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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
1.10.2013
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 10695/05
Bayram KAYMAZ et autres
contre la Turquie

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 1er octobre 2013 en un comité composé de :

Peer Lorenzen, président,
András Sajó,
Nebojša Vučinić, juges,
et de Seçkin Erel, greffier adjoint de section f.f.,

Vu la requête susmentionnée introduite le 14 octobre 2005,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Les requérants, MM. Bayram Kaymaz et Kazım Yüksel, et Mme Zeynep Yüksel, sont nés respectivement en 1971, 1948 et 1955. Le premier est détenu à la maison d’arrêt de Nazilli et les autres résident à İzmir.

A. Les circonstances de l’espèce

2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

1. Les faits à l’origine de la requête no 57758/00

3. Le 2 juin 1995, les requérants furent arrêtés par des policiers rattachés au bureau chargé de la lutte contre le terrorisme de la direction de la sûreté d’Izmir. Il était reproché à Bayram Kaymaz d’appartenir au PKK, une organisation illégale armée, et à M. et Mme Yüksel de porter aide et soutien à cette organisation.

4. Lors de la garde à vue, M. Kaymaz fut interrogé sur sa prétendue appartenance à l’organisation incriminée et sur l’homicide d’une personne. Il passa aux aveux. M. et Mme Yüksel avouèrent également avoir logé des membres de l’organisation illégale dans leur résidence.

5. Le 14 juin 1995, les requérants furent entendus par le procureur de la République. Devant lui, M. Kaymaz reconnut partiellement ses aveux. Il donna des renseignements sur ses activités au sein de l’organisation en question. Quant au chef d’homicide, il soutint qu’il avait pour mission de surveiller les lieux de l’incident mais qu’il n’était pas l’auteur principal de cet acte. M. Yüksel confirma partiellement ses dépositions recueillies par la police. Quant à Mme Yüksel, elle réfuta toutes les accusations portées contre elle.

6. Le même jour, les requérants furent traduits devant le juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat d’Izmir (ci-après « le juge assesseur » et « la cour de sûreté de l’Etat »), devant lequel ils réitérèrent leurs dépositions faites devant le procureur de la République. A l’issue de l’audience, le juge assesseur ordonna la mise en détention provisoire des intéressés.

7. Les requérants ne bénéficièrent pas de l’assistance d’un conseil juridique durant leur garde à vue, ni devant le procureur de la République ni devant le juge assesseur ayant recueilli leurs dépositions.

8. Dans la procédure devant la cour de sûreté de l’Etat, M. et Mme Yüksel réfutèrent tous les chefs d’accusation. M. Kaymaz soutint qu’il n’avait pas l’honneur d’être membre du PKK et qu’il avait fait de son mieux pour devenir un militant de cette organisation.

9. Le 22 juillet 1997, en application de l’article 125 du code pénal, la cour de sûreté de l’Etat, composée de deux juges civils et d’un juge militaire, condamna M. Kaymaz à la peine capitale du chef d’appartenance à une organisation illégale et armée tendant à détruire l’intégrité territoriale du pays. En vertu des articles 169 du code pénal et 5 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, M. et Mme Yüksel furent condamnés à une peine d’emprisonnement de trois ans et neuf mois pour aide et soutien à cette organisation illégale.

10. Afin d’établir la culpabilité de M. Kaymaz, la cour de sûreté de l’Etat tint compte de ses déclarations recueillies aux différents stades de la procédure pénale, des déclarations des plaignants et des témoins, des procès-verbaux d’autopsie, des rapports d’expertise, des procès-verbaux de reconstitution des faits et de l’ensemble du dossier. Quant à M. et Mme Yüksel, elle fonda son constat de culpabilité sur leurs propres dépositions recueillies à différents stades de la procédure et sur les aveux des autres coaccusés.

11. Le 7 juillet 1998, la Cour de cassation infirma le jugement du 22 juillet 1997 pour vice de procédure.

12. Par un jugement du 3 décembre 1998, se conformant à l’arrêt de la Cour de cassation, la cour de sûreté de l’Etat rectifia le procès et condamna les requérants aux peines précitées.

13. Le 18 octobre 1999, suivant l’avis du procureur général qui ne fut pas communiqué aux requérants, la Cour de cassation confirma ce jugement.

14. Le 18 novembre 1999, l’arrêt de la Cour de cassation fut versé au dossier se trouvant à la cour de sûreté de l’Etat.

2. L’arrêt du 28 octobre 2004

15. Le 6 mai 2000, les requérants introduisirent une requête dans laquelle ils alléguaient notamment avoir été victimes d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait du manque d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat qui les avait jugés et condamnés, et de l’iniquité de la procédure pénale, ainsi que d’une violation de l’article 34 de la Convention.

16. Le 28 octobre 2004, après avoir examiné la requête, la Cour conclut à l’unanimité, à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du manque d’indépendance et d’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat (voir Kaymaz et autres c. Turquie, no 57758/00, 28 octobre 2004).

