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DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 49445/07
présentée par Erol SOYUER et 46 autres requêtes
contre la Turquie

La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant le 21 juin 2011 en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Danutė Jočienė,
David Thór Björgvinsson,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Vu les requêtes susmentionnées introduites aux dates indiquées en annexes,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Les requérants sont des ressortissants turcs dont les noms, ainsi que ceux de leurs représentants devant la Cour, sont indiqués en annexe. Devant la Cour, le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

A. Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. Le contexte des affaires

2. Par un acte du 9 mars 1998 entre le ministère de l'Energie et des Ressources naturelles (ci-après « le ministère ») et la société ÇEAŞ, celle-ci obtint la concession jusqu'au 19 octobre 2058 de l'exploitation d'une centrale hydroélectrique, ce qui couvrait la production, le transport, la distribution et la revente de l'électricité.

3. Par un acte similaire du 9 mars 1998 entre la société KEPEZ et le ministère, celle-ci obtint la concession de l'exploitation d'une autre centrale électrique, jusqu'au 19 octobre 2058.

4. Le 20 février 2001, la loi no 4628 relative au marché de l'électricité modifia la loi no 3096 relative à la production, au transport, à la distribution et à la commercialisation de l'électricité par des sociétés autres que l'Administration de l'Electricité de Turquie. Conformément aux règles de la concurrence et du droit privé, cette loi avait pour objectif de fournir aux consommateurs une électricité suffisante, de bonne qualité et produite en continu dans le respect de l'environnement. A cet effet, cette loi instaura également le Conseil de régulation du marché de l'énergie (ci-après « EPDK »), autorité de contrôle en ce domaine.

5. Le 28 novembre 2002 fut publié au Journal Officiel (JO) le règlement sur les sociétés ayant plusieurs activités sur le marché de l'électricité. Selon les requérants, l'article 4 de ce règlement prescrivait aux sociétés ÇEAŞ et KEPEZ (ciaprès « les sociétés ») de transférer leurs réseaux de transport d'électricité à la société anonyme de transport d'électricité de Turquie (ci-après « TEİAŞ ») au plus tard le 31 décembre 2002.

6. Le 30 décembre 2002, les requérants contestèrent auprès du ministère et de l'EPDK la rupture sans indemnité du contrat de concession à la suite de l'entrée en vigueur de la loi no 4628.

7. Le 10 janvier 2003, les sociétés ÇEAŞ et KEPEZ introduisirent chacune un recours en référé devant le Conseil d'Etat pour demander l'annulation du règlement du 28 novembre 2002. Par la suite, le Conseil d'Etat rejeta ces recours.

8. Le 10 février 2003, le ministère demanda aux sociétés de se conformer à la loi no 4628, qui prévoyait le transfert de leurs réseaux de transport d'électricité à la TEİAŞ au plus tard le 31 décembre 2002. Le ministère indiqua que, le transfert des réseaux concernés n'ayant pas encore eu lieu, les sociétés avaient jusqu'au 28 février 2003 pour s'exécuter sous peine de rupture des contrats de concession (ci-après « les contrats »), conformément à l'article 19 de ceux-ci.

9. Le 11 juin 2003, après avoir énuméré les différents manquements par les sociétés concernées à leurs obligations contractuelles et légales, en particulier à celles découlant des lois no 4628 et no 3096, qui justifiaient sa décision, le ministère notifia aux requérants le transfert à la TEİAŞ des sites concernés, des infrastructures y afférentes ainsi que des moyens et des outils nécessaires à leur exploitation.

10. Par la décision no 2003/5712 du 12 juin 2003, publiée au JO le 17 juin 2003, le Conseil des ministres résilia les contrats de concession des sociétés.

11. Par une décision du 17 juin 2003, à la suite de l'annulation des contrats de concession accordés aux sociétés ÇEAŞ et KEPEZ, et conformément aux articles 47 c) et 16 j) du règlement relatif à la cotation, le conseil d'administration de la Bourse des valeurs mobilières d'Istanbul (İstanbul Menkul Kıymetler Borsası ci-après « İMKB ») informa le public que les titres de ces deux sociétés avaient été retirés de la cotation sur le marché boursier.

12. Par une décision du 19 juillet 2003, le Conseil du marché financier (Sermaye Piyasası Kurumu ci-après le « SPK ») annonça que les titres des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ ne pouvaient faire l'objet de transactions sur le marché boursier que par l'intermédiaire de sociétés de courtage.

2. La requête no 52401/08

13. Selon ses dires, le 1er septembre 2003, le requérant Önal Erendiz demanda à la direction du SPK d'annuler sa décision du 19 juillet 2003, prise à la suite de la décision de l'İMKB du 17 juin 2003, et de lui verser la valeur du portefeuille d'actions qu'il détenait dans la société ÇEAŞ.

14. Le 4 novembre 2003, à la suite du rejet de sa demande par le SPK, le requérant intenta contre la direction du SPK une action en annulation de la décision du 19 juillet 2003 devant le tribunal administratif d'Ankara.

15. Par un jugement du 23 mai 2006, le tribunal administratif d'Ankara rejeta la demande du requérant. Dans ses motifs, le tribunal indiqua qu'en raison des manquements de la société ÇEAŞ, la cotation des actions de la société avait été suspendue momentanément par deux fois sur le fondement de l'article 25 a) du règlement relatif à la cotation des titres et des actions de l'İMKB (Hisse Senetleri Piyasası Yönetmeliği) puis avait été reprise le 20 février 2003 ; ayant été informé de l'annulation du contrat de concession accordé à la société ÇEAŞ, l'İMKB avait publié dans son bulletin du 12 juin 2003 que les opérations sur les actions de la société avaient été suspendues momentanément, sur le fondement de l'article 25 du règlement de l'İMKB ; après la décision du Conseil des ministres du 12 juin 2003, publié au JO le 17 juin 2003, le conseil d'administration de l'İMKB s'était réuni le 17 juin 2003 et avait décidé, sur le fondement de l'article 47 c) et de l'article 16 j) du règlement relatif à la cotation et de l'article 5 b) du même règlement [abrogé à la suite de la modification du 8 août 2007], de retirer les actions de la société ÇEAŞ de la cotation sur le marché boursier puis de les radier définitivement du registre des valeurs cotées en Bourse ; le 19 juillet 2003, le SPK avait annoncé que les actions des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ ne pouvaient faire l'objet de transactions sur le marché boursier que par l'intermédiaire de sociétés de courtage. Le tribunal conclut que le risque de perte associé à la détention d'actions résultait du comportement de la société, qui n'avait pas agi conformément à la loi et au contrat de concession, de sorte que l'Etat ne pouvait pas être tenu pour responsable d'un dommage. Le tribunal considéra que cette perte financière était le résultat d'une activité commerciale qui ne pouvait engager la responsabilité de l'Etat et donner lieu à indemnisation.

