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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
27.7.2010
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ION POPESCU c. ROUMANIE

(Requête no 6332/04)

ARRÊT

STRASBOURG

27 juillet 2010

DÉFINITIF

22/11/2010

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Ion Popescu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Luis López Guerra, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 juillet 2010,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 6332/04) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Ion Popescu (« le requérant »), a saisi la Cour le 13 janvier 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Horaţiu-Răzvan Radu, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le 15 juin 2009, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3 il a en outre été décidé que la Chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1929 et réside à Bucarest.

5. En 1992, le requérant introduisit devant le tribunal de première instance de Târgu-Jiu une action en revendication d'un terrain agricole d'une surface de 1,6 hectares (« ha ») inclus dans le certificat d'hérédité no 74/1956.

6. Par un jugement du 24 janvier 1992, le tribunal accueillit son action et ordonna à V.D. et V.V. de laisser au requérant la possession dudit terrain, inscrit dans le certificat d'hérédité de 1956. A une date non précisée, ce jugement devint définitif et fut revêtu de la formule exécutoire.

7. Par un courrier du 28 juin 1994, la préfecture de Gorj indiqua au requérant qu'en vertu du certificat d'hérédité no 74/1956 et du jugement du 24 janvier 1992 il était inscrit sur le registre agricole pour les biens mentionnés.

A. Démarches en vue de l'exécution du jugement du 24 janvier 1992 concernant le terrain agricole

1. Procédure d'exécution entamée par l'huissier

8. A une date non-précisée, le requérant démarra la procédure d'exécution forcée du jugement du 24 janvier 1992. Le 26 septembre 1997, un huissier mit V.D et V.V. en demeure d'obtempérer. Le 15 octobre 1998, l'huissier dressa un procès-verbal d'exécution qui mentionnait notamment ce qui suit :

« Il est exigé du demandeur [qu'il indique...] la position du terrain [...] ainsi que les terrains voisins de ce dernier, mentions qui ne figurent pas au dispositif du jugement à exécuter.

Le requérant précise qu'il va entamer une contestation à l'exécution en vue de l'élargissement du dispositif [...] »

9. Le requérant saisit le tribunal de première instance de Târgu-Jiu d'une action en rectification d'erreur matérielle du jugement du 24 janvier 1992, demandant que l'étendue du terrain mentionnée dans le certificat d'hérédité soit précisée. Par un jugement avant dire droit du 27 mai 1999, le tribunal rejeta son action au motif que la demande du requérant visait des questions de fond, qui ne pouvaient pas être tranchées dans le cadre d'une action en rectification d'une erreur matérielle.

10. Par des attestations de 1998, 1999, 2001 et 2003, la mairie de Dragoteşti confirma que sur le registre agricole, le terrain de 1,6 ha était inscrit au nom du requérant, le nom de V.D. étant rayé en conformité avec les dispositions du jugement du 24 janvier 1992. En revanche, il ressort d'un courrier du 17 septembre 2003 du tribunal de première instance de Târgu-Jiu, que le jugement du 24 janvier 1992 ne fit pas l'objet d'une transcription dans les registres fonciers afin de le rendre opposable aux tiers.

11. Par courrier du 23 mai 2003, la mairie de Dragoteşti, en réponse à une lettre du requérant, informa ce dernier qu'un titre administratif attestant de la reconstitution de son droit de propriété ne pouvait pas lui être délivré, parce que les terrains agricoles et forestiers dont il demandait la restitution ne faisaient pas l'objet des lois de restitution, n'ayant pas été nationalisés.

2. Démarches auprès des autorités administratives en vue de l'exécution du jugement du 24 janvier 1992

12. Le requérant s'adressa à la direction du recensement immobilier et du cadastre en vue d'obtenir l'exécution du jugement. Par un courrier du 10 septembre 1992, cette dernière lui répondit qu'elle n'était pas compétente pour la mise à exécution des décisions de justice, indiquant que la compétence revenait à la commission locale de Dragoteşti chargée de l'application de la loi no 18/1991, sur le fonds foncier (« loi no 18/1991 »).

13. Le 30 janvier 1998, le tribunal départemental de Gorj répondit à un courrier de réclamation adressé par le requérant au ministère de la Justice en lui conseillant d'entamer la procédure d'exécution forcée.

14. Le 18 août 1998, la préfecture de Gorj répondit à un mémoire adressé par le requérant qui se plaignait de ne pas pouvoir jouir de la possession du terrain. Elle fit savoir au requérant qu'il devait entamer la procédure d'exécution forcée, elle-même n'étant pas compétente pour régler les aspects soulevés par le requérant.

