Přehled
Rozsudek
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE FLAMENBAUM ET AUTRES c. FRANCE
(Requêtes nos 3675/04 et 23264/04)
ARRÊT
STRASBOURG
13 décembre 2012
DÉFINITIF
13/03/2013
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Flamenbaum et autres c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Mark Villiger, président,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 novembre 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 3675/04 et 23264/04) dirigées contre la République française et dont dix‑huit ressortissants de cet État, M. Bernard Flamenbaum, Mme Régine Akierman, M. et Mme Guy et Marie-Thérèse Beausire, M. et Mme Bruno et Christiane Célice, M. Marcel Konstantyner, MM. Daniel et Michel Leplanche, M. et Mme Bernard et Régine Larbaour, M. et Mme Jacques et Claudine Lelièvre, M. Charles Loisy, M. Claude Marie, et M. et Mme Paul et France Trocmé, ainsi qu’un ressortissant italien, M. Danilo Morandi (« les requérants »), ont saisi la Cour les 27 janvier 2004 (M. Flamenbaum) et 21 juin 2004 (les autres requérants) en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Me G. Hannotin, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Les requérants alléguaient la violation de l’article 8 de la Convention en raison des nuisances sonores générées par l’allongement de la piste principale de l’aéroport dont ils sont riverains et des lacunes du processus décisionnel afférent à cet allongement, ainsi que la violation de l’article 1 du Protocole no 1 tenant à la perte de valeur alléguée de leurs propriétés et au coût d’insonorisation de celles-ci.
4. Par une décision du 10 avril 2007, la Cour a décidé de joindre les requêtes (article 42 § 1 du règlement), a ajourné les griefs tirés des articles 8 de la Convention et 1 du Protocole no 1 et a déclaré le surplus des requêtes irrecevables.
5. Informé par lettre du 16 avril 2007 de son droit d’intervenir dans la procédure, le Gouvernement italien n’a pas fait usage de ce droit.
6. Par une décision du 17 mars 2009, la chambre a déclaré les requêtes recevables, à l’exception du grief tiré des autres préjudices environnementaux invoqués par les requérants, et a décidé de poser des questions supplémentaires aux parties. Elle a par ailleurs décidé qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience.
7. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires en réponse aux questions posées par la chambre (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. M. Bernard Flamenbaum, né en 1936, est domicilié à Touques. Mme Régine Akierman, née en 1936 est domiciliée à Montreuil. M. et Mme Guy et Marie‑Thérèse Beausire, nés en 1936 et 1941, M. et Mme Bernard et Régine Larbaour, nés en 1946 et 1948, M. Charles Loisy, né en 1946, et M. Claude Marie, né en 1945, sont domiciliés à Trouville‑sur‑Mer. M. et Mme Bruno et Christiane Célice, nés en 1936 et 1935, M. et Mme Jacques et Claudine Lelièvre, nés en 1931 et 1933, et M. Danilo Morandi, né en 1927, sont domiciliés à Touques. M. Marcel Konstantyner, né en 1927, est domicilié à Paris. MM. Daniel et Michel Laplanche, nés en 1952 et 1954, sont domiciliés à Saint Gatien‑des‑Bois. Enfin, M. et Mme Paul et France Trocmé, nés en 1924 et 1930, sont domiciliés à Sèvres.
9. Les requérants sont propriétaires ou copropriétaires de résidences situées dans la forêt de Saint Gatien ou à proximité de celle-ci. Ces résidences sont toutes à une distance comprise entre 500 mètres et 2 500 mètres de la piste principale de l’aéroport de Deauville-Saint Gatien, dont l’allongement est l’objet des présentes requêtes.
10. M. Flamenbaum, Mme Akierman, les époux Célice, M. Konstantyner, les époux Lelièvre et M. Morandi ont acquis leurs maisons respectivement. en 1977, 1980, 1975, 1986, 1961 et 1965. Elles se trouvent à La Croix Sonnet, sur le territoire de la commune de Touques, à une distance respectivement de 800 mètres, 700 mètres, 670 mètres, 840 mètres (propriétés Konstantyner et Lelièvre) et 700 mètre de l’extrémité nord-ouest de la piste principale.
11. MM. Daniel et Michel Laplanche ont acquis leurs maisons en 1979. Elles se trouvent sur le territoire de la commune de Saint Gatien-des-Bois, à 500 mètres de l’extrémité sud-est de la piste principale.
12. Les époux Larbaour, M. Loisy, M. Marie et les époux Beausire ont acquis leurs propriétés respectivement en 1979, 1974, 1972 et 1971. Elles se trouvent « résidence Les Aubets », à Hennequeville, sur le territoire de la commune de Trouville-sur-Mer, à une distance de 2 500 mètres de l’extrémité nord-ouest de la piste principale.
Acquise en 1934, la résidence des époux Trocmé se trouve également à Hennequeville à 2 500 mètres de l’extrémité nord-ouest de la piste principale.
A. Les premières étapes du développement de l’aéroport
13. L’aéroport de Deauville-Saint-Gatien fut créé en 1931 par la ville de Deauville sur un terrain lui appartenant, situé à Saint Gatien-des-Bois. Le terrain d’aviation, à l’origine une simple piste en gazon, fut progressivement agrandi. La piste principale fut portée à une longueur de 1 345 mètres en 1945, 1 900 mètres en 1961 et 2 100 mètres en 1969. L’aéroport est situé dans la forêt de Saint Gatien, inscrite depuis 1977 à l’inventaire des sites[1] et classée comme zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF). L’aéroport est à quelques kilomètres des stations balnéaires de la côte normande. Par décret du 13 mai 1968, il fut classé en catégorie « C » (voir paragraphe 63 ci‑dessous).
14. Le 14 novembre 1986, la ville de Deauville conclut avec l’État une convention déterminant les conditions d’aménagement, d’entretien et d’exploitation de l’aérodrome. Par un sous-traité de gestion du 8 juin 1990, la ville en confia l’exploitation à la chambre de commerce et d’industrie de Honfleur et Lisieux (devenue par la suite chambre de commerce et d’industrie du pays d’Auge).
15. En 1978, un plan d’exposition au bruit (PEB), approuvé en 1982, fut établi sur une hypothèse de longueur de piste de 2 720 mètres et de trafic de 73 000 mouvements[2] d’avions à l’horizon 1990. L’objet d’un tel document est de permettre un développement maîtrisé de l’urbanisation au voisinage d’un aérodrome sans exposer de nouvelles populations au bruit engendré par son exploitation : trois zones sont identifiées aux alentours des aéroports en fonction du degré d’exposition au bruit (zones A et B : bruit fort ; zone C : bruit modéré), dans lesquelles l’extension de l’urbanisation est en principe interdite (voir paragraphes 66-68 ci-dessous). Le PEB est basé sur des hypothèses d’évolution du trafic à court, moyen et long terme.
B. Le classement de l’aéroport en catégorie B
16. Par décret du 24 février 1986, l’aéroport fut classé en catégorie B, ce qui le destinait « aux services à moyenne distance ». Le classement de l’aéroport dans cette catégorie ne modifia cependant pas sensiblement les conditions concrètes de son exploitation, les vols moyens courriers qu’il était destiné à accueillir étant normalement assurés par des avions ne pouvant atterrir ou décoller que sur des pistes de plus de 2 100 mètres.
C. Le plan de servitudes aéronautiques de dégagement
17. Un projet de plan de servitudes aéronautiques de dégagement de l’aérodrome de Deauville-Saint-Gatien fut élaboré. Par arrêté inter-préfectoral des 14-22 décembre 1987, les préfets du Calvados et de l’Eure prescrivirent une enquête publique préalable. Un dossier fut remis aux trente‑deux mairies concernées par le projet et l’arrêté des 14‑22 décembre 1987 y fut affiché.
L’enquête publique se déroula du 22 février au 25 mars 1988 ; le commissaire-enquêteur se tint à la disposition du public à la sous‑préfecture de Lisieux. Des observations des habitants furent consignées dans les registres de six des trente‑deux communes concernées. Une pétition, regroupant 529 signatures, fut annexée aux registres déposés dans huit des trente-deux communes, ainsi qu’un certain nombre de lettres. Les riverains reprochaient notamment au projet de ne pas comprendre d’étude d’impact sur l’environnement et de ne pas tenir compte des nuisances que générerait une éventuelle augmentation du trafic aérien. Le 1er juin 1988, le commissaire-enquêteur rendit un avis favorable à l’approbation du projet. Après avoir synthétisé les griefs des riverains, des communes et des associations s’opposant au projet, il estima « qu’aucune des observations formulées au cours de l’enquête n’[était] de nature à compromettre la mise en application des servitudes de dégagement envisagées pour l’aérodrome de Deauville-Saint Gatien ».
18. Le 3 avril 1989, le ministre de l’Équipement et des Transports demanda l’avis de la commission centrale des servitudes aéronautiques. Le 27 juin 1989, la commission émit l’avis que le plan soit approuvé par un décret en Conseil d’État, après mise à jour en fonction des renseignements recueillis lors de l’instruction locale. Par décret du 4 avril 1991, le premier ministre approuva le plan des servitudes de dégagement de l’aérodrome.
19. Le 6 juin 1991, l’association de défense des riverains de l’aéroport de Deauville‑Saint Gatien (ADRAD), dont les requérants sont tous membres, saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation du décret. Elle dénonçait le fait que le projet relatif aux nouvelles servitudes aériennes avait été dissocié de ceux du classement en catégorie B et de l’extension de la piste (paragraphes 21-31 ci-dessous), ce qui, selon l’association, faisait obstacle à une appréciation de l’impact global de l’extension de l’aéroport sur l’environnement. Elle soulignait en outre l’absence de toute étude d’impact, même partielle.
20. Par arrêt du 5 mai 1993, le Conseil d’État rejeta la requête. Il releva qu’en application de l’article 3C du décret no 77-41 du 12 octobre 1977, les travaux liés au plan de servitudes aéronautiques n’étaient pas soumis à la procédure de l’étude d’impact dans la mesure où leur coût total était inférieur à six millions de francs. Il estima que le commissaire enquêteur avait suffisamment motivé ses conclusions et que la décision attaquée avait été prise dans le respect de la procédure prévue et notamment après consultation de la commission centrale des servitudes aéronautiques. Au fond, le Conseil d’État rappela que le décret de classement en catégorie B de l’aéroport n’était plus susceptible de recours et que, ce décret faisant l’objet d’une procédure distincte de celle de l’allongement de la piste et de celle du plan de servitudes aéronautiques, ces différentes opérations pouvaient être conduites séparément selon le calendrier choisi par l’administration. Enfin, le Conseil d’État jugea qu’il ne ressortait pas du dossier que les inconvénients du plan de servitudes seraient excessifs au regard des avantages qu’il comportait pour le fonctionnement de l’aérodrome.
Le 16 septembre 1996, l’ADRAD saisit le premier ministre d’une demande de révision du plan de servitudes, qui fit l’objet d’une décision implicite de refus. Par arrêt du 17 mai 1999, le Conseil d’ État rejeta le recours de l’ADRAD contre cette décision, au motif notamment qu’il ne ressortait pas du dossier que la mise en oeuvre du plan, eu égard aux avantages qu’il comportait pour le fonctionnement de l’aérodrome et la sécurité des usagers, porterait une atteinte excessive à l’environnement.
D. L’allongement de la piste principale
21. Le 15 juin 1990, le président de la chambre de commerce et d’industrie sollicita l’ouverture de l’enquête publique préalable aux travaux d’allongement à 2 720 mètres et de renforcement de la piste principale de l’aérodrome. Le 12 juillet 1990, le président du tribunal administratif de Caen constitua une commission d’enquête et en désigna les membres. Par arrêté du 20 juillet 1990, le préfet du département du Calvados ordonna une enquête publique sur le projet d’allongement et de renforcement de la piste.
1. L’étude d’impact
22. En application de l’article 2 de la loi no 77-141 du 12 octobre 1977, un cabinet d’experts avait au préalable réalisé une étude d’impact (finalisée en juin 1990) relative aux effets du projet sur les milieux physique (terrassements et eaux souterraines et de surface et pollution des eaux) et biologique, les activités (agriculture, sylviculture et socio-économie), l’urbanisme, le patrimoine et le paysage ainsi que sur les nuisances sonores.
23. L’étude rappelait qu’en vertu du schéma directeur de l’équipement aéronautique[3], le plan d’équipement aéronautique concernant la Basse‑Normandie, pris en considération par le ministre des transports le 27 juillet 1997, prévoyait que la satisfaction des besoins de la Basse-Seine en moyens courriers et charters devrait être assurée par l’aérodrome de Deauville‑Saint Gatien, dont la zone d’influence représentait une population de près de deux millions d’habitants. L’étude relevait qu’il existait, moyennant une bonne promotion, une clientèle potentielle de voyages charters et que le trafic pourrait être de 47 000 passagers à l’horizon 1990, avec une progression annuelle de 5%, mais que les vols moyens courriers étaient assurés par des appareils qui avaient besoin au décollage d’une longueur de piste comprise entre 2100 et 2500 mètres. L’étude soulignait également que, pour le fret de chevaux, qui constituait une activité importante de l’aérodrome, les prévisions à court et moyen terme étaient pessimistes à défaut d’allongement de la piste, qui permettrait l’arrivée d’avions gros porteurs, de plus en plus utilisés pour le transport des chevaux, et atterrissant actuellement à Beauvais.
24. S’agissant des effets socio-économiques, l’étude notait que, vu la clientèle potentielle visée, l’allongement de la piste bénéficierait non seulement à l’activité de l’aérodrome (notamment en matière de fret de chevaux), mais aussi, avec l’arrivée de charters, aux infrastructures hôtelières du secteur et que, si l’impact exact ne pouvait être calculé précisément, il ne pourrait qu’être favorable à l’économie locale, voire régionale.
25. Quant aux nuisances sonore, l’étude se fondait sur l’hypothèse que, par rapport aux éléments sur la base desquels le plan d’exposition au bruit avait été élaboré en 1978, il n’y aurait pas de changement quant aux trajectoires « en plan et en profil », à la « répartition du trafic aéronef selon ces trajectoires », à l’utilisation des bouts de piste à l’envol (80 % du trafic au Nord-Ouest, 20 % du trafic au Sud-Est) et au pourcentage de trafic de nuit (5 % des mouvements commerciaux). Elle soulignait : « il va de soi qu’avec de telles hypothèses, il serait dangereux de dégager des conclusions précises quant aux incidences acoustiques de l’allongement de la piste ». L’étude retenait ensuite que l’allongement de la piste permettrait surtout la création d’un « trafic d’aéronefs type Boeing 747 et DC8‑63F de fret et DC8-passagers », que « le reste du trafic évoluer[ait] de la même façon » et qu’« à l’horizon 1995, il [était] donc prévu un trafic de 36 000 mouvements par an commerciaux et non commerciaux ». L’étude notait que les mouvements d’aviation commerciale (passagers et fret de chevaux) étaient minoritaires et ne constituaient pas la cause de la gêne sonore pouvant être ressentie par certains riverains, alors que les vols d’entraînement militaires, en raison de leurs caractéristiques, produisaient une sensation de gêne certaine.
26. Pour le reste, l’étude indiquait ce qui suit :
« (...) les prévisions prises comme hypothèse lors de l’élaboration du plan d’exposition au bruit étaient évaluées à : 3 000 mouvements d’aviation commerciale ; 70 000 mouvements d’aviation non commerciale.
Le faible trafic supplémentaire de Boeing 747 de fret n’aura pas d’influence notable sur les nuisances acoustiques.
Le trafic supplémentaire seulement occasionné par la venue des DC 8 et Boeing 747 ne contribue qu’en faible partie à l’évolution du trafic total. Il sera faible en nombre, mais important en passagers et en fret.
L’augmentation du trafic entraînera une légère extension des zones de bruit fort et modéré.
En pratique, l’allongement de la piste sera nécessaire pour le décollage des B 747 et DC 8. Comme 80 % des décollages sont supposés s’effectuer dans le sens Sud-Est Nord-Ouest, les nuisances sonores seront plus notables au Nord-Ouest de la piste.
Le support de la carte est constitué par le plan d’exposition au bruit de 1978 rendu disponible par décision préfectorale du 20/07/82.
Par rapport à l’état actuel (...), on remarquera que peu d’habitations supplémentaires se trouveraient en zone de forte ou assez forte gêne sonore.
Par ailleurs, la zone de gêne ne dépasse en aucun cas les limites du secteur C du PEB, approuvé en 1982.
Les mesures urbanistiques prises dans ce cadre restent donc valables (...) »
27. Faisant au final le constat que l’on restait dans le périmètre du plan d’exposition au bruit approuvé en 1982, l’étude ne préconisait pas de mesures compensatoires s’agissant des nuisances sonores. Elle recommandait en revanche notamment un reboisement de 23 hectares, en compensation de l’abattage et de l’étêtage d’arbres.
2. L’enquête publique
28. L’enquête publique se déroula du 20 août au 20 septembre 1990 dans six mairies où les pièces du dossier furent rendues disponibles au public, ainsi que des registres d’enquête pour recueillir les observations. Les membres de la commission d’enquête se tinrent à la disposition du public les 3 et 17 septembre et le 20 septembre 1990 ; 231 avis favorables, individuels ou collectifs, furent recensés, dont plusieurs pétitions d’hôtels, d’habitants et du casino de Deauville. La commission d’enquête reçut également par correspondance l’avis favorable de nombreux industriels de la région, ainsi que de professionnels de l’hôtellerie ou du tourisme. Cinq avis favorables avec réserves furent émis, et 366 avis défavorables, individuels et collectifs, furent recueillis, dont plusieurs pétitions d’associations ou d’habitants. Les principaux arguments des opposants portaient sur l’augmentation des nuisances sonores, le déboisement, la pollution de l’air, la dévaluation des patrimoines, ainsi que sur des irrégularités alléguées dans la procédure antérieure de classement de l’aéroport en catégorie B.
29. La commission d’enquête rendit son rapport le 12 octobre 1990. A propos des nuisances sonores, elle souligna que « si l’on considère que le plan d’exposition au bruit approuvé en 1982 prenait en compte une génération d’avions qui, au moment de leur construction, n’étaient pas soumis à de strictes règles de limitation de bruit, qu’il se basait sur une prévision du trafic très surévalué (73 000 mouvements à l’horizon 1990, alors que le trafic réel cette année ne sera que d’environ 43 000 mouvements), on comprendra aisément que le nouveau PEB, qui intégrera un trafic supplémentaire prévisionnel de gros porteurs assez faible, ne devrait pas être plus pénalisant que le premier ».
Elle ajouta que « toutefois, il aurait été préférable que ce nouveau PEB fût soumis à l’enquête qui vient de se terminer ». Quant à la pollution de l’air, elle retint qu’aucune preuve n’était apportée pour établir que l’air était pollué et que, quant à la pollution future, liée en partie au trafic supplémentaire, elle ne changerait pas notablement la situation actuelle, car ce trafic supplémentaire serait faible au vu de l’étude d’impact. S’agissant de la dégradation du patrimoine, la commission nota qu’elle était due à une situation antérieure et que la faible augmentation du trafic prévue ne devrait pas l’aggraver, hormis pour quelques cas particuliers d’habitations situées à proximité immédiate des locaux de piste.