16. Le 1er décembre 2006, le requérant contesta ce jugement devant le tribunal régional d'Ankara.

17. Par un jugement du 31 octobre 2007, le tribunal régional d'Ankara confirma le jugement attaqué.

18. Le 17 janvier 2008, le requérant forma un recours en rectification du jugement du 31 octobre 2007.

19. Par un jugement du 11 juin 2008, le tribunal régional d'Ankara rejeta ce recours.

3. Les autres requêtes

20. Entre juillet et novembre 2003, les requérants saisirent d'abord le ministère ou engagèrent directement devant les juridictions administratives – dont certaines étaient incompétentes eu égard à la nature des litiges – des actions en annulation des décisions du Conseil des ministres, au motif que l'annulation des contrats de concession des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ, suivie des décisions de l'İMKB du 17 juin 2003 et du SPK du 19 juillet 2003, avait entraîné pour l'Etat un enrichissement sans cause, ayant ainsi porté atteinte à leurs biens.

21. Entre mars et juin 2008, les juridictions administratives ainsi que la treizième chambre du Conseil d'Etat rejetèrent toutes ces actions au motif que le transfert à l'Etat des sites exploités et des infrastructures y afférentes ainsi que des moyens et des outils nécessaires à leur exploitation en raison du non-respect des obligations contractuelles par les sociétés ÇEAŞ et KEPEZ n'était pas contraire à la loi. Les tribunaux ajoutèrent que l'Etat n'avait pas commis de faute, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'indemniser les requérants en raison d'un acte, d'une omission ou d'une faute imputable à l'administration. L'Assemblée générale des chambres contentieuses du Conseil d'Etat (Danıştay Dava Daireleri Genel Kurulu) confirma l'arrêt de la treizième chambre du Conseil d'Etat.

4. Les bulletins du SPK et de l'İMBK

22. Dans ses bulletins et sur son site Internet, le SPK informa le public des difficultés concernant les deux sociétés concessionnaires. Il publia les informations suivantes :

le 21 mai 1999 : Conformément à l'article 47 et 16 du règlement relatif à la cotation, le SPK a radié les actions des deux sociétés concessionnaires et les a placées sous surveillance à partir du 25 mai 1999 au motif que les sociétés n'ont donné à la Bourse aucune information sur leur gestion et leurs activités respectives ;

le 25 mai 1999 : A la suite d'un audit mené par le SPK à partir du 18 novembre 1998, la société ÇEAŞ a refusé de coopérer et de répondre à ses demandes écrites ; une action a donc été engagée le 15 janvier 1999 devant le tribunal de grande instance d'Antalya ;

le 30 juin 2000 : Une action pénale ayant été engagée par le procureur de la République contre les dirigeants des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ pour n'avoir pas transmis les informations et les documents obligatoires, le SPK, conformément à l'article 25 a) de son règlement, a temporairement placé sous surveillance les actions de ces deux sociétés à partir du 30 juin 2000 ;

le 3 juillet 2000 : A la suite de son enquête, le SPK a décidé de maintenir la mesure de surveillance du 30 juin 2000 jusqu'à ce que la situation soit clarifiée ;

9 octobre 2000 : Conformément à l'article 25 a) de son règlement, le SPK a décidé de maintenir sa décision de placer temporairement sous surveillance les actions de ces deux sociétés ;

13 décembre 2000 : Avertissement à la société ÇEAŞ en raison d'un ordre de bourse émis en méconnaissance du règlement de la Bourse ;

9 avril 2001 : En raison du refus de la société KEPEZ de répondre aux demandes de l'İMKB du 4 octobre 2000 et du transfert des bénéfices de la société KEPEZ aux autres sociétés du groupe, des actions judiciaires ont été engagées contre la société KEPEZ, les sociétés du groupe et leurs dirigeants ;

le 7 août 2001, le 16 août 2002, le 2 septembre 2002, le 17 janvier 2003, le 18 février 2003 et le 24 février 2003, le SPK a pris de nouvelles mesures contre les sociétés ÇEAŞ et KEPEZ en raison d'un certain nombre d'irrégularités dans leurs comptes, de leur manque de coopération, de leur refus de donner des informations sur leurs comptes et leur gestion ainsi que de leur refus de se conformer à la nouvelle législation concernant le marché de l'électricité.

– le 12 juin 2003, à la suite de l'annulation des contrats de concession, les actions des deux sociétés furent temporairement retirées de la cotation sur le marché boursier.

23. Dans son bulletin du 2 au 6 octobre 2000 et sur son site Internet, l'İMKB publia les résultats de son audit. Il indiqua que les deux sociétés avaient méconnu leurs obligations contractuelles et légales, ce qui pouvait constituer des motifs de résiliation des contrats de concession. Dans son bulletin du 27 au 31 octobre 2003, l'İMKB informa les actionnaires des deux sociétés que des poursuites étaient engagées contre leurs dirigeants.

B. Le droit interne pertinent

24. L'article 167 § 1 de la Constitution (Contrôle des marchés et règlementation du commerce extérieur) est ainsi libellé :

« L'Etat prend les mesures susceptibles de garantir et de promouvoir le bon fonctionnement et la régularité des marchés monétaires, du crédit, des capitaux, des biens et des services ; il empêche la formation sur ces marchés de monopoles et de cartels de fait ou résultant d'une entente. »

25. Le règlement relatif à la cotation de l'İMKB dans son article 47 c) prévoit que, lorsque les licences nécessaires à la continuation des activités fondamentales d'une société ont été annulées, l'action de la société concernée peut être retirée de la cotation sur le marché boursier (anciennement article 16 j) du règlement relatif à la cotation de l'İMKB, dans sa forme publiée au JO le 13 mars 1995).