15. Par courrier du 17 octobre 2001, la direction invita le requérant à s'adresser au conseil local de Dragoteşti, qui était le seul compétent pour opérer les modifications dans les registres du cadastre en conformité avec le jugement du 24 janvier 1992. Dans le courrier, il était précisé que dans la commune de Dragoteşti, les terrains n'avaient pas été nationalisés au sens de la loi no 18/1991. Par un autre courrier du 11 novembre 2003, la direction informa le requérant qu'il devait s'adresser à une personne agréée afin qu'elle dresse le plan du terrain et ses alentours pour qu'il puisse prendre possession de son terrain.

16. Le requérant saisit la préfecture de Gorj de plusieurs courriers en réclamation, demandant à être mis en possession de ses terrains. Par un courrier du 11 février 2003, la préfecture lui répondit qu'en application du jugement du 24 janvier 1992, il était inscrit dans le registre agricole de la commune de Dragoteşti (« poziţie de rol ») à compter du 5 novembre 1993.

17. En revanche, par d'autres courriers de 2003, 2004 et 2005, la préfecture indiqua que la mise en possession relevait de la seule compétence de la commission locale chargée de l'application de la loi no 18/1991 (« commission locale »). Par ailleurs, elle informa le requérant que, depuis le 5 novembre 1993, il figurait dans le registre agricole de la commune.

18. En 2004, le requérant se plaignit auprès du ministère de l'Intérieur et de l'Administration publique. Ce dernier lui conseilla de s'adresser à un huissier en vue de l'exécution du jugement du 24 janvier 1992.

3. Autres démarches en vue d'obtenir le terrain agricole

19. A une date non précisée le requérant forma contre N.D. et L.V. une plainte pénale pour trouble de possession d'un terrain d'une surface de 1 969 m², faisant partie des 1,6 hectares de terrain appartenant au requérant. Par un arrêt définitif du 7 décembre 1998, le tribunal départemental de Gorj rejeta la plainte du requérant et acquitta N.D. et L.V. Le tribunal constata en effet que, depuis 1976, le requérant n'était pas en possession de la surface objet du litige et qu'en outre, celle-ci faisait partie du terrain pour lequel le requérant avait obtenu le jugement du 24 janvier 1992, qui demeurait néanmoins inexécuté.

20. A une date non précisée en 2001, le requérant introduisit une action dirigé contre V.D. et N.T. et les commissions locale et départementale respectivement, tendant à les obliger à annuler une décision du 23 septembre 1991 de la commission locale ainsi que les attestations de reconstitution du droit de propriété délivrées au nom de V.D. et N.T. Il faisait valoir que par la décision et les attestations contestées, les autorités locales compétentes pour la reconstitution des propriétés avaient illégalement attribué à V.D. et N.T. les terrains forestiers et agricoles, propriétés de ses parents, et qu'ils les occupaient illégalement, sans aucun droit.

21. Par un jugement du 6 novembre 2001, le tribunal de première instance de Motru constata que les terrains, parmi lesquels le terrain agricole d'une surface de 1,6 hectares divisé en plusieurs parcelles, étaient inscrits dans le registre agricole au nom de la mère du requérant qui les avait possédés jusqu'en 1958. Constatant par la suite que ces terrains n'avaient jamais été cédés au profit des anciennes coopératives agricoles, le tribunal conclut que la loi no 18/1991 n'était pas applicable et rejeta de ce fait l'action du requérant. Le tribunal constata en effet que, par courrier du 28 juin 1994, la préfecture de Gorj avait fait savoir au requérant, qu'en vertu du jugement du 24 janvier 1992, il était inscrit au registre agricole, le nom de V.D. étant radié. Par ailleurs, le tribunal estima que le requérant bénéficiait du jugement du 24 janvier 1992 pour faire valoir son droit de propriété sur le terrain agricole.

22. Sur recours du requérant, ce jugement fut confirmé par un arrêt définitif du 12 juin 2002 du tribunal départemental de Gorj. Le tribunal départemental estima, lui aussi, que si le requérant estimait que des tiers occupaient d'une manière abusive et illégale ses terrains, il pouvait entamer une nouvelle action en revendication, dans l'hypothèse où le droit de demander l'exécution forcée du jugement du 24 janvier 1992 était prescrit.

23. Par lettres des 29 août et 3 novembre 2003, le procureur près la Cour suprême de justice informa le requérant de son refus d'introduire un recours en annulation contre l'arrêt du 12 juin 2002.

