs rénales. Il reçut des soins médicaux pour colique rénale et infection urinaire à l’hôpital de Diyarbakır.

20. Selon le rapport établi le 10 février 2002 par l’hôpital de Diyarbakır, le requérant raconta qu’il avait évacué des calculs rénaux et qu’il continuait de suivre un traitement médical pour ce problème.

21. Le rapport médical du 13 février 2002 établi par l’hôpital de Diyarbakır fit état chez le requérant de douleur et de sensibilité à la palpation des régions lombaires, du gland et du testicule droit. Dans son analyse d’urine, 4-5 érythrocytes et 2-3 leucocytes furent constatés.

22. Le 14 février 2002, à l’issue de son interrogatoire à la section de lutte contre le terrorisme près la direction de la sûreté de Diyarbakır, le requérant subit un examen médical. Aucune trace de violence sur le corps de l’intéressé ne fut constatée.

23. Le même jour, le requérant fut remis à la maison d’arrêt de Batman où il subit un examen médical par le médecin de la prison. Le rapport établi à cet égard indiqua que le requérant ne souffrait d’aucune trace de violence sur son corps.

24. Le 18 février 2002, le requérant porta plainte auprès du procureur de la République de Batman contre les policiers de la direction de sûreté de Batman pour torture à son égard. Il soutint avoir été soumis à la torture lors de sa garde à vue à Batman. Ainsi, on lui aurait administré des décharges électriques sur différentes parties de son corps et notamment sur ses testicules ; il aurait été arrosé d’eau froide avant et après l’électrocution ; il aurait eu très soif mais qu’on aurait refusé de lui donner de l’eau ; il aurait été suspendu par ses bras en étant nu pendant des heures après l’électrocution ; enfin, il aurait été menacé de mort.

25. Le procureur entendit les médecins ayant établi les rapports médicaux relatifs au requérant. Tous déclarèrent que le corps de l’intéressé ne présentait aucun signe de torture.

26. Le procureur entendit également le requérant qui réitéra ses griefs.

27. À l’issue de l’enquête pénale, le 6 novembre 2002, le procureur de la République de Batman rendit une ordonnance de non-lieu au motif que les allégations du requérant n’étaient pas étayées par des éléments de preuve tangible. Il observa que les médecins, ayant examiné l’intéressé, avaient été entendus et qu’ils avaient déclaré n’avoir constaté aucune trace de torture sur lui. Il considéra que les traces de blessures qui se trouvaient au niveau du dos du plaignant s’étaient formées lors de son interpellation. Le procureur ajouta également que le requérant n’avait pas accepté de subir un nouvel examen médical après sa plainte du 18 février 2002.

28. Le 8 avril 2010, le requérant, soutenant n’avoir pas reçu notification de la décision du 6 novembre 2002, écrivit au parquet de Batman pour s’enquérir de l’issue de l’enquête pénale relative à sa plainte contre les policiers de la direction de sûreté de Batman.

29. Le 22 avril 2010, l’ordonnance de non-lieu du 6 novembre 2002 fut alors notifiée au requérant.

30. Le requérant ne fit pas opposition contre cette ordonnance de non-lieu auprès de la Cour d’assises.

31. Parallèlement à sa plainte contre les policiers de Batman, le 26 mars 2010, le requérant porta une plainte contre les policiers de la section de lutte contre le terrorisme près la direction de la sûreté de Diyarbakır.

32. Le 8 avril 2010, le procureur de la République de Diyarbakır entendit le requérant. Les passages pertinents de son témoignage se lisent comme suit :

« C’est moi qui vous ai écrit depuis la prison le 26 mars 2010. Je réitère ma plainte. Je suis resté 20 jours à la direction de la sûreté de Diyarbakır. Les policiers m’ont torturé. On m’a administré des décharges électriques. J’ai été arrosé d’eau froide. J’ai été soumis à la pendaison palestinienne. J’avais les yeux bandés. Je ne peux pas identifier les policiers mais je sais qu’ils étaient plusieurs.

E.K. et M.B. ont été témoins de ces mauvais traitements.

Les médecins m’ont examiné seuls. Les policiers ont voulu entrer dans la salle de consultation mais les médecins ne l’ont pas permis.

C’est la première fois que je porte plainte contre les policiers de la section de lutte contre le terrorisme près la direction de la sûreté de Diyarbakır. Auparavant, j’avais porté plainte en 2002 contre les policiers de la direction de sûreté de Batman. »

33. Le 30 avril 2010, E.K. et M.B. furent entendus par le procureur. Ils firent notamment les déclarations suivantes :

E.K. : « J’étais en garde à vue avec Bilal. Je l’ai vu nu dans les locaux de la direction de la sûreté de Diyarbakır entre les mains des policiers. Ma cellule était loin de la sienne, je ne sais pas ce que les policiers lui ont fait. Par contre, lors de son interrogatoire, je l’entendais hurler. »

M.K. : « Lors des interrogatoires à la direction de la sûreté de Diyarbakır, j’avais les yeux bandés. Un moment, j’ai pu enlever la bande et j’ai vu Bilal qui était soumis à la pendaison palestinienne sur les tuyaux du radiateur. Je l’entendais également hurler mais je n’ai pas vu ce que les policiers lui faisaient. »

34. Le procureur demanda l’avis de l’institut médicolégal au regard des rapports médicaux relatifs au requérant établis en 2002 lors de sa garde à vue.

