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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
19.11.2013
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 32939/10
A.W.
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 19 novembre 2013 en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 14 juin 2010,

Vu la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour,

Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour.

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Le requérant, A.W., est un ressortissant de la République démocratique du Congo (RDC), né en 1977 et résidant à Orsay. Le président de la chambre a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).

Il a été représenté devant la Cour par Me R. Sabon, avocat à IvrysurSeine. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

A. Les circonstances de l’espèce

2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. Quant aux faits survenus en RDC selon le requérant

3. Le requérant a grandi dans la commune de Gombé, dans la province de Kinshasa. Son père, décédé en 1996 dans un accident de la route, était de nationalité congolaise. Sa mère était de nationalité rwandaise et d’ethnie hutu.

4. Après le décès de son père, le requérant et sa famille partirent pour le Rwanda afin de vivre chez l’oncle du requérant.

5. En 1996, accompagné de son oncle et de son frère aîné, le requérant partit pour Bukavu, à la frontière entre la RDC et le Rwanda, afin de s’enrôler dans la rébellion opposée au président Mobutu. Ils furent hébergés près de B., dans la commune d’I., chez un ami de leur oncle. Après une semaine, l’oncle du requérant retourna chez lui et laissa seuls le requérant et son frère. Durant cette période, le requérant, qui ne travaillait pas, assista à de nombreuses discussions sur l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), le parti de Laurent Désiré Kabila.

6. Séduit par l’idéologie de ce parti, le requérant y adhéra en août 1996. Bien que n’ayant pas à cette époque de fonction particulière, le requérant allait à la rencontre des gens pour les sensibiliser sur les idées de l’AFDL et participait dans la rue aux discussions avec les autres membres du parti sur le programme et les objectifs de celui-ci.

7. Après trois mois passés à B., le requérant prit part à une marche vers Kinshasa avec les membres de l’AFDL. Son frère, qui n’avait pas rallié le mouvement, resta sur place. En arrivant dans la ville de K., le requérant fut atteint de malaria et ne put continuer à suivre la marche. Il fut ramené en voiture à B. où il fut soigné dans un dispensaire dans lequel il resta jusqu’à la chute du président Mobutu le 17 mai 1997. Il rejoignit alors Kinshasa le 20 mai 1997.

8. Après l’accession au pouvoir de Laurent Désiré Kabila le 28 mai 1997, le requérant devint un membre respecté du parti du fait qu’il avait rejoint celui-ci dès ses débuts. Il résidait, avec d’autres membres du parti, dans une résidence à proximité du palais présidentiel.

9. En 1998, le requérant rejoignit l’équipe dirigeante de l’AFDL. Il était chargé de la sensibilisation des jeunes Congolais aux idées du parti. Dans ce cadre, il organisait des événements tels que des concerts et des manifestations culturelles et sportives pour rassembler les jeunes et leur parler de l’idéologie du parti.

10. Le 16 janvier 2001, Laurent Désiré Kabila fut assassiné et son fils, Joseph Kabila, accéda au pouvoir. Voyant ce changement comme une profonde régression dans la politique du parti, le requérant décida de quitter l’AFDL pour rejoindre, le 16 mars 2002, le Mouvement de libération du Congo (MLC) créé par Jean-Pierre Bemba.

11. À cette même époque, le requérant se maria avec une ressortissante congolaise avec laquelle il eut ensuite deux enfants.

12. Au sein du MLC, le requérant fut d’abord un simple militant. Il prenait part aux réunions qui avaient lieu trois fois par mois dans les locaux de la société de Jean-Pierre Bemba et qui réunissaient environ une vingtaine de personnes. Puis, quatre mois après son adhésion, il fut nommé à des fonctions actives dans le parti par un comité dont faisait partie JeanPierre Bemba. Sa mission principale était de mobiliser et de rassembler les jeunes Congolais pour les sensibiliser aux idées du MLC. Il distribuait pour ce faire des T-shirts à l’effigie de Jean-Pierre Bemba et validait les adhésions des nouveaux membres. Le requérant exerça ses fonctions durant trois semaines à G. avant d’être muté à la section de F. dans la cellule du quartier où il habitait. Cette cellule tenait des réunions tous les quinze jours et rassemblait de douze à quinze personnes. À cet égard, le requérant produit copie d’une carte de membre du MLC le mentionnant comme président de la section de son quartier, rattachée à la fédération de Kinshasa.