24. Le 17 mars 2006, le requérant introduisit une action tendant à obliger les commissions locale et départementale respectivement à faire les démarches nécessaires et à le mettre en possession des terrains hérités de ses parents. Par un jugement du 27 juin 2006, le tribunal de première instance de Motru rejeta l'action du requérant. Pour décider ainsi, le tribunal s'appuya sur les déclarations du requérant devant le tribunal, dans lesquelles il avait déclaré que son intention n'était pas de poursuivre le procès à l'encontre des deux commissions, mais d'obtenir que le tribunal statue sur la validité des actes attestant de son droit de propriété.

25. En 2008, le requérant entama une nouvelle procédure à l'encontre des deux commissions administratives afin de les obliger à lui délivrer le titre de propriété pour les terrains agricoles et forestiers hérités de ses parents. Il faisait valoir que les autorités n'avaient pas exécuté le jugement du 24 janvier 1992. Par un jugement du 19 janvier 2009, le tribunal de première instance de Motru constata que le requérant avait été invité, en application des dispositions de la loi no 18/1991, pour être mis en possession des terrains forestiers, mais ne s'était pas présenté. Par ailleurs, pour ce qui est du terrain de 1,6 ha, le tribunal ajouta que le registre agricole avait été modifié en application du jugement du 24 janvier 1992. Le requérant n'informa pas la Cour de l'issue de cette procédure.

26. Le requérant forma des plaintes pénales contre V.D. et V.V. et des autorités de la mairie, en dénonçant au principal, en vertu de l'article 271 du code de procédure civile, leur opposition à l'exécution forcée. Par décision du 4 février 2009, le procureur près le tribunal de première instance de Motru constata que l'exécution forcée relevait de la seule compétence de l'huissier et rendit un non-lieu. Le requérant n'a pas précisé s'il a formé un recours contre cette décision.

4. État actuel du terrain

27. Par un courrier du 26 juin 2007, en réponse à une lettre du requérant demandant son inscription dans le livre foncier, la mairie l'informa qu'il devait contacter un spécialiste en vue de dresser la fiche cadastrale. Il ressort d'une copie envoyée par le requérant, qu'un plan technique a été dressé par l'ingénieur V.G., spécialiste du cadastre, en vue de faire inscrire un immeuble à destination d'habitation dans le livre foncier. Le plan est daté du 15 octobre 2003, et fait mention de ce que l'immeuble a été attribué au bénéficiaire du plan (le requérant) par attestation de reconstitution du droit de propriété délivrée par la mairie de Dragoteşti. Les coordonnées de l'immeuble indiquées dans le plan correspondent à l'une des parcelles composant le terrain agricole. Le requérant allègue toutefois qu'à ce jour il n'est pas inscrit dans le livre foncier et qu'il n'est pas en possession du terrain.

B. Démarches en vue de restitution du terrain forestier

28. Par une décision du 17 décembre 2001, la commission départementale de Gorj, reconnaissant le droit du requérant à la restitution en application de la loi no 18/1991, inscrivit ce dernier sur une liste contenant des emplacements disponibles pour la restitution de deux surfaces de terrain forestier, dont une en copropriété. Entre 2002 et 2007, le requérant fut invité par la commission locale afin d'être mis en leur possession. Mécontent de l'emplacement des terrains offerts, il n'accepta pas les offres de restitution.

29. Il déposa également une plainte pénale à l'encontre des autorités de la mairie du chef d'abus, invoquant leur refus de lui restituer ses terrains. Par une décision du 5 février 2009, le procureur près le tribunal de première instance de Motru, constatant que le requérant avait constamment refusé de se présenter en vue de la mise en possession des terrains, rendit une décision de non-lieu. Le requérant n'a pas précisé s'il a formé un recours contre cette décision.

30. Le requérant affirme que le 15 avril 2009, il fut convoqué par le maire de Dragoteşti afin de lui remettre les titres de propriété de ses parents pour le terrain forestier et les procès verbaux attestant de la mise en possession desdits terrains. Le requérant allègue que les mentions desdits titres de propriété ne coïncident pas avec la situation réelle des terrains.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

31. L'essentiel de la réglementation interne pertinente, à savoir des extraits du code de procédure civile dans ses rédactions antérieure et postérieure à sa modification du 2 mai 2001 et de la loi no 188/2000 sur les huissiers de justice (en vigueur à partir du 10 novembre 2000) est décrite dans les affaires Roman et Hogea c. Roumanie ((déc.), no 62959/00, 31 août 2004) et Topciov c. Roumanie ((déc.), no 17369/02, 15 juin 2006).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

32. Le requérant se plaint de l'impossibilité d'obtenir l'exécution du jugement du 24 janvier 1992 du tribunal de première instance de Târgu-Jiu. Il allègue une violation de l'article 6 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi dans sa partie pertinente :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l'exception de non-épuisement des voies de recours internes

33. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il considère que le requérant aurait dû employer des moyens indirects afin de contraindre le débiteur à exécuter son obligation, notamment une plainte auprès de l'autorité exerçant le contrôle de l'activité des huissiers de justice en question, auprès des présidents des tribunaux de première instance de Târgu-Jiu ou de Motru.