Ainsi, considérant notamment que l’extension de la piste n’accroîtrait pas significativement le nombre des mouvements d’avions, et que, par conséquent, il n’y aurait pas aggravation sensible des nuisances sonores, qu’elle s’inscrivait dans le cadre de la coordination des politiques aéroportuaires des grandes métropoles de la région, définie par le plan d’équipement aéronautique, que des mesures compensatoires appropriées étaient prévues pour compenser ou minimiser les impacts négatifs concernant l’environnement et que l’allongement de la piste contribuerait au développement économique de la région, la commission émit un avis favorable. Elle recommanda toutefois, en ce qui concernait les nuisances sonores, l’arrêt complet des vols d’entrainement militaires ou, tout du moins, leur suppression en période estivale et l’interdiction des décollages la nuit.
30. Parallèlement, la commission consultative de l’environnement (créée par arrêt préfectoral du 13 juin 1990 en application de la loi 85-696 du 11 juillet 1985) s’était réunie les 21 juin et 17 décembre 1990. L’étude d’impact et le dossier de l’enquête publique furent transmis à ses membres.
3. L’arrêté du 5 mars 1991
31. Par arrêté du 5 mars 1991, le préfet du département du Calvados autorisa la chambre de commerce et d’industrie à porter la longueur de la piste principale à 2 550 mètres en direction du Nord-Ouest, au lieu des 2 720 mètres projetés, au motif que cette longueur était, « en l’état actuel des conditions de trafic », suffisante pour atteindre le but poursuivi, à savoir adapter l’aérodrome à sa vocation et aux caractéristiques géométriques du classement en catégorie B et, en particulier, améliorer les conditions de sécurité pour le décollage des avions « moyens courriers ». En outre, l’arrêté prescrivit un reboisement de 23 hectares en compensation des défrichements effectués en application des dispositions relatives aux servitudes aéronautiques.
4. Le recours de l’ADRAD
32. L’ADRAD forma un recours en annulation contre cet arrêté, dans le cadre duquel elle dénonçait en particulier les déficiences de l’étude d’impact. Son recours fut rejeté par le tribunal administratif de Caen par jugement du 13 juin 1995.
Le tribunal écarta les moyens dirigés contre l’étude d’impact, aux motifs notamment qu’elle comportait un développement détaillé des effets du projet sur l’environnement et que, compte tenu de l’absence d’augmentation sensible du bruit résultant tant de l’étude que du plan d’exposition au bruit pour un trafic actuellement inférieur à celui prévu par le plan, l’ADRAD n’était pas fondée à soutenir qu’elle serait insuffisante du fait qu’elle ne comporterait pas d’estimation du coût des mesures de lutte contre le bruit. Le tribunal rejeta également les moyens dirigés contre l’arrêté, en retenant qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que le projet d’extension accentuerait de manière significative le niveau sonore engendré par le mouvement des avions, qu’il ne conduirait pas à des expropriations et que, dès lors, le préfet n’avait pas commis d’erreur d’appréciation en ne prévoyant aucune disposition concernant ces nuisances ni l’indemnisation des riverains, à supposer qu’un tel élément puisse y figurer. Le tribunal reconnut par ailleurs le caractère d’utilité publique de l’opération projetée, qui avait pour but de répondre aux perspectives d’évolution de l’aérodrome, compte tenu de sa situation géographique, et de permettre son utilisation par des avions emportant des charges plus importantes.
33. Par arrêt du 16 décembre 1998, la cour administrative d’appel de Nantes confirma le jugement, en retenant notamment ce qui suit :
« Considérant que le projet (...) visait, par l’amélioration de la capacité d’accueil d’avions de type « moyen courrier » ou « charters », à développer, d’une part, un trafic de passagers répondant à l’importance des activités touristiques et de congrès ou des pèlerinages et, d’autre part, un trafic de fret consacré au transport des chevaux à proximité d’une importante région d’élevage de pur-sangs ; que les associations requérantes n’établissent pas que l’existence d’autres moyens de communication ou même d’autres aérodromes à Caen ou au Havre aurait dû conduire l’administration à estimer, à la date de l’intervention de l’arrêté attaqué, que les objectifs ainsi poursuivis par le projet, élaboré dans le cadre d’une étude d’ensemble sur la desserte aérienne de la région, ne pouvaient être atteints ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que l’opération, qui ne nécessitait aucune expropriation, aurait provoqué des nuisances sonores supplémentaires, ou bien, pour ce qui concerne seulement l’extension de la piste et les mesures et aménagements qui y sont directement liés, aurait fait l’objet d’une évaluation financière manifestement sous-estimée, de nature dans l’un ou l’autre cas à affecter la légalité de l’autorisation d’extension de la piste (...) »
34. Dans l’intervalle, les travaux d’allongement et de renforcement de la piste s’étaient achevés le 5 octobre 1993. La piste fut ouverte à la circulation aérienne le 10 novembre 1993.
E. La décision du 3 novembre 1995 et le décret du 26 février 1996
35. Le 3 novembre 1995, le ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Équipement et des Transports décida la suppression par leurs propriétaires des obstacles gênants, en particulier les arbres, dépassant les côtes limites de dégagement sur les parcelles situées sur les communes de Saint Gatien‑des‑Bois, Trouville-sur-Mer et Touques et mentionnées dans une annexe à la décision. Cette décision prévoyait également qu’une convention devait être rédigée entre chaque propriétaire et le représentant du ministère pour la définition des travaux à exécuter et la détermination du montant des indemnités compensatrices. Ce montant devait être évalué par la direction des services fiscaux du département du Calvados. La ville de Deauville devait assumer la charge des frais et des indemnités.
36. Le 27 décembre 1996, l’ADRAD saisit le tribunal administratif de Caen d’un recours en annulation de la décision du 3 novembre 1995, assorti d’une demande de suspension de l’exécution et d’une demande de sursis à exécution, que le tribunal rejeta par décisions des 27 janvier et 25 avril 1997 respectivement, confirmées par la cour administrative d’appel de Nantes le 31 mars 2005. Le recours en annulation fut rejeté par le tribunal administratif le 16 mars 2004.
37. Après une enquête publique, le premier ministre, par décret du 26 février 1996, adopta le plan du 2 mai 1989 fixant l’étendue des zones de dégagement et les servitudes de protection contre les obstacles au voisinage du centre radioélectrique de l’aérodrome.
F. Les recours en indemnisation
38. Le 21 avril 1994, avec d’autres demandeurs, la présidente de l’ADRAD, Mme Célice, saisit le tribunal administratif de Caen d’une requête en référé tendant à ce que son président désigne un expert dans le domaine des mesures de bruit afin notamment d’évaluer les nuisances sonores dans le voisinage de l’aérodrome dues à l’allongement de la piste.
39. Par ordonnance du 1er juillet 1994, le président du tribunal administratif désigna B. comme expert aux fins notamment d’analyser tous documents se rapportant à l’allongement de la piste principale de l’aérodrome et à son utilisation actuelle et prévisible. L’expert fut également chargé de rechercher la part de l’accroissement éventuel du trafic aérien en volume et par catégorie d’appareil imputable à l’allongement, d’indiquer s’il en résultait un accroissement des nuisances sonores, de visiter l’habitation de la requérante, d’y mesurer les nuisances sonores, de décrire les protections phoniques existantes ainsi que celles susceptibles d’atténuer les nuisances sonores, de décrire les autres nuisances générées par la présence de l’aérodrome et plus particulièrement par l’allongement de sa piste principale, et de manière générale de fournir au tribunal tous renseignements utiles à la solution du litige.
1. Le rapport d’expertise
40. Dans son rapport final d’expertise déposé en octobre 1997, l’expert B. rendit compte de mesures acoustiques effectuées les 15, 16 et 17 août 1996, et les 16 mai et 14 juin 1997 à la Croix Sonnet, dans le jardin de la propriété des époux Célice.
41. L’expert releva une stagnation des mouvements au cours des années 1991 à 1996 avec une moyenne annuelle de l’ordre de 14 000 mouvements, tous avions confondus, et une baisse de 8% par rapport à la moyenne des années 1993 à 1996 (et de 11% par rapport aux années 1994 et 1995 ou 1993 et 1995). Il nota toutefois que le nombre de passagers transportés avait parallèlement augmenté de façon importante, ce qui ne pouvait selon lui s’expliquer que par l’augmentation du trafic d’avions « gros porteurs » du fait de l’allongement de la piste. La part des « gros porteurs » avait augmenté, au cours des années 1993 à 1996, de 49%, voire de 77% si l’on comparait l’année 1996 à la moyenne des trois années précédentes.
A cet égard, l’expert faisait état des données suivantes quant au nombre de mouvements de gros porteurs destinés au transport de civils : d’après une liste fournie par la chambre de commerce et d’industrie (exploitant de l’aéroport), il y en avait eu 76 en 1991, 64 en 1992, 50 en 1993 (déduction faite des mouvements liés à la tenue exceptionnelle du congrès d’une grande entreprise), 94 en 1994, 66 en 1995 et 124 en 1996 ; d’après la liste établie par l’ADRAD sur la base des listings de l’aéroport, il y en avait eu 24 en 1991, 52 en 1992, 98 en 1993 (hors congrès), 114 en 1994, 104 en 1995 et 148 en 1995. A cela s’ajoutaient les mouvements de gros porteurs militaires et destinés au transport de chevaux soit : 154 en 1991, 174 en 1992, 200 en 1993, 352 en 1994 (cette dernière augmentation étant essentiellement due à la célébration du cinquantième anniversaire du débarquement), 122 en 1995 et 90 en 1996 (chiffres établis par l’ADRAD selon les modalités susmentionnées).
L’expert ajoutait qu’il était évident que cette augmentation des mouvements d’avions « gros porteurs » s’accompagnait également d’une augmentation importante du bruit, d’autant plus, précisait-t-il, que l’accroissement du trafic s’effectuait « principalement avec des avions bruyants, du type Boeing 737, BAC1.11, DC 8, Caravelle et autres ». Il soulignait que « la présence de ces nouveaux aéronefs a[vait] complètement modifié le paysage sonore », le spectre d’exposition au bruit s’étant d’après lui élargi par rapport au plan d’exposition au bruit (PEB) approuvé en 1982, ce qui le conduisait à définir un nouveau PEB.
42. L’expert, qui notait par ailleurs « une grande quantité de vols d’entraînement aussi bien militaires que civils » ainsi que des vols de nuit au-delà de 22 heures et avant 7 heures, soulignait la nécessité de procéder à l’isolation phonique des propriétés des requérants (travaux dont il chiffrait le coût) lesquelles, indiquait-t-il, avaient perdu l’essentiel de leur valeur (la perte serait de 70 % pour la propriété située en zone type B/C selon le nouveau PEB qu’il avait défini, de 80 % pour celles situées en zone type B, et de 90 % pour celles situées en zone type A).
43. En conclusion, il préconisait notamment les mesures suivantes : « limitation du trafic « gros porteur » ; emploi d’avions équipés de réacteurs « nouvelle génération » dits « double flux » et réputés peu bruyants ; imposition de plans de vols spécifiques aux pilotes ; vol des avions en sous charge (décollage court) ; interdiction des vols de nuit (aéroport fermé) ; interdiction des avions première génération ; interdiction des avions militaires « gros porteurs » ; interdiction de tous vols d’entraînement ».
2. Les jugements du tribunal administratif
44. En août et septembre 1998, les requérants, sur le fondement du rapport d’expertise, saisirent le tribunal administratif de Caen d’une demande d’indemnisation des préjudices subis du fait de l’allongement de la piste principale de l’aéroport de Deauville-Saint Gatien. Ils sollicitaient la condamnation de la chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Auge à les dédommager au titre de la perte de la valeur vénale de leurs propriétés respectives et au titre des frais d’isolation de celles-ci (cette dernière demande étant également dirigée contre l’État).
45. Ils invitaient également le juge des référés administratif à condamner sous astreinte la chambre de commerce et d’industrie à leur verser une provision à valoir sur la réparation des préjudices allégués et équivalente à la somme réclamée au titre des frais d’isolation des maisons. Ils demandaient par ailleurs que les frais d’expertise soient mis à la charge de la chambre de commerce et d’industrie et que la commune de Deauville soit condamnée à garantir cette dernière de l’ensemble des condamnations prononcées contre elle.
46. Par une série de jugements rendus le 4 mai 1999, le tribunal administratif de Caen joignit les requêtes et conclut en premier lieu à l’irrégularité des opérations d’expertise, dans les termes suivants :
« Considérant, d’une part, que l’expert (...) a notamment fondé ses conclusions définitives sur des mesures de bruit réalisées (...) sans que la ville de Deauville et la chambre de commerce et d’industrie du pays d’Auge aient été préalablement averties de ces opérations et ultérieurement mises à même, avant le dépôt du rapport, de discuter utilement les résultats de ces mesures et les modalités de leur exploitation par l’expert, qui a pris l’initiative de définir un nouveau plan d’exposition au bruit ; qu’ainsi l’expertise n’a pas revêtu le caractère contradictoire notamment exigé par les dispositions de l’article R. 164 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Considérant, d’autre part, qu’en procédant, en méconnaissance des dispositions arrêtées par le juge des référés, à une évaluation des préjudices, d’ailleurs à partir d’éléments qu’il n’a pas lui-même appréciés et par application de méthodes forfaitaires dépourvues de rigueur, en particulier pour l’estimation de la dépréciation de la propriété, l’expert a outrepassé la mission qui lui était assignée et qui, en outre, ne l’invitait pas à préconiser de nouvelles modalités d’exploitation de l’aéroport ou à donner un avis sur la qualification juridique des inconvénients subis par les riverains ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la chambre de commerce et d’industrie du pays d’Auge et la commune de Deauville sont fondées à soutenir que les opérations d’expertise sont entachées d’irrégularité ; que, toutefois, cette irrégularité ne fait pas obstacle à ce que le rapport d’expertise soit retenu à titre d’information et à ce que, les parties ayant pu présenter des observations au cours de la procédure écrite qui a suivi le rapport d’expertise, et le tribunal disposant des éléments nécessaires à la solution du litige, il soit statué au fond sans qu’il soit besoin de recourir à une nouvelle expertise. »
47. Sur le fond, le tribunal jugea que, l’État n’étant ni propriétaire ni exploitant de l’aérodrome, sa responsabilité ne pouvait être engagée. Il rejeta dans les termes suivants les demandes dirigées contre la chambre de commerce et d’industrie et la commune de Deauville :
« Considérant (...) qu’il résulte de l’instruction, et notamment des statistiques exploitées et communiquées à l’expert par (l’ADRAD) elle-même, que les aéronefs de fort tonnage utilisaient déjà l’aéroport de Deauville-Saint Gatien-des-Bois, avant la mise en service de la nouvelle piste, à raison de 12 et 26 appareils en 1991 et 1992, et qu’ultérieurement la fréquentation de l’aérodrome s’est seulement élevée, pour les aéronefs de même catégorie, à 57, 52 et 74 appareils, respectivement en 1994, 1995 et 1996, alors qu’au cours de ces deux dernières années était observée une décroissance du trafic général, et notamment de celui des aéronefs militaires ; que, dans ces conditions, s’il ressort également du dossier que, dans les hypothèses les plus défavorables, des riverains peuvent être exposés à la forte intensité des bruits causés par les aéronefs, à l’occasion notamment de quelques décollages, l’accroissement des nuisances sonores dues à l’allongement de la piste ne peut être regardé, eu égard à la fréquence du trafic aérien favorisé par cet aménagement dans un aéroport n’ayant enregistré au total que 22 402 passagers en 1996, comme imposant (aux requérants) des inconvénients excédant ceux que peuvent être appelés à subir, dans l’intérêt général, les habitants des communes situées à proximité d’un aéroport (...) »
Le tribunal rejeta en conséquence la demande de provision formulée par les requérants et mit les frais d’expertise à leur charge.
3. Les arrêts de la cour administrative d’appel
48. Par une série d’arrêts rendus le 20 décembre 2000, la cour administrative d’appel de Nantes rejeta les appels interjetés par les requérants. Elle confirma en premier lieu l’irrégularité des opérations d’expertise, tout en estimant que cette irrégularité ne faisait pas obstacle à ce que le rapport d’expertise soit retenu à titre d’information, comme l’avait décidé le tribunal.
49. Sur les demandes indemnitaires des requérants, la cour administrative d’appel distingua sa motivation selon la localisation de l’habitation de chacun d’entre eux. Pour les huit requérants dont les propriétés sont situées sur la commune de Touques, les arrêts étaient motivés comme suit :
« Considérant qu’il résulte de l’instruction, et en particulier des éléments de fait non sérieusement contestés du rapport d’expertise, que [les propriétés des requérants sont situées] sur le territoire de la commune de Touques, à quelques centaines de mètres de l’extrémité nord-ouest de la piste principale de l’aérodrome de Deauville‑Saint Gatien ; que, si la grande majorité des décollages s’effectue dans cette direction et que [les propriétés des requérants sont soumises] à un bruit qui peut atteindre une forte intensité lors du passage de certains types d’avions « gros porteurs », d’appareils destinés au transport des chevaux ou d’appareils militaires effectuant des entraînements, la fréquence des mouvements de ces différentes catégories d’avions, alors même que l’allongement de la piste de 2 100 à 2 550 mètres achevé en 1993 et la mise en œuvre corrélative d’un nouveau plan des servitudes aéronautiques de dégagement ont été de nature à accroître l’intensité des bruits, demeure de l’ordre de 300 mouvements par an ; qu’ainsi, dans les circonstances de l’espèce, et sans que le caractère de l’environnement [des propriétés] puisse avoir d’influence à cet égard, [les requérants ne justifient] pas de l’existence en ce qui [les] concerne de troubles qui excéderaient ceux que peuvent être appelés à subir, dans l’intérêt général, les riverains d’un aérodrome (...) »
50. Quant aux arrêts concernant les dix requérants dont les biens sont situés sur les communes de Trouville-sur-Mer ou de Saint Gatien-des-Bois, ils étaient ainsi motivés :
« Considérant qu’il résulte de l’instruction, et en particulier des éléments de fait non sérieusement contestés du rapport d’expertise, que [les propriétés des requérants sont situées soit sur le territoire de la commune de Trouville-sur-Mer soit sur le territoire de la commune de Saint Gatien-des-Bois, en tout état de cause] dans le voisinage de l’extrémité de la piste principale de l’aérodrome de Deauville‑Saint Gatien ; que si les travaux d’allongement de cette piste de 2 100 à 2 550 mètres ont été achevés en 1993 et que, corrélativement, un nouveau plan des servitudes de dégagement a été mis en œuvre, il n’est pas établi que, eu égard à [leur] localisation par rapport à l’ouvrage, [les propriétés des requérants soient soumises], en particulier lors du passage de certains types d’avions « gros porteur », d’appareils destinés aux transports des chevaux ou d’appareils militaires effectuant des entraînements, à un bruit d’une intensité qui atteindrait des niveaux caractérisant l’existence d’un dommage anormal ; qu’en outre, la fréquence des mouvements de ces différentes catégories d’avions demeure de l’ordre de 300 par an ; qu’ainsi, dans les circonstances de l’espèce, et sans que le caractère de l’environnement [des propriétés] puisse avoir d’influence à cet égard, [les requérants ne justifient] pas de l’existence en ce qui les concerne de troubles qui excéderaient ceux que peuvent être appelés à subir, dans l’intérêt général, les riverains d’un aérodrome (...) »
4. Les arrêts du Conseil d’État
51. Les dix-huit requérants se pourvurent en cassation devant le Conseil d’État. Par arrêt du 30 juillet 2003, celui-ci rejeta le pourvoi de M. Flamenbaum. Le Conseil d’État estima tout d’abord que les juridictions du fond avaient, à bon droit, jugé que l’expertise s’était déroulée irrégulièrement. Il conclut ensuite que, pour apprécier le dommage subi par le requérant, la cour d’appel avait tenu compte globalement de l’ensemble des nuisances sonores et n’avait pas dénaturé les pièces du dossier en relevant que les mouvements, s’agissant des avions les plus bruyants, étaient de l’ordre de 300 par an. En conséquence, la cour d’appel n’avait pas méconnu les stipulations de l’article 8 de la Convention ni celles de l’article 1 du Protocole no 1 en concluant que le requérant ne justifiait pas de l’existence de troubles qui excéderaient ceux que peuvent être appelés à subir, dans l’intérêt général, les riverains d’un aérodrome. Enfin, le Conseil d’État confirma les conclusions des juridictions du fond sur les demandes indemnitaires, relevant notamment que la cour d’appel n’avait pas commis d’erreur de droit en considérant que, dans le cas d’espèce et s’agissant de nuisances sonores provoquées par un aérodrome, le caractère rural de l’environnement de la propriété concernée était sans influence sur l’évaluation du dommage subi par le requérant.