13. Le 20 mai 2006, en période de campagne pour les élections présidentielles, le requérant et de nombreuses autres personnes assistèrent à un meeting de Jean-Pierre Bemba sur la commune de M. Environ trente minutes après le début du discours de Jean-Pierre Bemba, le groupe spécial de sécurité présidentiel (GSSP) fit irruption sur les lieux, accompagné de membres de la police d’intervention rapide (PIR). Ils lancèrent des gaz lacrymogènes et tirèrent sur la foule. De nombreux participants furent arrêtés ou tués. Pour sa part, le requérant fut plaqué au sol, malmené et jeté dans un fourgon avec une dizaine d’autres personnes. Il fut ensuite conduit dans les locaux de la PIR où il fut détenu dans une cellule insalubre seulement vêtu d’un slip et dans des conditions qu’il qualifie d’« extrêmement difficiles » mais sans toutefois subir d’interrogatoire. Il fut relâché au bout de cinq jours après que son identité eut été enregistrée.

14. Après sa libération, le requérant continua ses activités politiques, notamment en invitant les gens à voter pour Jean-Pierre Bemba dans divers secteurs de la ville.

15. En 2007, le requérant, alors en déplacement, reçut un appel de son épouse l’informant de ce que des militaires avaient fait violemment irruption dans leur maison à sa recherche et l’avaient jetée à terre. De retour à Kinshasa, le requérant déposa une plainte qui resta sans suite. En dépit des demandes de son épouse, le requérant refusa d’arrêter ses activités politiques.

16. Le 22 mars 2007 au matin, le requérant se trouvait dans la résidence de Jean-Pierre Bemba quand ils entendirent des coups de feu de membres du GSSP qui approchaient de la résidence. Le requérant parvint à fuir avec sept autres personnes pendant que la garde rapprochée de Jean-Pierre Bemba affrontait le GSSP. Les affrontements durèrent toute la journée et firent plus d’une centaine de morts. Le requérant parvint finalement à regagner son domicile vers 19 heures. Le lendemain, il apprit que Jean-Pierre Bemba s’était réfugié à l’ambassade d’Afrique du Sud.

17. Le 24 mars 2007, un avis de recherche fut émis à l’encontre du requérant par la police judiciaire des parquets, brigade criminelle, pour « incitation de la population à la violence, à la désobéissance civique et au vandalisme ».

18. Le même jour, vers cinq heures du matin, une dizaine de membres de la garde présidentielle firent irruption chez le requérant, le frappèrent dans les côtes et l’insultèrent avant de l’emmener.

19. Le requérant fut conduit au camp militaire T., un camp dirigé par le GSSP. Il fut placé en cellule avec sept autres personnes. Il reçut pour seule nourriture une boîte de sardines tous les trois jours et fut violé à deux reprises, sans toutefois subir d’interrogatoire.

20. Il resta dans ce camp durant un mois avant d’être transféré au Centre pénitentiaire de rééducation de Kinshasa (CPRK), dans la commune de Makala. Il fut d’abord placé dans le pavillon no 5 puis fut transféré au pavillon no 8 où il resta environ six semaines.

21. Son frère, qui travaillait comme commerçant, avait des relations avec le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), lié au pouvoir en place, et notamment avec l’un de ses membres influents, le député F. K. Il parvint ainsi à organiser l’évasion du requérant. Le 8 juin 2007, ce dernier fut emmené en fourgon pénitentiaire, au prétexte d’un déplacement au parquet de grande instance de Gombé, et déposé à un rond-point. Le frère du requérant le retrouva sur place et lui expliqua qu’il ne pouvait pas rester à Kinshasa. Le jour même, le requérant partit pour Brazzaville en pirogue. Sur place, il prit, le 9 juin 2007, un vol pour Cotonou puis, le lendemain, un vol pour Paris où il arriva le 11 juin 2007 au matin.

