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CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE S.J. c. LUXEMBOURG (No 2)

(Requête no 47229/12)

ARRÊT

STRASBOURG

31 octobre 2013

DÉFINITIF

31/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire S.J. c. Luxembourg (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 octobre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 47229/12) dirigée contre le Grand-Duché de Luxembourg et dont un ressortissant de cet Etat, M. S.J. (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 juillet 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me C. Wassenich, avocat à Luxembourg. Le gouvernement luxembourgeois (« le Gouvernement ») a été représenté par son conseil, Me C. Schmartz, avocat à Luxembourg.

3. A la suite du déport de M. D. Spielmann, juge élu au titre du Luxembourg (article 28 du règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné M. A. Potocki, juge élu au titre de la France, pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement de la Cour).

4. Le requérant allègue avoir fait l’objet d’une fouille corporelle constitutive d’un traitement inhumain et dégradant. Il allègue également que sa plainte à ce sujet n’aurait pas fait l’objet d’une enquête effective.

5. Le 12 octobre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1976. Il est détenu au centre pénitentiaire de Luxembourg (ci-après « CPL »).

7. Les 24, 25 et 26 février 2010 il devait se rendre au tribunal d’arrondissement de Luxembourg afin de se constituer partie civile dans un dossier relatif à la mort d’un tiers. En vue de ces transferts du CPL au tribunal, le requérant fut soumis à des fouilles corporelles.

8. Le requérant indique avoir été contraint, lors de la fouille du 24 février, à se dévêtir entièrement dans un lieu à proximité de la salle du guichet du CPL. Il relève qu’il était possible, tant en théorie qu’en pratique, qu’une femme travaillant à la prison ait assisté à la fouille.

9. Le 28 février 2010, le requérant s’adressa à la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement pour faire état d’irrégularités qui seraient survenues lors des transferts des 24, 25 et 26 février 2010.

A. Enquête interne menée par les autorités du CPL

10. Dans le cadre d’une enquête interne, les responsables et les gardiens en charge des transports concernés (sachant qu’il y avait trois gardiens pour chaque transport) furent interrogés.

11. Un rapport de l’administration pénitentiaire du 17 mars 2010 conclut que les fouilles avaient été menées conformément à l’instruction de service DIS01.

12. Le 19 mars 2010, le délégué du Procureur Général d’Etat pour la direction générale des établissements pénitentiaires (ci-après le « Délégué du Procureur Général ») fit informer le requérant qu’à la suite d’une enquête il s’était avéré que les reproches formulés dans sa requête n’étaient pas fondés et que le personnel du CPL avait agi dans le strict respect des dispositions applicables.

B. Plainte avec constitution de partie civile du 26 mars 2010

13. Le 26 mars 2010, le requérant déposa une plainte avec constitution de partie civile contre inconnu, contre le Délégué du Procureur Général, le directeur du CPL, ainsi que cinq autres agents du CPL, pour des faits de torture ou de traitement inhumain, cruel ou dégradant.

14. Par un courrier du 31 mars 2010, l’avocat du requérant se plaignit auprès du directeur du CPL que son client lui aurait expliqué avoir été contraint, les 24 et 26 février 2010, de se déshabiller entièrement et passer nu devant plusieurs gardiens pour se rendre d’une pièce à l’autre.

15. Dans une ordonnance du 4 juin 2010, un juge d’instruction du tribunal d’arrondissement se déclara incompétent pour instruire à l’encontre du Délégué du Procureur Général.

Puis, le 7 juin 2010, le même juge d’instruction rendit une ordonnance de non-informer contre les autres personnes visées dans la plainte du requérant. Il estima que les faits dénoncés étaient conformes aux dispositions règlementaires et que l’action publique engagée par la plainte avec constitution de partie civile n’avait pas de fondement susceptible de justifier une information judiciaire.

C. Saisine du Médiateur du Grand-Duché de Luxembourg

16. À une date non déterminée, le requérant adressa une réclamation au Médiateur du Grand-Duché de Luxembourg. Celui-ci lui répondit le 8 novembre 2010 que ses recherches avaient fait apparaître qu’au moment de la fouille corporelle du 24 février 2010, un nombre de gardiens anormalement élevé était présent, sans qu’il lui soit possible de déterminer leur nombre exact. Il ajouta que, selon les plans de service de l’époque en question, trois à quatre gardiens auraient pu être présents dans le local jouxtant la salle d’attente. Il indiqua que deux gardiennes étaient de service au greffe au moment de la fouille, sans qu’il soit toutefois en mesure de confirmer leur présence physique effective dans les locaux du greffe au moment de la fouille.

D. Plainte avec constitution de partie civile du 30 août 2010

1. Ordonnance du juge d’instruction du 25 octobre 2010

17. Le 30 août 2010, le requérant déposa une nouvelle plainte contre le directeur du CPL, ainsi que contre quatre autres agents du CPL, pour des faits de torture. Il se plaignit uniquement de la fouille corporelle du 24 février 2010, qui se serait déroulée en présence de huit gardiens et où il aurait été obligé de sortir nu de la cabine de fouille à proximité du guichet où se trouvaient des agents de sexe féminin.

18. Le 25 octobre 2010, un nouveau juge d’instruction rendit une ordonnance de non-informer, au motif que les faits dont se plaignait le requérant n’étaient pas susceptibles de revêtir une qualification pénale.