26. L'article 5 b) du règlement relatif à la cotation de l'İMKB (abrogé à la suite de la modification du 8 août 2007) s'appliquait à la direction et au contrôle des sociétés par action.

27. L'article 24 du règlement relatif à la cotation de l'İMKB concerne les situations dans lesquelles une action peut être retirée de la cotation sur le marché boursier. Le point i) prévoit la radiation de l'action d'une société lorsque les autorisations, les licences et les pouvoirs nécessaires à la continuation des activités fondamentales de la société ont été annulés ou sont échus.

28. L'article 25 du règlement relatif à la cotation de l'İMKB prévoit la suspension momentanée d'un titre lorsqu'il existe une information suffisamment importante pour influencer la décision d'un acheteur ou d'un vendeur et si la direction de l'İMKB estime qu'il convient d'en informer les acteurs de la bourse et les clients.

29. L'article 27 du règlement de la cotation de l'İMKB concerne la situation des actions des sociétés qui sont retirées de la cotation de l'İMKB. Les actions qui peuvent faire l'objet de transactions en dehors du marché de la cotation boursière peuvent être retirées momentanément ou définitivement de la cotation sur le marché boursier sur décision du Conseil d'administration de l'İMKB, notamment en vertu de l'article 24 i) du règlement de l'İMKB relatif à la cotation sur le marché boursier.

30. Le droit interne pertinent concernant la loi et la réglementation relatives à l'électricité ainsi que les clauses pertinentes des contrats de concession des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ se trouvent exposés dans l'affaire Uzan et autres c. Turquie (déc.), (no 18240/03, §§ 39-56, 29 mars 2011).

31. Le droit interne pertinent concernant les garanties légales et constitutionnelles accordées aux juges administratifs se trouve exposé dans les affaires Rahmi Saltuk c. Turquie (déc.), (no 31135/96, 24 août 1999) et Remziye Ergün et Hayri Aydemir c. Turquie (déc.), (nos 4394/04 et 35684/04, 14 décembre 2010).

GRIEFS

32. Dans toutes les requêtes, les requérants, invoquant l'article 1 du Protocole no 1, se plaignent d'avoir été spoliés de leurs actions après l'annulation des contrats de concession qui avaient été accordés aux sociétés ÇEAŞ et KEPEZ.

33. Quant aux requêtes nos 32621/08, 53720/08, 53723/08, 54014/08, 54015/08, 54018/08, 54024/08, 54138/08, 54192/08, 54196/08, 54197/08, 54199/08 et 60989/08, les requérants, invoquant les articles 13, 15 et 18 de la Convention, se plaignent du manquement de l'Etat aux obligations qui lui incombent au titre du droit au respect de leurs biens.

34. Concernant les requêtes nos 26923/08, 32621/08, 45848/08, 48506/08, 48594/08, 48626/08, 48643/08, 48661/08, 52401/08, 53720/08, 53723/08, 54014/08, 54015/08, 54018/08, 54024/08, 54138/08, 54192/08, 54196/08, 54197/08, 54199/08, 60989/08 et 61017/08, les requérants, invoquant l'article 6 de la Convention, se plaignent de la durée des procédures.

35. Pour ce qui est des requêtes nos 26923/08, 45848/08, 48506/08, 48594/08, 48626/08, 48643/08, 48661/08, 55884/08, 56323/08, 56325/08 et 61017/08, les requérants, invoquant l'article 6 de la Convention, se plaignent de l'appréciation erronée par les juridictions nationales des éléments de fait et de preuve, et contestent en substance la solution adoptée par ces juridictions. Par ailleurs, ils dénoncent le défaut de motivation des arrêts rendus par les juridictions internes.

36. En ce qui concerne les requêtes nos 32621/08, 53720/08, 53723/08, 54014/08, 54015/08, 54018/08, 54024/08, 54138/08, 54192/08, 54196/08, 54197/08, 54199/08 et 60989/08, les requérants, invoquant l'article 6 de la Convention, se plaignent que le ministère, en tant que partie défenderesse, n'a présenté aux tribunaux nationaux que les documents constituant des preuves à charge.

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

37. La Cour décide, en application de l'article 42 § 1 de son règlement, de joindre les requêtes, eu égard à leur similitude quant aux faits et aux questions juridiques qu'elles posent.

II. SUR LES EXCEPTIONS DU GOUVERNEMENT

38. Le Gouvernement soulève une exception d'irrecevabilité tirée de l'absence de qualité de victime des requérants en raison de leur qualité d'actionnaires minoritaires des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ.

39. Il soutient ensuite que la requête doit être rejetée pour incompatibilité ratione materiae, dans la mesure où il n'y a pas d'ingérence dans le droit de propriété des requérants au sens de l'article 1 du Protocole no 1 et des articles 1er, 6, 13, 15 et 18 de la Convention.

40. Enfin, il soulève une exception d'irrecevabilité, en plusieurs branches, tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

41. Les requérants contestent les exceptions soulevées par le Gouvernement.

42. La Cour n'estime pas nécessaire d'examiner les exceptions d'irrecevabilité soulevées par le Gouvernement, dans la mesure où les requêtes sont, en tout état de cause, irrecevables pour défaut manifeste de fondement pour les motifs indiqués ci-dessous (voir, parmi beaucoup d'autres, Hervé-Patrick et Béatrice Stella et la Fédération Nationale des Familles de France c. France (déc.), no 45574/99, 18 juin 2002 et L.M. et F.I. c. Italie (déc.), no 14316/02, 20 janvier 2009).