22. À la suite du départ du requérant, son épouse et ses enfants décidèrent, pour assurer leur protection, de quitter Kinshasa et de rejoindre le village du père du requérant dans le secteur de T., dans la province du Bas-Congo. Le requérant précise ne plus avoir de nouvelles de sa famille depuis lors.

23. Le requérant ajoute que le lendemain de son départ, des membres du GSSP vinrent arrêter son frère et le placèrent en détention « provisoire » pendant plus de deux ans sans le renvoyer devant un tribunal. Son frère aurait été finalement libéré, le 11 novembre 2009, sur décision du parquet de Kinshasa. Selon l’ordonnance de mise en liberté provisoire et de mainlevée de détention produite par le requérant, cette libération est intervenue « à titre exceptionnel ». Le frère du requérant aurait alors rejoint lui aussi le village de leur père.

24. Enfin, le 13 décembre 2009, le requérant dit avoir fait l’objet d’une condamnation par contumace à « 20 ans de servitude pénale » et « 15 000 dollars américains payables en francs congolais » de dommages et intérêts prononcée par le tribunal de grande instance de Kinshasa pour « incitation de la population à la violence, à la désobéissance civique et au vandalisme ». S’agissant des faits à l’origine de la condamnation, le jugement produit par le requérant, dont l’authenticité est contestée par le Gouvernement défendeur, précise que celui-ci avait « en date du 22 et 23 mars 2007 organisé une marche de protestation sans autorisation du gouvernorat de la ville de Kinshasa (...) » contre « les résultats du second tour des élections présidentielles ».

2. Quant aux faits survenus en France

25. Peu après son arrivée en France en 2007, le requérant déposa une demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), laquelle fut rejetée par une décision du 27 juin 2008 aux motifs notamment que :

« son récit [était] resté convenu et peu étayé en ce qui concerne l’engagement évoqué au sein du MLC à partir de 2002 et les circonstances de l’arrestation dont il aurait été victime en mars 2007. Enfin, les conditions dans lesquelles il aurait été détenu et sa fuite [étaient] décrites de manière impersonnelle et non convaincante ».

26. Cette décision fut confirmée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) le 30 avril 2009 en ces termes :

« (...) ni les pièces du dossier, ni les déclarations faites en séance publique devant la Cour ne permettent de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées ; qu’en particulier, sa carte d’électeur, les documents relatifs à son activité professionnelle et l’acte de décès de son père ne permettent pas de justifier des craintes de persécutions alléguées ; qu’en outre, la carte du MLC, l’attestation de ce parti et le certificat médical daté du 2 septembre 2008 sont dénués de force probante ; qu’ainsi le recours ne peut être accueilli. »

27. Le 16 juin 2009, le requérant se vit notifier un arrêté préfectoral portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire.

28. Le 2 février 2010, il sollicita un titre de séjour pour raisons médicales. Cette demande fut rejetée par une décision préfectorale du 22 mars 2010, assortie d’une obligation de quitter le territoire dans un délai d’un mois.

29. Le 1er juin 2010, le requérant fit l’objet d’une interpellation. Le 2 juin 2010, il se vit notifier un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et fut placé en rétention administrative. Le 4 juin 2010, le juge des libertés et de la détention prolongea la rétention du requérant pour une durée de quinze jours.

30. Le 9 juin 2010, le requérant déposa une demande d’asile, en faisant valoir de nouveaux éléments en sa possession, en particulier le jugement du tribunal de grande instance de Kinshasa du 13 décembre 2009. Cette demande fut rejetée par l’OFPRA le 11 juin 2010 au motif que « ses déclarations, auxquelles s’ajoutent des pièces dépourvues de valeur probante, [étaient] insuffisantes pour établir les faits soumis et pour infirmer l’appréciation portée à ce jour sur sa demande ».

31. Le 14 juin 2010, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le 15 juin 2010, le président de la chambre à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au Gouvernement français, en application de la disposition précitée, qu’il était souhaitable de ne pas renvoyer le requérant vers la RDC pour la durée de la procédure devant la Cour.