19. Le 27 octobre 2010, le requérant releva appel de cette ordonnance.

2. Arrêt de la chambre du conseil de la cour d’appel du 7 décembre 2010

20. Par un arrêt du 7 décembre 2010, la chambre du conseil de la cour d’appel réforma l’ordonnance du 25 octobre 2010. Elle décida qu’une fouille corporelle, au cas où elle aurait effectivement été pratiquée en présence de huit personnes de la façon exposée par le requérant et où elle aurait causé à celui-ci une atteinte à son intégrité psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique, était susceptible d’être qualifiée de coups et blessures volontaires, sinon involontaires. En conséquence, elle ordonna au juge d’instruction d’instruire les faits énoncés dans la plainte du requérant et renvoya la cause devant le juge d’instruction directeur.

3. Enquête menée par les autorités judiciaires

21. Le 13 décembre 2010, une information judiciaire fut ouverte.

22. Les responsables ainsi que les agents du « Service Escortes » et du greffe du CPL en service le 24 février 2010 furent entendus, à l’exception de ceux qui étaient affectés à des missions manifestement étrangères à celle faisant l’objet de l’information judiciaire.

23. Différents documents, tel le plan de service (« Dienstplan ») du greffe du CPL et du « Service Escortes » du mois de février 2010, furent saisis.

24. L’officier de police judiciaire prit des clichés photographiques, qui montrent la salle d’accueil du greffe du CPL avec les deux cabines adjacentes au sein desquelles se pratiquent les fouilles, puis la salle dans laquelle se trouve le bureau du greffe du CPL (qui est pourvue d’un guichet en verre donnant sur la salle d’accueil) et en dernier lieu le couloir (à côté du greffe) dans lequel les agents attendent leur tour pour prendre en charge le détenu qu’ils contrôlent et transportent.

25. Le 20 novembre 2011, le commissaire enquêteur du service de police judiciaire dressa son rapport.

Il relata que le directeur du CPL lui avait remis un extrait de la note de service DIS01 du 20 avril 2009, qui avait été fournie à l’ensemble des agents du CPL et leur précisait les modalités selon lesquelles devait se dérouler une fouille corporelle.

Le commissaire rapporta que le 24 février 2010, le requérant devait être au tribunal pour 9 heures. Selon un registre conservé au greffe du CPL, le matin en question dix détenus étaient à transporter vers différents lieux à l’extérieur du CPL, entre 7h30 et 9h30. Ils étaient amenés par les agents des différents blocs de la prison vers la salle d’attente du greffe. Un à un, ils étaient sortis de la salle d’attente, fouillés par l’agent du « Service Escortes» compétent, puis emmenés pour leur transport. Cette procédure se déroulait rapidement et de manière routinière, la plupart des détenus, dont le requérant, connaissant la procédure pour avoir déjà été transportés. Il arrivait qu’un gardien se rende dans la salle d’accueil pendant les fouilles, pour vérifier que tout se déroulait sans accrocs. Aux fins d’une parfaite compréhension de la situation et des lieux, le commissaire joignit le descriptif photographique des lieux (« Fotobildmappe », paragraphe 24 cidessus).

Il relata ensuite les témoignages livrés par les trois gardiens impliqués dans la fouille litigieuse. Ils avaient expliqué, de manière concordante, que l’escorte s’était déroulée de manière positive et sans incident du début à la fin, sans que le requérant se soit plaint à aucun moment (alors que, selon un des agents, le requérant n’hésitait pas à s’exprimer dans le milieu carcéral en cas de désaccord). Ainsi, après avoir été appelé en salle d’attente, le requérant était arrivé dans la salle d’accueil, puis avait été amené dans la cabine gauche, où il s’était dévêtu et avait donné ses vêtements aux deux agents C. et D. qui les avaient contrôlés et les avaient posés ensuite dans la cabine droite afin de garder une vue d’ensemble (« um die Übersicht zu behalten »). À ce sujet, les agents avaient précisé que le caleçon était toujours le dernier vêtement à être contrôlé et était rendu au détenu pendant qu’il était encore dans la cabine gauche, afin qu’il soit entièrement nu le moins longtemps possible. Ensuite, le requérant se rendait dans la cabine droite où il se rhabillait entièrement, puis quittait la salle en vue de l’escorte. Sur question, l’agent K. avait expliqué qu’une fouille corporelle durait en moyenne dix minutes. Toujours sur question, l’agent C. avait confirmé avoir procédé à un contrôle visuel de l’anus du requérant, ceci faisant partie du contrôle pour tout détenu quittant le CPL ; il avait précisé que le requérant n’étant pas contrôlé pour la première fois - n’avait pas soulevé d’objection.

Le chef du « Service Escortes » avait expliqué que les fouilles se pratiquaient une par une, gardiens et détenus attendant respectivement dans la salle d’accueil du greffe et dans le couloir. Si d’habitude il n’était pas présent lors des fouilles, il se tenait, le 24 février 2010, dans une zone limitrophe du greffe, vu le nombre élevé de détenus devant être escortés le matin en question ; il n’avait remarqué, à aucun moment, une quelconque irrégularité ni plainte de la part d’un des détenus. Les agents en charge de la fouille du requérant le 24 février 2010 avaient confirmé qu’il y avait plusieurs escortes ce matin-là et que les gardiens (deux ou trois selon l’agent C.) qui attendaient de procéder à la fouille du prochain détenu à escorter se trouvaient dans la salle d’accueil au moment de la fouille du requérant.

Le commissaire retraça ensuite les résultats de son enquête au sujet de la présence de personnel féminin lors de la fouille. Comme il résultait du plan de service (« Dienstplan ») qu’une des deux agentes du greffe était en congé le 24 février 2010, celle en service le matin litigieux fut seule interrogée. Elle avait expliqué avoir reçu, dès son entrée en fonction, des instructions claires et précises de la part du préposé-adjoint du greffe quant au comportement à adopter lors des fouilles : dès que le début des fouilles était annoncé, elle devait rester assise à son bureau, qui était disposé de telle manière qu’elle tournait le dos au guichet. En plus et de toute façon, les fouilles se déroulaient rapidement et à l’intérieur des cabines prévues à cet effet sans que les détenus ne doivent traverser la salle, de sorte qu’il était impossible de les voir depuis le bureau du greffe. Elle avait ajouté que le 24 février 2010, elle s’était tenu, comme d’habitude, aux instructions strictes de son chef et qu’elle n’avait pas remarqué le moindre incident.