35. Dans son rapport d’expertise du 1er juin 2010, l’institut médico-légal constata que le requérant avait été emmené plusieurs fois à l’hôpital en raison de ses douleurs rénales et qu’il avait subi un traitement médical adéquat pour infection urinaire et calculs rénaux et que les examens médicaux ne faisaient état d’aucun indice corroborant les allégations de torture, de traumatisme et de violence que le requérant alléguait avoir subi.

36. Le 26 juin 2010, le procureur de la République de Diyarbakır, se fondant principalement sur le rapport de l’institut médicolégal, rendit une ordonnance de non-lieu. Le procureur émit des doutes sur l’impartialité des témoins eu égard au fait qu’ils avaient été condamnés par la cour d’assises dans la même affaire avec le requérant. Il considéra qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves à charge pour engager une action pénale contre les policiers de la direction de la sûreté de Diyarbakır mis en cause.

37. Le requérant fit opposition contre l’ordonnance de non-lieu du 26 juin 2010.

38. Par un arrêt du 29 septembre 2010, la cour d’assises de Siverek rejeta cette opposition au motif qu’au regard des éléments du dossier, la décision attaquée était conforme tant aux règles procédurales qu’aux dispositions légales.

GRIEFS

39. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été soumis à la torture dans les locaux de la direction de sûreté de Batman et de la direction de sûreté de Diyarbakır.

EN DROIT

40. Le requérant allègue que les faits de la cause ont emporté violation de l’article 3 de la Convention, qui dispose :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

41. Le Gouvernement combat cette thèse.

42. S’agissant de l’allégation de mauvais traitements dans les locaux de la direction de sûreté de Batman, la Cour observe que le requérant, qui a attendu environ huit ans pour s’enquérir de la suite donnée à sa plainte, n’a pas fait opposition contre l’ordonnance de non-lieu du 6 novembre 2002, portée à sa connaissance le 22 avril 2010, devant la cour d’assises. En conséquence, il n’a pas épuisé les voies de recours internes conformément à l’article 35 § 1 de la Convention.

43. En ce qui concerne l’allégation de mauvais traitements dans les locaux de la direction de sûreté de Diyarbakır, la Cour relève que le requérant a attendu plus de huit ans pour porter plainte. Le procureur l’a entendu. Il a également recueilli la déposition des deux témoins cités par l’intéressé. Il a en outre demandé l’avis de l’institut médicolégal au regard des rapports médicaux relatifs au requérant établis en 2002 lors de sa garde à vue. À l’issue de l’enquête pénale, le procureur a rendu une ordonnance de non-lieu au motif qu’il n’y avait pas de preuve à charge contre les policiers mis en cause. La cour d’assises, statuant sur opposition du requérant, a confirmé la décision attaquée, considérant qu’elle était conforme à la loi.

44. À cet égard, la Cour rappelle que les allégations de traitements contraires à l’article 3 de la Convention doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés (Hüsniye Tekin c. Turquie, no 50971/99, § 43, 25 octobre 2005 et Martinez Sala et autres c. Espagne, no 58438/00, § 121, 2 novembre 2004).

45. Pour l’établissement des faits allégués, la Cour se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » ; une telle preuve peut néanmoins résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Irlande c. RoyaumeUni, 18 janvier 1978, série A n 25, § 161 in fine, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, §§ 121 et 152, CEDH 2000IV).

46. À la lumière des éléments du dossier, la Cour n’est pas convaincue par les déclarations du requérant qui n’apporte d’ailleurs aucune explication sur la raison d’une attente de huit ans pour porter plainte contre les policiers de la direction de sûreté de Diyarbakır. En effet, les rapports médicaux ne corroborent pas la version des faits donnée par l’intéressé.

47. Aussi, la Cour ne dispose pas d’éléments ou d’indices de nature à étayer une conclusion selon laquelle le requérant a subi « au-delà de tout doute raisonnable » des traitements contraires à l’article 3 de la Convention de la part de policiers de la direction de sûreté de Diyarbakır lors de sa détention (Hüsniye Tekin c. Turquie, précité, § 50, et Erdagöz c. Turquie, 22 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997VI, § 42).

48. S’agissant de l’aspect procédural, la Cour observe qu’à la suite de la plainte du requérant, il y a eu en droit interne une enquête pénale. Elle considère que celle-ci a été menée de manière indépendante et impartiale. On ne saurait reprocher à cette enquête d’avoir été insuffisante ou contradictoire ni d’avoir insuffisamment associé le requérant à son déroulement. Autrement dit, aux yeux de la Cour, il n’y a eu aucun manquement susceptible d’avoir eu une incidence sur le caractère sérieux et approfondi de l’enquête pénale.

49. Partant les griefs du requérant sont manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

50. En conséquence, à la lumière de ce qui précède, il convient de déclarer la requête irrecevable.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Abel Campos Nebojša Vučinić
Greffier adjoint Président