32. Le 16 juin 2010, le requérant fut présenté aux autorités consulaires de la RDC avant d’être libéré de rétention.

33. Le 29 juin 2010, le requérant saisit la CNDA d’un recours contre la décision de rejet de l’OFPRA du 11 juin 2010. Le 3 mars 2011, la CNDA rejeta ce recours en estimant que :

« la copie de l’avis de recherche du 24 mars 2007 est antérieure à la précédente décision de la Cour et se rapporte à des faits qui ont déjà été jugés et qu’il n’est pas établi qu’il n’en aurait eu connaissance que postérieurement à la précédente décision de la Cour ; que la copie du jugement du tribunal de grande instance de Kinshasa du 13 décembre 2009 bien que postérieur à la précédente décision de la Cour ne peut être tenu pour établie dans la mesure où la première page de la décision est manquante ; que la mention au chef de l’Etat est inopportune ; que le dispositif ne comporte ni signature ni tampon ; que, dès lors, le document produit sans être accompagné de l’original ne comporte pas les garanties d’authenticité suffisante ; qu’il n’y a donc pas lieu de procéder à l’examen des faits invoqués par l’intéressé dans le présent recours ; qu’ainsi, le recours doit être rejeté ; »

B. Textes et documents internationaux relatifs à la situation en RDC

1. Sur le contexte général

34. Joseph Kabila, actuel Président de la République de la RDC, fut élu en 2006, puis réélu en 2011, aux termes de scrutins dont la régularité fut fortement contestée.

35. Le pays connaît, depuis 1996, des conflits à intervalles réguliers, en particulier dans le Nord-Kivu, région située au nord-est de la RDC. De nouveaux combats ont eu lieu en avril 2012, venant aggraver la crise humanitaire chronique et les graves violations des droits de l’homme perpétrées dans cette région. La carence des autorités de la RDC, incapables de maintenir la sécurité sur leur territoire, laisse la voie libre à l’ingérence de pays voisins et au développement de milices rebelles, dans une région riche en minerais précieux (« Rapport spécial du Secrétaire général (des Nations unies) sur la République démocratique du Congo et la région des Grands Lacs », Conseil de Sécurité des Nations Unies, 27 février 2013, §§ 5 et 6). La situation dans le Nord-Kivu s’est encore détériorée après le déclenchement de nouveaux affrontements durant l’été 2013 entre les rebelles du M23 et les forces armées congolaises (« Rapport du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo », 30 septembre 2013, §13 et s.).

2. Sur la répression de l’opposition

36. Depuis l’arrivée de Joseph Kabila au pouvoir, de nombreuses intimidations et exactions ont été perpétrées aussi bien à l’encontre des opposants politiques que des journalistes.

37. Le MLC fut créé en 1998 par Jean-Pierre Bemba. Alors qu’il était à l’origine un mouvement armé rebelle, il devint un parti politique officiel en 2006.

À la suite d’un mandat d’arrêt délivré à son encontre par les autorités congolaises pour « haute trahison » le 23 mars 2007, Jean-Pierre Bemba quitta la RDC en juin 2007 pour se réfugier au Portugal. Il fut ensuite arrêté en Belgique le 24 mai 2008 en exécution d’un mandat d’arrêt émis la veille par la Cour Pénale Internationale.

Selon un rapport du Immigration and Refugee Board of Canada, « République démocratique du Congo : information sur le Mouvement de libération du Congo (MLC), y compris ses dirigeants et le traitement réservé à ses membres (2009-2012) » du 16 mars 2012 :

« De 2006 à 2011, le Mouvement de libération du Congo (MLC) était le principal mouvement d’opposition de la République démocratique du Congo (RDC) (CongoPlanet.com 3 févr. 2012 ; Le Monde 2 févr. 2012 ; Challenges 24 nov. 2011), avec 64 représentants élus (ibid.; International Crisis Group 5 mai 2011, 24). Aux nouvelles élections tenues en novembre 2011, 22 membres du MLC ont été élus au parlement (Le Monde 2 févr. 2012 ; RDC s.d.). Selon la Commission électorale de la RDC, depuis les élections de 2011, le parti se situe maintenant au cinquième rang quant au plus grand nombre de sièges occupés (ibid.). La majorité des représentants du MLC (13 sièges) se trouvent dans la province de l’Équateur (ibid. 1er févr. 2012).