Le commissaire précisa avoir contacté le membre du personnel du Médiateur qui, selon le requérant, aurait « enquêté suite à [ses] griefs et [qui aurait] récupéré des éléments que les deux femmes travaillant au guichet étaient bien sur leur lieu de travail ». La personne en question lui avait assuré ne pas avoir transmis pareils éléments au requérant et avait confirmé, après avoir vérifié ses pièces, le constat du commissaire selon lequel une seule des deux agentes travaillait le jour en question.

Pour finir, l’enquêteur se prononça sur l’affirmation du requérant selon laquelle il « était obligé de sortir complètement nu de la première salle pour se rendre dans l’autre salle, en passant de la salle d’entrée en proximité du guichet ». Le commissaire nota qu’en lisant cette énonciation, on pouvait croire que les deux cabines, que le requérant désigne comme « salles », se trouvaient à une certaine distance l’une de l’autre. Toutefois, sur base des clichés photographiques et d’un plan contenant les mesures des locaux, il ne faisait pas de doute que cette formulation de la part du requérant ne correspondait pas à la vérité. En effet, le mur séparant les deux cabines adjacentes mesurait 34,5 cm. La salle d’accueil faisait 3,46 mètres sur 3,92 mètres, le guichet étant ainsi large de 3,46 mètres et à une hauteur de 110 cm. Il résultait des témoignages des gardiens et des clichés photographiques que les deux portes des cabines étaient ouvertes de manière à ce que la vue dans les cabines soit entravée lors de la fouille ; le détenu ne devait ainsi en aucun cas passer devant le guichet.

Le commissaire conclut que les résultats de l’enquête étaient aux antipodes des allégations du plaignant.

4. Décisions rendues suite à l’instruction judiciaire

26. Le 10 janvier 2012, le parquet requit un non-lieu à poursuivre, les faits tels qu’ils résultaient de l’instruction n’étant susceptibles d’aucune qualification pénale.

27. Le 16 janvier 2012, le juge d’instruction conclut à un non-lieu à poursuivre. Il renvoya en fait au dossier répressif quant à l’ensemble des devoirs exécutés au cours de l’instruction et se rallia en droit aux conclusions du ministère public.

28. Dans son mémoire devant la chambre du conseil, le requérant contesta la véracité des déclarations des témoins et des constatations reprises dans les procès-verbaux et rapports de police ; à titre subsidiaire, il demanda « de confirmer qu’il s’agit d’une inefficacité de l’enquête menée par l’OPJ et le juge d’instruction sur la manifestation de la vérité ».

29. Le 15 février 2012, la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg estima que les faits tels qu’ils résultaient de l’instruction ne présentaient aucune qualification pénale. Décidant d’adopter les conclusions du ministère public et de ne pas faire droit à celles développées par le requérant dans son mémoire, elle prononça un non-lieu à poursuivre.

30. Sur appel du requérant, une audience eut lieu devant la chambre du conseil de la cour d’appel le 24 avril 2012.

31. Le requérant avait souhaité se rendre à cette audience. A cette fin, un transport fut prévu pour l’amener du CPL à la cour d’appel à 8 heures. Estimant que ce transport était trop en avance par rapport à l’audience (qui était prévue à 9.50 heures), le requérant interrogea le gardien en charge sur les causes de cette prématurité. Le gardien ne lui donnant pas de réponse satisfaisante, le requérant déclara qu’il n’acceptait pas de se faire transporter par la police et retourna à sa section. Lorsqu’il changea d’avis et retourna au lieu d’embarquement, il fut informé que la camionnette était désormais partie.

32. Le 24 avril 2012, la chambre du conseil de la cour d’appel rejeta le recours du requérant contre l’ordonnance du 15 février 2012.

33. Le requérant releva opposition de l’arrêt du 24 avril 2012 et formula une « réclamation » à l’encontre de cet arrêt auprès de la chambre du conseil de la cour d’appel au motif de son absence à l’audience en question.

34. Par deux arrêts du 27 juin 2012, la chambre du conseil de la cour d’appel rejeta tant son opposition que sa « réclamation », aux motifs notamment que ces recours n’existaient pas en l’espèce.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Législation relative aux plaintes dirigées contre le personnel pénitentiaire

35. Les dispositions pertinentes du code pénal disposent que :

Art. 260-1

« Toute personne, dépositaire ou agent de l’autorité ou de la force publiques, toute personne chargée d’un service public ou toute personne agissant à l’instigation ou avec le consentement exprès ou tacite de l’une de ces personnes, qui aura intentionnellement infligé à une personne des actes de torture au sens de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en lui causant une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, est punie de la peine de réclusion de cinq à dix ans. »

Article 398

« Quiconque aura volontairement fait des blessures ou porté des coups sera puni d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de 251 euros à 1.000 euros, ou d’une de ces peines seulement.