III. SUR L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

43. Les requérants, détenteurs d'actions des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ, se plaignent d'une atteinte à leur droit de propriété en raison de l'annulation des contrats de concession de ces sociétés, en méconnaissance de l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

44. Les requérants soutiennent avoir été spoliés de leurs actions après l'annulation des contrats de concession des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ et le transfert des concessions à l'Etat. Ils font valoir que l'annulation des contrats de concession en méconnaissance de l'article 19 des contrats, puis la suspension suivie de la radiation des actions des deux sociétés du registre des valeurs cotées en Bourse, constituent une atteinte à leurs biens au sens de l'article 1 du Protocole no 1. Ils estiment que cette ingérence constitue une mainmise de l'Etat sur leurs actions.

A. Thèses des parties

45. Le Gouvernement souligne qu'à aucun moment, il n'a demandé le transfert des actions des requérants à l'Etat. Les requérants restent propriétaires des actions des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ. Ils peuvent échanger leurs actions entre particuliers ; d'ailleurs, certains des actionnaires ont procédé ainsi après la radiation des titres du registre des valeurs cotées en Bourse. Le Gouvernement rappelle qu'aucun des requérants n'a été privé de ses actions. Il n'y a pas eu d'expropriation de fait, ni de transfert de propriété des actions, ni de saisie des actions des requérants ou des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ. Il indique que les sociétés n'ont pas non plus été nationalisées et qu'à aucun moment, l'Etat n'a pris le contrôle de ces sociétés. Les actions des deux sociétés ont été radiées du registre des valeurs cotées en Bourse conformément à la loi applicable en la matière. Les requérants étaient propriétaires de leurs actions avant la décision de radiation prise par l'İMKB ; ils continuent à rester propriétaires des actions des sociétés qu'ils possédaient après cette décision.

46. Le Gouvernement explique que, comme tout investisseur, les requérants, en leur qualité d'actionnaires, ont pris le risque d'une perte de valeur de leurs actions. Le droit national n'accorde pas un droit à compensation au cas où les actions d'une société perdraient de leur valeur. Il considère que les requérants auraient dû être conscients des risques liés à la mauvaise gestion des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ. Selon lui, un actionnaire diligent aurait dû évaluer le risque de diminution de la valeur des actions des sociétés et de leur radiation à la suite de l'annulation des contrats de concession, et se tenir informé de la réglementation en la matière ainsi que des avertissements du Gouvernement adressés aux sociétés concernées. D'autant plus que l'İMKB a notamment publié dans ce but des bulletins et des informations sur son site Internet. Par ailleurs, le SPK surveillait tous les développements importants concernant les sociétés et en a informé les investisseurs dans son bulletin et sur son site Internet. Le Gouvernement relève que ces informations ont été par ailleurs diffusées par les médias. Il explique que les actions des deux sociétés ont été placées sous surveillance par le SPK en mai 1999, dans la mesure où les sociétés n'avaient pas donné les renseignements requis à l'İMKB. Selon l'article 47 c) et l'ancien article 16 j) du règlement de l'İMKB, les actions d'une société ayant perdu un permis, une licence ou un certificat d'autorisation pour l'exploitation de son activité peuvent être suspendues temporairement ou définitivement. Le 17 juin 2003, l'İMKB a pris une telle décision, conformément à la loi, à la suite de l'annulation des contrats de concession des deux sociétés concessionnaires.

47. Pour le Gouvernement, une telle mesure, qui a entraîné la radiation des actions des requérants du registre des valeurs cotées en Bourse, ne peut pas s'analyser en une privation de propriété mais en une réglementation des biens qui ne leur a pas imposé une charge exorbitante. Cette mesure serait conforme à l'intérêt général et poursuivrait un but légitime, à savoir celui de réguler la sécurité des marchés financiers, des opérations boursières, des investisseurs et des actionnaires, pour assurer le bon fonctionnement de l'économie et encourager l'investissement des acteurs nationaux et internationaux. Cette mesure avait pour but d'assurer la transparence des opérations de bourse, la sécurité des marchés et de protéger les investisseurs potentiels des risques liés aux deux sociétés ÇEAŞ et KEPEZ.

48. Les requérants contestent les arguments du Gouvernement et réitèrent leurs allégations.

B. Appréciation de la Cour

49. La Cour se réfère aux principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l'article 1 du Protocole no 1 (voir, entre autres, James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 37, AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 48, série A no 108, Gasus Dosier - und Fördertechnik GmbH c. Pays-Bas, 23 février 1995, § 55, série A no 306B, et J.A. Pye (Oxford) Ltd et J.A. Pye (Oxford) Land Ltd c. Royaume-Uni [GC], no 44302/02, §§ 52-55, CEDH 2007X).

50. La Cour rappelle qu'elle a déjà considéré qu'une action d'une société commerciale, ayant une valeur économique, constitue un bien au sens de l'article 1 du Protocole no 1 (Olczak c. Pologne (déc.), no 30417/96, § 60, CEDH 2002X (extraits)). Partant, constatant que les requérants en l'espèce possèdent des actions des sociétés concessionnaires, la Cour conclut que les requérants ont des « biens » au sens de l'article 1 du Protocole no 1.

51. La Cour constate qu'en raison de la radiation des actions des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ du registre des valeurs cotées en Bourse, les requérants ne peuvent pas exécuter d'opérations boursières relatives à leurs actions sur le marché boursier. Toutefois, la Cour relève qu'il n'y a pas eu confiscation ni même saisie des actions des requérants. L'ingérence dénoncée par les requérants ne saurait donc passer pour une expropriation formelle ni même de fait, mais constitue pour l'Etat un moyen de réglementer l'usage des biens des requérants (AGOSI, précité, § 51, Air Canada c. Royaume-Uni, 5 mai 1995, § 34, série A no 316A et Gasus Dosier - und Fördertechnik GmbH, précité, § 59). Partant, il y a lieu d'examiner les requêtes sous l'angle du second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1.

52. Dans les circonstances des présentes affaires, la Cour relève que l'ingérence subie par les requérants était fondée sur l'article 47 c) du règlement relatif à la cotation de l'İMKB. Cet article détaille les conséquences juridiques et financières sur les actions d'une société de l'annulation des autorisations ou des licences nécessaires à la poursuite de son activité. Cet article permettait donc à l'İMKB de retirer les actions des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ de la cotation sur le marché boursier à raison de l'annulation des contrats. En outre, la Cour relève que rien n'indique que cette disposition réglementaire, soumise au contrôle des juridictions nationales compétentes, ait été imprécise ou imprévisible (Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986, § 110, série A no 102). Il s'ensuit que la mesure litigieuse était prévue par la loi, conformément à l'article 1 du Protocole no 1.

