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CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 74355/12
Sergey Yuryevich CHIRKOV
contre le Luxembourg
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 10 septembre 2013 en une Chambre composée de :
Mark Villiger, président,
Dean Spielmann,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 14 novembre 2012,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Le requérant, M. Sergey Yuryevich Chirkov, est un ressortissant ukrainien né en 1970 et résidant à Kerch.
Les circonstances de l’espèce
2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant et tels qu’ils ressortent du dossier, peuvent se résumer comme suit.
3. Le requérant fut marié à une ressortissante française avec laquelle il eut un enfant. Il vécut au Luxembourg. A une date inconnue sa femme initia une procédure de divorce à son encontre. Le requérant indique qu’une décision de justice fut prononcée sans lui avoir été communiquée. Il ressort cependant du dossier qu’en date du 27 février 2012, il était au courant du prononcé du divorce. Par contre, il ne ressort pas du dossier que le requérant, qui fut représenté par une avocate au cours de cette procédure, ait intenté un recours contre cette décision qu’il n’aurait pas approuvée. Il aurait cependant donné instruction à son avocate de le faire. Il n’est pas clair si son avocate dans cette procédure fut commise d’office. Elle lui aurait dit qu’elle non plus n’avait reçu aucune notification dans ce dossier. Le requérant indique qu’à défaut de notification d’un jugement de divorce, il serait toujours considéré comme marié en Ukraine.
4. Cette procédure aurait entrainé à son encontre une procédure d’expulsion. Le 27 février 2012, il introduisit une demande de remplacement de son titre de séjour au motif que son titre existant aurait été détérioré. Dans cette demande le requérant indiqua qu’il était divorcé. Par une décision du 29 juin 2012 (non fournie), le droit de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union fut retiré au requérant au motif qu’il ne satisfaisait plus à aucune des conditions légales pour se voir octroyer une autorisation de séjour pour raisons privées. Le 14 août 2012, il introduisit par le biais d’un mandataire un recours gracieux contre cette décision, sollicitant une autorisation de séjour pour motifs privés et subsidiairement un sursis à l’éloignement pour raisons de santé (demande non fournie). Le même jour il fut placé en centre de rétention en vue de son éloignement. Par une décision du 26 septembre 2012, le recours gracieux fut rejeté aux motifs que le requérant, qui n’exerçait pas son droit de visite envers son enfant et qui s’était montré violent envers son ex-épouse et leur enfant, ne démontrait pas avoir une vie familiale à laquelle le refus de séjour porterait une atteinte disproportionnée. De plus, le requérant ne disposerait pas de ressources suffisantes pour vivre au Luxembourg. Sa demande subsidiaire de sursis à l’éloignement pour raisons médicales fut également rejetée dans la mesure où son avocate ne réserva pas de suite à la demande du Ministre de compléter le dossier, et où les documents y figurant mentionnaient uniquement un besoin pour des traitements disponibles en Ukraine. Il ne ressort pas du dossier qu’un recours contentieux ait été introduit contre cette décision. Le requérant allègue que son avocat commis d’office l’aurait informé que son dossier aurait été examiné par toutes les instances judiciaires disponibles au Luxembourg. A une date inconnue entre le 9 octobre et le 14 novembre 2012, le requérant aurait été expulsé vers l’Ukraine.
5. Le requérant affirme encore que son permis de conduire serait retenu par la police luxembourgeoise. Sa voiture et d’autres affaires lui appartenant seraient toujours chez son ex-épouse.
GRIEFS
6. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant soutient que la procédure de divorce viole cette disposition car aucun document afférent à cette procédure n’aurait été notifié ni à lui ni à son avocate. De plus, son avocate n’aurait pas exercé des recours dans cette procédure, nonobstant ses instructions.
7. Invoquant l’article 5 du Protocole no 7, le requérant se plaint qu’en raison de son expulsion il ne peut plus voir ni élever son fils.
8. Il soutient encore que son expulsion enfreint ses droits au titre de l’article 1 du Protocole no 1, car elle aurait eu pour effet de lui faire perdre des affaires personnelles, notamment son véhicule qui se trouverait toujours chez son ex-épouse et son permis de conduire qui serait retenu par la police luxembourgeoise, ce qui l’empêcherait de trouver du travail.
EN DROIT
1. Sur les griefs tirés de l’article 6 de la Convention
9. Au titre de l’article 6 de la Convention le requérant se plaint que ni lui-même, ni son avocate n’auraient reçu notification des documents afférents à la procédure de divorce que l’épouse du requérant aurait entamée à son encontre. Il s’en serait suivi qu’il n’aurait pas pu assister à cette procédure. Le requérant concède ne pas avoir épuisé les voies de recours internes, mais soutient que cela serait dû à un manquement de son avocate qui n’aurait pas exécuté ses instructions quant à l’exercice d’éventuelles voies de recours en cas de décision défavorable.
10. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes (voir, parmi d’autres, Cardot c. France, 19 mars 1991, § 36, série A no 200).
