Přehled
Rozsudek
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE STOYCHEV c. BULGARIE
(Requête no 29381/04)
ARRÊT
STRASBOURG
21 décembre 2010
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Stoychev c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en un comité composé de :
Rait Maruste, président,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Zdravka Kalaydjieva, juges,
et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 novembre 2010,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 29381/04) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Stilian Georgiev Stoychev (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 juillet 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me K. Donchev, avocat à Roussé. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme R. Nikolova, du ministère de la Justice.
3. Le 2 février 2009, le président de la cinquième section a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 5 §§ 1 e), 4 et 5, et de l’article 8 au Gouvernement. En application du Protocole no »14, la requête a été attribuée à un Comité de trois juges.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1963 et réside à Drinovo.
5. Le 4 mars 1999 à 18 heures, il fut appréhendé par la police. Celle-ci avait en effet été avertie par la mère de l’intéressé indiquant que ce dernier lui avait adressée de multiples menaces de meurtre. Elle avait déjà fait l’objet d’agression de la part de son fils.
6. Le requérant se vit notifier un mandat contenant les motifs d’arrestation et fut informé qu’il avait droit à un avocat.
7. Le 5 mars 1999, il fut placé en hôpital psychiatrique, en exécution d’une ordonnance du procureur de district en vertu de l’article 185 du code de procédure pénale. Le procureur avait en effet ordonné que des examens psychiatriques soient effectués afin de déterminer la nécessité d’un traitement médical obligatoire conformément à l’article 36 de la loi sur la santé publique. L’ordonnance indiquait qu’il existait un risque réel que l’intéressé commette une infraction pénale grave et que dès lors il convenait de prendre des mesures urgentes de prévention, comprenant entre autre l’examen psychiatrique obligatoire.
8. A l’hôpital, le requérant subit des examens. Une expertise psychiatrique fut établie le 2 avril 1999. Selon celle-ci, l’intéressé souffrait de troubles de la personnalité, mais son état de santé ne requérait pas le placement en hôpital pour un traitement psychiatrique obligatoire.
9. Le requérant quitta l’hôpital le 7 avril 1999.
10. A une date non précisée en 2001, il introduisit une action en dommages et intérêts devant le tribunal de district (Районен съд) contre la police et le parquet. Il soutint en effet que son arrestation du 4 mars 1999, ainsi que le placement en hôpital psychiatrique avaient été irréguliers et demanda dès lors une réparation pour le préjudice allégué.
11. Par un jugement du 26 octobre 2001, le tribunal de district rejeta cette action. Le requérant interjeta appel. Par un arrêt du 27 mai 2002, le tribunal d’appel (Апелативен съд) confirma le jugement de la première instance. L’intéressé se pourvut en cassation. Par un arrêt du 15 mars 2004, la Cour suprême de cassation confirma la décision de la cour d’appel.
12. Les juridictions considérèrent, d’une part, que le requérant n’avait pas introduit un recours pour contester la légalité de l’arrestation par la police, ni un recours contre l’ordonnance du procureur de placement en hôpital psychiatrique, ce qui constituait une condition pour engager la responsabilité des autorités. D’autre part, concernant les mesures de traitement médical obligatoire avec internement, les tribunaux estimèrent que la responsabilité de l’Etat ne pouvait être engagée que lorsque celles-ci étaient imposées par les tribunaux, et non par le parquet. Par ailleurs, en ordonnant qu’une expertise psychiatrique soit réalisée, le procureur n’avait pas décidé d’un traitement obligatoire et n’avait pas outrepassé les pouvoirs que lui conférait l’article 185 du code de procédure pénale, à savoir prendre toute mesure nécessaire afin de prévenir l’accomplissement d’une infraction.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le code de procédure pénale (CPP) de 1974
13. En vertu de l’article 185 dudit code (disposition qui a été abrogée le 30 mai 2003), applicable au moment des faits, le procureur était tenu d’entreprendre toutes les mesures nécessaires à empêcher la perpétration d’une infraction pénale dont on pouvait supposer la commission.
14. Par ailleurs, le CPP de 1974 prévoyait en son article 181 que les ordonnances rendues par un procureur étaient susceptibles d’un recours auprès du procureur supérieur. Le droit applicable ne prévoyait pas la possibilité d’introduire un recours auprès d’un tribunal contre une ordonnance du procureur portant sur le placement en hôpital psychiatrique.