En cas de préméditation, le coupable sera condamné à un emprisonnement d’un mois à un an et à une amende de 500 euros à 2.000 euros. »

Article 418

« Est coupable d’homicide ou de lésions involontaires, celui qui a causé le mal par défaut de prévoyance ou de précaution, mais sans intention d’attenter à la personne d’autrui. »

Article 420

« S’il n’est résulté du défaut de prévoyance ou de précaution que des coups ou des blessures, le coupable sera puni d’un emprisonnement de huit jours à deux mois et d’une amende de 500 euros à 5.000 euros, ou d’une de ces peines seulement. »

B. Législation et pratique relatives aux fouilles des détenus

36. Une note de service DIS01 du centre pénitentiaire de Luxembourg, intitulée « Fouilles corporelles », rappelle en premier lieu les dispositions nationales et européennes applicables en la matière :

« 1. Références

- RGD89 [Règlement grand-ducal du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires] :

Article 119

« Les détenus sont soumis à une visite corporelle aussi souvent que le directeur ou le chef des services de garde estime cette mesure nécessaire.

Au centre pénitentiaire de Luxembourg les détenus le sont notamment à leur entrée dans l’établissement et chaque fois qu’ils en sont extraits et y sont reconduits pour quelque cause que ce soit.

Ils peuvent également être l’objet d’une visite corporelle avant et après tout parloir ou visite quelconque. »

Article 120

« Les opérations prévues aux articles (...) 119 ne peuvent être faites que par deux agents au moins.

Les détenus ne peuvent être fouillés que par des personnes de leur sexe. »

- RPE [Règles pénitentiaires européennes]

Art. 54.1

« Le personnel doit suivre des procédures détaillées lorsqu’il fouille :

(...)

b) des détenus:

(...)

Art. 54.2

« Les situations dans lesquelles ces fouilles s’imposent, ainsi que leur nature, doivent être définies par le droit interne.»

Art. 54.3

« Le personnel doit être formé à mener ces fouilles en vue de détecter et de prévenir les tentatives d’évasion ou de dissimulation d’objets entrés en fraude, tout en respectant la dignité des personnes fouillées et leurs effets personnels.»

Art. 54.4

« Les personnes fouillées ne doivent pas être humiliées par le processus de fouille. »

Art. 54.5

«Les personnes peuvent uniquement être fouillées par un membre du personnel du même sexe. »

Art. 54.6

« Aucun examen des cavités corporelles ne peut être effectué par le personnel pénitentiaire. »

Art. 54.7

« Un examen intime dans le cadre d’une fouille ne peut être réalisé que par un médecin. »

37. La note précise ensuite les objectifs que doivent poursuivre les fouilles et donne des instructions au personnel pénitentiaire, quant aux modalités pratiques à respecter. La note prévoit ceci :

« 2. Objectifs

Les fouilles sont ordonnées dans l’intérêt de la sécurité et de la sûreté, pour vérifier le respect de l’ordre et de la discipline et pour prévenir et constater d’éventuelles infractions.

3. Contrôle simple

Le contrôle simple consiste dans l’un ou plusieurs des procédés suivants :

- le passage du détenu sous le portique détenteur de métaux

- la palpation des vêtements sur le corps

- la vérification du contenu des poches et des sacs ou objets que le détenu transporte.

Le contrôle simple peut être effectué par tout agent préposé à la surveillance d’un détenu durant un déplacement ou une activité organisée (gardien, chef d’ateliers, moniteur sportif) en présence d’un deuxième agent. La palpation ne peut se faire que par un agent du même sexe. Il est prescrit à chaque mouvement vers ou au retour d’un atelier, d’une visite, d’un service religieux, d’un cours de formation, d’une activité sportive ou plus généralement d’une activité organisée.

4. Fouille corporelle

La fouille corporelle n’est effectuée que par deux agents au moins des services de garde, du même sexe que la personne contrôlée, et à l’abri du regard de tiers. Les agents portent obligatoirement des gants de protection.

Elle est ordonnée par la direction, les chefs de service de garde ou de détention et leurs adjoints, les contrôleurs et le chef de l’équipe de nuit à chaque fois qu’ils la jugent indiquée et nécessaire.

Le détenu y est soumis d’office :

• au moment de son admission au CPL

• avant et après chaque extraction

• au retour d’un congé pénal et de la semi-liberté

• avant le placement en cellule vidéo, de sécurité ou de punition ou en régime cellulaire strict

• en cas de flagrant délit ou incident disciplinaire

• en cas de signal persistant au portique détenteur de métaux

• à chaque fouille de cellule approfondie

• avant le test d’urine

Il y est soumis de façon aléatoire (Stichproben) après les visites.

Après un contrôle simple, l’agent procède au contrôle visuel de la cavité buccale, des oreilles et des mains, suivi du passage de la main dans les cheveux et derrière les oreilles.

Le détenu enlève alors ses vêtements, qui sont vérifiés en détail. Les jambes écartées et les mains à plat contre le mur, il se penche vers l’avant, permettant ainsi le contrôle visuel de l’entrejambe et des aisselles, de la plante des pieds et des espaces entre les orteils. Le cas échéant, la détenue est priée de relever ses seins. Le détenu peut être invité à tousser, sous condition que les mesures d’hygiène nécessaires puissent être garanties. Hormis la tête, les mains et les pieds, le gardien ne touchera pas le détenu qui coopère.

Tout refus d’obtempérer est signalé immédiatement au chef des services de garde, aux contrôleurs respectivement au chef de l’équipe de nuit, qui décidera des mesures à prendre.

En cas de résistance passive ou active, le détenu sera contraint par la force. Le cas échéant, il revêtira des vêtements mis à la disposition par l’administration.

5. Règles de conduite

Les agents effectuant les fouilles corporelles sont tenus au respect strict de la dignité des personnes contrôlées. Aucune forme d’humiliation ou de voyeurisme ne peut être tolérée.

Toute irrégularité est à rapporter au chef des services de garde. Tout incident est à consigner dans un compte-rendu d’incident et à signaler sans délai au chef des services de garde qui en informe la direction.

