Přehled
Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 34026/03
présentée par Yusuf ÇELİKKAYA
contre la Turquie
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant le 1er juin 2010 en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Nona Tsotsoria,
Işıl Karakaş, juges,
et de S Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 29 mai 2003,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Le requérant, M. Yusuf Çelikkaya, est un ressortissant turc, né en 1954. A l'époque des faits, il était incarcéré à la prison d'Eskişehir. Il est représenté devant la Cour par Me Kamil Şirin, avocat à Eskişehir.
La situation de fait dénoncée en l'espèce étant indissociable de la situation de droit, ces deux aspects seront exposés simultanément, plus particulièrement sous l'angle des peines privatives de liberté, qui se trouvent au cœur du litige.
A. Les circonstances de l'espèce
1. La genèse de l'affaire
a) La première série de condamnations
2. Le 24 mars 1987, le parquet d'İzmir saisit la cour d'assises d'İzmir afin qu'elle statue sur la question du cumul de plusieurs peines d'emprisonnement prononcées à l'encontre du requérant.
3. Dans un arrêt du 3 avril 1987 (dossier no 1987/128), la cour d'assises, observant que l'intéressé devait purger plus de 190 années d'emprisonnement, dont 87 fermes, ramena le quantum de cette peine à 36 ans de réclusion criminelle, en vertu des articles 68 et 77 § 1 de l'ancien code pénal, qui se lisaient ainsi :
Article 68
« Lorsqu'une personne a été condamnée pour plusieurs infractions consécutives, il est procédé à la confusion des peines dans les conditions prévues au présent chapitre. »
Article 77 § 1
« En cas de cumul de peines d'emprisonnement de même nature, la peine totale à purger ne peut être supérieure à trente-six ans, lorsqu'il s'agit de condamnations à la réclusion criminelle (...) »
Le requérant devait donc demeurer en prison jusqu'au 29 novembre 2027.
4. Le 12 avril 1991 fut promulguée la loi no 3713, qui disposait, entre autres, que les détenus ayant purgé un cinquième de leur peine devaient être libérés d'office à titre conditionnel. En conséquence, le 13 avril 1991, la cour d'assises de Konya ordonna la libération conditionnelle du requérant et la levée de sa condamnation sous réserve qu'il ne commît aucun délit de même nature jusqu'au 29 novembre 2027.
b) La deuxième série de condamnations
5. Le 4 août 1995, le requérant fut à nouveau inculpé, pour homicide, séquestration et vol à main armée, actes qu'il était soupçonné d'avoir commis le 30 juin 1993, c'est-à-dire pendant sa période de probation. Il fut déféré devant la cour d'assises d'Eskişehir. Par un jugement du 27 octobre 1995 (dossier no 1993/135), celle-ci le condamna à 40 ans et 10 mois de réclusion criminelle.
6. Toutefois, toujours en vertu de l'article 77 § 1 susmentionné de l'ancien code pénal, cette peine fut ramenée à 36 ans de prison ferme.
Les juges du fond décidèrent également d'informer la cour d'assises d'İzmir que le requérant avait récidivé et que, par conséquent, il y avait lieu de révoquer la libération conditionnelle accordée le 13 avril 1991 (paragraphe 11 ci-dessous).
c) La troisième série de condamnations
7. Il ressort du dossier que, dans l'intervalle, le requérant avait commis deux vols, le 25 juillet et le 2 août 1993, et qu'il avait falsifié son identité, le 1er août 1995. Il avait donc, à cette dernière date, été arrêté et réincarcéré.
Le requérant fut jugé pour les vols de 1993 par le tribunal de paix d'Eskişehir, et condamné, le 29 décembre 1995, à 1 an, 4 mois et 15 jours d'emprisonnement. Pour le délit d'usage de faux, il fut condamné le 15 novembre 1995 par le tribunal correctionnel d'Eskişehir à 1 an et 2 mois d'emprisonnement.
8. Par la suite, le 7 mai 1996, le tribunal correctionnel d'Eskişehir cumula ces peines et le requérant se vit finalement infliger une peine de prison de 2 ans, 6 mois et 15 jours au total.
d) Le cumul des peines prononcées par les instances d'Eskişehir
9. Le 23 mai 1996, le parquet d'Eskişehir demanda à la cour d'assises de se prononcer sur la question de la confusion des peines prononcées respectivement le 27 octobre 1995 (paragraphe 6 ci-dessus) et le 7 mai 1996 (paragraphe 8 ci-dessus).
10. Par une décision du 29 mai 1996, la cour d'assises cumula ces peines puis les plafonna à 36 ans de prison ferme.
e) La révocation de la libération conditionnelle par la cour d'assises d'İzmir
11. Le 25 juin 1996, le parquet d'İzmir demanda à la cour d'assises de son ressort de révoquer sa décision du 13 avril 1991 relative à la libération conditionnelle du requérant.