17. Faute de demande de renvoi devant la Grande Chambre, cet arrêt devint définitif le 28 janvier 2005.

3. Tentatives des requérants pour obtenir la réouverture de leur procès

18. Le 23 janvier 2003, la Grande assemblée nationale de Turquie adopta la loi no 4793 portant réforme de différentes lois qui fut publiée au Journal Officiel du 4 février 2003. La nouvelle législation prévoyait la réouverture des procédures pénales à la suite d’un arrêt de violation prononcé par la Cour européenne des droits de l’homme. Cependant, selon l’article 1 des dispositions transitoires de ladite loi, cette possibilité ne jouait que dans deux hypothèses : celle où la Cour avait rendu un arrêt définitif avant l’entrée en vigueur de la loi et celle où elle avait rendu un arrêt définitif au sujet d’une requête introduite après l’entrée en vigueur de la loi.

19. Le 21 mars 2005, se fondant sur l’arrêt rendu par la Cour le 28 octobre 2004 et se prévalant de l’article 90 de la Constitution, les requérants saisirent la cour de sûreté de l’Etat d’une demande tendant à la réouverture de leur procès. En outre, M. Kaymaz demanda sa remise en liberté.

20. Le 28 avril 2005, la huitième chambre de la cour de sûreté de l’Etat débouta les intéressés. Elle considéra notamment le code de procédure pénale ne prévoyait la réouverture d’une procédure pénale que dans le cas d’un arrêt de la Cour devenu définitif avant l’entrée en vigueur de la loi no 4793 ou d’un arrêt rendu au sujet d’une requête introduite devant la Cour à la suite de l’entrée en vigueur de ladite loi. Or, les requérants, qui avaient introduit leur requête devant la Cour le 6 mai 2000 et qui avaient obtenu un arrêt de la Cour après l’entrée en vigueur de la loi no 4793, ne pouvaient pas bénéficier de cette possibilité.

21. D’après les éléments contenus dans le dossier, M. Kaymaz est toujours incarcéré et continue à purger sa peine.

B. Le droit interne et les textes internationaux pertinents

22. Le droit interne et les textes internationaux pertinents sont notamment décrits dans l’affaire Hulki Güneş c. Turquie ((déc.), no 17210/09, 2 juillet 2013).

GRIEFS

23. Les requérants estiment que le rejet de leur demande de réouverture du procès n’est pas conforme aux exigences des articles 3, 5, 6, 13 et 14 de la Convention.

EN DROIT

24. Les requérants allèguent la violation des articles 3, 5, 6, 13 et 14 de la Convention en raison du refus de leur demande de réouverture du procès. La Cour estime que les circonstances de la cause des requérants ont trait à l’exécution de l’arrêt de la Cour prononcé dans l’affaire Kaymaz et autres précitée et lui commandent donc d’avoir égard à l’article 46 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.

(...) »

25. La Cour observe que la situation que les requérants cherchent à contester dans la présente affaire tire son origine d’une instance antérieure à l’issue de laquelle ils avaient été condamnés. Or, la Cour a estimé dans son arrêt en l’affaire Kaymaz et autres précitée que cette condamnation avait été prononcée au terme d’une procédure ne satisfaisant pas aux exigences d’équité énoncées à l’article 6 § 1 de la Convention.

26. Les allégations des requérants se fondent essentiellement sur l’idée qu’en rejetant leur demande de réouverture du procès, les juridictions internes ont failli à donner effet au constat de la Cour selon lequel les intéressés n’avaient pas bénéficié d’un procès équitable.

27. A cet égard, la Cour rappelle qu’en vertu de l’article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux décisions de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution. Il en découle notamment que l’Etat défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer dans la mesure du possible les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 198, CEDH 2004II, Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 487, CEDH 2004VII).

28. En l’espèce, la Cour observe que, nonobstant le fait que dans l’arrêt du 28 octobre 2004 (Kaymaz et autres précité) la violation de l’article 6 § 1 de la Convention avait été constatée, les requérants n’ont pas bénéficié de la possibilité de réouverture d’un procès (paragraphe 18-21 ci-dessus).

29. La Cour rappelle qu’elle a traité une affaire soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce. Dans l’affaire Hulki Güneş (précitée), elle a estimé que la requête était incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention. La Cour y’a souligné qu’elle accordait un poids considérable à l’article 21 de la loi no 6459, en vertu de laquelle la restriction de temps prévue dans la législation ne s’appliquait pas aux affaires pendantes en date du 15 juin 2012 devant le Comité des ministres du Conseil de l’Europe au titre de la surveillance de l’exécution. Les personnes touchées par cette restriction, dont les requérants, peuvent demander la réouverture de leur procès dans un délai de trois mois suivant l’entrée en vigueur de ladite loi, c’est-à-dire, à partir du 30 avril 2013 (Hulki Güneş, précité, § 54).

30. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère qu’il n’y a aucun argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.

31. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la présente requête doit être déclarée irrecevable en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Seçkin Erel Peer Lorenzen
Greffier adjoint f.f. Président