34. Le requérant conteste la thèse du Gouvernement.

35. La Cour estime que l'exception du Gouvernement est étroitement liée à la substance du grief que le requérant tire de l'article 6 § 1 de la Convention, de sorte qu'il y a lieu de la joindre au fond (voir, C.C.M.C. c. Roumanie (déc.) no 32922/96, 15 janvier 1998).

2. Sur le bien fondé du grief

36. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

37. Le requérant affirme que malgré tous les efforts déployés afin d'obtenir l'exécution du jugement définitif du 24 janvier 1992, il n'a pas réussi à être mis en possession de son terrain.

38. Le Gouvernement considère que la responsabilité de l'État sur le terrain de l'article 6 § 1 ne saurait être engagée, en raison de la passivité du requérant et de son omission d'épuiser les voies de recours internes tels que la contestation à exécution ou la plainte contre l'huissier de justice. Il affirme qu'il s'agit, en l'espèce, d'une impossibilité pour les huissiers de justice de mettre le requérant en possession du terrain litigieux, en raison des difficultés pour identifier son emplacement.

39. La Cour rappelle que le droit au tribunal garanti par l'article 6 protège également la mise en œuvre des décisions judiciaires définitives et obligatoires qui, dans un État qui respecte la prééminence du droit, ne peuvent rester inopérantes au détriment d'une partie. Par conséquent, l'exécution d'une décision judiciaire ne peut être empêchée, invalidée ou retardée de manière excessive (voir les arrêts Burdov c. Russie, no 59498/00, § 34, 7 mai 2002, non publié ; Immobiliare Saffi c. Italie précitée §§ 63, 66 et Hornsby c. Grèce du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions
1997-II, pp. 510-511, § 40).

40. La Cour n'est pas appelée à examiner si l'ordre juridique interne est apte à garantir l'exécution des décisions prononcées par les tribunaux. En effet, il appartient à chaque État contractant de se doter d'un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent. La Cour a uniquement pour tâche d'examiner si en l'espèce les mesures adoptées par les autorités roumaines ont été adéquates et suffisantes (voir mutatis mutandis l'arrêt Ignaccolo-Zenide c. Roumanie § 108, [GC], no 31679/96, ECHR 2000-I).

41. La Cour note qu'en l'espèce la procédure d'exécution est pendante au moins depuis 1997. Elle constate qu'en vertu du jugement définitif du 24 janvier 1992, du tribunal de première instance de Târgu-Jiu, V.D. et V.V. ont été condamnés à laisser au requérant la possession du terrain de 1,6 hectares inscrit dans le certificat d'hérédité de 1956. Malgré cette condamnation, V.D. et V.V. ont refusé d'exécuter cette décision de justice définitive. Afin de faire exécuter le jugement en question, le requérant a entamé de nombreuses procédures et démarches qui se sont toutes révélées inefficaces.

42. En ce qui concerne l'obligation pour les autorités de prendre des mesures adéquates afin d'exécuter le jugement définitif du 24 janvier 1992 du tribunal de première instance de Târgu-Jiu, la Cour note que ce jugement a été revêtu de la formule exécutoire et que les premières tentatives d'exécution ont eu lieu au plus tard en 1997. La Cour constate à cet égard que le 26 septembre 1997 l'huissier de justice a mis les débiteurs en demeure d'obtempérer à ce jugement définitif. A la suite des démarches du requérant, le 15 octobre 1998, l'huissier de justice s'est rendu sur place afin de procéder à l'exécution mais sans succès, car le terrain en cause n'était pas identifié. Or, la Cour observe que le jugement en question faisait référence au terrain mentionné dans le certificat d'hérédité no 74/1956 et que ce terrain était occupé par V.D. et V.V. La Cour note également que les démarches entamées par le requérant entre 1998 et 2004 auprès des autorités administratives, afin de voir exécuter le jugement définitif favorable, n'ont pas abouti elles non plus (cf. §§ 1018 ci-dessus). Il ressort du dossier devant la Cour que le requérant a accompli des démarches régulières en demandant l'exécution.