53. La Cour rappelle que, dans les domaines qui relèvent de la politique qu'un Etat entend mener en matière économique, fiscale ou sociale, les autorités nationales jouissent d'une ample marge d'appréciation de ce qui constitue l'intérêt général de la communauté (James et autres, précité, § 46, Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 109, CEDH 2005VI, et Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, § 166, CEDH 2006VIII). Elle a maintes fois déclaré respecter la manière dont l'Etat conçoit les impératifs de l'« utilité publique » ou de « l'intérêt général », sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable (Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 49, CEDH 1999-V et Fleri Soler et Camilleri c. Malte, no 35349/05, § 65, CEDH 2006X).

54. La Cour relève que la suspension, puis la radiation, des actions d'une société cotée en Bourse a pour but d'assurer la transparence des opérations de bourse et la sécurité des marchés financiers afin de protéger les investisseurs actuels et à venir. A cet égard, elle a déjà établi qu'une marge d'appréciation était particulièrement indispensable en matière commerciale (voir, mutatis mutandis, Vgt Verein gegen Tierfabriken c. Suisse, no 24699/94, § 69, CEDH 2001VI), spécialement dans un domaine tel que le marché boursier, dont les dysfonctionnements peuvent avoir des répercussions lourdes sur les marchés financiers nationaux ou internationaux et entraîner des conséquences économiques parfois dévastatrices pour l'économie des Etats défendeurs. Pour la Cour, la mesure de radiation a également eu pour but de protéger les investisseurs nationaux mais aussi internationaux souhaitant acheter ou vendre des actions des sociétés concernées sur le marché boursier d'Istanbul. Par conséquent, elle conclut que la mesure critiquée poursuivait un but légitime conforme à l'intérêt général, comme l'exige le second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1.

55. Il reste donc à examiner, en dernier lieu, si les autorités nationales ont ménagé un « juste équilibre » entre l'intérêt général de la communauté et le droit des requérants au respect de leurs biens.

56. Selon une jurisprudence bien établie, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure appliquée par l'Etat, y compris les mesures destinées à réglementer l'usage des biens d'un individu (AGOSI, précité, § 52). C'est ce qu'exprime la notion du « juste équilibre » qui doit être ménagé entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (J.A. Pye (Oxford) Ltd et J.A. Pye (Oxford) Land Ltd, précité, § 75). Le souci d'assurer un tel équilibre se reflète dans la structure de l'article 1 du Protocole no 1 tout entier. Dans chaque affaire portant sur une allégation de violation de cet article, la Cour doit donc vérifier si l'ingérence de l'Etat a fait peser sur la personne concernée une charge disproportionnée et excessive (James et autres, précité, § 50).

57. La Cour est bien consciente que la radiation des actions des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ du registre des valeurs cotées en Bourse est la conséquence de l'annulation par l'Etat des contrats de concession dont bénéficiaient les intéressées. A cet égard, la Cour rappelle que, s'agissant de l'annulation des contrats de ces sociétés, elle a déjà eu l'occasion de rejeter pour défaut manifeste de fondement un grief selon lequel l'annulation de ces contrats ne serait pas conforme à l'article 1 du Protocole no 1, au motif que la rupture des contrats avait été opérée conformément à la loi no 4628 relative au marché de l'électricité, et à l'article 8 de la loi no 3096 et à l'article 19 des contrats. La Cour avait estimé que la rupture des contrats pour faute, sans le versement d'une indemnité, ne saurait passer pour une mesure disproportionnée à la réglementation de l'usage des biens opérée dans un but d'intérêt général (Uzan et autres c. Turquie (déc.), no 18240/03, § 109, 29 mars 2011).

58. Ensuite, la Cour relève qu'avant et après l'annulation de ces contrats, les autorités de régulation des marchés financiers et boursiers avaient déjà souligné un certain nombre de manquements ou de fautes de la part des sociétés concessionnaires, qui ont eu pour conséquence la suspension ou la radiation des actions de ces sociétés du registre des valeurs cotées en Bourse pour une durée temporaire ou définitive. En effet, d'après les informations données par les parties, au moins depuis mai 1999, d'une part, les sociétés avaient été placées à différentes dates sous la surveillance du SPK et, d'autre part, en raison des irrégularités qu'elles avaient commises ou bien des manquements à leurs obligations relatives au marché financier et boursier, l'İMKB avait déjà pris des mesures de suspension temporaire des actions des sociétés concernées (paragraphes 22-23 ci-dessus).

59. La Cour constate que les requérants ont acheté de leur plein gré les actions des sociétés concernées sur le marché libre de la Bourse alors que, d'après les informations données par les parties, il existait des risques réels liés à la mauvaise gestion des sociétés. Par ailleurs, les requérants ne pouvaient pas prétendre au rachat ou au remboursement de leurs actions par l'Etat défendeur ou toute autorité compétente à la suite de la radiation des actions des sociétés concernées du registre des valeurs cotées en Bourse en raison de l'annulation des contrats de concession. Dans ce contexte, la Cour relève que les juridictions nationales, qui ont examiné la cause des requérants, ont en particulier constaté que la responsabilité de l'Etat ne pouvait pas être engagée pour dédommager les requérants à raison d'une quelconque perte, dans la mesure où l'annulation des titres des actions des sociétés de la Bourse était le résultat du comportement fautif de ces sociétés (paragraphe 15 ci-dessus). En effet, la mesure que les requérants dénoncent ne les a pas privés de leurs biens dans la mesure où ils restent propriétaires de leurs actions, même s'ils ne peuvent pas les négocier sur le principal marché boursier. C'est pourquoi la Cour est d'avis que les autorités nationales n'ont pas violé l'obligation que leur fait l'article 1 du Protocole no 1 de prendre les mesures nécessaires à la protection du droit au respect des biens. Cette obligation doit être lue à la lumière de l'ample marge d'appréciation de l'Etat selon laquelle il peut réglementer l'usage des biens d'un individu pour mener une politique économique et sociale, sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable (James et autres, précité, § 46). Par ailleurs, les requérants ont pu bénéficier de garanties procédurales devant les juridictions nationales compétentes, lesquelles ont contrôlé la légalité et le bien-fondé de la mesure réglementaire contestée.