En 2011, plusieurs sources ont fait état des difficultés auxquelles a fait face le MLC au cours de la période précédant les élections de novembre 2011 (...). Dans un rapport sur le processus électoral, l’International Crisis Group a écrit que le parti était [traduction] « en déclin » et traversait une « crise profonde en raison de l’absence physique de son chef » (5 mai 2011, 6, 24). (...)

Des médias signalent que Marius Gangalé, un chef du MLC, avait été assassiné par balle à Kinshasa en novembre 2011 (RFI 23 nov. 2011 ; Radio Okapi 23 nov. 2011). Daniel Botethi, vice-président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa et chef du MLC, aurait été tué en juillet 2008 par un groupe armé (É.-U. 25 févr. 2009; Radio Okapi 9 juill. 2008).

D’après un rapport du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH) sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales en période pré-électorale, un membre du MLC a été arrêté dans la province du Sud-Kivu en mars 2011, car il détenait un journal contenant un article soulevant des doutes sur la nationalité du président Kabila ; il était toujours en détention au moment où le rapport a été publié en novembre 2011 (Nations Unies nov. 2011, 13). Dans ce rapport, on peut également lire qu’un membre du MLC a été arrêté dans la province de l’Équateur pour avoir organisé une manifestation à l’appui de l’ancien gouverneur de la province, également membre du MLC (ibid.).

En 2009, Amnesty International a signalé que « les forces nationales de sécurité [avaient] procédé à de nombreuses arrestations arbitraires », notamment de militaires et de policiers suspectés d’appartenir au MLC. Parmi les sources qu’elle a consultées, la Direction des recherches n’a trouvé aucun autre renseignement sur des actes de violence commis par des membres du MLC ou contre eux entre 2009 et 2012. »

38. Concernant la répression de l’opposition par le gouvernement de Joseph Kabila, le « Rapport spécial du Secrétaire général (des Nations unies) sur la République démocratique du Congo et la région des Grands Lacs », Conseil de Sécurité des Nations Unies, daté du 27 février 2013, souligne les éléments suivants :

« Il y a lieu de s’inquiéter des restrictions des libertés politiques et de ce qui semble être une tendance récente de l’exécutif à concentrer les pouvoirs entre ses mains. » 10)

« Les ténors de l’opposition nationale et d’autres observateurs reprochent au gouvernement congolais d’avoir entrepris systématiquement de consolider son pouvoir, de circonscrire l’espace politique et d’intimider et poursuivre les opposants, issus des partis politiques ou de la société civile. » (§ 34)

39. Sur les risques encourus par les membres de l’opposition renvoyés en RDC, la décision de principe « Country Guidance » du tribunal de l’asile et de l’immigration du Royaume-Uni, MM (UDPS members – Risk on return) Democratic Republic of Congo CG [2007] UKAIT 00023, datée du 13 mars 2007 et reprise dans le document « Country Guideline Determination », mis à jour le 24 juillet 2013, est ainsi libellée :

“108. As to the question of current risk on return to the DRC, the Tribunal in MK (AB and DM Confirmed) Democratic Republic of Congo CG [2006] UKAIT 00001 were concerned with an HJT Research News Reporting Service Item of 27 June 2005 concerning suspension by the Netherlands of the return of asylum seekers to the DRC. The Tribunal concluded that it did not afford a sufficient basis for modifying the conclusions on failed asylum seekers reached in AB and DM (Risk Categories Reviewed - Tutsis added) (Democratic Republic of Congo) CG [2005] UKAIT 00118.

109. The Tribunal in AB and DM indeed broadly confirmed the list of risk categories identified in the earlier Country Guidance decision in VL (Risk – Failed Asylum Seekers (Democratic Republic of Congo)) CG [2004] UKIAT 00007, namely, those with an ethnic, political or military profile in opposition to the government, but found that in view of the increase in anti-Rwandan feeling, Tutsis, or those suspected of being Tutsi, were at risk of being associated with the Rwandans. Further, that the assessment of risk in an individual case, would depend upon a careful analysis of that individuals origins, background and profile.