6. Examen intime

Un examen des parties intimes ou des cavités corporelles dans le cadre d’une fouille ne peut être réalisé que par un médecin. Un tel examen ne peut être ordonné que par le directeur, le chef des services de garde ou leurs adjoints conformément aux dispositions de l’art. 4 de la loi modifiée du 19/2/1973 concernant [...] la toxicomanie. »

38. Une réforme pénitentiaire est actuellement en cours. Elle comprend un projet de loi portant réforme de l’administration pénitentiaire, approuvé par le Gouvernement en conseil le 16 décembre 2011, qui prévoit, sous un chapitre dédié à la sécurité des établissements pénitentiaires, ceci :

« Art. 38. (1) Le directeur de chaque établissement pénitentiaire est responsable de la sûreté et de la sécurité de son établissement à l’intérieur du périmètre tel que défini par le plan de gestion des crises visé à l’article 39 (3).

(2) L’accès de toute personne à un établissement pénitentiaire peut être soumis à un contrôle de sécurité et de sûreté de la personne, de son identité, de ses bagages et effets personnels, ainsi que du véhicule et de son chargement. Ces contrôles peuvent être effectués par des moyens techniques et par des palpations corporelles ou par un de ces moyens, et doivent être réalisés, le cas échéant, dans le respect du secret professionnel auquel cette personne est tenue. Les palpations corporelles ne peuvent être effectuées que par un membre du personnel pénitentiaire du même sexe que la personne contrôlée.

(3) En cas de nécessité et sur ordre du directeur, les détenus peuvent en outre être soumis à une fouille corporelle, qui ne peut être effectuée que par deux membres au moins du personnel du même sexe que le détenu et à l’abri de la vue d’autres personnes, ainsi qu’à une fouille intime qui ne peut être effectuée que par un médecin autre que son médecin traitant.

(4) Les contrôles de sécurité et de sûreté prévus au présent article doivent être organisés de façon non discriminatoire et dans le respect de la dignité humaine. Sur ordre du directeur de l’établissement, ils peuvent être effectués de façon aléatoire ou sur base d’informations déterminées permettant de croire que des objets ou substances prohibées par la loi ou par la réglementation pénitentiaire sont en cause. Par ailleurs, le directeur de l’établissement pénitentiaire et le directeur de l’administration pénitentiaire peuvent ordonner un contrôle généralisé de toute personne, aux dates et heures qu’ils indiquent.

(5) L’accès à l’établissement pénitentiaire est refusé à toute personne qui ne se soumet pas aux contrôles prévus par le présent article.

(6) Les modalités d’exécution des contrôles visés au présent article sont déterminées par règlement grand-ducal ; elles peuvent prévoir des modalités particulières pour les contrôles auxquels sont soumis les détenus, y compris leurs cellules. »

Dans son avis du 19 février 2013, la Médiateure du Grand-Duché de Luxembourg s’est exprimée comme suit :

« (...) A l’heure actuelle, une fouille corporelle est exercée sur la personne des détenus à l’occasion de chaque extraction, voire de chaque transfèrement. Une fouille intime peut y être ajoutée en cas de suspicion de transport d’objets ou de substances illicites. En règle générale, les normes établies par le CPT en cette matière délicate sont observées.

Si des considérations de sécurité et de sûreté imposent la fouille corporelle lors de la première entrée du détenu en milieu carcéral, la Médiateure a des doutes sérieux sur la légitimité de cette pratique, en dehors de tout élément de suspicion, lors des extractions et des transfèrements.

A cet égard, elle est d’avis que du moins les contrôles effectués lors du retour du détenu devraient pouvoir être allégés.

En tout état de cause, la Médiateure recommande avec insistance que les normes les plus nouvelles du CPT en matière de fouille corporelle soient mises en œuvre. La procédure préconisée par le CPT est novatrice alors qu’elle recommande un déshabillement en deux temps. Le détenu est d’abord invité à se mettre torse nu afin de pouvoir permettre les contrôles qui s’imposent. Après avoir pu se rhabiller, il devra mettre à nu la partie inférieure de son corps aux mêmes fins. Cette manière de procéder est de nature à éviter en tout temps que le détenu se trouve complètement à nu devant les agents préposés au contrôle. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

39. Le requérant allègue que la fouille corporelle du 24 février 2010 a constitué un traitement inhumain et dégradant et que les autorités ont manqué à mener une enquête adéquate à cet égard. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

40. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

41. Le Gouvernement soulève deux exceptions d’irrecevabilité tirées du non-épuisement des voies de recours internes. Il expose que le requérant aurait dû introduire un recours en cassation contre l’arrêt de la chambre du conseil de la cour d’appel du 24 avril 2012, sinon une action en responsabilité contre l’Etat du fait du fonctionnement défectueux de ses services pénitentiaires en vertu de l’article 1er de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques (ci-après « la loi de 1988 »).

42. Le requérant n’a pas déposé d’observations dans le délai imparti.

43. La Cour rappelle que les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent que l’épuisement des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (Leandro Da Silva c. Luxembourg, no 30273/07, § 42, 11 février 2010 et Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, § 75, CEDH 2011 (extraits)).

44. La Cour relève qu’en l’espèce le Gouvernement ne fournit aucun exemple où l’un de ces deux recours aurait prospéré dans des circonstances équivalentes à celles de l’espèce. Partant, le Gouvernement n’a pas démontré l’existence d’une voie de recours effective non encore épuisée.

45. Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.

46. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Sur le volet matériel

a) Thèses des parties

47. Le requérant indique que la fouille corporelle du 24 février 2010 - dont il ne conteste pas en soi la nécessité - se serait déroulée en présence d’un nombre anormalement élevé de gardiens et dans le but de l’humilier. Il aurait été possible, tant en théorie qu’en pratique, qu’une femme travaillant à la prison ait assisté à la fouille. Le requérant explique qu’il aurait dû se déshabiller entièrement dans une cabine ouverte, et que pour récupérer ses vêtements à la fin de la fouille, il aurait dû se rendre dans une deuxième cabine. Pour ce faire, il aurait dû parcourir une distance totale de deux mètres, qui plus est dans une pièce donnant sur le guichet de la prison où deux personnes féminines travaillent.

48. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il expose que la fouille corporelle a été accomplie suivant les dispositions légales applicables et « selon les modalités adéquates » (Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 117, CEDH 2001VIII).

Il explique que le 24 février 2010, le requérant a été escorté au tribunal par trois agents du CPL qui ont seuls procédé à la fouille. Certes, deux ou trois autres gardiens en attente de procéder aux fouilles des détenus qu’ils allaient escorter se trouvaient dans la salle où sont situées les cabines, mais leur présence était strictement indépendante de la fouille corporelle du requérant et uniquement due à des raisons d’organisation interne afin que tous les détenus puissent être escortés en temps utile au tribunal.

L’affirmation selon laquelle le requérant aurait dû traverser entièrement dénudé la salle à proximité du guichet où travaillent deux femmes ne correspondrait pas à la vérité. Ainsi, le requérant se déshabillait et était fouillé dans la cabine de gauche, ses vêtements étant déposés dans la cabine de droite. Les agents impliqués dans la fouille témoignaient que le caleçon était toujours le dernier vêtement à être contrôlé et était rendu au détenu pendant qu’il était encore dans la cabine gauche. Ensuite seulement le requérant se rendait dans la cabine droite pour se revêtir. Pour cela, le requérant ne devait nullement « traverser la salle d’accueil », mais faire seulement quelques pas, les clichés photographiques démontrant que la distance entre les deux cabines était de l’ordre de quelques centimètres. En outre, il résulte des témoignages recueillis que lors des fouilles les portes des cabines étaient toujours ouvertes de manière à ce que seuls les agents en charge de l’escorte (et donc de la fouille) puissent voir le fouillé. Quant à la présence, dans le bureau attenant à la salle d’accueil, d’agents de sexe féminin, le Gouvernement précise qu’une seule femme était en service le jour de la fouille litigieuse, et que l’emplacement de son bureau l’empêchait de voir la salle des cabines de fouilles (l’agente tournait le dos à la salle). Cette agente, qui s’occupe d’ailleurs uniquement de tâches administratives et n’est pas en charge des fouilles, n’a pu voir le requérant à aucun moment pendant la fouille.

b) Appréciation de la Cour

49. La Cour réaffirme d’emblée que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime, même dans les circonstances les plus difficiles, tels la lutte contre le terrorisme et le crime organisé.

Pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de l’espèce, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge, de l’état de santé de la victime, etc. La Cour a ainsi jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu’il avait été appliqué avec préméditation pendant des heures et qu’il avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales ; elle a par ailleurs considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir. Pour qu’une peine ou un traitement puisse être qualifié d’« inhumain » ou de « dégradant », la souffrance ou l’humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (Frérot c. France, no 70204/01, § 35, 12 juin 2007, et El Shennawy c. France, no 51246/08, § 33, 20 janvier 2011).

50. Les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation. S’il s’agit là d’un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul n’emporte pas violation de l’article 3, cette disposition impose néanmoins à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne le soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate ; en outre, les mesures prises dans le cadre de la détention doivent être nécessaires pour parvenir au but légitime poursuivi (Frérot, précité, § 37).

51. Des conditions générales de détention – dans lesquelles s’inscrivent les modalités des fouilles imposées au détenu – peuvent s’analyser en un traitement contraire à l’article 3, tout comme une fouille corporelle isolée (Valašinas, précité, § 117, Iwańczuk c. Pologne, no 25196/94, § 59, 15 novembre 2001, et Yankov c. Bulgarie, no 39084/97, § 110, CEDH 2003XII (extraits)).

52. S’agissant spécifiquement de la fouille corporelle des détenus, la Cour n’a aucune difficulté à concevoir qu’un individu qui se trouve obligé de se soumettre à un traitement de cette nature se sente de ce seul fait atteint dans son intimité et sa dignité, tout particulièrement lorsque cela implique qu’il se dévêtisse devant autrui, et plus encore lorsqu’il lui faut adopter des postures embarrassantes (Frérot, précité, § 38, et El Shennawy, précité, § 36).

53. Des fouilles intégrales systématiques, non justifiées et non dictées par des impératifs de sécurité, peuvent créer chez les détenus le sentiment d’être victimes de mesures arbitraires. Le sentiment d’arbitraire, celui d’infériorité et l’angoisse qui y sont souvent associés, et celui d’une profonde atteinte à la dignité que provoque l’obligation de se déshabiller devant autrui et de se soumettre à une inspection anale visuelle, peuvent caractériser un degré d’humiliation dépassant celui, tolérable parce qu’inéluctable, que comporte inévitablement la fouille corporelle des détenus (Frérot, précité, § 47, et Khider c. France, no 39364/05, § 127, 9 juillet 2009).

54. Un tel traitement n’est pourtant pas en soi illégitime : des fouilles corporelles, même intégrales, peuvent parfois se révéler nécessaires pour assurer la sécurité dans une prison – y compris celle du détenu lui-même –, défendre l’ordre ou prévenir les infractions pénales (Francesco Schiavone c. Italie (déc.), no 65039/01, 13 novembre 2007, et Ciupercescu c. Roumanie, no 35555/03, § 116, 15 juin 2010).