60. Les requérants ne peuvent pas prétendre ou exiger une indemnisation pour une situation qui est imputable aux sociétés concernées dont les requérants avaient acheté les actions pour faire fructifier leur investissement. L'espérance des requérants d'obtenir un gain à hauteur des actions qu'ils détiennent si les sociétés font des bénéfices doit aller de pair avec le risque de ne pas faire de gain voire, le cas échéant, de perdre leur investissement de départ si les sociétés ne sont pas dirigées avec toute la diligence requise ou si elles méconnaissent leurs obligations contractuelles.

61. Partant, la Cour conclut que les requérants, propriétaires d'actions des sociétés ÇEAŞ et KEPEZ, n'ont pas supporté une charge spéciale et exorbitante en raison de la radiation des actions de ces sociétés du registre des valeurs cotées de la Bourse d'Istanbul, et qu'il n'y a pas eu rupture de l'équilibre entre les intérêts de la communauté et ceux des requérants.

62. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR LES ARTICLES 13, 15 ET 18 DE LA CONVENTION COMBINÉS AVEC L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

63. Les requérants se plaignent du manquement de l'Etat aux obligations qui lui incombent au titre du droit au respect de leurs biens. Ils invoquent les articles 13, 15 et 18 de la Convention combinés avec l'article 1 du Protocole no 1. Eu égard à la formulation du grief des requérants, la Cour estime qu'il y a lieu de l'examiner sous l'angle du droit des requérants à un recours interne effectif au sens de l'article 13 de la Convention (Şerife Yiğit c. Turquie [GC], no 3976/05, §§ 51-52, CEDH 2010...), ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

64. Le Gouvernement conteste les allégations des requérants et soutient qu'il existait des voies de recours internes disponibles, lesquelles ont été utilisées par les requérants.

65. La Cour a déclaré manifestement mal fondé le grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1. Dès lors, en l'absence d'un « grief défendable » (MPP Petrol c. Ukraine (déc.), no 62605/00, § 144, 25 mars 2008), le grief tiré de l'article 13 de la Convention est également manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

V. LES AUTRES ARTICLES DE LA CONVENTION

A. Sur la durée de la procédure

66. Dans les requêtes nos 26923/08, 32621/08, 45848/08, 48506/08, 48594/08, 48626/08, 48643/08, 48661/08, 52401/08, 53720/08, 53723/08, 54014/08, 54015/08, 54018/08, 54024/08, 54138/08, 54192/08, 54196/08, 54197/08, 54199/08, 60989/08 et 61017/08, les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable », tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

67. D'abord, le Gouvernement explique que, dans la mesure où il s'agit d'un litige purement économique, l'article 6 de la Convention ne s'applique pas aux présentes requêtes. Ensuite, il soutient que la durée des procédures suivies devant les juridictions internes n'était pas excessive, eu égard à la complexité des questions soulevées, à la législation et aux règlements applicables en la matière et à la multitude des procédures suivies devant les juridictions administratives. Il soutient que certains requérants ont contribué à la durée des procédures car ils n'ont pas saisi les juridictions administratives compétentes conformément au code de procédure administrative. Il indique que plus de six cents actions similaires à celle des requérants ont été introduites devant la treizième chambre du Conseil d'Etat, compétente pour juger des questions économiques. En 2004, une nouvelle chambre a été créée au sein du Conseil d'Etat pour faire face à cet engorgement du rôle de la haute juridiction. Le Gouvernement indique que cette mesure a été saluée le 19 juin 2009 par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe.

68. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Daneshpayeh c. Turquie, no 21086/04, § 26, 16 juillet 2009). De même, si l'article 6 § 1 de la Convention prescrit la célérité des procédures judiciaires, il consacre aussi le principe, plus général, d'une bonne administration de la justice (Boddaert c. Belgique, 12 octobre 1992, § 39, série A no 235D).

69. La Cour constate qu'en l'espèce, les procédures engagées devant les juridictions nationales ont duré environ quatre ans et neuf mois pour deux degrés de juridiction, certains tribunaux ayant été saisis à trois reprises.

70. A supposer même que l'article 6 § 1 de la Convention s'applique aux présentes affaires (Dogmoch c. Allemagne (déc.), no 26315/03, CEDH 2006XIII), la Cour prend note des informations présentées par le Gouvernement selon lesquelles plus de six cents actions ont été introduites devant les juridictions administratives, en particulier devant la treizième chambre du Conseil d'Etat, chargée de traiter ce type de litiges. A cet égard, la Cour tient compte également du fait que l'Etat défendeur a organisé son système judiciaire, en créant une chambre spéciale pour traiter ces litiges, afin de réduire les délais des procédures en vue d'une bonne administration de la justice (voir, en sens contraire, Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 24, CEDH 2000IV).

71. Ensuite, eu égard à la durée des procédures prises dans leur globalité ainsi qu'à l'absence de périodes d'inactivité devant les juridictions nationales, du nombre et de la complexité des affaires similaires soumises aux juridictions nationales, la Cour estime que, dans les circonstances particulières des présentes affaires, la durée des procédures répond à l'exigence du « délai raisonnable » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

72. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Sur l'équité de la procédure

73. Dans les requêtes nos 26923/08, 45848/08, 48506/08, 48594/08, 48626/08, 48643/08, 48661/08, 55884/08, 56323/08, 56325/08, 61017/08 et nos 32621/08, 53720/08, 53723/08, 54014/08, 54015/08, 54018/08, 54024/08, 54138/08, 54192/08, 54196/08, 54197/08, 54199/08 et 60989/08, les requérants se plaignent du manque d'équité de la procédure en contestant l'appréciation des preuves, l'application et l'interprétation du droit interne et la solution retenue par les juridictions judiciaires ainsi que le manque d'indépendance et d'impartialité des juridictions administratives. Ils invoquent une méconnaissance de l'article 6 § 1 de la Convention, lequel, dans sa partie pertinente, se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