110. The issue of ‘profile’ was a matter that the Tribunal in AB and DM referred to at paragraph 34 of their determination. There continued to be a real risk for those with a political or military profile. Each case was to be judged on its own facts, but it was possible now to provide a little more detail at least about those who fell within the ‘political profile’ sub-category. The Tribunal continued at paragraph 45 as follows:

“We would emphasise first of all that the use of the word ‘profile’ highlights the fact that this category is intended to mark out those whose actual perceived military or political activities or involvements are likely to have brought them to the adverse attention of the Kabila regime. The mere membership of an opposition political party will not demonstrate that a person has such a profile”. (Our emphasis).

111. We would emphasise in that regard, the Tribunal’s reference to those whose actual perceived military or political activities or involvements were ‘likely to have brought them’ or to bring them in the future to the adverse attention of the Kabila regime.”

GRIEF

40. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant allègue qu’un renvoi vers la RDC l’exposerait à des traitements contraires à cette disposition en raison de son engagement politique et de la condamnation par contumace prononcée à son encontre par les tribunaux congolais.

EN DROIT

41. Le requérant craint, en cas de retour en RDC, d’être exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Thèses des parties

42. Le Gouvernement, au préalable, excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il souligne à cet égard que le requérant n’a pas formé de recours devant le tribunal administratif contre l’arrêté de reconduite à la frontière en date du 2 juin 2010. En effet, ce recours permet au juge administratif d’exercer un contrôle sur la légalité de cette décision, celui-ci pouvant annuler l’arrêté prononçant la reconduite à la frontière en cas de non-conformité de l’acte avec les dispositions de la Convention. Le requérant aurait ainsi pu invoquer devant cette juridiction le grief relevant de l’article 3 de la Convention. À cet égard, le Gouvernement souligne que le requérant ne saurait avancer des motifs d’ordre financier pour justifier ce manquement au principe de l’épuisement des voies de recours.

43. Le requérant avance qu’en cas de renvoi vers la RDC il risquerait d’être emprisonné en application du jugement par contumace du 13 décembre 2009 l’ayant condamné à vingt ans d’emprisonnement et à une amende de 15 000 dollars.

44. En réponse, le Gouvernement indique que les griefs du requérant ont fait l’objet d’examens nombreux, indépendants et rigoureux. Ces examens successifs se sont accordés à conclure à l’absence d’éléments sérieux ou convaincants permettant d’établir la réalité des allégations du requérant. Le Gouvernement considère ainsi que le requérant a failli à établir l’existence d’un risque personnalisé d’être exposé à des traitements contraires à l’article 3 en cas de renvoi vers la RDC.

45. Le Gouvernement réfute en outre l’authenticité des documents produits par le requérant qui émaneraient des autorités officielles de la RDC, c’est-à-dire le jugement par contumace rendu par le tribunal de grande instance de Kinshasa et l’ordonnance de mise en liberté provisoire et de mainlevée de détention en date du 11 novembre 2009 concernant le frère du requérant.

46. Le Gouvernement précise que si, par souci de protection des intérêts du requérant, il ne s’est pas renseigné auprès des autorités congolaises sur l’authenticité des documents produits, il lui a cependant été possible de réunir des éléments contextuels démontrant que ces documents ont été falsifiés.

47. Ainsi le Gouvernement observe que l’entête du jugement produit par le requérant n’est pas en conformité avec les appellations utilisées au jour du jugement. Il souligne également que les recherches effectuées ont permis de déterminer que les trois magistrats mentionnés dans le jugement sont inconnus et que les références du jugement sont fausses. Enfin, des vérifications effectuées dans les registres de la prison de Makala ont permis d’établir qu’aucune entrée ou sortie n’avait été enregistrée aux dates mentionnées dans l’ordonnance de mise en liberté provisoire et de mainlevée de détention du 11 novembre 2009.

48. En réponse aux doutes formulés quant à la valeur probante des pièces soumises, le requérant souligne que le Gouvernement n’a fourni aucun document à l’appui de ses allégations et affirme que les pièces qu’il a présentées doivent être considérées comme authentiques jusqu’à preuve du contraire.