Ainsi la Cour constate que l'essentiel de l'arsenal juridique mis à la disposition du requérant pour faire exécuter la décision qui lui était favorable, à savoir le recours à des huissiers de justice, s'est montré inadéquat et inefficace sur plusieurs années.

43. Eu égard aux obligations incombant aux autorités, en tant que dépositaires de la force publique en matière d'exécution, la Cour relève que les autorités roumaines n'ont infligé aucune sanction aux débiteurs, du chef de la non-exécution de décisions de justice définitives.

En définitive, la Cour constate qu'en dépit des nombreuses actions et procédures intentées par le requérant pendant plusieurs années, le jugement en question n'a pas été exécuté.

44. Pour ce qui est des voies de recours indiquées par le Gouvernement, on ne saurait reprocher au requérant de ne pas les avoir utilisées pour recommencer, avant de saisir la Cour, des démarches d'exécution forcée, alors même que celles auxquelles il a recourues se sont révélées inefficaces (cf. Constantin Oprea c. Roumanie, no 24724/03, § 41 in fine, 8 novembre 2007). Au demeurant, l'argument du Gouvernement relatif aux difficultés, pour les huissiers de justice, d'identifier l'emplacement du terrain litigieux ne saurait être retenu par la Cour, cette situation n'étant pas imputable au requérant.

45. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu'en l'espèce, pendant plus de treize ans, les autorités nationales n'ont pris les mesures nécessaires afin d'exécuter une décision judiciaire définitive et exécutoire et ont privé les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention de tout effet utile (cf. mutatis mutandis Ruianu c. Roumanie, no 34647/97, § 67-73, 17 juin 2003).

46. Partant, il y a lieu de rejeter l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement et de constater qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

47. Le requérant allègue une violation de son droit au respect des biens en raison de l'inexécution du jugement susmentionné et invoque l'article 1 du Protocole no 1.

48. Eu égard à ses conclusions figurant aux paragraphes 41-46 ci-dessus, la Cour conclut que ce grief doit être déclaré recevable, mais qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le fond (voir, mutatis mutandis entre autres, Laino c. Italie [GC], no 33158/96, § 25, CEDH 1999-I ; Eglise catholique de La Canée c. Grèce, 16 décembre 1997, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII ; et Ruianu, précité, § 75).

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

49. Le requérant se plaint enfin du refus des autorités de lui restituer des terrains forestiers (article 6 § 1 de la Convention et 1er du Protocole no 1 à la Convention).

50. Compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles de la Convention et doivent être rejetés comme étant manifestement mal fondés en application de l'article 35 de la Convention.

IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

51. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

Dommage

52. Le requérant considère que la meilleure réparation du préjudice matériel serait la restitution du terrain litigieux. De ce fait, il ne réclame aucun montant à ce titre. Le requérant affirme avoir subi un préjudice moral en raison de l'impossibilité, depuis 1992, de se voir restituer son terrain. Il affirme que les démarches administratives entamées en ce sens, lui ont causé souffrances morale et physique. Toutefois, le requérant affirme ne pas pouvoir, à ce stade, quantifier le montant de l'indemnisation pour les préjudices moraux, car d'après lui, la seule réparation des préjudices ainsi subis serait l'exécution, par les autorités roumaines, du jugement définitif favorable.

53. Le Gouvernement demande à la Cour de rejeter les demandes de réparation du préjudice matériel et moral formulées par le requérant.

54. La Cour observe que le requérant n'a pas présenté ses demandes au titre de la satisfaction équitable. Par ailleurs, la Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'État défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Metaxas, précité, § 35, et Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). En l'espèce, la Cour estime que l'exécution du jugement définitif rendu le 24 janvier 1992 par les juridictions placerait le requérant autant que possible dans une situation équivalant à celle où il se trouverait si les exigences de l'article 6 § 1 de la Convention n'avaient pas été méconnues.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l'exception préliminaire du Gouvernement et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable pour ce qui est des griefs tirés des articles 6 § 1 et 1 du Protocole no 1 à la Convention concernant la
non-exécution du jugement définitif du 24 janvier 1992 et irrecevable pour le surplus ;

3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit qu'il n'y a pas lieu pas lieu d'examiner le grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

5. Dit que l'État doit exécuter le jugement définitif du 24 janvier 1992 du tribunal de première instance de Târgu-Jiu, dans les trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 juillet 2010 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président