B. La loi sur la santé publique de 1973 (Закон за народното здраве)
15. En vertu de l’article 36 alinéas 3 à 6, combiné avec les articles 59 à 62 de cette loi, telle qu’applicable à l’époque des faits, une personne souffrant de troubles mentaux pouvait être soumise à un traitement psychiatrique obligatoire en vertu de la décision d’un tribunal de district.
16. La procédure judiciaire était engagée sur proposition du procureur de district qui était tenu d’effectuer au préalable une enquête, destinée à évaluer la nécessité d’une telle procédure. A cet effet, le procureur invitait la personne concernée à se soumettre à un examen psychiatrique.
17. En cas de refus de l’intéressé, le procureur pouvait ordonner qu’il soit hospitalisé de force dans un établissement psychiatrique pour permettre la réalisation d’une expertise (article 61 de la loi). La durée maximale de ce placement était de trente jours, pouvant être prolongée jusqu’à trois mois dans des cas exceptionnels.
C. La loi sur la santé de 2004 (Закон за здравето)
18. Cette loi, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, a abrogé la loi sur la santé publique de 1973. En vertu de ses articles 146 à 164, le placement et le traitement obligatoire en établissement psychiatrique des personnes atteintes de troubles mentaux s’effectuent sur décision d’un tribunal de district. Désormais seul le tribunal est compétent pour ordonner la réalisation d’une expertise et, si nécessaire, le placement de l’intéressé pour les besoins de l’expertise, et ce après avoir entendu en audience publique la personne concernée, assistée par un conseil, et un psychiatre.
D. Responsabilité délictuelle de l’Etat
19. La loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat pour les dommages causés aux particuliers (Закон за отговорността на държавата и общините за вреди, titre modifié en 2006) prévoit en son article 1 que l’Etat est responsable des dommages causés aux particuliers du fait des actes irréguliers de ses organes dans l’accomplissement de leurs fonctions en matière administrative. L’article 2-1 de cette loi dispose que l’Etat est responsable des dommages causés aux particuliers du fait d’une détention, lorsque celle-ci a été annulée pour absence de fondement légal.
20. Par ailleurs, l’article 2-4 de la même loi dispose que l’Etat est responsable pour l’application, sur décision d’un tribunal, des mesures médicales obligatoires lorsque celles-ci ont été annulées pour faute de base légale.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 e) DE LA CONVENTION
21. Le requérant se plaint d’avoir été privé de sa liberté de manière irrégulière et arbitraire à l’occasion de son placement en hôpital psychiatrique, du 5 mars 1999 au 7 avril 1999, contrairement à l’article 5 § 1 e) de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
e) s’il s’agit de la détention régulière (...) d’un aliéné (...) ; »
22. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes, considérant que le requérant n’a pas contesté l’ordonnance du procureur de district du 5 mars 1999 auprès du procureur supérieur, conformément à l’article 181 du CPP de 1974.
A. Sur la recevabilité
23. La Cour note que l’exception de non-épuisement ainsi soulevée est étroitement liée au fond du grief tiré de l’article 5 § 4 concernant l’existence des voies de recours internes pour contester la légalité du placement du requérant en hôpital psychiatrique et il convient dès lors de la joindre à l’examen au fond de cette disposition. La Cour constate par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
24. La Cour constate que le requérant a été placé dans un établissement psychiatrique contre son gré du 5 mars 1999 au 7 avril 1999, en exécution d’une décision du procureur de district. De l’avis de la Cour, cette situation s’analyse en une « privation de liberté » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par les parties.
25. La Cour rappelle que pour respecter l’article 5 § 1, une privation de liberté doit être « régulière » et effectuée « selon les voies légales ». En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33 ; Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 46 ; Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 47, CEDH 2003‑IV).
26. En outre, en vertu de la jurisprudence de la Cour, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir, parmi d’autres, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X ; Hutchison Reid c. Royaume-Uni, précité, § 48).