Par décision du 30 décembre 2003, le Conseil d’État conclut que les moyens développés à l’appui des dix-sept autres pourvois n’étaient pas de nature à en permettre l’admission.
G. Autres événements
1. Création du syndicat mixte de l’aéroport de Deauville-Normandie
52. Par délibérations des 9 mai, 12 mai et 12 juin 2006 respectivement, la ville de Deauville, la région de Basse-Normandie et la région de Haute‑Normandie décidèrent la création du syndicat mixte de l’aéroport de Deauville-Normandie, adhérèrent à celui-ci et en approuvèrent les statuts. Aux termes de l’article 2 des statuts, le syndicat mixte a pour objet « le développement, l’aménagement, la gestion, l’exploitation de l’aéroport de Deauville et des services liés à l’accueil des usagers ».
53. Par arrêté du 21 juillet 2006, le préfet du Calvados autorisa la création du syndicat mixte.
54. Un procès-verbal du 14 septembre 2007 constata la mise à la disposition du syndicat mixte des biens constituant l’aéroport et appartenant à la ville de Deauville. Le 22 octobre 2007, l’État et le syndicat mixte signèrent une convention fixant les conditions d’aménagement, d’entretien et de gestion de l’aéroport et organisant le transfert des compétences correspondantes au syndicat mixte. Le même jour, un sous-traité de gestion fut signé entre ce dernier et la chambre de commerce et d’industrie du pays d’Auge.
55. Aux termes de l’article 1er d’un arrêté du ministre des transports du 15 avril 2011, l’aéroport de Deauville-Saint Gatien est désormais dénommé aéroport de Deauville-Normandie.
2. Recours de l’ADRAD
56. L’ADRAD forma un recours en annulation de l’arrêté préfectoral du 21 juillet 2006 autorisant la création du syndicat mixte, que le tribunal administratif de Caen rejeta par jugement du 18 décembre 2007. Par arrêt du 16 décembre 2008, la cour administrative d’appel de Nantes confirma ce jugement. La cour jugea tout d’abord que l’arrêté n’avait pas pour objet d’autoriser un projet rentrant dans le champ d’application de l’article L. 122-1 du code de l’environnement (relatif aux ouvrages qui peuvent porter atteinte au milieu naturel) et n’avait donc pas à être précédé de l’étude d’impact prévue par cet article. La cour considéra par ailleurs que le préfet ne s’était pas borné à retranscrire les statuts du syndicat dans son arrêté, mais en avait effectivement contrôlé la légalité. Sur le fond, la cour retint ce qui suit :
« Considérant (...) qu’il ressort des pièces du dossier que la concentration des liaisons aériennes commerciales de voyageurs sur un seul aéroport d’importance interrégionale est de nature à favoriser la hausse du trafic, à abaisser le coût pour les voyageurs du fait de l’utilisation d’avions de capacité plus importante et d’éviter pour un certain nombre d’entre eux de se rendre dans les aéroports parisiens ; qu’en effet, si les villes de Caen, Le Havre et Rouen offrent des liaisons durables vers Lyon, elles ne peuvent capter un potentiel suffisant pour développer d’autres lignes ; que, dans ces conditions, le développement, l’aménagement, la gestion et l’exploitation de l’aéroport de Deauville, en raison de sa position stratégique, de son fort potentiel au service du développement économique et touristique du territoire normand et de l’existence préalable d’infrastructures aéroportuaires développées, présente un intérêt pour chacune des collectivités participantes, et notamment pour la région Haute‑Normandie, et répond ainsi aux objectifs définis par les dispositions précitées de l’article L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales ; que, dès lors, en autorisant (...) la création du syndicat mixte de l’aéroport Deauville-Normandie, le préfet du Calvados n’a pas entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation (...) »
3. Nouveau plan d’exposition au bruit
57. Le plan d’exposition au bruit de l’aérodrome de Deauville fit l’objet d’une révision en application de l’article 5 du décret 2002-626 du 26 avril 2002 (paragraphe 69 ci-dessous).
58. La commission consultative de l’environnement, consultée sur l’avant-projet de plan, se réunit le 19 octobre 2006. Elle décida de retenir la courbe de bruit Lden 62 comme limite de la zone B, la courbe de bruit Lden 55 comme limite de la zone C, et de proposer la création d’une zone D. Il ressort par ailleurs notamment du compte-rendu de cette réunion que le nombre de mouvements d’avions correspondant aux vols commerciaux et aux vols charters était d’environ deux par jour en 2006, que les vols d’entraînement militaires et la voltige avaient cessé depuis plusieurs années, et qu’à compter du 26 octobre 2006 les autres vols d’entraînement seraient interdits les jours de semaine de 20 h à 8 h, le samedi après 14 h et les dimanches et jours fériés.
59. L’enquête publique sur le nouveau PEB se déroula du 14 avril au 14 mai 2008. Dans ses conclusions, le commissaire enquêteur souligna ce qui suit :
« On ne peut nier que le bruit généré par le fonctionnement de l’aérodrome de Saint Gatien est une nuisance très importante pour les riverains et je peux admettre qu’ils en soient excédés, mais pour autant ce n’est pas une raison pour exprimer des contre‑vérités (...)
L’aérodrome de Deauville-Saint Gatien est un élément indispensable à la vie économique de la région, à son développement, et à celui de l’activité touristique. Il perturbe la vie des riverains, c’est indéniable. Compte-tenu des taux de croissance des vols, il en sera toujours ainsi ! Que peut-on faire ?
Il ne m’appartient pas de résoudre ce problème, qui est en relation avec la politique commerciale, touristique, menée par les responsables, mais cependant ... le PEB définit en son annexe (A) les mesures à prendre pour les constructions nouvelles et pour les interventions sur l’existant.
L’isolation acoustique des constructions me paraît être un compromis qui apportera plus de confort aux occupants, mais cela a un coût. Une participation financière aux travaux acoustiques pourrait être proposée pour l’existant. Mais n’étant pas obligatoire, elle ne peut être appliquée qu’après un accord entre les parties concernées. »
En conclusion le commissaire enquêteur donna un avis favorable, en recommandant que soit étudiée la possibilité d’aider financièrement les habitants des zones C et D du PEB pour la réalisation des travaux d’isolation phonique de leurs habitations.
60. Le nouveau PEB fut approuvé par arrêté du préfet de la région Basse-Normandie du 29 septembre 2008.
4. Procédure de moindre bruit
61. Selon un communiqué de presse du 6 avril 2009 du syndicat mixte de l’aéroport[4], à la suite de discussions avec la direction des services de la navigation aérienne, une procédure de moindre bruit a été adoptée selon laquelle les avions, principalement de lignes commerciales (Airbus, Boeing, etc.), lors de leur décollage face à l’Ouest, doivent désormais effectuer leur virage au-dessus de la mer et non plus au-dessus des communes riveraines de l’aéroport. Cette modification de procédure permet de réduire l’impact sonore des décollages pour les riverains de l’aéroport. Selon les informations communiquées par le syndicat sur son site en novembre 2011, des discussions sont en cours avec les services de la navigation aérienne pour étendre la procédure de moindre bruit pour les décollages vers l’Est (décollage des avions suivant une trajectoire linéaire jusqu’au seuil de 3000 pieds où ils peuvent rejoindre leur plan de vol).
62. Le 26 janvier 2010, la commission consultative de l’environnement de l’aérodrome a donné un avis favorable aux deux projets présentés par le service de la navigation aérienne visant à réduire l’impact sonore des avions pour les populations riveraines. Le premier projet a pour conséquence de remonter de 300 mètres le niveau des procédures d’approche aux instruments et les trajectoires d’arrivée, le second vise à mettre en service une nouvelle procédure d’approche aux instruments en piste 12 (face à l’Est) basée sur la technologie satellitaire. Le communiqué de presse indique ce qui suit : « Construite en partie maritime, cette procédure limitera le survol des populations à cette seule frange littorale. La diminution du nombre des personnes impactées par ces survols sera de l’ordre de 50%. Elle ne sera utilisable que par les appareils spécifiquement équipés et les équipages formés aux procédures satellitaires. Cependant, compte tenu des évolutions en cours sur les équipements de bord et la formation des équipages, cette nouvelle procédure devrait être de plus en plus utilisée à l’avenir pour les atterrissages en piste 12 (face à l’Est). »
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Classement des aéroports
63. L’article R. 222-5 du code de l’aviation civile est ainsi libellé :
« 1º Les aérodromes terrestres destinés à la circulation aérienne publique sont classés dans les cinq catégories suivantes :
Catégorie A. - Aérodromes destinés aux services à grande distance assurés normalement en toutes circonstances.
Catégorie B. - Aérodromes destinés aux services à moyenne distance assurés normalement en toutes circonstances et à certains services à grande distance assurés dans les mêmes conditions mais qui ne comportent pas d’étape longue au départ de ces aérodromes.
Catégorie C. - Aérodromes destinés :
1º Aux services à courte distance et à certains services à moyenne et même à longue distance qui ne comportent que des étapes courtes au départ de ces aérodromes ;
2º Au grand tourisme.
(...) »
B. Servitudes aéronautiques et radioélectriques
64. Les articles R. 241-1 et R. 242-1 du code de l’aviation civile, en vigueur au moment des faits, se lisent ainsi :
Article R. 241-1
« Afin d’assurer la circulation des aéronefs, il est institué des servitudes spéciales dites servitudes aéronautiques. Ces servitudes comprennent : 1o des servitudes aéronautiques de dégagement comportant l’interdiction de créer ou l’obligation de supprimer les obstacles susceptibles de constituer un danger pour la circulation aérienne (...) »
Article R. 242-1
« Afin d’assurer les conditions de sécurité prévues à l’article R. 241-3, il est établi pour chaque aérodrome (...) un plan de servitudes aéronautiques de dégagement.
Ce plan fait l’objet d’une enquête publique (...)
Il est soumis pour avis à une commission centrale constituée pour donner son avis sur les servitudes aéronautiques.
Il est approuvé et rendu exécutoire par décret en Conseil d’État (...)»
65. Les articles L. 54 et suivants et R. 21 et suivants du code des postes et des communications électroniques, en vigueur au moment des faits, instituent des servitudes pour la protection des télécommunications radioélectriques et précisent leurs modalités de mise en œuvre. Les servitudes radioélectriques et aéronautiques ouvrent droit à indemnité et leur mise en œuvre fait l’objet d’une convention entre les propriétaires et le ministre compétent (article L. 56 du code des postes et des communications électroniques et articles R. 242-3 et D. 242‑12 du code de l’aviation civile, le premier renvoyant à l’article L. 56 précité).
C. Plan d’exposition au bruit
1. Dispositions en vigueur au moment des faits
66. Créé par la loi no 85-696 du 11 juillet 1985, l’article L. 147-3 du code de l’urbanisme (dans sa version en vigueur jusqu’au 13 juillet 1999) prévoit que pour l’application des conditions d’utilisation des sols exposés aux nuisances dues au bruit des aéronefs, l’établissement d’un plan d’exposition au bruit est réalisé « par l’autorité administrative, après consultation des communes intéressées et de la commission consultative de l’environnement concernée lorsqu’elle existe, pour chacun des aérodromes mentionnés à l’article L. 147-2 [aérodromes classés selon le code de l’aviation civile en catégories A, B, et C] ». Soumis à enquête publique suivant les modalités de la loi no 83-630 du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement, il est annexé au plan d’occupation des sols.
67. Le premier paragraphe de l’article L. 147-4 du code de l’urbanisme (créé par la loi 85-696 du 11 juillet 1985) est rédigé comme suit :
« Le plan d’exposition au bruit, qui comprend un rapport de présentation et des documents graphiques, définit, à partir des prévisions de développement de l’activité aérienne, de l’extension prévisible des infrastructures et des procédures de circulation aérienne, des zones diversement exposées au bruit engendré par les aéronefs. Il les classe en zones de bruit fort, dites A et B, et zones de bruit modéré, dite C. Ces zones sont définies en fonction des valeurs d’indices évaluant la gêne due au bruit des aéronefs fixées par décret en Conseil d’État (...) »
68. L’indice psophique (« IP ») utilisé pour évaluer « le niveau d’exposition totale au bruit des avions en chaque point de l’environnement d’un aérodrome » est déterminé selon une formule précisée à l’article 147-1 du code de l’urbanisme, qui intègre des données relatives aux nombre de mouvements et aux niveaux de bruit (en PNdB ; « Perceived Noise Decibel ») tant diurnes (entre 6 heures et 22 heures) que nocturnes (entre 22 heures et 6 heures). L’article R. 147-2 du même code précisait ainsi (dans sa version en vigueur jusqu’au 1er juin 1997) que la « zone de bruit fort A » est la zone comprise à l’intérieur de la courbe isopsophique 96, la « zone de bruit fort B », celle comprise entre les courbes isopsophiques 96 et 89, et « la zone de bruit modéré C », celle comprise entre la courbe isopsophique 89 et la courbe isopsophique correspondant à une valeur de l’IP choisie entre 84 et 78.
L’article L. 147-5 du code de l’urbanisme (créé par la loi no 85-696 du 11 juillet 1985), dans sa version en vigueur jusqu’au 13 juillet 1999, dispose que, dans les zones définies par le plan d’exposition au bruit, l’extension de l’urbanisation et la création ou l’extension d’équipements publics sont interdites lorsqu’elles conduisent à exposer immédiatement ou à terme de nouvelles populations aux nuisances de bruit. A cet effet, l’article précise que, hormis quelques exceptions qu’il énumère de manière limitative, les constructions à usage d’habitation sont interdites dans ces zones.
2. Modifications ultérieures
69. Le décret no 2002-626 du 26 avril 2002 a prescrit (article 5) la révision avant le 31 décembre 2005 de tous les plans d’exposition au bruit en vigueur au 1er novembre 2002, en fonction d’un nouvel indice, l’indice Lden ((Level day evening night, voir directive 2002/49/CE du Parlement et du Conseil du 25 juin 2002), qui remplace l’indice psophique. Cet indice est déterminé en fonction d’une formule logarithmique intégrant le nombre de mouvements annuels d’avions et leur typologie, ainsi que la répartition des mouvements par type d’avion, par trajectoire, par sens d’atterrissage/décollage pour chacune des trois tranches horaires définies (jour (6 h à 18 h), soirée (18 h à 22 h) et nuit (22 h à 6 h)).
A la différence de l’indice IP, qui représente le cumul énergétique des niveaux sonores des vols sur 24 h sur la base du trafic aérien moyen du jour de référence de l’année considérée, l’indice Lden prend en compte l’ensemble des mouvements annuels effectués en pondérant sur 24 h le niveau sonore moyen correspondant, en fonction des trois périodes de la journée mentionnées ci-dessus (jour, soirée et nuit). Les périodes de soirée et de nuit sont affectées de coefficients (de 3 et 10 respectivement) qui permettent de prendre davantage en compte la gêne ressentie par les riverains dans ces tranches horaires.
70. La représentation graphique qui découle de l’indice Lden détermine quatre zones de bruit : zone A, zone de bruit fort comprise à l’intérieur de la courbe d’indice Lden 70 ; zone B, zone de bruit fort comprise entre la courbe d’indice 70 et une courbe d’indice choisie entre 62 et 65 ; zone C, zone de bruit modéré comprise entre la limite de la courbe B et la courbe Lden choisie entre 57 et 55 et zone D, zone comprise entre la limite de la zone C et la courbe d’indice Lden 50. La création d’une zone D est obligatoire pour les aérodromes mentionnés au 3 de l’article 266 septies du code des douanes[5] ; pour les autres aérodromes, l’opportunité de créer une zone D tient compte de différents critères et relève de la compétence du préfet.
D. Plan de gêne sonore et aide à l’insonorisation des riverains
71. L’article L. 571-14 du code de l’environnement dispose que les exploitants des aérodromes mentionnés au I de l’article 1609 quatervicies A du code des impôts[6] contribuent aux dépenses engagées par les riverains pour la mise en œuvre des dispositions nécessaires à l’atténuation des nuisances sonores. L’aide à l’insonorisation est financée par la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA) payée par les compagnies aériennes en fonction de leur trafic et de leur flotte sur une plateforme.
72. Institué par la loi 92-1444 du 31 décembre 1992, le plan de gêne sonore délimite autour de ces aérodromes les zones éligibles à l’aide à l’insonorisation. Il se présente sous forme de rapport et d’une carte à l’échelle 1/25 000 indiquant trois types de zones établies sur la base du trafic estimé, des procédures de circulation aérienne applicables et des infrastructures qui seront en service dans l’année suivante : la zone 1 à désagrément très fort, limitée par la courbe d’indice Lden 70 ; la zone 2 à désagrément fort entre les courbes Lden 70 et Lden 65 ; la zone 3 à désagrément modéré entre les courbes Lden 65 et Lden 55. Seuls les riverains situés en tout ou partie à l’intérieur de ces trois zones ont le droit de bénéficier de l’aide à l’insonorisation[7].
E. Enquête publique et étude d’impact
1. Enquête publique
73. L’article 1er de la loi précitée du 12 juillet 1983 (article L. 123‑1 du code de l’environnement, ci-après le code) pose le principe selon lequel « la réalisation d’aménagements, d’ouvrages ou de travaux exécutés par des personnes publiques ou privées est précédée d’une enquête publique lorsqu’en raison de leur nature, de leur consistance ou du caractère des zones concernées, ces opérations sont susceptibles d’affecter l’environnement ».
L’enquête publique « a pour objet d’informer le public et de recueillir ses appréciations, suggestions et contre-propositions, postérieurement à l’étude d’impact lorsque celle-ci est requise, afin de permettre à l’autorité compétente de disposer de tous les éléments nécessaires à son information » (article 1er de la loi ; article L. 123‑3 du code). Elle est menée, selon la nature et l’importance des opérations, par un commissaire enquêteur ou par une commission d’enquête, désignés par le président du tribunal administratif.