12. Le 28 juin 1996, la cour d'assises d'İzmir décida (dossier no 1996/280) que le requérant devait commencer par purger en totalité, à compter du 30 juin 1993 (paragraphe 5 ci-dessus), le reliquat de sa peine initiale, conformément à l'article 17 de l'ancien code pénal, qui était ainsi libellé :
« Lorsqu'une personne mise en liberté conditionnelle est condamnée à une peine privative de liberté pour un délit intentionnel commis pendant la période [de probation], la libération conditionnelle est révoquée. Dans ce cas, le reliquat de la peine (...) ayant fait l'objet de la libération conditionnelle est intégralement exécuté, et aucune autre libération conditionnelle n'est accordée pendant cette période (...). »
Le requérant devait donc demeurer en prison jusqu'au 29 novembre 2027 (paragraphe 3 ci-dessus).
13. Toutefois, le 18 août 1996, le parquet d'İzmir saisit à nouveau les juges du fond, aux fins de la rectification de la durée de la peine précédemment fixée. Le 15 août 1997, la cour d'assises d'İzmir constata que le reliquat de la peine prononcée le 3 avril 1987 (paragraphe 3
ci-dessus) s'élevait à 23 ans et 249 jours d'emprisonnement, et que compte tenu de sa détention antérieure, le requérant pouvait donc s'attendre à être libéré le 6 mars 2017.
f) La quatrième série de condamnations
14. Par un jugement du 13 février 1996, le tribunal correctionnel d'Ankara condamna le requérant à un an et deux mois d'emprisonnement pour un autre délit commis auparavant dans cette ville.
Le 6 février 1997, le tribunal correctionnel d'Eskişehir infligea à son tour au requérant une peine d'un an d'emprisonnement, pour un autre acte commis dans son ressort.
Aussi le parquet d'Eskişehir dut-il saisir à nouveau la cour d'assises d'Eskişehir, aux fins du cumul des deux peines susmentionnées avec celle déjà fixée le 29 mai 1996 (paragraphe 10 ci-dessus).
15. Le 16 avril 1997, la cour d'assises décida de confondre également ces peines, en vertu de l'article 77 § 1 susmentionné (paragraphe 3 ci‑dessus). L'ensemble des peines fut ramené à 36 ans de prison ferme.
g) La cinquième condamnation
16. Par un jugement du 8 octobre 1996, la cour d'assises d'Ankara déclara le requérant coupable du meurtre de K.G., commis le 13 septembre 1992. Elle le condamna à 27 ans et 6 mois de réclusion criminelle ainsi qu'à 10 mois d'emprisonnement.
17. Ainsi se posa à nouveau la question de la confusion des peines. Saisie du dossier, la cour d'assises d'Eskişehir conclut, le 4 mars 1998 (dossier no 1998/66), qu'en vertu de l'article 77 § 1 de l'ancien code pénal, la peine privative de liberté infligée par les juges d'Ankara était inexécutable, car le quantum de la peine du requérant avait déjà atteint la limite maximale de 36 ans.
h) La situation avant l'entrée en vigueur de la loi no 4616
18. Le 21 décembre 2000, la loi no 4616 fut promulguée. A cette date, les peines de prison prononcées jusqu'alors à l'encontre du requérant, telles que déterminées selon les règles de cumul et de confusion des peines, se présentaient comme suit :
– une peine de 23 ans et 249 jours de réclusion criminelle, à purger à la suite de la révocation de la libération conditionnelle (« la première peine » – paragraphe 13 ci-dessus) ;
– une peine de 36 ans de réclusion criminelle, infligée le 4 mars 1998 pour des délits commis pendant la période de probation (« la seconde peine » – paragraphe 16 ci-dessus).
19. Le requérant, qui avait été réincarcéré le 1er août 1995 (paragraphe 7 ci-dessus), devait d'abord purger l'intégralité de la première peine, jusqu'au 6 mars 2017, et ce sans possibilité d'élargissement.