27. Dans une série d’affaires contre la Bulgarie, la Cour a constaté une violation de l’article 5 § 1 en ce que le droit bulgare, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits et jusqu’à la réforme intervenue le 1er janvier 2005, ne fournissait pas le niveau de protection requis contre l’arbitraire dans la mesure où il ne prévoyait pas la consultation d’un médecin comme condition préalable à la décision de placement en vue d’un examen psychiatrique obligatoire (Varbanov c. Bulgarie, précité, §§ 50-53 ; Kayadjieva c. Bulgarie, no 56272/00, §§ 33-41, 28 septembre 2006 ; Kroushev c. Bulgarie, no 66535/01, §§ 41 et 44, 3 juillet 2008 ; Getzov c. Bulgarie, no 30105/03, §§ 20-24, 4 mars 2010).
28. La Cour ne relève aucune raison de se distinguer de cette conclusion dans le cas de l’espèce, le requérant ayant été détenu du 5 mars 1999 au 7 avril 1999, en application des dispositions internes qui ont été considérées déficientes au regard de l’article 5 § 1. Elle retient en effet que, malgré l’existence d’une certaine urgence provoquée par le comportement du requérant, son placement a eu lieu sur décision d’un procureur, fondée sur la seule base des déclarations de la mère de l’intéressé, sans l’avis préalable d’un médecin spécialiste sur l’état actuel de celui-ci, même sur pièces, cet avis n’étant pas exigé par la loi. Même en admettant que des psychiatres ont examiné le requérant après son placement à l’hôpital, rien n’indique que l’on ait demandé leur avis sur la nécessité de l’internement, la décision du procureur étant déjà prise (voir Varbanov c. Bulgarie, précité, § 48 et Kayadjieva c. Bulgarie, précité, § 35).
29. Dans ces circonstances, la Cour n’estime pas établi de manière probante que lors du placement du requérant celui-ci souffrait d’un trouble d’une ampleur justifiant son internement.
30. Ce placement n’a dès lors pas constitué la « détention régulière (...) d’un aliéné » au sens de l’article 5 § 1 e) (Varbanov c. Bulgarie, précité, §§ 45-47 ; R.L. et M.-J.D. c. France, no 44568/98, § 114-117, 19 mai 2004).
31. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 e).
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
32. Le requérant dénonce une violation de son droit à disposer d’un recours effectif permettant qu’il soit statué sur la légalité de sa détention. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, qui dispose :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
33. Le Gouvernement conteste ses affirmations en soumettant que le requérant aurait dû contester l’ordonnance de placement du procureur par le biais du contrôle hiérarchique.
A. Sur la recevabilité
34. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
35. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 garantit à toute personne privée de sa liberté le droit de faire contrôler par un tribunal la régularité de sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention. Pour constituer un « tribunal », une autorité doit être indépendante de l’exécutif et des parties ; elle doit aussi fournir les garanties fondamentales de procédure, adaptées à la nature de la privation de liberté dont il s’agit (Varbanov c. Bulgarie, précité, § 58 ; Hutchison Reid c. Royaume-Uni, précité, §§ 63 à 65).
36. Le contrôle juridictionnel voulu par cette disposition peut se trouver incorporé à la décision initiale d’internement si celle-ci est prise par une autorité constituant un « tribunal » au sens de l’article 5 § 4. Si la procédure suivie par l’organe qui ordonne l’internement ne fournit pas ces garanties, le droit interne doit permettre un recours effectif à une seconde autorité présentant toutes les garanties d’une procédure judiciaire (Varbanov c. Bulgarie, ibid.).
37. En l’espèce, le placement initial du requérant a été ordonné par un procureur de district auquel il manquait l’indépendance et l’impartialité voulues par l’article 5 § 4, dans la mesure où il pouvait ultérieurement devenir partie à la procédure judiciaire visant à l’obtention du placement psychiatrique du requérant (paragraphe 16 ci-dessus) (Varbanov c. Bulgarie, précité, § 60). En outre, le processus de prise de décision de cet organe n’était assorti d’aucune garantie procédurale. Par ailleurs, aucun recours juridictionnel contre un tel placement n’était prévu en droit interne, la décision du procureur n’étant susceptible d’un recours qu’auprès du procureur supérieur (Todev c. Bulgarie, no 31036/02, § 39, 22 mai 2008).