L’enquête est portée à la connaissance du public, notamment sur les lieux concernés, par voie de presse et d’affichage quinze jours avant son ouverture et ne peut durer moins d’un mois (article 3 de la loi ; article L. 123-7 du code).
Le commissaire enquêteur ou le président de la commission d’enquête conduit l’enquête de manière à permettre au public de prendre une connaissance complète du projet et de présenter ses appréciations, suggestions et contre-propositions ; il peut recevoir tous documents et visiter les lieux concernés, à l’exception des lieux d’habitation, entendre toutes personnes dont il juge l’audition utile et convoquer le maître d’ouvrage ou ses représentants ainsi que les autorités administratives intéressées. Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête se tiennent à la disposition des personnes ou des représentants d’associations qui demandent à être entendus. Le rapport et les conclusions sont rendus publics (article 4 de la loi ; articles L. 123-9 et L. 123-10 du code).
2. Étude d’impact
74. Le décret no 77-1141 du 12 octobre 1977 (pris en application de l’article 2 de la loi no 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature), en vigueur au moment des faits, précisait ce qui suit dans son article 2 à propos de l’étude d’impact :
« Le contenu de l’étude d’impact doit être en relation avec l’importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l’environnement.
L’étude d’impact présente successivement :
1o Une analyse de l’état initial du site et de son environnement, portant notamment sur les richesses naturelles et les espaces naturels agricoles, forestiers, maritimes ou de loisirs, affectés par les aménagements ou ouvrages ;
2o Une analyse des effets sur l’environnement, et en particulier sur les sites et paysages, la faune et la flore, les milieux naturels et les équilibres biologiques et, le cas échéant, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations odeurs, émissions lumineuses), ou sur l’hygiène et la salubrité publique ;
3o Les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue des préoccupations d’environnement, parmi les partis envisagés, le projet présenté a été retenu ;
4o Les mesures envisagées par le maître de l’ouvrage ou le pétitionnaire pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projet sur l’environnement, ainsi que l’estimation des dépenses correspondantes. »
75. L’article 3 C du décret disposait :
« Ne sont pas soumis à la procédure de l’étude d’impact, sous réserve des dispositions de l’article 4 ci-dessous, tous aménagements, ouvrages et travaux dont le coût total est inférieur à six millions de francs (...) »
L’article 5 du décret prescrivait que l’étude d’impact soit insérée dans les dossiers soumis à enquête publique, lorsqu’une telle procédure était prévue.
76. Aux termes de l’article R. 211-3 du code de l’aviation civile, dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, les travaux de création ou d’extension d’infrastructures dont le coût total est supérieur au montant fixé à l’article 3 C précité (six millions de francs) donnent lieu à l’établissement préalable d’une étude d’impact.[8]
F. Commission consultative de l’environnement
77. Cet organisme consultatif, actuellement régi par l’article L. 571-13 du code de l’environnement, a été institué par l’article 2 de la loi du 11 juillet 1985 relative à l’urbanisme au voisinage des aérodromes, qui se lisait ainsi :
« L’autorité administrative peut créer, pour tout aérodrome visé à l’article L. 147-2 du code de l’urbanisme, une commission consultative de l’environnement. Cette création est de droit lorsque la demande en est faite par une commune dont une partie du territoire est couverte par le plan d’exposition au bruit de l’aérodrome.
La commission est consultée sur toute question d’importance relative aux incidences de l’exploitation sur les zones affectées par les nuisances de bruit.
Un décret en Conseil d’État fixe les règles de composition et de fonctionnement de cette commission qui comprend notamment des représentants :
- des associations de riverains de l’aérodrome ;
- des usagers et des personnels de l’aérodrome ;
- du gestionnaire de l’aérodrome ;
- des communes concernées par le bruit de l’aérodrome ;
- des administrations concernées ;
et, sur la demande de ces collectivités, des représentants des conseils généraux et régionaux des départements et régions concernées. »
G. Jurisprudence des juridictions administratives
78. Selon la jurisprudence des juridictions administratives, la responsabilité des personnes publiques peut être engagée pour des dommages causés à des tiers par des ouvrages publics. Il s’agit d’un régime de responsabilité sans faute, fondé sur le principe d’égalité devant les charges publiques. Pour que la responsabilité soit reconnue, le préjudice subi par les tiers doit revêtir un caractère anormal et spécial, seul susceptible d’ouvrir droit à réparation. Le Conseil d’État considère en effet que les riverains d’ouvrages publics peuvent être exposés, dans l’intérêt général, à subir certaines nuisances.
S’agissant plus particulièrement de nuisances sonores, le Conseil d’État a ainsi notamment considéré que celles causées par une autoroute passant à trente-sept mètres de la propriété de l’intéressé et la surplombant de deux mètres excédaient « celles qu’est exposé à subir, dans l’intérêt général, tout propriétaire riverain d’une autoroute » (CE, 5 novembre 1982, no 25192, mentionné aux tables du recueil Lebon ; voir également, pour les nuisances sonores causées par une bretelle d’accès à une route nationale CE, 5 décembre 1990, no 60308, par une chaussée à quatre voies CE, 4 octobre 2000, no 198417 et pour les nuisances diverses y compris sonores causées par une centrale de chauffe CE, 8 novembre 1989, no 59226). Le Conseil d’État a également qualifié de préjudice anormal et spécial les bruits auxquels était exposée la riveraine d’une centrale nucléaire (CE, 2 octobre 1987, no 68894). Toutefois, dans un cas de figure similaire, il a estimé que la baisse de la valeur vénale de la propriété de requérants située à 800 mètres d’une centrale était imputable tant à la construction de la centrale qu’à à la tendance à la baisse du marché immobilier et a dès lors jugé que leur préjudice ne revêtait pas un caractère anormal et spécial ouvrant droit à indemnité (CE, 20 janvier 1989, no 73469).
79. Cette jurisprudence s’applique également aux nuisances résultant de la proximité d’un aérodrome. Le Conseil d’État a notamment considéré, s’agissant de l’aérodrome de Marseille-Marignane, que « eu égard à l’intensité et à la fréquence des bruits causés par le trafic aérien au-dessus de la commune de Saint-Victoret, les occupants et les usagers de ses bâtiments publics, situés dans l’axe de la piste principale rallongée en 1979, subissent des inconvénients qui excèdent ceux que peuvent être appelés à subir les habitants des communes situés à proximité d’un aéroport ; qu’ainsi, la commune est fondée à demander réparation du préjudice anormal et spécial qu’elle subit du fait des dépenses qu’elle doit supporter pour réaliser l’insonorisation de ces bâtiments (...) » (CE, 20 novembre 1992, no 84223). De même, la cour administrative d’appel de Paris a estimé qu’en raison de l’installation sur l’aérodrome de Nancy-Essey d’hélicoptères de combat soumis à des vols de nuit et de fin de semaine, les nuisances sonores subies par les requérants excédaient, aux heures où elles étaient constatées, les sujétions normales résultant du voisinage d’un tel ouvrage ; la cour a par ailleurs relevé que la modification des conditions de fonctionnement de l’aérodrome n’était pas normalement prévisible par les intéressés à la date de leur installation et leur a accordé l’indemnisation de leur préjudice, qualifié d’anormal et spécial (CAA Paris, 25 mai 1999, no 96PA04490).
En revanche, le Conseil d’État a rejeté le recours de riverains de l’aérodrome d’Albi, au motif que le préjudice résultant des nuisances sonores causées par le survol des avions et d’un risque éventuel d’accident ne présentait pas un caractère anormal et spécial susceptible de leur ouvrir droit à indemnité au titre des troubles de jouissance ou de la dépréciation de leur propriété (CE, 22 juin 1987, no 71926). On peut également citer, concernant l’aérodrome de Roissy-Charles de Gaulle, un arrêt du 26 octobre 2007 (no 297301), dans lequel le Conseil d’État a considéré que les nuisances subies par les habitants du nord-ouest francilien n’excédaient pas les troubles normaux que peuvent être appelés à subir, dans l’intérêt général, les riverains d’un aérodrome.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
80. Les requérants se plaignent des nuisances sonores générées par l’allongement de la piste principale de l’aéroport dont ils sont riverains et des lacunes du processus décisionnel afférent à cet allongement. Ils allèguent la violation de l’article 8 de la Convention, qui est ainsi rédigé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
81. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Arguments des parties
1. Les requérants
a) Sur les nuisances sonores générées par l’allongement de la piste
i. Observations initiales
82. Les requérants estiment tout d’abord que la distinction que fait le Gouvernement entre les riverains selon la situation de leur propriété est dénuée de pertinence : l’altitude de survol étant particulièrement basse aux abords de l’aéroport, ils sont tous exposés aux nuisances dénoncées, quelle que soit la situation de leur maison par rapport à la trajectoire des avions. Ils ajoutent qu’ils se sont installés à une époque où l’aéroport de Deauville-Saint Gatien n’était qu’un aéroport de tourisme et où les projets des pouvoirs publics quant à son extension n’étaient pas connus.
83. Selon les requérants, l’applicabilité de l’article 8 ne fait aucun doute, dès lors que la dégradation de leur environnement résultant de l’extension de l’aéroport et les nuisances auxquelles ils sont en conséquence exposés sont constitutives d’une « atteinte directe et grave à leur sphère privée ».
84. Quant au caractère direct de l’atteinte, il découle du fait que leurs maisons sont toutes situées à proximité immédiate de l’aéroport (800 mètres du bout de piste pour les plus proches). S’agissant de la « gravité » de l’atteinte, elle s’apprécierait au regard de la situation antérieure et des espérances légitimes des riverains ; or, alors que leur choix d’établir leur résidence dans cette contrée protégée avait alors été guidé par son calme et la qualité de son environnement, ils vivent aujourd’hui dans la hantise des nuisances générées par le développement de l’activité de l’aéroport. Les requérants mettent l’accent sur le fait que l’aéroport de Deauville‑Saint Gatien est passé d’un petit aéroclub à « une plateforme aéroportuaire à vocation internationale ». Ce changement ne s’est pas seulement traduit par l’allongement de la piste, qui peut désormais accueillir des avions gros porteurs, mais aussi par l’inscription de l’aéroport dans une catégorie administrative supérieure, l’adoption de nouveaux plans de servitudes de dégagement et de servitudes radioélectriques et la construction d’une nouvelle tour de contrôle dotée d’une mission de contrôle et de guidage de l’ensemble du flux régional, de nouveaux parkings, d’une aire de stationnement des aéronefs et d’un nouvel aérogare.
85. Les requérants soutiennent que l’augmentation considérable du trafic aérien a entraîné en particulier une dégradation de la qualité de l’air et une augmentation des nuisances sonores et des risques pour la sécurité des biens et des personnes liés au survol des habitations à très basse altitude. A cet égard, se référant notamment aux informations figurant sur le site Internet de l’aéroport, ils indiquent qu’il y a eu 198 « vols charters vacances » en 2006 alors que les vols de ce type étaient rares avant la transformation de l’aéroport, que le nombre total de passagers a atteint 150 521 cette même année, contre environ 10 000 au début des années 90, et que l’aéroport est devenu le premier aéroport français pour le transport de chevaux (qui se fait via de gros porteurs). Ils contestent en partie les chiffres avancés par le Gouvernement, en ce qu’ils n’incluent que les mouvements d’avions commerciaux à destination du grand public et excluent notamment les avions de congressistes, les avions d’affaires, les jets privés et les avions militaires. Ils ajoutent que l’augmentation du nombre de passagers démontre le caractère erroné de l’affirmation du Gouvernement selon laquelle le nombre de gros porteurs est resté de manière constante à environ 300 par an ; il y aurait lieu en outre de constater que les mouvements d’avions commerciaux de moindre taille, qui apportent également leur lot de nuisances, se sont multipliés. Enfin, ils disent le Gouvernement malvenu à tirer du plan d’exposition au bruit des conclusions quant aux nuisances auxquels ils sont exposés, dès lors que ce document ne relate pas une exposition au bruit fondée sur une mesure objective de l’intensité sonore.
86. Les requérants considèrent ensuite qu’il y a en l’espèce « ingérence d’autorités publiques » au sens du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention. Ils tirent cette conclusion du fait que l’aéroport de Deauville-Saint Gatien est entièrement entre les mains de telles autorités : son assiette appartient à la commune de Deauville, son exploitation, initialement concédée à un établissement public (la chambre de commerce et de l’industrie locale), est confiée à un syndicat mixte rassemblant la commune et les deux régions concernées, et les travaux d’extension de la piste ont été financés par des collectivités locales.
87. Les requérants invitent la Cour à conclure que cette ingérence n’était pas prévue par la loi, au sens de l’article 8 de la Convention. Selon eux, les autorités n’ont pas respecté le droit interne, notamment en ce qu’il prévoit que, lorsqu’une opération est fragmentée, les études et enquêtes menées dans le cadre du processus décisionnel doivent néanmoins appréhender les effets du projet considéré dans son ensemble. En effet, le droit positif à l’époque des faits exigeait qu’une étude de l’impact sur l’environnement du projet dans sa globalité soit réalisée, sauf à considérer qu’il était composé de phases constituant chacune une opération distincte ayant sa propre finalité. D’autre part, les cinq enquêtes publiques ont été parcellaires, en méconnaissance des prescriptions de la loi no 83-630 du 12 juillet 1983 et du décret no 85-453 du 23 avril 1985.
88. Le droit interne a aussi été méconnu selon eux en ce qu’aucune mesure sérieuse de nature à prévenir, limiter ou réparer les nuisances n’aurait in fine été mise en œuvre par l’autorité administrative, malgré les recommandations de la commission administrative. Les requérants relèvent notamment que l’aéroport international qu’est devenu Deauville‑Saint Gatien n’est doté d’aucun plan de vol destiné à atténuer les nuisances à l’atterrissage et au décollage, n’est astreint à aucun quota de vols bruyants ni frappé d’une interdiction des vols de nuit, et n’a mis en place aucune mesure de surveillance du niveau de bruit ; en outre, aucune mesure indemnitaire destinée à couvrir les frais d’isolation phonique des maisons et leur perte de valeur n’est prévue.
89. Les requérants doutent aussi de la poursuite d’un but légitime, dès lors que l’on ne saurait assimiler des intérêts économiques purement locaux – de surcroît non avérés en l’espèce – au « bien-être économique du pays » au sens du paragraphe 2 de l’article 8.
90. Quoi qu’il en soit, en l’absence de mesures visant à la prise en compte de l’intérêt des riverains, l’ingérence ne saurait passer pour « nécessaire » « dans une société démocratique » à la réalisation de ce but, ce qui distinguerait le cas des requérants de l’affaire Hatton et autres c. Royaume-Uni ([GC], no 36022/97, CEDH 2003‑VIII), d’autant qu’à la différence de ces derniers, quitter les lieux n’est pas pour eux une option dès lors que, leurs maisons ayant perdu l’essentiel de leur valeur, ils ne peuvent envisager de les vendre.
ii. Observations complémentaires
α) Sur les statistiques et horaires de l’aéroport
91. Dans leurs observations complémentaires en réponse aux questions posées par la chambre, les requérants font état des statistiques dont ils disposent sur l’activité et les horaires de l’aéroport. Selon les chiffres officiels (Union des aéroports français), en 2008 celui-ci a enregistré 91 446 passagers commerciaux et 2 273 mouvements commerciaux, correspondant dans leur grande majorité à des vols charters assurés par des avions moyens/gros porteurs d’une capacité de 120 à 230 places. Selon les requérants, si l’on retient un nombre de 150 passagers par avion, cela représente déjà 610 avions ou 1220 mouvements annuels, soit une moyenne mathématique de 3,3 mouvements par jour et, sur la base du chiffre de 2 273 mouvements annuels, une moyenne de 6,4 mouvements par jour. Les requérants précisent toutefois que ces chiffres sont faux en eux-mêmes, car l’activité « charter » se concentre presque uniquement sur une période de huit mois (mars à novembre), de sorte qu’en données corrigées l’intensité des mouvements est de 5 à 9,5 par jour sur cette période de l’année où les résidents peuvent précisément profiter de leur environnement. Ils soulignent que cette statistique ne correspond qu’aux vols commerciaux, auxquels il convient d’ajouter le fret (notamment de chevaux), les vols d’entraînement militaires et civils, particulièrement éprouvants par leur caractère répétitif, les vols occasionnés par certaines manifestations d’envergure (congrès d’une grande entreprise en 1993 ou cérémonies rituelles du débarquement), ainsi que les vols de jets privés particulièrement bruyants, dont l’allongement de la piste a autorisé l’accès.
92. Il y a lieu également, pour les requérants, de tenir compte des perspectives de développement de l’aéroport révélées par les pouvoirs publics, en l’espèce le président de la chambre de commerce du pays d’Auge, qui estime que l’on pourrait arriver très vite à 200 000/250 000 passagers et que, dans dix ans, le nombre de 400 000 passagers serait atteint. Le développement de la structure de l’aéroport est conduit de façon à générer une moyenne de 1 666 atterrissages et autant de décollages par an (soit en moyenne 9,1 mouvements par jour) et, si le chiffre de 400 000 passagers est atteint, 2 666 atterrissages et autant de décollages par an (soit une moyenne de 18,2 mouvements par jour, à corriger en intégrant les vols non commerciaux ainsi que les variations saisonnières mentionnées ci‑dessus). Cette perspective de trafic est corroborée par le compte-rendu de la commission consultative pour l’environnement du 19 octobre 2006, qui fait état en 2020 de 6 600 mouvements commerciaux (soit 18, 1 par jour) et de 29 650 mouvements non commerciaux par an (soit 81 par jour). Les requérants soulignent la carence des autorités, qui ne manifestent aucune intention de prendre des mesures propres à préserver la tranquillité des riverains.
93. Concernant les horaires de l’aéroport, les requérants font valoir que ni les horaires des vols charters, ni ceux des vols d’entraînement ou des vols privés ne sont prévisibles. Par ailleurs, ils soulignent que les vols de nuit ne sont pas interdits sur l’aéroport, même si les installations d’accueil du public sont théoriquement fermées de 20h à 8h, l’administration aéroportuaire accordant des dérogations chaque fois que nécessaire. Enfin, ils versent aux débats un extrait du site interne de la Direction générale de l’Aviation civile (DGAC) permettant de mesurer les décibels, lors de décollages de différents types d’avions, en fonction de la distance d’éloignement du bout d’une piste, et précisent que, pour les avions de type Boeing 737-800 et MD, qui fréquentent l’aéroport, il s’agit d’estimations basses commençant à 2 km du bout de la piste, alors qu’ils habitent bien plus près.
β) Sur l’importance économique de l’aéroport pour la région
94. Les requérants font valoir que l’intérêt économique du développement de l’aéroport a été postulé, sans être mesuré. Ils estiment que l’enquête publique a été particulièrement pauvre sur les bienfaits attendus de ce développement. Ils indiquent qu’une étude réalisée par un « bureau ITA » a essayé de caractériser un effet d’économie basé sur un programme de concentration des activités aéroportuaires de Haute et Basse Normandie, mais que, d’une part, cette hypothèse n’est pas réalisée en raison du fait que les trois autres aéroports n’ont pas voulu renoncer à leur propre exploitation commerciale, que, d’autre part, l’économie d’échelle se situait uniquement dans une perspective de coûts et que, enfin, l’étude elle‑même préconisait une étude complémentaire de validation, qui n’est jamais intervenue. Ainsi, aucune étude économique n’a été réalisée pour mesurer le potentiel de trafic du nouvel aéroport, ou le potentiel de croissance économique induit pour le bassin d’emploi de Deauville. Selon les requérants, le pays d’Auge n’est pas un pôle industriel ni un centre d’études secondaires et, dès lors, l’aéroport de Deauville n’attire pas les consommateurs ou entrepreneurs qui ont directement accès aux aéroports de Caen et Rouen. Par ailleurs, le taux de résidences secondaires pour la communauté de communes de « Cœur Côte Fleurie » est de 68,60 %.