B. Appréciation de la Cour

49. S’agissant d’abord de l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes, la Cour rappelle que dans l’affaire Y.P. et L.P. c. France (no 32476/06, § 56, 2 septembre 2010), elle a estimé que les étrangers dans la situation du requérant n’étaient pas nécessairement obligés, au titre de l’article 35 § 1 de la Convention, de saisir les juridictions administratives (Y.P. et L.P. c. France, précité, § 57). Dans l’affaire précitée, les requérants, qui n’étaient pas des candidats au statut de réfugié relevant des clauses d’exclusion de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951, avaient formé en vain une demande d’asile auprès de l’OFPRA, puis un recours devant la CRR (Commission de recours des réfugiés à laquelle a succédé la CNDA), la situation dans le pays de renvoi n’avait pas changé depuis la décision précitée de la CRR et une demande de réexamen de leur demande d’asile avait également échoué (Y.P. et L.P. c. France, précité, § 56). Dès lors, la Cour a jugé que les requérants avaient donné la possibilité aux instances compétentes en matière d’asile de déterminer s’il existait des risques qu’ils soient exposés à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi dans leur pays d’origine et, éventuellement, d’empêcher leur éloignement. Dans ce contexte, la Cour a conclu que le recours en annulation contre l’arrêté de reconduite à la frontière adopté à l’encontre des requérants ne présentant pas de chance raisonnable de succès, il ne pouvait être reproché à ceux-ci de ne pas avoir saisi le juge administratif.

50. En l’espèce, la Cour estime que cette même conclusion s’impose. En effet, le requérant a saisi à deux reprises l’OFPRA puis la CNDA, une fois antérieurement à l’émission de l’arrêté de reconduite à la frontière du 2 juin 2010, puis une fois postérieurement à cet arrêté.

51. La Cour réaffirme ainsi que lorsqu’un requérant a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante, il ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (mutatis mutandis, Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999-III, Ouzounoglou c. Grèce, no 32730/03, § 38, 24 novembre 2005, et NA. c. Royaume-Uni, no 25904/07, § 91, 17 juillet 2008). Au vu des circonstances de l’espèce, il ne pouvait donc être exigé du requérant qu’il exerce les deux voies de recours à sa disposition.

52. Le requérant ayant épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, l’exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

53. Ensuite, la Cour renvoie aux principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence en la matière (voir, parmi de nombreux autres, M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 365, 21 janvier 2011, et Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, §§ 124-133, CEDH 2008).

54. En particulier, la Cour considère qu’il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il serait exposé à un risque de traitements contraires à l’article 3, à charge ensuite pour le Gouvernement de dissiper les doutes éventuels au sujet de ces éléments (Saadi, précité, § 129). Elle rappelle également qu’il ne lui appartient pas normalement de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions internes, mieux placées pour évaluer les preuves produites devant elles (voir, entre autres, Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, § 29, série A no 269). Elle reconnaît que, eu égard à la situation particulière dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile, il convient dans de nombreux cas de leur accorder le bénéfice du doute lorsque l’on apprécie la crédibilité de leurs déclarations et des documents soumis à l’appui de cellesci. Toutefois, lorsque des informations sont soumises qui donnent de bonnes raisons de douter de la véracité des déclarations du demandeur d’asile, celui-ci est tenu de fournir une explication satisfaisante pour les incohérences de son récit (voir, notamment, N. c. Suède, no 23505/09, § 53, 20 juillet 2010, et Collins et Akaziebie c. Suède (déc.), no 23944/05, 8 mars 2007). De la même manière, il incombe au requérant de fournir une explication suffisante pour écarter d’éventuelles objections pertinentes quant à l’authenticité des documents par lui produits (Mo. P. c. France (déc.), no 55787/09, § 53, 30 avril 2013).

55. En outre, l’existence d’un risque de mauvais traitements doit être examinée à la lumière de la situation générale dans le pays de renvoi et des circonstances propres au cas de l’intéressé. Lorsque les sources dont la Cour dispose décrivent une situation générale, les allégations spécifiques du requérant doivent être corroborées par d’autres éléments de preuve (Saadi, précité, §§ 130-131).

56. Dans les affaires où un requérant allègue faire partie d’un groupe systématiquement exposé à une pratique de mauvais traitements, la Cour considère que la protection de l’article 3 de la Convention entre en jeu lorsque l’intéressé démontre qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire à l’existence de la pratique en question et à son appartenance au groupe visé (Saadi, précité, § 132).