Il n’en reste pas moins que les fouilles corporelles doivent, en sus d’être « nécessaires » pour parvenir à l’un de ces buts, être menées selon des « modalités adéquates », de manière à ce que le degré de souffrance ou d’humiliation subi par les détenus ne dépasse pas celui que comporte inévitablement cette forme de traitement légitime. A défaut, elles enfreignent l’article 3 de la Convention (Frérot, précité, § 38, et El Shennawy, § 38).

Il va en outre de soi que plus importante est l’intrusion dans l’intimité du détenu fouillé à corps (notamment lorsque ces modalités incluent l’obligation de se dévêtir devant autrui, et de surcroît lorsque l’intéressé doit prendre des postures embarrassantes), plus grande est la vigilance qui s’impose (ibidem).

55. En l’espèce, il n’est pas contesté que le requérant est soumis au régime des fouilles tel qu’il est décrit dans la note de service DIS01 (paragraphes 36 et 37 ci-dessus).

Selon les normes nationales et européennes applicables en la matière, retranscrites dans ladite note, les détenus sont soumis à une visite corporelle lorsque le directeur ou le chef des services de garde l’estime nécessaire, et notamment chaque fois qu’ils sont extraits du centre pénitentiaire. Les fouilles sont ordonnées dans l’intérêt de la sécurité et de la sûreté, pour vérifier le respect de l’ordre et de la discipline et pour prévenir et constater d’éventuelles infractions.

La note décrit aussi les modalités pratiques à respecter par le personnel pénitentiaire lors d’une fouille, qui s’effectue par deux agents au moins, du même sexe que la personne contrôlée et à l’abri du regard des tiers. Ainsi, l’agent procède au contrôle visuel de la cavité buccale, des oreilles et des mains, suivi du passage de la main dans les cheveux et derrière les oreilles. Le détenu enlève alors ses vêtements, qui sont vérifiés en détail. Les jambes écartées et les mains à plat contre le mur, il se penche vers l’avant, permettant ainsi le contrôle visuel de l’entrejambe et des aisselles, de la plante des pieds et des espaces entre les orteils. Hormis la tête, les mains et les pieds, le gardien ne touche pas le détenu qui coopère.

La note impose aux agents effectuant les fouilles le respect strict de la dignité des personnes contrôlées et précise qu’aucune forme d’humiliation ou de voyeurisme ne saurait être tolérée.

Elle prévoit que tout incident est à consigner dans un compte-rendu d’incident et à signaler sans délai au chef des services de garde qui en informe la direction.

56. Quant à la fouille du 24 février 2010, mise en cause devant la Cour, les parties sont en désaccord sur les circonstances dans lesquelles elle s’est déroulée. Le requérant indique avoir eu à parcourir une distance de deux mètres entièrement nu pour récupérer ses vêtements et affirme qu’une personne de sexe féminin travaillant au CPL aurait pu, en théorie et en pratique, assister à la fouille. Le Gouvernement expose que le requérant était fouillé dans la cabine de gauche et, une fois que le caleçon lui avait été remis, faisait quelques pas pour se rhabiller entièrement dans la cabine adjacente ; la seule agente féminine travaillant au guichet du greffe le jour en question n’avait vu le requérant à aucun moment lors de la fouille.

57. La Cour s’en tiendra, pour l’examen de son grief, à l’ensemble des éléments recueillis par la police judiciaire et relatés en détail dans le rapport du 20 novembre 2011, qui conclut que les résultats de l’enquête étaient aux antipodes des allégations du requérant (paragraphes 22 à 25 ci-dessus).

58. La Cour note qu’il n’est pas contesté que la fouille litigieuse, intervenue dans le cadre de son extraction vers le tribunal, a été imposée au requérant dans le contexte d’événements caractérisant leur nécessité quant à la sécurité ou la prévention d’infractions pénales (Frérot, précité, § 45). En plus, on ne saurait voir en l’espèce une « routine » comparable à celle condamnée par la Cour dans l’affaire Van der Ven c. Pays-Bas (no 50901/99, § 62, CEDH 2003II) dans laquelle une fouille intégrale était imposée systématiquement - sans qu’elle ne réponde à un impératif de sécurité concret - lors de chaque inspection hebdomadaire de la cellule du requérant.

59. La Cour doit donc déterminer si la fouille a été menée selon des « modalités adéquates ».

L’ensemble des éléments recueillis dans le cadre de l’instruction judiciaire témoignent de manière concordante que la fouille s’est déroulée dans des conditions normales et conformes aux règles décrites dans la note DIS01 (paragraphes 22 à 25 ci-dessus).

La fouille a été effectuée dans la cabine de gauche selon le procédé habituel, par les seuls agents en charge de l’escorte du requérant et à l’abri du regard de tiers. Une fois la fouille effectuée, le requérant s’est vu remettre son caleçon et a fait quelques pas pour se rendre dans la cabine de droite (adjacente et très rapprochée de la cabine de gauche) où il s’est rhabillé entièrement.

Certes, il s’est avéré que les agents en charge de l’escorte suivante se trouvaient dans la salle d’accueil (dans laquelle sont situées les deux cabines) au moment où le requérant était fouillé, mais à titre purement incident, vu le nombre élevé de détenus à extraire en temps utile le matin en question.

La seule agente féminine travaillant le jour en question au bureau du greffe (attenant à la salle d’accueil) n’avait vu le requérant à aucun moment lors de la fouille. Il résulte en effet de l’instruction, ainsi que des photos remises à la Cour, que l’emplacement du bureau de cette agente était tel qu’elle tournait le dos à la salle et qu’en tout état de cause, la vue des occupants du bureau sur les cabines était obstruée par la disposition des portes de ces dernières. L’agente en question a confirmé que les fouilles se déroulaient rapidement et à l’intérieur des cabines et a, de surcroît, témoigné avoir été informée dès sa prise de fonctions du comportement à adopter au moment des fouilles : ainsi, elle ne quittait pas l’emplacement de son bureau (de sorte qu’elle tournait le dos à la salle d’accueil) dès l’instant où le début des fouilles lui était signalé.