95. Les requérants entendent au contraire souligner les impacts négatifs du développement de l’aéroport pour l’économie régionale : en premier lieu, la seule activité développée de manière significative est une activité de charters, qui draine les consommateurs correspondants vers d’autres parties du globe et crée un solde migratoire négatif. Par ailleurs, l’aéroport, qui ne fonctionne pas à l’équilibre, est la cause de coûts importants pour ses promoteurs et in fine pour le contribuable normand. Enfin, le postulat du développement de l’aéroport de Deauville devrait, à terme, conduire à la disparition des autres aéroports normands qui ont de véritables bassins économiques, disparition dont aucune étude n’a démontré qu’il s’agissait d’un objectif économiquement viable. Ce développement a en tout état de cause déclenché une « guerre des équipements publics » entre aéroports et un doublement des dépenses, qui constitue une véritable aberration. Les requérants concluent que l’allongement de la piste de l’aéroport de Deauville a eu un impact économique négatif pour la région.
γ) Sur l’impact de l’allongement de la piste principale sur la vie privée et familiale des requérants
96. Les requérants rappellent le contexte de départ en fonction duquel doit être apprécié l’impact des nuisances sonores sur leur domicile et leur vie privée : s’ils ont décidé de s’implanter ou de rester dans le pays d’Auge ou sur la Côte Fleurie, c’est pour bénéficier de la nature environnante et, lorsqu’ils ont acquis leurs biens, le développement de l’aéroport n’était pas acté, du moins pas de façon publique. Ils rappellent également que l’aéroport se trouve dans une zone ZNIEFF[9], en bordure d’une forêt classée, et que la zone de Saint Gatien à Trouville a également été inscrite à l’inventaire des sites pittoresques par un arrêté de 1972. La perturbation causée par les avions est donc directement proportionnelle à la tranquillité naturelle du secteur et a été mesurée par l’expert B. qui a défini sur une carte détaillée des zones concentriques en fonction de l’impact, faisant apparaître que les requérants sont en zone A, B, ou B/C (bruit très fort à modéré). Selon eux, le Gouvernement ne saurait faire valoir que ces mesures seraient obsolètes, dans la mesure où ils n’ont pas les moyens de financer une nouvelle étude de nuisances sonores.
97. Les requérants critiquent le projet de plan d’exposition au bruit (PEB) en cours de révision, qui ne constitue pas selon eux une référence pertinente et ne vise pas à cartographier une exposition au bruit. Il s’agit d’un document d’urbanisme, dont le but est de définir les zones dans lesquelles, eu égard au bruit anticipé à long terme (15 ou 20 ans), des aménagements aux constructions, voire des restrictions au droit de construire sont nécessaires. Les requérants soulignent que le PEB ne repose sur aucune mesure de bruit et que la gêne des riverains n’entre pas en ligne de compte ; par ailleurs, l’aviation civile a travaillé à partir de la trace sonore supposée d’avions devant être mis en service dans le futur, dont il est postulé qu’ils seront moins bruyants. Ce document, qu’ils qualifient d’« artificiel » serait, selon eux, révélateur du comportement de l’administration française.
98. Les requérants considèrent qu’aucun équilibre n’a été ménagé par les autorités entre les intérêts en présence et réitèrent les arguments développés dans leurs observations initiales (paragraphe 88 ci-dessus) quant à l’absence de mesures prises par les autorités pour prévenir, limiter ou réparer les nuisances résultant du bruit ou des émissions polluantes. Ils soulignent que, outre les aéroports soumis aux plans de gêne sonore (paragraphes 71‑72 ci‑dessus), d’autres aéroports ont mis spontanément en place des aides à l’insonorisation, ce qui n’est pas le cas de l’aéroport de Deauville. Selon eux, la limitation de l’extension de la piste (2 550 mètres au lieu des 2 720 mètres envisagés) ne peut être considérée comme une mesure en faveur des riverains, dès lors qu’elle a été adoptée parce que les « conditions de trafic » ne le justifiaient pas. Ils soulignent par ailleurs que la trajectoire de moindre bruit dont fait état le Gouvernement ne les concerne pas, car leurs propriétés sont situées en bout de piste.
b) Sur le processus décisionnel
i. Observations initiales
99. D’après les requérants, la transformation de l’aéroport ne s’est pas accompagnée de procédures permettant la prise en compte de la situation des riverains et le maintien d’un juste équilibre entre les intérêts en présence. Selon eux, le processus décisionnel est marqué par un morcellement « destiné à diluer, épuiser et faire taire les légitimes contestations locales ».
100. Tout d’abord, les requérants allèguent que les enquêtes et études n’ont pas été réalisées suffisamment tôt, avant que le projet de transformation de l’aéroport soit trop engagé pour qu’un aménagement de celui-ci soit encore envisageable. Les requérants précisent qu’alors que le projet de développement de l’aéroport de Deauville-Saint Gatien se dessinait dès les années 1977 et 1978, avec l’adoption du plan d’équipement aéronautique de Basse-Normandie et du plan d’exposition au bruit, l’unique étude d’impact n’a été réalisée qu’en 1990. Les requérants soulignent ensuite qu’aucune étude ni aucune enquête d’ensemble portant sur le projet dans sa globalité et permettant une évaluation de l’ensemble de ses conséquences potentielles n’ont été réalisées. La seule étude effectuée s’est limitée à une analyse de l’impact sur l’environnement du bitumage de 450 mètres supplémentaires de piste. Selon eux, cette étude est en outre déficiente en ce qu’elle occulte certaines des conséquences néfastes possibles du projet, notamment les nuisances sonores et la pollution de l’air engendrées par l’aéroport transformé, la baisse de valeur des propriétés riveraines, le coût de l’isolation phonique des maisons et les risques pour la sécurité des biens et des personnes. On ne saurait donc considérer que les autorités décisionnaires ont été éclairées sur les tenants et les aboutissants d’un projet dont seules des bribes ont été soumises à évaluation.
101. Quant aux enquêtes publiques, il y en a eu cinq, fragmentées : en 1988, pour l’adoption du plan de servitude aéronautique ; en 1990, pour l’autorisation des travaux d’extension de la piste ; en 1996, en vue de la révision du plan d’occupation des sols ; en 1999, en vue de l’adoption d’un nouveau plan de servitude radioélectrique ; en 2000, en vue de la déviation d’une route d’accès. Les requérants indiquent qu’aux riverains qui invoquaient la circonstance que chaque tranche de travaux se rapportait à une opération globale de transformation de l’aéroport et qui faisaient état de l’impact global de cette transformation sur l’environnement, les enquêteurs ont systématiquement répondu que seule la phase du projet objet de l’enquête dont ils avaient la charge était à prendre en compte. De surcroît, les enquêtes publiques réalisées n’ont pas couvert certaines facettes du projet et, réalisées sans étude d’impact préalable, quatre d’entre elles étaient dénuées de « portée effective ».
102. Par ailleurs, les requérants considèrent que les intérêts économiques locaux militant en faveur du développement de l’aéroport n’ont pas été sérieusement évalués, mais purement et simplement postulés ; pour les raisons précédemment indiquées, il en va de même de ceux des riverains (mis à part l’expertise réalisée a posteriori, à leur demande). L’État ne peut donc, selon eux, soutenir avoir cherché à ménager un juste équilibre entre les intérêts en présence, faute d’une évaluation appropriée de ceux-ci.
103. En outre, ils font valoir qu’il n’y a pas eu « transmission loyale de l’information » aux riverains en ce que, tout au long du processus décisionnel, les autorités leur ont dissimulé la véritable portée du projet. La première phase s’est d’ailleurs déroulée en secret, alors qu’elle comportait des étapes décisives (choix de développer l’aéroport, adoption d’un plan d’exposition au bruit et classement de l’aéroport). Les requérants observent qu’aux cours des enquêtes publiques, les riverains qui manifestaient leur inquiétude de voir se développer un aéroport international se sont vu opposer une dénégation, alors que, dès le début du processus il était manifestement question de mettre en place un tel aéroport.
104. De plus, les requérants remarquent qu’aucune des contre‑propositions et suggestions à vocation préventive ou compensatoire formulées par les riverains ou les experts au cours des phases d’étude et d’enquête n’ont été retenues ni mises en œuvre.
105. Enfin, se référant aux arrêts Hatton et autres précité (§§ 104 et 128), Taşkın et autres c. Turquie (no 46117/99, §§ 118-119, CEDH 2004‑X, §§ 118-119) et Giacomelli c. Italie (no 59909/00, §§ 82-83, CEDH 2006‑XII), les requérants soutiennent que les riverains n’ont pas eu la possibilité de contester effectivement les différentes étapes du processus décisionnel, d’une part parce que, selon eux, certaines de ces étapes étaient secrètes, de sorte que les actes y relatifs n’ont pu être déférés à un juge, et, d’autre part, parce qu’ils n’ont pas eu la possibilité de faire examiner, par un juge unique, le projet dans son ensemble et dans toutes ses conséquences. Sur ce point, ils font également remarquer qu’ils ont dû supporter seuls la charge, le coût et le risque de la preuve, ce qui les aurait placés dans une situation de net déséquilibre par rapport aux promoteurs (publics) de l’opération.
ii. Observations complémentaires
106. Les requérants réitèrent les arguments exposés dans leurs observations initiales quand au « morcellement » du processus décisionnel, et soulignent qu’ils n’ont jamais pu soumettre à une autorité décisionnelle ou juridictionnelle l’opération globale consistant à faire de l’aéroport un « hub » régional à vocation internationale, ni en discuter l’opportunité au regard de l’ensemble des intérêts généraux ou particuliers en cause. Ils prennent pour exemple le contentieux relatif à la constitution du syndicat mixte de l’aéroport, dans le cadre duquel la cour administrative d’appel de Nantes aurait « tenu pour négligeables » les moyens tirés de ce que l’autorité préfectorale n’avait, avant d’autoriser sa création, établi aucun bilan coût-avantage de l’opération et de ce que l’objectif de redistribution du trafic aérien au profit de l’aéroport de Deauville avait été décidé unilatéralement par certaines personnalités sans avoir fait l’objet d’une étude sur la coopération interrégionale, ni d’une étude d’impact, ni même d’un simple examen des conséquences du développement massif du trafic aérien sur l’environnement.
107. Les requérants citent également comme exemple du « morcellement » qu’ils dénoncent la procédure de révision du plan d’exposition au bruit (PEB) : ainsi, lors de la réunion de la commission consultative de l’environnement du 19 octobre 2006, les autorités ont tout d’abord soutenu qu’il n’y aurait pas d’aéroport central à Deauville‑Saint Gatien, avant d’annoncer qu’il y aurait bien, en accord avec les deux régions, un aéroport à vocation internationale. Ils estiment que ces incohérences n’existeraient pas s’ils avaient pu faire contrôler par les autorités juridictionnelles à l’occasion de leur précédent recours l’objet réel du syndicat mixte de l’aéroport. Selon eux, ces exemples caractérisent la pérennité du découpage artificiel des opérations administratives, qui aboutit à l’impossibilité d’exercer un recours effectif contre un projet d’ensemble. Rappelant les étapes du développement de l’aéroport, ils concluent que les autorités nationales « ont tout fait pour cacher le projet aux yeux du public le temps qu’il devienne irréversible ». Ils soulignent notamment que, lors de la réunion précitée de la commission consultative de l’environnement, il a été reconnu que c’était sciemment qu’en 1990 l’enquête publique avait été organisée sans publicité.
2. Le Gouvernement
a) Sur les nuisances sonores générées par l’allongement de la piste
i. Observations initiales
108. Sur le plan factuel, le Gouvernement souligne que les propriétés des différents requérants ne sont pas toutes situées dans le même secteur géographique par rapport à l’aérodrome (les plus proches étant situées à 800 mètres de la piste, et les plus éloignées à 3 km), ce qui implique une appréciation différenciée des inconvénients engendrés par l’exploitation de celui-ci. Il indique que les riverains peuvent être répartis en quatre groupes géographiques, les trois premiers au nord-ouest de l’aérodrome (direction dans laquelle la piste a été allongée), le dernier au sud-est : les habitants de la Croix Sonnet (requérants Flamenbaum, Akierman, Célice, Lelièvre, Konstantyner et Morandi) sont les plus proches de la piste ; les habitants des Aubets (requérants Marie, Loisy, Beausire et Larbaour) résident à environ 2 km du nouveau seuil de piste, à la verticale de la trajectoire des avions ; M. et Mme Trocmé (Hennequeville) sont les plus éloignés et se trouvent légèrement sur le côté de l’axe de piste et MM. Michel et Daniel Laplanche habitent à proximité de la plate-forme, mais très nettement sur le côté.
109. Sur le fond du grief, après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour en la matière, le Gouvernement considère que les conditions posées par l’article 8 § 2 de la Convention ont été respectées en l’espèce. Il souligne en premier lieu que l’allongement de la piste était conforme au droit interne : d’une part, cette opération était prévue par la loi, au sens de l’article 8 précité, dans la mesure où les dispositions pertinentes du code de l’aviation civile et du code des postes et télécommunications répondent aux critères de prévisibilité et d’accessibilité dégagés par la jurisprudence de la Cour. D’autre part, la procédure fixée par la réglementation a été pleinement respectée par les pouvoirs publics, en particulier en ce qui concerne l’organisation d’enquêtes publiques et d’une étude d’impact préalablement à l’adoption de l’arrêté relatif à l’allongement de la piste (5 mars 1991) et du décret adoptant le plan de servitudes aéronautiques de dégagement (4 avril 1991). Enfin, le juge administratif a confirmé la légalité des décisions prises à l’occasion des recours en annulation dont il a été saisi par les requérants. Le Gouvernement souligne qu’aucun aspect de la réglementation interne n’a été méconnu, à la différence d’affaires antérieures dont la Cour a eu à connaître (notamment López Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994, série A no 303‑C et Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).
110. En second lieu, le Gouvernement estime qu’un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts des personnes vivant à proximité de l’aérodrome et ceux de la société dans son ensemble.
111. D’une part, les travaux d’allongement de la piste étaient justifiés par un motif légitime, dans la mesure où le gestionnaire de l’aérodrome souhaitait l’adapter à sa vocation (satisfaire les besoins de la Basse‑Seine/Basse-Normandie en vols « moyens courriers » et « charters » pour des raisons géographiques et pratiques) et à sa classification. Or, si la piste de 2100 mètres était suffisante pour permettre à la plupart des avions opérant sur l’aérodrome de décoller à la masse maximale autorisée, elle était en revanche insuffisante pour d’autres types d’avions moyens courriers (tels le Boeing 727, le MD II ou le DC 10). Par ailleurs, le Gouvernement souligne l’intérêt économique de cette opération pour le rayonnement de la région, comme en témoigne le fait que de nombreux industriels de la région ou personnels de l’industrie et du tourisme se sont prononcés en faveur du projet lors de l’enquête publique.
112. Le Gouvernement fait valoir, d’autre part, que les nuisances qui résulteraient de l’allongement de la piste n’ont pas atteint un niveau de gravité suffisant, au sens de la jurisprudence de la Cour, pour entraîner une violation de l’article 8. Il souligne que tous les requérants (à l’exception des époux Trocmé, qui sont les plus éloignés de la piste) ont acquis leurs résidence à une époque où l’aéroport était déjà doté d’installations importantes, puisque la piste principale a été portée de 1 900 mètres à 2 100 mètres en 1969. Dès lors, son allongement de 450 mètres en 1993 n’a pu générer une augmentation des nuisances sonores que si le trafic s’est développé et/ou si de nouveaux types d’avions plus bruyants y opèrent, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, selon le Gouvernement.
113. En effet, les statistiques montrent clairement que la mise en service de la piste de 2 550 mètres n’a pas entraîné d’augmentation du nombre des mouvements d’avions commerciaux, qui sont au contraire inférieurs en moyenne et en valeur à ceux réalisés auparavant. Le Gouvernement précise qu’en 1994, l’aéroport de Deauville n’a enregistré que 1239 mouvements d’avions commerciaux, soit 3,39 atterrissages ou décollages par jour et qu’en 2005 l’union des aéroports français l’a placé à la 63e position des aéroports métropolitains. Par ailleurs, le Gouvernement observe que, s’il est vraisemblable que ce projet a entraîné la venue de nouveaux avions, les vols de gros appareils présentent un caractère erratique et occasionnel. De façon générale, le nombre de charters, principaux pourvoyeurs de « gros porteurs », n’est pas proportionnel à la longueur de la piste. Si ce nombre, de 32 en 1992, a atteint 133 en 1993, c’est en raison de la convention d’une grande entreprise en janvier-février, soit avant l’allongement de la piste. Pour les années suivantes, ce nombre est resté stable (47 en 1994, 33 en 1995 et 62 en 1996, soit environ un par semaine). Le nombre de mouvements de « gros porteurs » civils et militaires est également resté constant, de l’ordre de 300 par an, Les chiffres figurant dans le rapport d’expertise, que le Gouvernement tient pour fiable à cet égard, confirment que le trafic de gros porteurs n’a pas augmenté avant et après l’allongement de la piste,[10] raison pour laquelle le juge administratif a rejeté le recours indemnitaire des requérants.
114. Le Gouvernement fait valoir que l’exposition au bruit est d’autant moins excessive que chaque riverain n’est exposé qu’à la moitié du nombre de mouvements annoncé, un mouvement étant constitué d’un atterrissage ou d’un décollage et les riverains n’étant pas aux deux bouts de la piste en même temps. Par ailleurs, le degré de pollution sonore et atmosphérique généré par un avion dépend moins de sa taille que du modèle dont il s’agit, les avions modernes étant plus économes en carburant et plus silencieux (des avions tels que l’A 310, les anciens Boeing 737, le Bac 1.11, le DC 9 et 10 et la Caravelle cités par l’expert B. sont désormais interdits). En tout état de cause, la baisse du nombre global des mouvements compense, le cas échéant, l’augmentation des nuisances occasionnées par l’arrivée de « gros porteurs ».
115. De plus, le Gouvernement fait valoir que la mise en service de la piste de 2 550 mètres n’a pas, contrairement à ce que soutiennent les requérants, entraîné le classement de leurs propriétés dans une zone de bruit supérieure. Il ressort en effet du plan d’exposition au bruit en vigueur au moment des faits (établi sur une hypothèse de longueur de piste de 2 720 mètres) que leurs propriétés ne se trouvent pas dans des zones où le bruit est le plus fort : ainsi, les habitants de La Croix Sonnet (six requérants) sont en zone B (et en zone C du projet de nouveau PEB), les habitants des Aubets (quatre requérants) à la limite des zones B et C (à l’extrême limite de la zone D dans le projet de nouveau PEB), M. et Mme Trocmé hors PEB (dans les deux cas), M. Michel Laplanche hors PEB (en zone D du projet de nouveau PEB) et M. Daniel Laplanche hors PEB (dans les deux cas).
ii. Observations complémentaires
116. Le Gouvernement a soumis, en annexe à ses observations complémentaires en réponse aux questions posées par la chambre, des données sur l’évolution du trafic aérien de l’aérodrome de Deauville (mouvements d’avions commerciaux et non commerciaux, nombre de passagers, mouvements par types d’aéronefs gros porteurs).