74. Le Gouvernement soutient que les procédures menées devant les juridictions nationales ont été équitables et contradictoires. Les requérants ont eu la possibilité de présenter leurs prétentions, de produire les éléments de preuve qu'ils souhaitaient et de contester les éléments de preuve présentés par l'Etat défendeur. Ils ont eu la possibilité de produire tous les éléments de preuves à l'appui de leurs prétentions et d'attirer l'attention des juridictions nationales sur tout document pertinent. Le Gouvernement fait valoir que les juridictions nationales ont examiné toutes les preuves soumises à leur appréciation, elles ont même demandé la production d'éléments pertinents et ont rendu leurs décisions à l'issue de procédures équitables. Il soutient que les juridictions nationales n'ont pas commis d'erreur dans l'appréciation des faits ou dans l'application de la loi nationale, et que leurs décisions étaient motivées. Enfin, se référant aux garanties constitutionnelles et légales dont jouissent les juridictions administratives, le Gouvernement soutient que celles-ci sont indépendantes et impartiales.

75. Les requérants dénoncent de nouveau le manque d'indépendance et d'impartialité des juridictions administratives, ce qui aurait entaché l'équité des procédures menées devant celles-ci.

76. Tout d'abord, la Cour rappelle qu'elle ne peut apprécier elle-même les éléments de fait ayant conduit une juridiction nationale à adopter telle décision plutôt que telle autre ; sinon, elle s'érigerait en juge de quatrième instance et elle méconnaîtrait les limites de sa mission (Kemmache c. France (no 3), 24 novembre 1994, § 44, série A no 296-C). En particulier, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). La Cour a pour seule fonction, au regard de l'article 6 de la Convention, d'examiner les requêtes alléguant que les juridictions nationales ont méconnu des garanties procédurales spécifiques énoncées par cette disposition ou que la conduite de la procédure dans son ensemble n'a pas garanti un procès équitable au requérant (Papadopoulou c. Grèce, no 53311/08, § 25, 16 septembre 2010).

77. Dans les présentes affaires, la Cour n'aperçoit aucune apparence d'arbitraire dans la manière dont les tribunaux internes ont statué sur les prétentions des requérants. Par ailleurs, elle ne voit pas de raison de remettre en cause, dans les présentes affaires, l'appréciation des juridictions nationales, à qui il incombe au premier chef d'interpréter leur compétence et d'appliquer le droit interne (Fabre c. France, no 69225/01, § 21, 2 novembre 2004). En effet, rien ne permet de penser que les procédures, au cours desquelles les requérants ont pu présenter tous leurs arguments, n'ont pas été équitables.

78. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

79. Ensuite, la Cour relève qu'il ressort des jugements des tribunaux administratifs et des arrêts du Conseil d'Etat que les demandes des requérants ont été rejetées au motif que le transfert à l'Etat des sites exploités et des infrastructures y afférentes ainsi que des moyens et des outils nécessaires à leur exploitation en raison du non-respect des obligations contractuelles par les sociétés ÇEAŞ et KEPEZ n'était pas contraire au droit, et que l'Etat n'avait pas commis de faute, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'indemniser les requérants en raison de l'absence d'un acte ou d'une faute imputable à l'administration. Dans ses arrêts, l'Assemblée générale des chambres contentieuses du Conseil d'Etat, statuant en droit, a constaté que les arrêts de la treizième chambre du Conseil d'Etat avaient été rendus conformément à la procédure et à la loi et que les moyens avancés par les requérants n'étaient pas de nature à lui permettre d'infirmer les arrêts attaqués. A la lumière des circonstances des présentes affaires et de sa jurisprudence bien établie (Helle c. Finlande, 19 décembre 1997, § 55, Recueil des arrêts et décisions 1997VIII et Gülperi Balo c. Turquie (déc.), no 2379/10, 8 février 2011), la Cour estime qu'il a été satisfait à l'obligation de motivation contenue dans l'article 6 § 1 de la Convention.

80. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

81. Enfin, quant au grief des requérants tiré du manque d'indépendance et d'impartialité des juges siégeant dans les tribunaux administratifs, la Cour rappelle qu'elle a déjà examiné et déclaré manifestement mal fondé un grief similaire à celui présenté par les requérants (Rahmi Saltuk c. Turquie (déc.), no 31135/96, 24 août 1999 et Remziye Egün et Hayri Aydemir c. Turquie (déc.), nos 4394/04 et 35684/04, 14 décembre 2010). Ayant examiné les présentes affaires à la lumière des garanties constitutionnelles et légales accordées aux juges administratifs, et en l'absence d'une argumentation pertinente qui rendrait sujettes à caution leur indépendance et impartialité, la Cour conclut que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour,

à l'unanimité,

Décide de joindre les requêtes ;

et à la majorité,

Déclare les requêtes irrecevables.

Stanley Naismith Françoise Tulkens
Greffier Présidente


ANNEXE

Numéro des requêtes et noms des représentants

Nom des requérants

Date d'introduction des requêtes

49445/07

M.A. Sayıner

E. et H. Soyuer

Le 6 novembre 2007

15642/08

M.A. Sayıner

Ahmet Sert

Le 18 mars 2008

26923/08

F.S. Yurdakul

Avni Serdar Şentürk

Le 30 mai 2008

32621/08

A. Becerik

Kazım Zülfikar

Le 1er juillet 2008

45848/08

F.S. Yurdakul

Fatma Deniz Özkan

Le 15 septembre 2008

48506/08

A. Yıldırım

48506/08

(suite)