38. Dès lors, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement et de conclure à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention en ce que le nécessaire contrôle de la légalité de la détention n’était ni incorporé à la décision initiale de placement du requérant ni assuré par les possibilités d’appel existantes.
39. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION
40. Le requérant se plaint de l’inexistence d’un recours en droit interne qui lui aurait permis d’obtenir une réparation pour ses griefs tirés de l’article 5 §§ 1 e) et 4. Il invoque l’article 5 § 5 de la Convention, libellé comme suit :
« Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »
41. Le Gouvernement soutient que le requérant aurait pu obtenir un dédommagement en vertu de la loi sur la responsabilité de l’Etat.
42. La Cour note d’abord que l’internement du requérant en hôpital psychiatrique ayant emporté violation de l’article 5 §§ 1 e) et 4 de la Convention (paragraphes 31 et 39 ci‑dessus), le cinquième paragraphe de cette disposition est applicable, de sorte que l’intéressé devait disposer au plan interne d’un droit exécutoire à réparation de son préjudice.
43. Pour ce qui est de la violation constatée de l’article 5 § 1 e), la Cour relève que la disposition pertinente, soit l’article 2-1 de la loi sur la responsabilité de l’Etat, prévoit l’octroi d’une indemnisation dans l’hypothèse de privation de liberté ayant pour origine une décision ou une ordonnance annulée pour « manque de base légale » en droit interne (paragraphe 19 ci‑dessus). Or, il apparaît en l’espèce que l’ordonnance de placement du procureur du 5 mars 1999 a été établie en conformité avec le droit interne et le requérant ne pouvait dès lors se prévaloir d’un droit à indemnisation, un constat qu’on fait également les tribunaux en l’espèce (paragraphe 12 ci-dessus, voir aussi Bojilov c. Bulgarie, no 45114/98, §§ 80‑81, 22 décembre 2004, Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, § 74, 24 mars 2005 et Hristova c. Bulgarie, no 60859/00, § 137, 7 décembre 2006). Par ailleurs, le droit à réparation prévu par l’article 2-4 de la loi en question ne peut être mis en œuvre qu’en cas de traitement médical forcé ordonné par un juge – non par un procureur – (paragraphe 20 ci-dessus), ce qui a été confirmé en l’espèce par les juridictions statuant sur l’action en indemnisation du requérant (paragraphe 12 ci-dessus). Le Gouvernement n’a pas non plus établi que cette disposition a été applicable en l’occurrence.
44. De même, l’absence de recours judiciaire n’étant pas illégal en droit bulgare, le requérant ne pouvait se prévaloir de la possibilité offerte par la loi susmentionnée pour obtenir une compensation pour la violation de l’article 5 § 4.
45. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 5.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
46. Le requérant se plaint par ailleurs d’une atteinte à sa vie privée en raison des examens médicaux obligatoires pendant son placement en hôpital psychiatrique. Il invoque l’article 8, ainsi libellé dans ses parties pertinentes :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Sur la recevabilité
47. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
48. Compte tenu de sa conclusion ci-dessus de violation de l’article 5 § 1 e), la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 8 de la Convention.
V. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
49. Invoquant l’article 5 §§ 1, 2 et 3, le requérant se plaint de l’illégalité prétendue de son arrestation par la police du 4 au 5 mars 1999, de l’absence d’information sur les raisons de cette arrestation, ainsi que du défaut de traduction devant un juge pendant sa privation de liberté.
50. En ce qui concerne cette partie de la requête, compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
51. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
52. Le requérant réclame 40 000 euros (EUR) pour préjudice moral.
53. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
54. La Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer une somme de 4 000 EUR au requérant au titre du dommage moral.
B. Frais et dépens
55. Le requérant demande également 5 000 dollars américains (USD) et 100 levs bulgares (BGN) pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
56. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
57. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 600 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
58. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 1 e), 4 et 5, ainsi que de l’article 8 relatifs au placement du requérant en hôpital psychiatrique du 5 mars 1999 au 7 avril 1999, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 e) de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;
5. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 8 de la Convention ;
6. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares au taux applicable à la date du règlement :
i. 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 600 EUR (six cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 décembre 2010, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stephen Phillips Rait Maruste
Greffier adjoint Président