α) Sur l’importance économique de l’aéroport pour la région
117. Sur ce point, le Gouvernement s’étonne que les requérants mettent en doute la légitimité du but poursuivi. Certes, le développement de l’aérodrome ne présente qu’un intérêt strictement régional, mais un tel intérêt n’est pas moins légitime qu’un intérêt national, et l’aérodrome de Deauville contribue au dynamisme économique de la région. Son développement est comparable à celui des quatre autres aéroports de Haute‑Normandie et Basse-Normandie (Caen-Carpiquet, Rouen-Vallée de Seine, Cherbourg‑Maupertus et Havre‑Octeville), qui sont de capacité similaire en termes de passagers, en dehors de l’aéroport de Caen-Carpiquet qui a une capacité plus importante de traitement de passagers (200 000 passagers), mais n’est qu’au 53e rang des aéroports français ayant un trafic supérieur à 1000 passagers par an. L’aéroport de Deauville arrive en deuxième place des aéroports normands en termes de passagers et, en termes de mouvements d’aéronefs commerciaux ou non commerciaux, ne connaît pas plus de mouvements que les autres, voire est celui qui compte le moins de mouvements commerciaux après Cherbourg, en l’absence d’une ligne régulière.
118. Le Gouvernement précise que, comme les autres aéroports régionaux, l’aéroport de Deauville permet, au titre des mouvements non commerciaux, une activité d’aéroclub de loisir ; au titre des mouvements commerciaux, une activité d’aviation d’affaires et de vols privés permettant, à la demande des entreprises locales, de relier Deauville à Paris et aux capitales régionales, voire européennes, et une activité saisonnière de transport de passagers faisant appel à des aéronefs de plus forte capacité (principalement l’été en vols charters « vacances », permettant aux entreprises de proposer à leurs salariés des départs directement de leur région et à des tours opérateurs de proposer ces prestations aux personnes habitant la région) ; une activité de transport de chevaux, qui tend à disparaître en raison des contraintes importantes de transport.
119. Le Gouvernement souligne que, si l’aéroport de Deauville n’est pas un « grand » aéroport régional, il propose les services de proximité d’un aéroport local, à l’intention des entreprises et des habitants du pays d’Auge et de la ville de Deauville, et que les perspectives de développement sont importantes. Du fait de sa situation géographique et de son importante zone de chalandise, les régions de Basse-Normandie et de Haute-Normandie souhaitent en faire une plateforme interrégionale (et non internationale comme le soutiennent les requérants) dans les prochaines années, en partant du constat que les passagers normands ne peuvent avoir accès aux lignes internationales et aux autres destinations domestiques que par les aéroports parisiens, et qu’ils mettent au minimum entre deux et trois heures pour accéder à leur plateforme internationale (alors que les passagers des autres régions françaises mettent en moyenne trois-quarts d’heure). C’est dans cette perspective qu’a été créé en 2006 le syndicat mixte de l’aéroport de Deauville-Normandie, en vue de poursuivre la progression amorcée, notamment sur le trafic charter rendu possible par l’allongement de la piste, et de préparer des lignes régulières éventuelles.
120. Le Gouvernement estime fantaisistes les chiffres avancés par les requérants concernant « un objectif de 250 000 passagers à brève échéance, et 400 000 à échéance de dix ans ». Il précise qu’en 2006, le nombre de passagers transportés s’est élevé à 57 027 pour les vols commerciaux (objet des critiques des riverains) et à 93 500 pour l’aviation privée de loisirs ; en 2008, à 91 896 passagers pour les vols commerciaux, le maximum envisagé dans les perspectives de développement étant de 200 000 passagers par an, et l’aviation de loisirs ayant transporté pour sa part en moyenne de 20 000 à 25 000 passagers par an sur vingt ans. Le Gouvernement souligne que les conséquences environnementales font partie intégrante de la réflexion engagée sur ce projet de développement qui, malgré une augmentation prévisible du trafic, ne se traduira que par quelques vols supplémentaires par jour, avec des avions modernes, donc bien plus silencieux, et en conséquence un faible impact sur les riverains. En outre, les projets d’ouverture de lignes régulières ne prévoient aucun vol de nuit.
β) Sur l’impact de l’allongement de la piste principale sur la vie privée et familiale des requérants
121. Liminairement, le Gouvernement observe qu’il appartient aux requérants d’apporter les précisions demandées par la Cour sur le niveau des nuisances sonores qui seraient imputables à l’allongement de la piste. En tout état de cause, il souligne qu’il résulte de l’ensemble des données produites que le développement de l’aéroport a connu une relative stabilité du nombre de ses mouvements sur vingt ans et qu’aucune corrélation nette ne peut être constatée entre l’allongement de la piste en 1993 et l’augmentation du nombre de mouvements d’avions. En particulier, de 1988 à 2008, le nombre de mouvements commerciaux (dont se plaignent plus particulièrement les requérants) a augmenté ponctuellement entre 1988 et 1990, décru de 1991 à 2005, puis augmenté de nouveau de 2005 à 2008. Il a ainsi décru nettement après l’allongement de la piste (1412 mouvements en 1993, 1239 en 1994, 1149 en 2005) et ce n’est que sous l’impulsion d’une politique locale en faveur du développement de charters « voyages » qu’il a augmenté à nouveau en 2005. A l’exception de l’année 1996 (2468 mouvements), le nombre de mouvements commerciaux de 1991 n’a en réalité été dépassé qu’à partir de 2007 ; le nombre de mouvements commerciaux de 2008 (2273) reste inférieur à ceux de 1989 (2550) et 1990 (2608).
Le Gouvernement précise que la moyenne des mouvements commerciaux sur vingt ans (1988-2008) est de 1592 mouvements par an, soit une moyenne d’environ cinq mouvements par jour, bien loin de grands aéroports comme Heathrow ou Roissy-Charles de Gaulle (480 000 et 550 000 mouvements annuels respectivement) et ajoute que l’activité de transport de chevaux est négligeable (entre 9 et 14 par an depuis 2002). Au vu des données du trafic, il conteste l’affirmation des requérants selon lesquelles Deauville serait passé « d’un petit aéroclub à une plateforme aéroportuaire internationale ».
122. Le Gouvernement indique en outre que les mouvements commerciaux ne sont pas répartis de manière régulière sur la semaine et sur l’année : l’activité de vols privés et d’aviation d’affaires, qui est de loin la plus importante en volume (1930 mouvements en 2008 sur un total de 2273 mouvements) est concentrée sur la semaine et non sur le week-end, et l’activité saisonnière de transports de passagers intervient principalement l’été et provient avant tout de vols charters « vacances ». Si cette activité ponctuelle a connu un développement récent dont se plaignent particulièrement les requérants[11], cette augmentation n’est pas liée à l’allongement de la piste, mais à la mise en œuvre depuis 2004 d’une politique locale en ce sens répondant à des besoins locaux et à la préoccupation légitime de développer la région. Le Gouvernement précise que cette activité, quoiqu’en augmentation, reste très relative ; rapportée à une moyenne annuelle, elle correspond à moins d’un mouvement par jour. Le nombre de mouvements n’a pas crû proportionnellement au nombre de passagers commerciaux[12], en raison de l’utilisation d’avions de plus grande capacité (Airbus A319, A320 ou A321 ou Boeing 737). Le Gouvernement précise que le chiffre mentionné par les requérants de 150 021 passagers de vols charters en 2006 est erroné, ce chiffre recouvrant, outre les charters eux-mêmes (environ 35 640 passagers), l’aviation de loisirs et l’aviation d’affaires. Le Gouvernement souligne qu’en raison de l’évolution des techniques et de la réglementation, les avions modernes sont également plus silencieux que les avions dits « de première génération » sur lesquels l’expert B. avait fondé ses mesures acoustiques et qui ne sont plus autorisés à voler en France. Il ajoute que, si les requérants devaient produire de nouvelles mesures du niveau des nuisances sonores pour chacune de leurs propriétés, il conviendrait de s’assurer que ces mesures ont été effectuées dans des conditions régulières et conformes aux règles de l’art.
γ) Sur les mesures prises pour limiter l’impact du bruit
123. Le Gouvernement indique que Deauville, comme tous les autres aérodromes, est soumis à la réglementation communautaire visant à restreindre l’accès aux avions bruyants. Par ailleurs, la commune a également adopté des mesures particulières pour limiter les nuisances pour les riverains : l’activité de l’aérodrome est concentrée quasi-exclusivement sur la journée, les entraînements aériens sont réglementés et certains vols d’entraînement sont en outre interdits de 18 h à 6 h en semaine, après 12 h les samedis et toute la journée les dimanches et jours fériés. Plus récemment, la trajectoire et l’altitude des avions lors des décollages ont été modifiées (virage au-dessus de la mer) afin de limiter l’impact sonore pour les riverains. En réponse aux requérants qui disent ne pas être concernés par cette modification de trajectoire, car ils sont en bout de piste, le Gouvernement réplique que ce n’est le cas que pour six d’entre eux. Il émet des doutes sur l’affirmation des requérants concernant les « importantes nuisances sonores causées par des passages à basse altitude d’avions gros porteurs » et rappelle que les mouvements de vols commerciaux ne constituent que 5% du trafic et sont eux-mêmes composée en grande partie, non de gros porteurs, mais d’aviation d’affaires.
124. Le Gouvernement expose par ailleurs que le nouveau plan d’exposition au bruit (PEB), adopté le 29 septembre 2008, confirme que la mise en service de la piste de 2 500 mètres n’a pas entraîné le classement des propriétés des requérants dans une zone de bruit supérieure. Bien au contraire, la plupart des requérants sont passés dans une zone de bruit modéré (zone C[13]) à faible (zone D[14]) ou sont en dehors du PEB[15]. Le Gouvernement estime infondées les critiques des requérants concernant le PEB, dans la mesure où l’indice Lden utilisé pour l’établissement de ce document est recommandé tant au niveau européen que par l’Autorité de Contrôle des Nuisances aéroportuaires (ACNUSA, autorité administrative indépendante), et permet une meilleure représentation de la gêne perçue en pondérant différemment le niveau sonore moyen en fonction de la période considérée (voir paragraphes 69-70 ci-dessus). Le Gouvernement précise enfin que l’aéroport de Deauville n’est pas éligible à la législation sur l’aide à l’insonorisation des riverains (paragraphes 71-72 ci-dessus).
b) Sur le processus décisionnel
i. Observations initiales
125. Le Gouvernement estime que les requérants ont eu la possibilité tout au long du processus décisionnel d’exprimer leurs opinions sur le projet d’allongement de la piste. En premier lieu, l’étude d’impact réalisée en juin 1990 comportait de manière détaillée un rappel des objectifs de l’opération, l’analyse de l’état initial du site et de son environnement, les raisons du choix retenu et une analyse des effets sur l’environnement. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, elle abordait les conséquences environnementales du projet dans leur globalité (conséquences sur les milieux physique et biologique, sur l’activité socio‑économique, sur l’urbanisme, le paysage ou le patrimoine) et avec précision, tout en proposant des mesures compensatoires.
126. En deuxième lieu, l’enquête publique, qui s’est déroulée du 20 août au 20 septembre 1990 dans les communes concernées par le PEB, a permis aux habitants de consulter les pièces du dossier et faire connaître leurs observations soit en les consignant dans les registres d’enquêtes, soit par correspondance ; comme en témoigne le rapport d’enquête, de nombreuses personnes se sont ainsi exprimées, pour ou contre le projet. Par ailleurs, deux autres enquêtes publiques ont eu lieu avant l’adoption des servitudes aéronautiques et radioélectriques. En troisième lieu, les associations de riverains, notamment l’ADRAD, dont tous les requérants sont membres, ont eu la possibilité de s’exprimer dans le cadre de la commission consultative de l’environnement, qui s’est réunie à deux reprises en 1990 et dont les membres ont disposé du dossier de l’enquête publique et de l’étude d’impact.
127. Le Gouvernement souligne enfin que les requérants ont fait usage de toutes les voies de recours qui leur étaient ouvertes. Ils ont ainsi contesté la légalité de l’arrêté du 5 mars 1991, du décret du 4 avril 1991 et de la décision du 3 novembre 1995, usant des procédures d’urgence et du recours pour excès de pouvoir avant d’introduire un contentieux indemnitaire. Les juridictions françaises ont ainsi rendu une quinzaine de décisions juridictionnelles en huit ans, mais aucune des demandes des requérants n’a prospéré. Quant au prétendu morcellement de la procédure, outre que le Gouvernement estime ce terme excessif, il précise que les trois principaux actes contestés portaient sur différentes facettes du projet (travaux d’allongement de la piste, servitudes liées aux travaux, opérations concrètes d’étêtage en application de ces nouvelles servitudes), régies par des législations et des règles d’adoption différentes et qu’il n’était donc pas possible au regard du droit interne d’agir différemment.
128. Le Gouvernement souligne que ce processus a permis de préserver les droits des individus dans le cadre d’une opération complexe, et qu’à chaque étape du processus décisionnel les requérants ont pu s’exprimer, individuellement ou par l’intermédiaire de l’ADRAD, et contester dans son intégralité la légalité du projet. Il souligne à cet égard que l’étude d’impact dépassait le strict cadre dans lequel elle devait s’inscrire, permettant ainsi d’avoir une vision plus globale du projet.
129. Enfin, le Gouvernement estime mal fondée la thèse des requérants selon laquelle les observations formulées dans le cadre des enquêtes publiques n’ont pas été prises en compte. D’une part, la jurisprudence de la Cour n’exige pas que chacune des opinions exprimée au cours du processus décisionnel soit suivie par les autorités et, d’autre part, comme le reconnaissent les requérants, c’est pour tenir compte de l’impact du projet sur l’environnement que le préfet, conformément à l’étude d’impact, n’a finalement autorisé l’allongement de la piste que de 450 mètres au lieu des 620 prévus et a ordonné un reboisement de 23 hectares au titre des mesures compensatoires.
130. Le Gouvernement conclut, dès lors, qu’un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts concurrents des riverains de l’aérodrome et de la société dans son ensemble.
ii. Observations complémentaires
131. Le Gouvernement souligne que les reproches formulés par les requérants sur le processus qui a conduit à l’allongement de la piste reflète en réalité leur insatisfaction face à la réalisation de ce projet, et que la circonstance que leur point de vue n’a pas prévalu ne signifie pas qu’ils n’ont pas été entendus.
132. Le Gouvernement réitère les arguments soulevés dans ses observations initiales quant au « morcellement » dénoncé par les requérants, et fait valoir que ce fractionnement en plusieurs phases du développement de l’aéroport a, de fait, multiplié les occasions d’information et de participation au processus ; chaque phase a ainsi pu être examinée avec plus de précision, facilitant l’appréhension d’un ensemble complexe d’opérations, et a pu utilement être contestée devant un juge. Il soutient que la solution préconisée par les requérants, à la supposer juridiquement possible, ne serait pas sans poser des difficultés (complexité de l’institution d’un recours contre des actes obéissant à des législations et règles d’adoption différentes, problèmes d’organisation, risques de dilution de l’information et de retard) et ne présenterait pas plus de garanties, et qu’il leur appartient de justifier précisément en quoi la procédure suivie a pu nuire à leurs droits ou intérêts. Le Gouvernement précise enfin qu’il ignore à quoi se réfèrent les requérants quand ils font allusion des étapes « secrètes » et rappelle que le projet a fait l’objet d’une étude d’impact très complète et détaillée.
B. Appréciation de la Cour
1. Rappel des principes
133. L’article 8 de la Convention protège le droit de l’individu au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Si la Convention ne reconnaît pas expressément le droit à un environnement sain et calme, lorsqu’une personne est affectée directement et gravement par le bruit ou d’autres formes de pollution, une question peut se poser sous l’angle de l’article 8 de la Convention (Hatton et autres précité, § 96). En particulier, des atteintes immatérielles ou incorporelles, telles que les bruits, les émissions, les odeurs et autres ingérences, peuvent affecter le droit au respect de la vie privée et du domicile, conçu non seulement comme le droit à un simple espace physique mais aussi comme celui à la jouissance, en toute tranquillité, dudit espace (Moreno Gómez c. Espagne, no 4143/02, § 53, CEDH 2004‑X, Giacomelli précité, § 76, CEDH 2006‑XII et Oluić c. Croatie, no 61260/08, § 44, 20 mai 2010). Si les atteintes sont graves, elles peuvent priver une personne de son droit au respect de son domicile parce qu’elles l’empêchent d’en jouir (López Ostra précité, § 51, Hatton précité, § 96, Taşkin précité, § 113 et Deés c. Hongrie, no 2345/06, § 21, 9 novembre 2010).
134. L’article 8 peut trouver à s’appliquer dans les affaires d’environnement, que la pollution soit directement causée par l’État ou que la responsabilité de ce dernier découle de l’absence de réglementation adéquate de l’industrie privée. Que l’on aborde l’affaire sous l’angle d’une obligation positive, à la charge de l’État, d’adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits que les requérants puisent dans le paragraphe 1 de l’article 8, ou sous celui d’une ingérence d’une autorité publique à justifier sous l’angle du paragraphe 2, les principes applicables sont assez voisins. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer les dispositions à prendre afin d’assurer le respect de la Convention. En outre, même pour les obligations positives résultant du paragraphe 1, les objectifs énumérés au paragraphe 2 peuvent jouer un certain rôle dans la recherche de l’équilibre voulu (Powell et Rayner c. Royaume‑Uni, 21 février 1990, § 41, série A no 172, López Ostra, précité, § 51 et Hatton et autres précité, § 98).
135. La Cour rappelle également que, dans une affaire telle que celle considérée en l’espèce, qui a trait à des décisions de l’État ayant une incidence sur des questions d’environnement, l’examen auquel elle peut se livrer comporte deux aspects. Premièrement, elle peut apprécier le contenu matériel des décisions des autorités nationales en vue de s’assurer qu’elles sont compatibles avec l’article 8. Deuxièmement, elle peut se pencher sur le processus décisionnel afin de vérifier si les intérêts des individus ont été dûment pris en compte (Hatton et autres précité, § 99 et Taşkın et autres précité, § 115).
136. Pour ce qui est de l’aspect matériel, la Cour rappelle avoir dit à maintes reprises que dans des affaires soulevant des questions liées à l’environnement, l’État devait jouir d’une marge d’appréciation étendue (Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, § 75, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, Hatton et autres précité, § 123 et Taşkın et autres précité, § 116).
137. S’agissant de l’aspect procédural, la Cour réitère que, chaque fois que les autorités nationales se voient reconnaître une marge d’appréciation susceptible de porter atteinte au respect d’un droit protégé par la Convention tel que celui en jeu en l’espèce, il convient d’examiner les garanties procédurales dont disposent les individus concernés pour déterminer si l’Etat défendeur n’a pas outrepassé les limites de sa marge d’appréciation (Buckley précité, § 76). Selon la jurisprudence constante de la Cour, même si l’article 8 ne renferme aucune condition explicite de procédure, il faut que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte comme il se doit les intérêts individuels protégés par l’article 8. Il y a donc lieu d’examiner l’ensemble des éléments procéduraux, notamment le type de politique ou de décision en jeu, la mesure dans laquelle les points de vue des individus ont été pris en compte tout au long du processus décisionnel, et les garanties procédurales disponibles (Hatton et autres précité, § 104).