57. Enfin, s’il convient de se référer en priorité aux circonstances dont l’Etat en cause avait connaissance au moment de l’expulsion, la date à prendre en compte pour l’examen du risque encouru est celle de la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 86, Recueil des arrêts et décisions 1996V).

58. La Cour constate que le requérant allègue l’existence d’un risque de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi vers la RDC, non en raison d’une situation de violence généralisée dans ce pays, mais du fait de sa situation personnelle en tant que militant au sein de l’opposition au gouvernement de Joseph Kabila.

59. Il appartient donc à la Cour de déterminer si le requérant, en sa qualité d’opposant politique, risque d’être exposé à des mauvais traitements dans son pays d’origine.

60. En l’espèce, le requérant allègue avoir eu des activités militantes au sein du MLC à partir de 2002 et jusqu’en juin 2007, date à laquelle il se réfugia en France.

61. La Cour observe que s’il ressort des rapports internationaux consultés que certains membres du MLC ont été inquiétés jusqu’en 2011, la répression systématique des membres de ce parti n’a plus cours, (voir paragraphe 37). La simple appartenance à ce parti ne saurait donc suffire pour conclure que le requérant pourrait courir un risque de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de retour en RDC.

62. Se pose toutefois la question de savoir si la situation personnelle du requérant est susceptible, en cas de renvoi, de l’exposer à un risque réel et actuel de subir des traitements inhumains ou dégradants.

63. En l’espèce, la Cour note que le requérant produit un certain nombre de documents à l’appui de ses allégations.

64. La Cour observe néanmoins qu’en réponse, le Gouvernement émet de sérieux doutes quant à l’authenticité de certains des documents fournis par le requérant, en particulier, concernant un jugement du 13 décembre 2009 condamnant le requérant à vingt ans de servitude pénale (voir paragraphe 24) et une ordonnance de mise en liberté provisoire et de mainlevée de la détention du frère du requérant en date du 11 novembre 2009. Les allégations du Gouvernement sont appuyées par des constatations matérielles précises et circonstanciées (voir paragraphe 46). La Cour constate également, qu’en réplique, le requérant se contente de souligner que le Gouvernement ne fournit aucun document à l’appui de ses allégations. En l’absence d’explication émise par le requérant afin d’écarter les objections pertinentes du Gouvernement, celui-ci se bornant à réaffirmer l’authenticité des documents sans toutefois étayer ses arguments d’aucune manière, la Cour considère que le caractère authentique des documents est sérieusement mis en doute (voir Mo.P. c. France, précité, § 53).

65. Le requérant produit en outre un avis de recherche, daté du 24 mars 2007, émis à son encontre par la police judiciaire des parquets, brigade criminelle, pour « incitation de la population à la violence, à la désobéissance civique et au vandalisme ». Concernant ce document, la Cour constate qu’il a été émis il y a plus de six ans. De plus, les événements à l’origine du départ du requérant sont survenus en 2007 et un certain laps de temps s’est écoulé depuis. Or, en dehors de l’ordonnance concernant, non le requérant, mais son frère, et du jugement par contumace, documents dont l’authenticité est sujette à caution, aucune indication n’est disponible quant à l’intérêt que le requérant aurait personnellement continué de susciter auprès des autorités congolaises.

66. Dès lors, la Cour estime que le requérant n’apporte pas d’élément réellement étayé s’agissant de sa situation personnelle démontrant qu’il présenterait un intérêt tel pour les autorités congolaises qu’il serait susceptible d’être détenu et interrogé par ces autorités à son retour (voir Mawaka c. Pays-Bas, no 29031/04, § 49, 1er juin 2010, Xa c. France (déc.), no 36457/08, 25 mai 2010, M.M. c. France (déc.), no 49029/10, 11 septembre 2012).

67. Ces considérations amènent la Cour à conclure à l’absence de motifs sérieux et avérés de croire que l’engagement politique passé du requérant exposerait celui-ci à un risque réel de mauvais traitements en cas de renvoi.

68. A la lumière de ce qui précède, ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention. Partant, la mesure indiquée en application de l’article 39 du règlement de la Cour prend fin.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffière Président