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Rozhodnutí
PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 38110/08
présentée par Georgios SAKELLAROPOULOS
contre la Grèce
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 6 janvier 2011 en une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,
Christos Rozakis,
Anatoly Kovler,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Giorgio Malinverni,
George Nicolaou, juges,
et de Søren Nielsen, greffier,
Vu la requête susmentionnée introduite le 23 juillet 2008,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Georgios Sakellaropoulos, est un ressortissant grec, né en 1925 et résidant à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. M. Apessos, conseiller auprès du Conseil juridique de l’Etat, et M. D. Kalogiros, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant est avocat et franc-maçon, membre de la loge « Orfefs ». Par deux décisions du 4 mars 1996, le conseil disciplinaire de la loge, statuant en tant que juridiction de première instance, prononça à l’encontre du requérant une sanction de suspension.
Le requérant saisit alors le conseil disciplinaire, en tant que juridiction de deuxième degré, composé de neuf membres. Le 19 juin 1996, le conseil disciplinaire rejeta son recours.
Le 19 septembre 1996, le conseil disciplinaire prononça la radiation du requérant.
Le 28 avril 1998, le requérant saisit le tribunal de grande instance d’Athènes d’une action tendant à faire reconnaître que la loge n’avait aucune autorité disciplinaire sur lui et que les décisions du conseil disciplinaire étaient nulles et non avenues. Par un jugement du 10 décembre 1999, le tribunal le débouta au motif que la loge maçonnique, dont il était membre, n’avait pas la qualité de justiciable. Le 21 avril 2000, la cour d’appel d’Athènes confirma ce jugement.
Le 22 septembre 2000, le requérant saisit le tribunal de grande instance d’Athènes composé de trois membres, d’une action déclaratoire tendant à faire reconnaître qu’il n’existait aucun lien disciplinaire entre lui et la loge maçonnique et à obtenir l’annulation de trois décisions le concernant. Il alléguait, entre autres, que les conseils disciplinaires de la loge maçonnique n’avaient aucune existence légale, que la procédure devant eux n’était pas publique, que les membres de la loge avaient étendu de manière abusive leurs compétences aux questions disciplinaires, que la décision de première instance le condamnait pour d’autres raisons que celles mentionnées dans l’acte d’accusation et que les cinq « juges » récusés avaient participé à l’examen de la demande de récusation.
Par un jugement du 14 novembre 2002, le tribunal de grande instance se déclara incompétent et renvoya l’affaire devant la même juridiction composée d’un seul juge, au motif que l’union de personnes était assimilable à une association et que seule cette dernière juridiction était compétente en la matière.
Le requérant notifia son action à l’Etat, en particulier au ministère de la Santé chargé de surveiller la loge maçonnique, et l’invita à intervenir dans la procédure afin d’éclairer le tribunal quant à l’action et à la politique de la loge. L’Etat refusa d’intervenir.
L’audience devant le tribunal de grande instance, siégeant avec un juge unique, eut lieu le 13 mars 2003.
Par un jugement du 14 mai 2003, le tribunal rejeta l’action du requérant pour défaut de qualité pour agir de celui-ci. Il considéra que pour les unions de personnes, les dispositions relatives aux associations étaient applicables, et que la loge disposait d’un statut qui ne mentionnait pas, parmi les motifs pouvant conduire à l’annulation d’une décision d’un conseil disciplinaire, que les mêmes juges ne pouvaient participer successivement en première instance et en appel.
Le 19 mars 2004, le requérant interjeta appel tant contre la décision du tribunal de grande instance, composé de trois membres, que contre celle du tribunal siégeant avec un juge unique devant la cour d’appel d’Athènes. Il soutenait que les décisions de la loge étaient nulles et non avenues et qu’ainsi il devait être considéré comme n’ayant jamais été radié de celle-ci.
Les appels furent joints et les débats eurent lieu le 2 novembre 2004.
Le 3 février 2005, la cour d’appel débouta le requérant. Elle considéra qu’il ressortait du statut et du règlement de la loge que celle-ci était une union de personnes sans but lucratif, organisée et fonctionnant comme une association sans en avoir formellement le statut. Ses rapports légaux étaient régis d’abord par ses statuts, puis de manière accessoire par les dispositions pertinentes du code civil relatives aux associations. Les statuts de la loge indiquaient de manière spécifique les actes et omissions de ses membres, constituant des infractions disciplinaires, les organes compétents pour infliger des sanctions, ainsi que la procédure à suivre à cet égard. En conséquence, la loge pouvait exercer un pouvoir disciplinaire sur le requérant et ses décisions de suspension, puis de radiation, n’étaient pas nulles. Quant à l’allégation du requérant selon laquelle il avait le droit de demander l’annulation de ces décisions sur le fondement des articles 88 et 101 du code civil, ce droit se trouvait prescrit, car le délai requis pour exercer le recours était écoulé.