138. Lorsqu’il s’agit pour un État de traiter des questions complexes de politique environnementale et économique, le processus décisionnel doit tout d’abord comporter la réalisation des enquêtes et études appropriées, de manière à permettre ainsi l’établissement d’un juste équilibre entre les divers intérêts concurrents en jeu. Il n’en résulte pas pour autant que des décisions ne peuvent être prises qu’en présence de données exhaustives et vérifiables sur tous les aspects de la question à trancher (Hatton et autres, précité, § 128 et Taşkın et autres précité, § 118). L’importance de l’accès du public aux conclusions de ces études ne fait pas de doute (Taşkın et autres précité, § 119 et la jurisprudence citée). Enfin, les individus concernés doivent aussi pouvoir former un recours contre toute décision, tout acte ou toute omission devant les tribunaux, s’ils considèrent que leurs intérêts ou leurs observations n’ont pas été suffisamment pris en compte dans le processus décisionnel (Taşkın et autres précité, ibidem et Tătar c. Roumanie, no 67021/01, § 88, 27 janvier 2009).
2. Application au cas d’espèce
a) Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention
139. La Cour rappelle qu’elle a déclaré l’article 8 applicable dans plusieurs affaires où les requérants se plaignaient du bruit causé par le fonctionnement de l’aéroport de Heathrow (Powell et Rayner précité et Hatton et autres précité) ou celui de l’aéroport de Denham (Ashworth et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 39561/98, 20 janvier 2004). Dans la présente affaire, les requérants mettent en cause les nuisances sonores engendrées par l’allongement de la piste principale de l’aéroport de Deauville, dont ils sont tous riverains.
140. La Cour observe que, selon l’expertise B. et les décisions rendues par les juridictions administratives les habitations des requérants sont situées, pour les plus proches, à quelques centaines de mètres et, pour les plus éloignées, à 2,5 km de la piste principale de l’aéroport. Même si les mesures de bruit effectuées par l’expert ont été déclarées irrégulières et n’ont donc pas pu être prises en compte par les juridictions internes, ces dernières ont retenu que les requérants pouvaient être exposés à des bruits de forte intensité lors du passage d’avions, notamment de gros porteurs (paragraphes 46-49 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour considère que les bruits auxquels ils sont exposés atteignent un niveau suffisant pour que l’article 8 trouve à s’appliquer en l’espèce, ce qui n’est d’ailleurs pas sérieusement contesté par le Gouvernement (cf. Hatton et autres précité, § 118, décision Ashworth et autres précitée et a contrario Fägerskiöld c. Suède, no 37664/04, 26 février 2008 et Galev et autres c. Bulgarie (déc.), no 18324/04, 29 septembre 2009).
141. La Cour doit ensuite déterminer si la présente affaire met en jeu une ingérence des autorités dans les droits que les requérants tirent de l’article 8, ou si elle doit être envisagée sous l’angle des obligations positives de l’État. La Cour relève tout d’abord que, à la différence de la situation dans les affaires Hatton et autres (§ 119) et Ashworth et autres, le terrain et les installations de l’aéroport appartiennent à une autorité publique (la commune de Deauville) et que son aménagement, sa gestion et son entretien ont été confiés par l’État à des personnes publiques (chambre de commerce et d’industrie et, depuis 2007, syndicat mixte de l’aéroport, voir paragraphes 14 et 54 ci‑dessus). De surcroît, les décisions relatives à l’allongement de la piste dont les requérants se plaignent ont été prises par les autorités publiques (décret du 4 avril 1991 approuvant le plan de servitudes de dégagement de l’aérodrome et arrêté préfectoral du 5 mars 1991 autorisant l’allongement de la piste, voir paragraphes 18 et 31 ci‑dessus). Dans ces conditions, la Cour examinera le grief des requérants sous l’angle d’une ingérence de l’État.
b) Sur l’observation de l’article 8 de la Convention
i. Sur le volet matériel
142. Pour être compatible avec l’article 8, l’ingérence doit être prévue par la loi, viser un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique. En particulier, la Cour doit s’assurer que les autorités ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts des individus et de la société dans son ensemble (paragraphe 134 ci-dessus).
α) Ingérence prévue par la loi
143. Les requérants font valoir que les autorités n’auraient pas respecté le droit interne, dans la mesure où le projet d’extension de l’aéroport aurait dû faire l’objet d’une étude globale, alors que les enquêtes publiques menées auraient été « parcellaires ».
144. La Cour observe toutefois qu’à l’occasion des recours dont les ont saisies les requérants, les juridictions administratives ont jugé que les décisions prises par les autorités étaient conformes au droit interne. Le Conseil d’État a ainsi considéré que le décret du 4 avril 1991 (approuvant le plan de servitudes de dégagement de l’aérodrome) avait été pris dans le respect de la procédure et du droit applicable et que, ce décret faisant l’objet d’une procédure distincte de celle de l’allongement de la piste, l’administration pouvait conduire séparément ces différentes opérations (paragraphe 20 ci-dessus). Par ailleurs, dans le cadre du recours dirigé contre l’arrêté préfectoral du 5 mars 1991 autorisant l’extension de la piste, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel ont estimé conformes au droit interne tant l’étude d’impact que l’arrêté lui-même (paragraphes 32-33 ci-dessus). Quant au dernier point soulevé par les requérants, à savoir l’absence de mesure sérieuse de nature à prévenir, limiter ou réparer les nuisances, la Cour l’envisagera dans le cadre de l’examen de l’équilibre à préserver entre les intérêts en cause (paragraphe 153).
145. La Cour conclut donc que l’ingérence en cause était prévue par la loi, au sens de l’article 8 précité.
β) But légitime
146. Les parties s’opposent sur l’existence d’un but légitime. Le Gouvernement fait valoir l’intérêt économique pour la région de l’extension de la piste, qu’il estime aussi légitime qu’un intérêt national, alors que les requérants soutiennent que l’on ne saurait assimiler des intérêts économiques purement locaux – de surcroît non avérés selon eux – au « bien-être économique du pays », au sens du paragraphe 2 de l’article 8.
147. La Cour rappelle tout d’abord que, dans la décision Ashworth et autres précitée, qui concernait l’aéroport de Denham, dont la capacité est beaucoup plus réduite que celle de l’aéroport de Deauville, elle a retenu l’existence d’une justification économique locale, à savoir l’emploi généré par l’aéroport.
148. Dans la présente affaire, la Cour note que l’étude d’impact réalisée en 1990 relevait la présence d’un bassin de clientèle important en raison de la situation géographique de l’aéroport et soulignait les effets favorables prévisibles de l’allongement de la piste, non seulement sur l’activité de ce dernier, mais également sur l’économie locale, voire régionale (paragraphe 24 ci-dessus). La commission d’enquête a également conclu que l’extension de la piste contribuerait au développement économique de la région (paragraphe 29 ci-dessus). La Cour observe que les juridictions administratives ont confirmé l’intérêt économique de cet allongement, destiné à permettre l’accueil d’avions de plus grande capacité. Ainsi, dans son jugement du 13 juin 1995 (relatif à l’arrêté autorisant l’extension de la piste), le tribunal administratif de Caen a reconnu le caractère d’utilité publique de l’opération envisagée, et la cour administrative d’appel de Nantes, dans son arrêt du 16 décembre 1998, a retenu que ce projet, par l’amélioration de la capacité d’accueil d’avions moyens-courriers ou charters, visait à développer « un trafic de passagers répondant à l’importance des activités touristiques et de congrès ou des pèlerinages et, d’autre part, un trafic de fret consacré au transport de chevaux à proximité d’une importante région d’élevage de pur‑sangs » (paragraphes 32-33 ci‑dessus).
149. La Cour conclut donc à l’existence d’un but légitime, à savoir le bien-être économique de la région (cf. mutatis mutandis Ruano Morcuende c. Espagne (déc.), no 75287/01, 6 septembre 2005).
γ) Nécessité de l’ingérence
150. La Cour doit établir si l’ingérence était proportionnée au but légitime poursuivi et, en particulier, si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts en jeu, compte tenu de la marge d’appréciation étendue dont bénéficie l’État dans ce domaine.
151. La Cour examinera en premier lieu si l’allongement de la piste principale en 1993 a entraîné une augmentation du trafic de l’aéroport de Deauville, et notamment des mouvements commerciaux, qui représentent 5% du trafic total. Elle observe à cet égard que, dans son rapport déposé en 1997, l’expert B. avait relevé une stagnation des mouvements au cours des années 1991 à 1996 et une baisse de 8% par rapport à la moyenne des années 1993 à 1996. Les chiffres communiqués par le Gouvernement font apparaître que le nombre de mouvements commerciaux a baissé en 1994 et 1995, soit après l’allongement de la piste, et qu’à l’exception de l’année 1996, la moyenne des mouvements commerciaux pendant la période 1994-2006 a été constamment inférieure à celle de la période 1988-1992. Si le nombre de ces mouvements augmente depuis 2006, il reste néanmoins inférieur à ceux enregistrés en 1989 et 1990.
Il ressort par ailleurs des données produites que le nombre de vols « charters », dont se plaignent plus particulièrement les requérants, n’a pas sensiblement augmenté après l’allongement de la piste et que ce n’est qu’à compter de 2004 – soit dix ans plus tard – qu’il a commencé à croître. Enfin, il apparaît que les mouvements non commerciaux sont en baisse depuis 1994 et que le nombre de vols destinés au transport de chevaux est désormais négligeable.
152. Dans ces conditions, la Cour n’estime pas établi que l’allongement de la piste ait entraîné « une augmentation considérable du trafic aérien » comme le soutiennent les requérants, ce qui est confirmé par le nouveau plan d’exposition au bruit adopté en 2008 (paragraphe 124 ci-dessus).
153. La Cour doit également prendre en considération les mesures mises en place par les autorités pour limiter l’impact des nuisances sonores (Hatton précité, § 127). Elle observe en premier lieu que le préfet n’a autorisé l’allongement de la piste qu’à 2 550 mètres, au lieu des 2 720 mètres projetés, au motif que cette longueur était suffisante pour atteindre le but poursuivi (paragraphe 31 ci-dessus).
Par ailleurs, les éléments suivants ressortent des documents produits : en application de la règlementation de l’Union européenne, les avions les plus bruyants dits « de première génération », sur lesquels l’expert B. avait fondé ses mesures de bruit, ne sont plus autorisés à voler en France ; l’aéroport n’accueille plus de voltige ni de vols d’entraînement militaires, source de gêne pour les riverains selon l’étude d’impact (paragraphe 25 ci‑dessus). Les vols d’entraînement civils sont réglementés et certains sont interdits de 18 h à 6 h en semaine, le samedi après 12h et les dimanches et jours fériés. Le Gouvernement a précisé que l’aéroport ne connaissait que de très rares vols de nuit, ce que la Cour n’a pas de raison de mettre en doute. Enfin, les deux lignes régulières qu’il accueille fonctionnent en journée.[16]
En outre, la Cour observe que les autorités ont mis en place depuis 2009 des procédures « de moindre bruit », consistant à modifier l’altitude et la trajectoire des avions à l’atterrissage et au décollage, pour limiter le survol des populations riveraines et diminuer les nuisances sonores (paragraphes 61-62 ci-dessus).
154. La Cour a relevé que les juridictions internes avaient reconnu le caractère d’utilité publique du projet d’allongement de la piste et a admis que le Gouvernement justifiait en l’espèce d’un but légitime, à savoir le bien-être économique de la région, (paragraphes 148‑149 ci-dessus). Compte tenu des constatations qu’elle a faites aux paragraphes 151-152 ci‑dessus et des mesures prises pour limiter l’impact des nuisances sonores pour les riverains, la Cour estime dès lors que les autorités ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts en présence.
ii. Sur le processus décisionnel
155. La Cour rappelle que le processus décisionnel doit comporter la réalisation des enquêtes et études appropriées et permettre l’accès du public aux conclusions de ces études. Enfin, un recours doit être ouvert aux individus s’ils considèrent que leurs intérêts ou leurs observations n’ont pas été suffisamment pris en compte (voir paragraphe 138 ci-dessus).
156. Sur le premier point, la Cour observe tout d’abord que le projet d’allongement de la piste a été précédé d’une étude d’impact détaillée. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, elle envisageait les effets du projet non seulement sur les milieux physique et biologique, les activités, l’urbanisme, le patrimoine et le paysage, mais également sur les nuisances sonores (paragraphe 22-27 ci‑dessus). Ce projet a aussi donné lieu à une enquête publique, lors de laquelle, les pièces du dossier ayant été rendues disponibles dans six mairies, le public a pu porter ses observations sur les registres d’enquête et rencontrer les membres de la commission d’enquête (paragraphes 28-29 ci-dessus). La Cour relève en outre que l’étude d’impact et le dossier de l’enquête publique ont été transmis à la commission consultative de l’environnement à laquelle l’ADRAD, dont tous les requérants sont membres (cf. Hatton précité, § 128), a été représentée.
Le plan de servitudes aéronautiques de dégagement a également fait l’objet dans les trente-deux mairies concernées d’une enquête publique lors de laquelle les riverains ont pu faire valoir leurs observations (paragraphe 17 ci-dessus). Enfin, une autre enquête publique a précédé l’adoption du plan de servitudes radioélectriques (paragraphe 37 ci-dessus).
157. Dans ces conditions, la Cour conclut que des enquêtes et études appropriées ont été menées et que le public a pu accéder de façon satisfaisante à leurs conclusions.
158. Sur le second point, la Cour relève que les requérants disposaient en droit interne de deux types de recours devant les juridictions administratives, à savoir le recours en excès de pouvoir contre les actes relatifs à l’extension de la piste, susceptible d’aboutir à leur annulation, et le recours en réparation des préjudices causés par cette extension. Ils ont fait usage de l’ensemble de ces recours, directement ou par l’intermédiaire de l’ADRAD : ils ont ainsi formé des recours en annulation contre le décret du 4 avril 1991 approuvant le plan de servitudes de dégagement, contre l’arrêté du 5 mars 1991 autorisant l’allongement de la piste, ainsi que contre la décision du 3 novembre 1995 ordonnant la suppression d’obstacles gênants.
Ils ont ensuite, après une expertise ordonnée par le juge des référés, formé un recours en indemnisation dirigé contre l’État, la commune et la chambre de commerce et d’industrie, dans le cadre duquel leurs arguments ont été examinés par trois degrés de juridiction (cf. décision Ruano Morcuende, précitée).
159. Pour autant que les requérants se plaignent du « morcellement » du processus décisionnel et du fait qu’ils n’auraient pu faire examiner l’ensemble du projet par un juge unique, la Cour rappelle avoir dit dans l’arrêt Hatton précité (§ 123) que si l’État est tenu de prendre dûment en considération les intérêts particuliers dont il a l’obligation d’assurer le respect en vertu de l’article 8, il y a lieu, en principe, de lui laisser le choix des moyens à employer pour remplir ses obligations. En l’espèce, la Cour estime pertinent l’argument du Gouvernement selon lequel le droit interne ne permettait pas de procéder autrement. Elle constate en tout état de cause que les requérants ont eu l’occasion de participer à chaque phase du processus décisionnel et de faire valoir leurs observations.
160. Au vu de ce qui précède, la Cour ne décèle aucun vice dans le processus décisionnel mis en œuvre (Hatton précité, § 129).
iii. Conclusion
161. La Cour conclut qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 8 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
162. Les requérants se plaignent de la perte de valeur vénale de leurs propriétés en raison de l’allongement de la piste principale de l’aéroport, ainsi que des coûts d’insonorisation qu’ils ont dû assumer. Ils allèguent la violation de l’article 1 du Protocole no 1, qui se lit ainsi :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
163. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Arguments des parties
1. Observations initiales
a) Les requérants
164. Les requérants soulignent que la perte de valeur de leurs résidences sur le marché des maisons de charme et de repos en conséquence du développement de l’aéroport de Deauville-Saint Gatien et des nuisances qui en résultent est une évidence. L’expert B. en a d’ailleurs fait le constat, retenant même que certaines des maisons riveraines étaient devenues invendables. Répondant au Gouvernement en ce qu’il met en cause la fiabilité des conclusions de l’expert, les requérants rappellent qu’il a été agréé puis désigné par les tribunaux français, suggèrent que l’État aurait aussi bien pu financer une nouvelle expertise, et soutiennent que la méthode suivie par B. (application d’une décote forfaitaire à chaque maison en distinguant chaque fois selon la zone dans laquelle elle se trouve en termes d’exposition au bruit) était parfaitement orthodoxe, similaire au demeurant à celle adoptée par la Cour dans l’arrêt Athanasiou et autres c. Grèce (no 2531/02, 9 février 2006). En outre, l’annonce immobilière produite par le Gouvernement ne saurait suffire à prouver que la valeur vénale de leurs biens n’a pas diminué, d’autant moins que rien ne dit que la propriété objet de l’annonce trouvera preneur.
165. Ils soutiennent qu’en tout état de cause, à supposer que depuis l’expertise la valeur des propriétés riveraines de l’aéroport ait augmenté, ce n’est dû qu’à un « effet mécanique » de remontée des prix de l’ensemble du marché français, mais que leurs propriétés n’en restent pas moins décotées par rapport à ce marché. Rappelant que l’aéroport de Deauville-Saint Gatien et son développement sont entièrement entre les mains d’autorités publiques, les requérants considèrent que la perte de valeur de leurs biens est imputable à l’État. Se référant à l’arrêt Öneryıldız c. Turquie (no 48939/99, [GC], § 133, CEDH 2004-XII), ils estiment qu’en raison de sa complexité, la situation dénoncée en l’espèce ne peut être classée dans l’une des catégories relevant de la seconde phrase du premier alinéa ou dans le second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1, de sorte que leur cause doit être examinée à la lumière de la norme générale contenue dans la première phrase du premier alinéa, qui énonce le droit au respect de la propriété.
166. Pour les mêmes raisons que celles indiquées sur le terrain de l’article 8 de la Convention, les requérants considèrent que l’atteinte à leur droit ne poursuivait pas un but légitime, n’était pas en parfaite adéquation avec le droit interne et est le résultat d’un processus décisionnel vicié, ce dernier élément caractérisant déjà selon eux une atteinte disproportionnée à leur droit par rapport au but poursuivi. Le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde des droits individuels et les exigences de l’intérêt général est également rompu du fait du défaut d’indemnisation de la dépréciation de leurs biens. Les requérants précisent que le juge interne a rejeté leurs demandes au motif déterminant qu’en tant que riverains de l’aéroport de Deauville-Saint Gatien, ils ne subissaient pas de nuisances supérieures à celles que devaient endurer, sans que cela fasse naître un droit à réparation, les autres riverains d’aérodromes. Se référant à l’arrêt Z.A.N.T.E. -Marathonisi A.E. c. Grèce (no 14216/03, 6 décembre 2007), ils en déduisent que la rupture du juste équilibre dont ils sont victimes est le résultat de l’application dans leur affaire d’une règle de droit interne particulièrement rigide.
b) Le Gouvernement
167. Le Gouvernement rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour en la matière, l’article 1 précité ne garantit pas, en principe, le droit au maintien des biens dans un environnement agréable (cf. notamment S. c. France, no 13728/88, décision de la Commission du 17 mai 1990, Décisions et Rapports (DR) 65, p. 250 et Taşkın et autres c. Turquie (déc.) no 46117/99, 29 janvier 2004).