Sevinç Arı

Hüseyin Halil Aksoy

Serkan Aktulum

Birsen Albaybeyoğlu

Mustafa Arslan

Erol Aygüneş

Müge Aygüneş

Asım Cin

Nihat Çoşkunman

Fatma Çandar

Mehmet Zeki Dedehayır

Ismail Erdemci

Hakan Ertürk

Fahri Ersoy

Gökmen Garip

Senem Garip

Turan İnci

Erhan İpekçiler

Gülşen İpekçiler

Ejder Kale

Emel Kırmızı

Mümin Ali Kırmızı

Mustafa Nadir

M. Mustafa Özer

Zafer Öztürk

Mustafa Sağdıç

Tali Sertyamaş

Faik Sezen

Hülya Süren

Halil Şaib

Muhittin Şen

Sebile Şen

Serkan Şen

Ayhan Tekçi

Fatma Reyhan Tunalı

Sevim Ulu

Ahmet Ender Utkan

Ayse Mesteniyaz Utkan

Mehmet Nuri Varoğlu

Mustafa Vatansever

Mustafa Vural

Hacı Osman Yıldırım

Zeki Yılmaz

Le 22 septembre 2008

48594/08

A. Yıldırım

Ahmet Hakan İpekçiler

Ertan Adaş

Sadık Altıntaş

Mehmet Annaç

Feridun Arslan

Türkan Baltacı

Hasan Tahsin Çetin

Hasan Kara

Mehmet Kara

Mustafa Kara

Saadet Kara

Yavuz Kaya

Evgin Korkmaz

Nil Nadir

Emel Palabıyık

Farika Yanardağ

Hasan Kara

Farika Yanardağ

Türkan Baltacı

Saadet Kara

Mustafa Kara

Zehra Tacizer Güvenç

Le 23 septembre 2008

48626/08

A. Yıldırım

Kemal Aktaş

Emine Özlem Kara

Mustafa Baltacı

M. Cihan Güvenç

S. Cenk Güvenç

Erol Hakçı

Fatma Kara

Aziz Kılıç

Mehmet Emin Özer

Abdurrahman Yıldırım

Ali Rıza Yıldırım

Sait Yıldırım

Saniye Yıldırım

Mustafa Kara

Abdurrahman Yıldırım

Le 24 septembre 2008

48643/08

A. Yıldırım

48643/08

(suite)

Ali Berkan Ateş

Hasan Tahsin Çetin

Cahit Tosçu

Cihan Özkan

Lemi Sümer

Arto Maramyan

Mardo Maramyan

Engin Saçkan

Ahmet Yurtseven

Aykut Mehmet Kesici

Sener Fıçıcıoğlu

Belgin Canayakın

Serhat Canayakın,

Selma Canayakın,

Murat Canayakın.

H. Mesut Canayakın

Zeki Yılmaz

Serap Yılmaz

Ömer Vatansever

Le 25 septembre 2008

48661/08

A. Yıldırım

Emine Karadağ

Emine Özlem Kara

Cihan Özkan

Lemi Sümer

Arto Maramyan

Ahmet Yurtseven

H. Mesut Canayakın

Aykut Mehmet Kesici

Günay Törker

Süheyla Araz

Serhat Canayakın,

Selma Canayakın

Murat Canayakın

Le 26 septembre 2008

52401/08

Z.G. Önal

Erendiz Önal

Le 14 octobre 2008

53720/08

Ş. Giral

Ömer Rıza Çam

Le 3 novembre 2008

53723/08

Ş. Giral

Ali Islanmaz

Le 3 novembre 2008

54014/08

Ş. Giral

Emre Göncü

Le 3 novembre 2008

54015/08

Ş. Giral

Hacı Ahmet

Salih Madra

Le 3 novembre 2008

54018/08

Ş. Giral

Nazan Okay

Le 3 novembre 2008

54024/08

Ş. Giral

Murat Çınar Köklü

Le 3 novembre 2008

54138/08

Ş. Giral

Ahmet Islanmaz

Le 3 novembre 2008

54192/08

Ş. Giral

Cihat Şenturan

Le 4 novembre 2008

54196/08

Ş. Giral

Selim Sühan Seçkin

Le 4 novembre 2008

54197/08

Ş. Giral

Mustafa Çalık

Le 4 novembre 2008

54199/08

Ş. Giral

Adnan Cezairli

Le 4 novembre 2008

54789/08

A. Aldanmaz.

M. Altan Veziroğlu

Le 10 novembre 2008

54790/08

A. Aldanmaz

Aldülkadir Veziroğlu

M. Alkan Veziroğlu

Le 10 novembre 2008

54791/08

A. Aldanmaz

Mustafa Uysal

Le 11 novembre 2008

54792/08

A. Aldanmaz

Türkan Uysal

Le 11 novembre 2008

54794/08

A. Aldanmaz

Ahmet Güran

Le 10 novembre 2008

54796/08

A. Aldanmaz

Asuman Güreli

Le 10 novembre 2008

54799/08

A. Aldanmaz

Kadriye Tuba Uysal

Le 10 novembre 2008

54800/08

A. Aldanmaz

Hulusi Can Uysal

Le 10 novembre 2008

54802/08

A. Aldanmaz

Servet Sargın

Le 10 novembre 2008

54803/08

A. Aldanmaz

Yasemin Karahan

Le 10 novembre 2008

54804/08

A. Aldanmaz

Tanbey Veziroğlu

Le 10 novembre 2008

54806/08

A. Aldanmaz

Kadir İnal

Le 10 novembre 2008

54809/08

A. Aldanmaz

Şenel Beyazgül

Le 10 novembre 2008

54812/08

A. Aldanmaz

Yusuf Aydoğdu

Le 10 novembre 2008

54815/08

A. Aldanmaz

Kenan Başkan

F. Hatice Başkan

Le 10 novembre 2008

54819/08

A. Aldanmaz

Hamdi Göbel

Le 11 novembre 2008

54821/08

A. Aldanmaz

Meral et Şahin Topbaş

Le 11 novembre 2008

54825/08

A. Aldanmaz

Meral et Şahin Topbaş

Le 11 novembre 2008

54828/08

A. Aldanmaz

Canan Uysal

Le 11 novembre 2008

55884/08

Feyyaz Canik

Murat Cetintürk,

Le 6 novembre 2008

56323/08

F. Canik

Duran Tantekin

Le 6 novembre 2008

56325/08

F. Canik

Duran Tantekin

Le 7 novembre 2008

57326/08

A. Aldanmaz

Salih Mehmet

Turan

Le 18 novembre 2008

60989/08

K. Çebi

İbrahim Haselçin

Le 5 décembre 2008

61017/08

Ş. Çığgın

Levent Başkaya

Le 5 décembre 2008