11. La finalité de l’article 35 de la Convention est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention. Les Etats n’ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – et avec lequel elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. De la sorte, elle constitue un aspect important du principe selon lequel le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (Sabeh El Leil c. France [GC], no 34869/05, § 32, 29 juin 2011).
12. En l’espèce, la Cour relève que le requérant ne fournit aucun document étayant ses affirmations. Elle a conscience que le requérant se plaint précisément de ne pas avoir obtenu, et de ne pas pouvoir obtenir, les documents afférents à cette procédure. Elle note cependant qu’au moment de la procédure de divorce le requérant se trouvait encore au Luxembourg. Elle relève que le requérant était représenté par un avocat au cours de cette procédure. Il avait donc nécessairement connaissance de l’ouverture de la procédure de divorce, puisqu’il a pu charger un avocat de l’y représenter. Pareillement il avait connaissance du prononcé du divorce, puisqu’il ressort de la demande de remplacement de titre de séjour du 27 février 2012 qu’à cette date le requérant était déjà divorcé (voir paragraphe 4 ci-dessus). Dans ces conditions, il aurait appartenu au requérant ou à son mandataire, au courant de l’existence d’une procédure de divorce, de s’enquérir auprès des autorités compétentes sur le sort des documents afférents à cette procédure. A défaut d’une telle diligence de la part du mandataire du requérant, il aurait incombé au requérant d’entreprendre, dans un premier temps, des voies de droit à l’égard de ce dernier. Il en va de même si ce mandataire n’avait pas agi conformément aux instructions du requérant. Or, le requérant n’allègue pas avoir entrepris une quelconque démarche en ce sens, ni avoir informé, au cas où ses premières démarches se seraient avérées infructueuses, les autorités nationales de ses griefs.
13. Partant, au regard des principes mentionnés aux paragraphes 10 et 11, la Cour estime que le requérant aurait dû entreprendre des démarches en vue du redressement de ce grief auprès des autorités internes.
14. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2. Sur le grief tiré de l’article 5 du Protocole no 7
15. Le requérant soutient sous l’angle de l’article 5 du Protocole no 7 que du fait de son expulsion du Luxembourg il aurait perdu le contact avec son fils.
16. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I), la Cour estime que le grief doit être examiné sous l’angle de l’article 8 de la Convention.
17. En l’espèce, la Cour relève que le requérant se vit retirer le droit de séjour par une décision du 29 juin 2012, qu’il ne fournit pas. Il verse uniquement la décision de refus d’un recours gracieux du 26 septembre 2012, qu’il intenta par le biais de son avocat, contre cette décision. Il ne ressort en revanche pas du dossier que le requérant ait introduit un recours contentieux contre la décision du 29 juin 2012, ni d’ailleurs contre celle du 26 septembre 2012.
18. Le requérant indique que son avocat commis d’office lui aurait dit avoir exercé toutes les voies de droit existantes. Par ailleurs, il se plaint de l’impossibilité dans laquelle il se trouverait, une fois expulsé, d’obtenir des documents attestant de ses démarches internes passées.
19. La Cour rappelle également que des frontières, de fait ou de droit, ne mettent pas en soi obstacle à l’épuisement des voies de recours internes ; en principe, des requérants qui résident hors de la juridiction d’un Etat contractant ne sont pas relevés de l’obligation d’épuiser des voies de recours internes dans cet Etat, en dépit des inconvénients pratiques que cela représente ou d’une réticence personnelle compréhensible (Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04, 19993/04 et 21819/04, § 98, CEDH 2010 – ...).
20. En l’espèce, il aurait appartenu au requérant d’exercer un recours contentieux contre la décision lui retirant le droit de séjour pour raisons familiales ou contre le rejet de son recours gracieux contre cette première décision lui refusant une autorisation de séjour pour motifs privés et le sursis à l’éloignement pour raisons de santé. Il aurait ensuite dû fournir la décision sur ce recours à la Cour. Si une telle décision ne pouvait être fournie en raison d’un manque de diligence de son représentant, le requérant aurait dû s’en plaindre auprès de l’avocat ou de l’organisme dont celui-ci dépend. A défaut de l’exercice par le requérant de ces démarches, la Cour ne saurait considérer que le requérant a épuisé les voies de recours internes.
21. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
3. Sur le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1
22. Le requérant soutient que du fait de son expulsion il lui est impossible de rentrer en possession d’un certain nombre de ses biens, parmi lesquels son véhicule qui se trouverait toujours chez son ex-épouse et son permis de conduire qui serait retenu par la police luxembourgeoise.
23. La Cour relève qu’outre que ce grief ne se base que sur de simples affirmations, le requérant n’allègue même pas avoir entrepris une quelconque démarche auprès des autorités internes afin de redresser la violation dont il se plaint.
24. Partant, au regard des principes mentionnés aux paragraphes 10, 11 et 19, la Cour estime que le requérant aurait dû entreprendre des démarches en vue du redressement de ce grief auprès des autorités internes.
25. Il s’ensuit, au vu de l’absence de telles démarches, que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffière Président