168. Le Gouvernement précise que les requérants ont introduit des recours indemnitaires sur le fondement de la responsabilité sans faute de l’État et que le préjudice invoqué, pour ouvrir droit à réparation, devait être à la fois spécial et anormal. Ils demandaient au juge national la réparation de la perte de valeur vénale de leur habitation du fait de l’allongement de la piste, ainsi que des coûts d’insonorisation qu’ils avaient dû supporter. Le Gouvernement souligne que leur demande se fondait très largement sur l’expertise B., jugée irrégulière par le juge administratif, qui ne l’a retenue qu’à titre d’information ; l’expert a non seulement outrepassé sa mission en se prononçant sur la valeur vénale des propriétés, mais encore utilisé une méthode approximative et arbitraire et a refusé de s’adjoindre un spécialiste en évaluation immobilière. Le juge a rejeté les demandes d’indemnisation, au motif que les nuisances auxquelles les requérants étaient exposés n’excédaient pas les inconvénients normaux que peuvent subir, dans l’intérêt général, les riverains d’un aérodrome et n’ouvraient donc pas droit à réparation. Il a estimé que la réalité de l’aggravation des nuisances dues à l’allongement de la piste n’était pas avérée et que, dès lors, la condition d’anormalité faisait défaut.
169. Le Gouvernement indique que, dans ces conditions, le juge n’a pas eu à se prononcer sur l’existence d’une éventuelle perte de valeur vénale des propriétés, et que le Conseil d’État a pu estimer, au regard de l’article 1 du Protocole no 1, qu’un juste équilibre avait été ménagé entre l’intérêt général de la communauté (en l’espèce des conditions d’exploitation sûres et optimales de l’aérodrome et le rayonnement économique de la région de Basse-Normandie) et les intérêts particuliers des riverains. Le Gouvernement précise que les requérants ne sauraient être regardés comme ayant été privés de leurs propriétés et que la mesure en cause ne peut donc relever que de la réglementation de l’usage des biens.
170. A titre subsidiaire, le Gouvernement considère que les pièces produites par les requérants à l’appui de leurs demandes indemnitaires devant le juge national ne permettent pas, en tout état de cause, de déterminer avec exactitude et en toute objectivité la perte de valeur éventuelle de leurs propriétés du fait d’un accroissement de nuisances dû à l’allongement de la piste. En effet, la plupart d’entre eux n’ont pas communiqué le prix d’achat de leur bien et, lorsqu’ils l’ont fait, ils n’ont pas communiqué la valeur estimée de leur bien après l’allongement de la piste. Cette méthode aurait été d’autant plus pertinente, selon le Gouvernement, qu’à l’exception de M. Trocmé, ils ont acquis leurs biens alors que la piste mesurait déjà 2 100 mètres. Les requérants ont préféré se fonder sur les conclusions fantaisistes de l’expert B., obtenues selon une méthode dépourvue de rigueur qui l’a conduit à corriger le plan d’exposition au bruit avant d’appliquer, en fonction de la nouvelle zone de bruit ainsi déterminée, un abattement forfaitaire et global de la valeur vénale des propriétés, en prenant en compte l’incidence de la présence de l’aérodrome et non celle du seul allongement de la piste.
171. Le Gouvernement estime que cette méthode conduit à des valeurs irréalistes et cite le cas de la propriété de Mme Akierman, en produisant une annonce immobilière pour un bien situé à proximité. Il souligne que, d’une façon générale, la valeur des habitations de la région a augmenté d’environ 25 à 30 % dans les deux dernières années, même autour de l’aérodrome. Ainsi, la perte de valeur vénale n’est nullement démontrée, et les requérants ne sont pas fondés à solliciter l’indemnisation du « potentiel de nuisances » que recèle l’aérodrome à la suite de l’allongement de sa piste, qui ne s’est pas concrétisé, à supposer qu’il se concrétise un jour.
172. Le Gouvernement conclut qu’en l’espèce le rejet des demandes indemnitaires des requérants n’a pas porté atteinte à leur droit au respect de leurs biens.
2. Réponse aux questions posées par la chambre
173. La chambre a demandé aux parties de préciser le prix d’achat actualisé des propriétés, ainsi que leur valeur marchande actuelle, d’indiquer si cette valeur marchande correspondait au prix du marché de propriétés non exposées aux nuisances dénoncées, et de produire à l’appui tout élément pertinent à cet égard.
a) Les requérants
174. Les requérants se réfèrent aux conclusions de l’expert B., qui avait estimé que la plupart de leurs propriétés étaient désormais « invendables », ainsi qu’à l’expertise que l’expert H. a effectuée à leur demande.
175. Dans son rapport, l’expert H. indique avoir visité sept des propriétés des requérants[17]. Il expose que la profonde transformation « d’un aéroclub de campagne limité aux petits avions privés à un aéroport international » par l’allongement de sa piste principale a entraîné des nuisances sonores importantes, dont l’impact économique sur les propriétés voisines est considérable. Ces propriétés se placent selon lui dans un marché de résidences secondaires et d’agrément, et non pas de résidences principales. L’expert estime que, compte tenu de la présence de l’aéroport, et malgré l’environnement « d’extrême qualité » à proximité des stations balnéaires de la côte normande, ces propriétés, qui n’ont pas profité de la hausse des prix immobiliers aux alentours, pourront éventuellement trouver acquéreur, non comme résidences secondaires, mais comme résidences principales pour une clientèle locale avec un prix « fixé à la casse ».
L’expert donne pour chaque propriété une valeur « sans incidence de l’aéroport », à laquelle il applique un pourcentage correspondant au préjudice estimé. La décote est de 60 % pour la propriété Célice (la plus proche de la piste), 50 % pour les propriétés Akierman et Flamenbaum, 40 % pour les propriétés Michel Laplanche et Konstantyner et 25 % pour les propriétés Marie et Loisy. Le rapport n’indique pas la méthodologie retenue pour calculer la valeur des propriétés et l’abattement forfaitaire ; il ne précise pas le prix d’achat actualisé des propriétés et ne mentionne pas d’éléments de comparaison avec les prix du marché local pour des biens non exposés aux nuisances.
176. Les requérants ont également produit des attestations de notaires ou d’agences immobilières estimant leurs biens, ainsi que des devis (pour la plupart) ou factures de travaux d’isolation phonique. Les attestations notariales, produites par la plupart des requérants, affectent à la valeur estimée de leurs propriétés une décote de 25 % (sauf la valeur de la propriété Celice à laquelle est appliquée une décote de 50 %) en raison de la proximité de l’aéroport. Les attestations d’agences immobilières ne font pas ressortir de décote. Seuls deux requérants (MM. Michel Laplanche et Marie) ont produit des annonces immobilières concernant des propriétés du voisinage.
177. Les requérants calculent la perte de valeur vénale de leurs propriétés en appliquant le pourcentage proposé par l’expert H. (pour leurs propriétés ou par assimilation pour les propriétés des autres requérants) aux estimations faites par les notaires ou agences immobilières.
178. Ils estiment que cette atteinte à leurs biens peut être qualifiée à la fois d’expropriation partielle (dans la mesure où il sont privés de deux des principales composantes du droit de propriété, à savoir le droit de jouir de leurs biens sans nuisances sonores excessives et le droit d’en disposer pour une valeur non exagérément affectée par ces nuisances) et d’atteinte à la substance même de leur droit de propriété, dès lors qu’ils ont vu la plus grande partie de la valeur de leur droit disparaître sans obtenir d’indemnisation. Ils citent à cet égard l’arrêt Housing Association of War Disabled and Victims of War of Attica et autres c. Grèce (no 35859/02, § 39, 13 juillet 2006).
b) Le Gouvernement
179. Le Gouvernement fait valoir que l’impact des nuisances sonores qui résulteraient de l’allongement de la piste ne saurait s’analyser en une expropriation partielle des requérants. En effet, ces derniers n’ont justifié à aucun stade de la procédure de la perte de valeur vénale de leurs propriétés ou de son importance, ni de l’incidence directe de cet allongement sur une éventuelle perte de valeur. Or, selon la jurisprudence des organes de la Convention, pour que « des activités susceptibles de causer des problèmes environnementaux » puissent constituer une expropriation partielle, les requérants doivent démontrer que de telles activités « peuvent affecter lourdement la valeur d’un bien immobilier ou même le rendre invendable » (Rayner c. Royaume-Uni, no 9310/81, décision de la Commission du 16 juillet 1986, DR 47, p. 5, rappelée dans la décision Taşkın et autres précitée). Si la Cour a reconnu dans la décision Rayner précitée qu’en théorie des nuisances sonores du fait des avions, très importantes du point de vue niveau et fréquence, peuvent constituer une expropriation partielle, encore faut-il que les requérants le démontrent, ce qui n’a pas été le cas dans l’affaire Rayner, qui concernait l’aéroport de Heathrow, ni dans la présente affaire.
180. Le Gouvernement estime que la situation des requérants ne saurait davantage être analysée comme une atteinte à la substance même du droit de propriété et ne présente aucune similitude avec l’affaire Housing Association of War Disabled et Victims of War of Attica et autres précitée.
181. Le Gouvernement souligne qu’en tout état de cause, il ne serait pas en mesure de chiffrer précisément une éventuelle dévalorisation des biens des requérants, puisqu’il n’a pas connaissance de leur prix d’achat (qui a dû, au demeurant, prendre en compte la proximité de l’aérodrome existant) et qu’il n’y a pas accès pour faire évaluer leur valeur marchande actuelle. Le Gouvernement renvoie à ses observations initiales quant à l’insuffisance des éléments de preuve produits par les requérants, et notamment au caractère irrégulier de l’expertise B.
182. Le Gouvernement fait en outre les observations suivantes sur l’expertise H., qu’il estime dépourvue de rigueur méthodologique : en premier lieu, elle repose sur des postulats non établis et très contestables, tels que la transformation de l’aéroport en un aéroport international entraînant des nuisances sonores importantes (alors qu’aucun élément factuel n’est produit pour démontrer que l’allongement de la piste a entraîné une telle transformation), l’impossibilité de vendre les propriétés concernées sur le « marché des résidences secondaires » jugé plus favorable que celui des résidences principales, et les zones d’exposition au bruit déterminées par l’expert B. Le Gouvernement souligne que cette étude est partielle (elle ne concerne que sept propriétés jugées « typiques ») et ne précise pas la méthode employée, notamment pour calculer la valeur des propriétés et le pourcentage d’abattement forfaitaire.
Par ailleurs, l’expert ne se fonde sur aucune donnée comparative pour évaluer les propriétés et déterminer un préjudice « réel » : il ne justifie pas qu’il existerait deux marchés - des résidences principales et des résidences secondaires - ni que ce type de bien ferait nécessairement l’objet d’une acquisition comme résidence secondaire (d’ailleurs, seuls trois des requérants l’utilisent comme telle) ; il applique un abattement pour la présence de l’aéroport de façon générale, alors que les requêtes ne portent que sur les conséquences de l’allongement de la piste ; il ne fait aucune comparaison entre le prix d’achat de l’époque (qui a pu faire l’objet d’une décote en raison de la présence de l’aéroport) et le prix du marché de l’époque dans la région ; il ne fait pas davantage de comparaison entre le prix qu’il détermine et le prix du marché actuel dans la région, ni même de comparaison avec des habitations soumises à nuisances et celles qui ne le seraient pas. Le Gouvernement fait également valoir que les éléments factuels mentionnés par l’expert pour évaluer les biens sont limités et peu précis (description insuffisante et absence de mention de mètres carrés habitables) et que l’abattement, pratiqué de manière forfaitaire et sans justifications, présente des variations inexpliquées pour des propriétés voisines l’une de l’autre (notamment de 40 % à 60 % pour celles situées à La Croix Sonnet).
183. Le Gouvernement indique que les pertes de valeur vénale avancées par les requérants sont très inférieures à celles qu’ils invoquaient devant les juridictions internes ; il souligne les contradictions entre les décotes appliquées par l’expert H. et les attestations d’agences immobilières et de notaires que les requérants produisent individuellement, ce qui les conduit à appliquer en règle générale la décote retenue par l’expert sur la base de la valeur de l’attestation notariale et/ou de l’agence immobilière, et à remettre ainsi en cause l’évaluation de leur propre expert.
Le Gouvernement considère que les conclusions de l’expertise ne sauraient être retenues et que les requérants ne justifient pas d’un lien de causalité entre l’allongement de la piste et la perte de valeur vénale de leurs propriétés ou les frais d’isolation phonique.
B. Appréciation de la Cour
184. La Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, l’article 1 précité ne garantit pas, en principe, le droit au maintien des biens dans un environnement agréable (décision S. c. France précitée, Moore c. Royaume‑Uni (déc.), no 40425/98, 15 juin 1999, Ünver c. Turquie (déc.), no 36209/97, 26 septembre 2000, décisions Taşkın et autres et Galev et autres précitées et Darkowska et Darkowski c. Pologne (déc.), no 31339/04, § 71, 15 novembre 2011).
185. Les requérants font valoir que les nuisances sonores générées par l’allongement de la piste de l’aéroport ont entraîné une baisse de la valeur vénale de leurs propriétés. Le Gouvernement estime, pour sa part, qu’ils n’en justifient pas.
186. Les requérants s’appuient sur deux expertises, dont seule la première a été ordonnée par le juge administratif (paragraphe 39 ci-dessus). L’expert B. a conclu qu’en application du nouveau plan d’exposition au bruit qu’il avait défini, les propriétés des requérants avaient perdu entre 70 % et 90 % de leur valeur (paragraphe 42 ci-dessus). Toutefois, la Cour relève que le tribunal administratif, approuvé par la cour administrative d’appel et le Conseil d’État, a jugé l’expertise irrégulière et a notamment retenu que l’expert avait outrepassé sa mission en définissant un nouveau plan d’exposition au bruit et en procédant « à une évaluation des préjudices (...) à partir d’éléments qu’il n’a[vait] pas lui-même appréciés et par application de méthodes forfaitaires dépourvues de rigueur, en particulier pour l’estimation de la dépréciation de la propriété » (paragraphe 46 ci‑dessus). Les requérants s’appuient également sur l’expertise H. réalisée à leur demande, qui concerne sept de leurs propriétés. L’expert a conclu à une perte de valeur vénale de 25 % à 60 % en raison de la présence de l’aéroport, sans toutefois indiquer la méthode qu’il a utilisée pour parvenir à cette conclusion et pour calculer l’abattement forfaitaire sur la valeur des propriétés.
187. La Cour doit tenir compte des éléments suivants : tout d’abord, le grief des requérants ne porte pas sur les nuisances engendrées par la présence de l’aéroport, mais sur elles causées par l’allongement de sa piste principale.
188. En deuxième lieu, elle rappelle qu’afin d’être en mesure de statuer sur ce grief, la chambre a demandé aux parties de préciser le prix d’achat actualisé des propriétés, ainsi que leur valeur marchande actuelle, d’indiquer si cette valeur marchande correspondait au prix du marché de propriétés non exposées aux nuisances dénoncées, et de produire à l’appui tout élément pertinent à cet égard (paragraphe 173 ci-dessus).
189. Or, elle constate que les documents produits par les requérants n’apportent pas les réponses demandées : l’expertise H., qui ne concerne que sept propriétés sur treize, ne précise pas leur prix d’achat actualisé et ne donne aucune indication sur la méthode employée pour calculer leur valeur marchande actuelle ; en outre, aucune comparaison n’est faite avec la valeur marchande de propriétés non exposées aux nuisances dénoncées, et le calcul de l’abattement forfaitaire pratiqué par l’expert n’est pas expliqué.
En troisième lieu, ces documents sont contradictoires entre eux : la Cour observe en effet des variations importantes dans la valeur vénale de la même propriété, selon qu’elle est évaluée par l’expert, le notaire ou l’agence immobilière ; les attestations notariales, produites pour huit propriétés (propriétés Akierman, Célice, Flamenbaum, Konstantyner, Lelièvre, Loisy, Marie et Morandi) affectent en général à leur valeur estimée une décote différente de celle appliquée par l’expert et les attestations d’agences immobilières ne font pas ressortir de décote. En outre, lorsqu’elle est appliquée, la décote est liée expressément à la proximité de l’aéroport et non à son extension.
190. Dans ces conditions, en l’absence des précisions demandées par la chambre et en l’état des documents produits, la Cour considère que les requérants n’établissent pas si et dans quelle mesure l’allongement de la piste de l’aéroport de Deauville a pu avoir une incidence sur la valeur de leurs biens (décisions Rayner, Ashworth et Fägerskiöld précitées).
191. La Cour ne peut davantage prendre en compte le coût des travaux d’isolation phonique, eu égard, d’une part, au fait que les requérants n’ont pas justifié d’un lien de causalité entre l’allongement de la piste et l’augmentation du trafic (paragraphe 152 ci-dessus) et, d’autre part, aux mesures prises par les autorités pour limiter l’impact des nuisances sonores (paragraphes 153 ci-dessus).
192. En conséquence, faute pour les requérants d’établir l’existence d’une atteinte à leur droit au respect de leurs biens, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 1 du Protocole no 1.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 décembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffière Président
[1] En application de la loi du 2 mai 1930 relative à la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque.
[2] Un mouvement est un atterrissage ou un décollage.
[3] Approuvé en Conseil des Ministres le 10 janvier 1973.
[4] Source : site du syndicat mixte (www.sm-aeroport-deauville-normandie.fr).
[5] Bâle-Mulhouse, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Nice, Orly, Roissy-Charles de Gaulle, Strasbourg et Toulouse.
[6] Bâle-Mulhouse, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Nice, Orly, Roissy-Charles de Gaulle, Strasbourg et Toulouse.
[7] Source : Autorité de Contrôle des Nuisances aéroportuaires (ACNUSA), www.acnusa.fr.
[8] Dans sa version modifiée par le décret 2005-935 du 2 août 2005, l’article R. 211-3 précité renvoie au montant fixé par l’article R. 122-8 du code de l’environnement, à savoir 1 900 000 euros.
[9] Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique.
[10] 226 mouvements en 1992, 514 en 1993 en raison de la convention susmentionnée, 466 en 1994 (dont 320 dus au cinquantième anniversaire du débarquement), 226 en 1995 et 238 en 1996.
[11] 32 mouvements en 1997, 24 en 1998, 52 en 1999, 62 en 2000, 69 en 2001, 73 en 2002, 68 en 2003, 121 en 2004, 141 en 2005, 198 en 2006, 239 en 2007 et 340 en 2008.
[12] De 18 388 passagers en 2001 à 91 896 passagers en 2008.
[13] Requérants Flamenbaum, Akierman, Célice, Lelièvre, Konstantyner, Morandi .
[14] Requérants Marie, Loisy, Beausire, Larbaour, M. Michel Laplanche.
[15] M. et Mme Trocmé, M. Daniel Laplanche.
[16] Source : site de l’aéroport de Deauville (www.deauville.aéroport.fr).
[17] Requérants Akierman, Flamenbaum, Célice, Konstantyner, Michel Laplanche, Loisy et Marie.