60. La Cour fait toutefois remarquer que la configuration des lieux n’est pas exemplaire, dans la mesure où les cabines donnent sur une salle où les détenus fouillés sont potentiellement exposés au regard de tiers. S’il est vrai qu’il résulte de l’instruction judiciaire que le personnel pénitentiaire met en pratique les consignes claires et strictes reçues en la matière, il serait préférable que les fouilles corporelles puissent s’exécuter dans un lieu complètement à l’abri de tout risque potentiel d’exposition au regard de tiers. Cependant, l’on ne saurait déduire de cette seule configuration des lieux que les fouilles qui y sont pratiquées impliquent un degré de souffrance ou d’humiliation dépassant l’inévitable. De surcroît et pour ce qui est plus particulièrement de la fouille litigieuse, il ne ressort du dossier aucune volonté d’humiliation, le requérant n’alléguant d’ailleurs pas avoir été victime de gardiens irrespectueux ou qui auraient fait preuve d’un comportement démontrant qu’ils poursuivaient le but de l’humilier (a contrario, Valašinas, précité, § 117, et Iwańczuk, précité, §§ 57-60).

61. Dans ces conditions, après s’être livrée à une appréciation globale du déroulement de la fouille litigieuse sur la base des preuves produites devant elle, la Cour estime qu’il n’est pas établi que le requérant ait subi un traitement atteignant le niveau de gravité suffisant pour porter atteinte au droit garanti par l’article 3 de la Convention.

62. Partant, elle considère qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition sous son volet matériel.

2. Sur le volet procédural

63. Le requérant dénonce une obstruction à son désir de voir instruire les traitements inhumains et dégradants qu’il aurait subis.

64. Le Gouvernement conteste cette thèse. Il avance que trois enquêtes ont été menées : une première administrative, une deuxième par le Médiateur, et finalement une instruction judiciaire. A ce dernier égard, il rappelle qu’à la suite de l’arrêt de la chambre du conseil de la cour d’appel du 7 décembre 2010 une enquête approfondie a été entamée le 13 décembre 2010 quant aux doléances formulées par le requérant. Sur ordonnance du juge d’instruction, la police judiciaire a ainsi effectué plusieurs visites des lieux et a auditionné le directeur général du CPL, les agents du greffe qui étaient en poste le jour en question, ainsi que les trois gardiens ayant effectué la fouille. C’est sur base d’un rapport détaillé - dressé le 20 novembre 2011 et concluant que les faits instruits n’étaient susceptibles d’aucune qualification pénale - que les autorités compétentes ont abouti à une décision de non-lieu.

65. La Cour rappelle que, lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi, de la part de la police ou d’autres services comparables de l’État, des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’État par l’article 1 de « reconnaître à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention », requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête, à l’instar de celle requise par l’article 2, doit pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 131, CEDH 2000IV, Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 199, CEDH 2003VI (extraits), et Turan Cakir c. Belgique, no 44256/06, § 65, 10 mars 2009).

66. En l’espèce, le requérant a, dans un premier temps, signalé des irrégularités concernant les fouilles des 24, 25 et 26 février 2010. Il a été informé que ses reproches n’étaient pas fondés, sur base d’un rapport de l’administration pénitentiaire du 17 mars 2010 dressé à la suite d’une enquête interne, lors de laquelle les responsables et gardiens concernés avaient été interrogés.

67. Une plainte au sujet de la seule fouille du 24 février 2010 (qui est mise en cause devant la Cour) s’est soldée en un premier temps par une ordonnance de non-informer de la part du juge d’instruction.

En revanche, le 7 décembre 2010, la chambre du conseil de la cour d’appel a réformé cette ordonnance, estimant qu’une fouille corporelle, au cas où elle aurait effectivement été pratiquée en présence de huit personnes de la façon exposée par le requérant et où elle aurait causé à celui-ci une atteinte à son intégrité psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique, était susceptible d’être qualifiée de coups et blessures volontaires, sinon involontaires.

68. A la suite de cet arrêt, une enquête a été diligentée sur les faits dénoncés par le requérant, dans le cadre de laquelle des examens approfondis ont été réalisés, tel que cela résulte du rapport circonstancié dressé en date du 20 novembre 2011 (paragraphe 25 ci-dessus). Ainsi, la police judiciaire a entendu l’ensemble des responsables et agents impliqués, saisi les plans de service du greffe et du « Service Escortes » et pris des clichés photographiques des lieux, afin d’élucider le déroulement exact de la fouille litigieuse et de vérifier la véracité des doléances du requérant.

69. Sur base des résultats de l’instruction judiciaire, les autorités compétentes ont conclu à un non-lieu à poursuivre (décisions rendues les 16 janvier, 15 février et 24 avril 2012).

70. Au surplus, la Cour note qu’à la demande du requérant, le Médiateur a procédé à des recherches sur les circonstances de la fouille litigieuse, sans en tirer de conclusions déterminantes (paragraphe 16).

71. La Cour estime que les éléments ci-dessus lui suffisent pour conclure que la fouille du 24 février 2010 a fait l’objet d’enquêtes effectives, de sorte que les autorités luxembourgeoises ont respecté l’obligation procédurale découlant de l’article 3 de la Convention.

72. Il n’y a donc pas eu, à cet égard, violation de cette disposition.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

73. Le requérant se plaint également du fait que le CPL aurait organisé un boycott pour défendre ses intérêts en justice. Il invoque l’article 6 de la Convention.

74. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

75. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet matériel ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffière Président