Le 7 avril 2006, le requérant se pourvut en cassation.
L’audience, initialement fixée au 17 septembre 2007, fut ajournée au 21 janvier 2008, en raison de la tenue des élections législatives du 16 septembre 2007.
Le 12 mars 2008, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle releva que l’union de personnes constitue une « association non reconnue » et que les relations qu’elle fait naître sont régies par son statut et, de manière subsidiaire, par les articles du code civil relatifs aux associations. L’arrêt de la cour d’appel avait à juste titre admis que la loge exerçait un pouvoir disciplinaire sur le requérant et que, par conséquent, les décisions attaquées étaient valables.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
Les articles pertinents du code civil disposent :
Article 61
« Une union de personnes, en vue de poursuivre un but déterminé, de même qu’un ensemble de biens affectés au service d’un but déterminé, peuvent acquérir la personnalité juridique, si les conditions inscrites dans la loi ont été observées. »
Article 101
« Une décision de l’assemblée de l’association encourt la nullité si elle méconnaît la loi ou le statut. La nullité est prononcée par le tribunal à la suite d’une action d’un membre qui n’a pas été d’accord avec la décision ou de toute autre personne ayant un intérêt pour agir. L’action ne peut pas être exercée après l’écoulement d’un délai de six mois à compter de la décision de l’assemblée (...). »
Article 107
« Aux unions de personnes créées en vue de la poursuite d’un but, et ne constituant pas une association, sont applicables, s’il n’est pas disposé autrement, les dispositions relatives aux sociétés. Lorsqu’une telle union est convertie en association, le transfert de biens à celle-ci s’opère suivant les dispositions générales. »
Les articles 78 à 106 du code civil régissent les associations, soit l’union de vingt personnes physiques au moins, qui n’ont pas de but lucratif et disposent d’une personnalité juridique qu’elles acquièrent par décision judiciaire lorsque certaines conditions prévues par la loi se trouvent remplies.
GRIEF
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée excessive de la procédure.
EN DROIT
Le requérant allègue un dépassement du délai raisonnable de la procédure. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
1) En premier lieu, le Gouvernement conteste l’applicabilité de l’article 6 en l’espèce. Il souligne que devant les juridictions nationales, le requérant tendait à obtenir un jugement déclaratoire, selon lequel la loge n’avait pas de pouvoirs disciplinaires et non l’annulation d’une de ses décisions. Les juridictions saisies ont interprété le droit du requérant en jeu devant elles comme le droit d’un membre d’une « union de personnes » de solliciter l’annulation d’une décision de celle-ci par application analogique des dispositions relatives aux associations. Or, ce droit avait été prescrit avant l’introduction tant de la première action que de la seconde.
Le requérant rétorque que son litige relevait de la sphère « civile » car les tribunaux devaient, d’une part, se fonder sur l’article 107 du code civil et, d’autre part, juger qu’il n’existait pas de lien de nature disciplinaire entre lui et la loge.
La Cour rappelle que, pour que l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer sous sa rubrique « civile », il faut qu’il y ait « contestation » sur un « droit » « de caractère privé » (sur ce point particulier, voir, par exemple, l’arrêt Allan Jacobsson c. Suède du 25 octobre 1989, série A no 163, § 72) que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne. Il doit s’agir d’une « contestation » réelle et sérieuse ; elle peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. L’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1 (voir, par exemple, l’arrêt Balmer-Schafroth c. Suisse du 26 août 1997, Recueil des arrêts et décision 1997-IV, § 32).
En l’espèce, la Cour note qu’en saisissant le tribunal de grande instance, le requérant soutenait qu’il n’existait aucun lien de nature disciplinaire entre lui et la loge et que, par conséquent, les décisions de celle-ci lui infligeant une peine de suspension, puis de radiation, étaient nulles et non avenues. Il tendait tant à faire reconnaître l’absence de tout pouvoir disciplinaire à son encontre qu’à obtenir l’annulation des décisions litigieuses des conseils disciplinaires.
Derrière la question de la détermination de la nature de la loge à laquelle appartenait le requérant, à savoir la distinction entre une union de personnes et une association, l’enjeu de la procédure devant les tribunaux saisis par le requérant consistait en la possibilité pour lui de continuer à être membre de la loge, et donc la confirmation de son droit de faire partie d’une association, droit qui revêt un caractère civil.
La Cour rappelle à cet égard que dans l’arrêt Apeh Üldözötteinek Szövetsége et autres c. Hongrie (no 32367/96, §§ 34-35, 5 octobre 2000), elle a conclu qu’une procédure relative à l’enregistrement d’une association portait sur les droits de caractère civil de celle-ci, même si au regard de la législation interne, la question de la liberté d’association relevait du domaine du droit public.
Or, dans la présente affaire, il s’agissait d’un litige entre particuliers portant sur le droit d’association, droit reconnu tant par la Constitution grecque que par la Convention. La reconnaissance de l’absence de tout pouvoir disciplinaire de l’association à l’encontre du requérant et, à titre subsidiaire, l’annulation des décisions litigieuses du conseil disciplinaire, auraient permis au requérant de continuer à bénéficier de ce droit. Pour se prononcer sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 en l’espèce, la Cour tient compte du fait que le requérant a eu accès à un tribunal en vertu du droit national. Même si les juridictions civiles l’ont débouté, elles se sont fondées sur les dispositions pertinentes du code civil et ont en réalité statué sur la contestation relative au droit susmentionné de l’intéressé (voir, mutatis mutandis, Vilho Eskelinen et autres c. Finlande, [GC] no 63235/00, §§ 62 et 63, 19 avril 2007).
La Cour en déduit que l’article 6 § 1 était applicable à la procédure devant les juridictions grecques. Partant, il y a lieu de rejeter l’exception soulevée à cet égard par le Gouvernement.
2) En deuxième lieu, le Gouvernement soutient que si l’affaire en tant que telle n’était pas complexe, elle présentait néanmoins un problème d’application des dispositions légales aux faits de la cause, ce qui a eu pour conséquence le renvoi de l’affaire de la formation collégiale du tribunal de grande instance à une formation avec un juge unique. De plus, le requérant aurait attendu respectivement dix et quatorze mois après le prononcé des décisions du tribunal de grande d’instance et de la cour d’appel pour interjeter appel et se pourvoir en cassation.
Le requérant rétorque que la durée de la procédure n’était pas justifiée car l’affaire n’était pas complexe, lui-même n’avait pas demandé d’ajournement d’audience et les juges de tous les degrés de juridiction qui ont eu à connaître de l’affaire, avaient été d’accord quant à l’interprétation de l’article 107 du code civil.
La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
La période à considérer a débuté le 22 septembre 2000, avec la saisine du tribunal de grande instance d’Athènes, et a pris fin le 12 mars 2008, avec l’arrêt de la Cour de cassation. La procédure litigieuse a donc duré sept ans et six mois environ pour trois degrés de juridiction.
La Cour note que si la procédure a duré du 22 septembre 2000 au 12 mars 2008, il convient d’abord de ne pas imputer aux autorités judiciaires les périodes pendant lesquelles le requérant est resté inactif avant d’interjeter appel ou de se pourvoir en cassation : du 14 mai 2003 au 19 mars 2004 pour l’appel et du 3 février 2005 au 7 avril 2006 pour le pourvoi, soit plus de deux ans.
Ainsi, la procédure devant le tribunal de grande instance a duré trois ans, cinq mois et onze jours, celle devant la cour d’appel dix mois et quinze jours et celle devant la Cour de cassation deux ans et quinze jours. Or la Cour relève que la procédure devant le tribunal de grande instance a donné lieu à deux jugements, ce qui s’expliquait par la nécessité de décider sur des règles de compétence. La procédure devant la Cour de cassation a été retardée à cause de la tenue des élections législatives du 16 septembre 2007, fait qui ne saurait être imputé aux autorités judiciaires, et la Cour note que l’audience a été fixée à une date rapprochée après cet ajournement.
En somme, compte tenu des considérations précitées et du fait que le requérant ne fait état d’aucun retard particulier imputable aux autorités, la Cour estime que le délai de la procédure dans la présente affaire ne saurait être considéré comme déraisonnable.
Il s’ensuit que la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Déclare la requête irrecevable.
Søren Nielsen Nina Vajić
Greffier Présidente