20. L'exécution de la seconde peine devait commencer le 6 mars 2017. Elle devait se faire conformément aux dispositions de la loi no 647, qui régissait la libération conditionnelle des détenus selon les modalités ci-dessous :
Article 19 § 1
« (...) Les personnes condamnées (...) à une peine privative de liberté sont d'office admises au bénéfice de la libération conditionnelle, après avoir purgé (...) la moitié de leur peine, à condition d'avoir fait preuve d'une bonne conduite (...). »
Article additionnel 2 § 1
« (...) à l'issue de la période de surveillance, les détenus transférés dans les établissements pénitentiaires bénéficient, pour chaque mois passé dans lesdits établissements, d'une remise de peine de 6 jours, à déduire de la date de libération conditionnelle déterminée selon l'article 19 § 1 (...) ci-dessus (...) »
2. La situation postérieure à l'entrée en vigueur de la loi no 4616
a) Les événements antérieurs à la première opposition du requérant quant au quantum de sa peine
21. Comme indiqué précédemment, le 21 décembre 2000, la loi no 4616, dite d'amnistie, entra en vigueur. Elle accordait, entre autres, une remise de peine de dix ans, à appliquer d'office, sur les condamnations prononcées relativement à certaines catégories de délits commis avant le 23 avril 1999. Les dispositions pertinentes de cette loi se lisaient comme suit :
Article 1 §§ 2 et 6
« 2. (...) Pour les personnes condamnées (...) à une peine privative de liberté, une remise de dix ans est appliquée à la durée de la peine prononcée. [En cas de condamnations multiples], la remise est appliquée sur le quantum total des peines, et non séparément sur chacune des peines. (...) Même si plusieurs peines ont été prononcées contre une même personne à différentes dates du fait de différents délits, la remise à appliquer sur le total de ces peines ne peut dépasser dix ans.
(...)
6. Les personnes condamnées pour avoir commis un nouveau délit alors qu'elles se trouvaient en liberté conditionnelle (...) ne peuvent bénéficier des dispositions du présent article. »
22. Le 18 juillet 2001, la Cour constitutionnelle annula ces deux dispositions. L'annulation de l'article 1 § 2 devait prendre effet le 27 avril 2002, soit six mois après la publication de l'arrêt de la Cour constitutionnelle au Journal officiel du 27 octobre 2001. Cependant, par une décision du 25 septembre 2001 (no 2001/4-153-164), l'assemblée plénière des chambres répressives de la Cour de cassation (« l'assemblée plénière ») jugea que l'annulation en question devait être réputée avoir pris effet de facto, car elle avait été rendue publique avant sa publication.
b) Les recours du requérant
23. Le 29 avril 2002, le procureur chargé de l'exécution des peines notifia au requérant une ordonnance fixant les termes de l'exécution de ses peines.
Sur le reliquat de la première peine (23 ans et 249 jours de prison ferme), le procureur appliqua la remise de dix ans prévue à l'article 1 § 2 de la loi no 4616, plus la remise de 996 jours prévue à l'article additionnel 2 § 1 de la loi no 647. Cette peine devait donc prendre fin le 14 avril 2006. A compter de cette date, le requérant commencerait à purger sa seconde peine (36 ans de prison ferme), conformément à la loi 647, sans bénéficier de la remise de peine prévue par la loi no 4616.
24. Le 6 mai 2002, le requérant forma opposition contre cette ordonnance, soutenant qu'il aurait fallu confondre la première peine avec la seconde, re-plafonner ainsi le quantum de la peine à 36 ans, et appliquer ensuite les remises légales.
Le 16 mai 2002, la cour d'assises d'Eskişehir, jugeant correct le calcul effectué par le parquet, débouta le requérant (dossier no 2002/252).
25. Le 23 mai 2002, le requérant fit appel de cette décision devant la cour d'assises de Kütahya.
26. Entre-temps, le 21 mai 2002, la loi no 4758 fut promulguée en vue de combler le vide résultant de l'annulation de la première version l'article 1 § 2 de la loi no 4616. La deuxième version de cette disposition se lisait comme suit :
« 2. (...) Pour les personnes condamnées (...) à une peine privative de liberté, une remise de dix ans est appliquée à la durée totale de la peine devant effectivement être purgée compte tenu des règles afférentes à l'exécution des peines[1]. [En cas de condamnations multiples], la remise est appliquée sur le quantum total des peines, et non séparément sur chacune des peines. Même si plusieurs peines ont été prononcées contre une même personne à différentes dates du fait de différents délits, la remise à appliquer sur le total de ces peines ne peut dépasser dix ans. »
27. Par un arrêt du 28 mai 2002, la Cour constitutionnelle déclara également cette deuxième version inconstitutionnelle, au motif qu'elle n'avait pas été votée par le quorum requis pour légiférer en matière d'amnistie. Le dispositif resta néanmoins en vigueur jusqu'à la publication dudit arrêt au Journal officiel du 6 novembre 2002.
28. C'est dans ce contexte que la cour d'assises de Kütahya se prononça (paragraphe 25 ci-dessus), le 4 juin 2002 (dossier no 2002/252). Elle accueillit l'opposition du requérant et leva la décision du 16 mai 2002 (paragraphe 24 ci-dessus), pour le motif suivant :
« Bien qu'en vertu de l'article 17 du code pénal turc, le reliquat de la peine à purger du fait de la révocation de la libération conditionnelle doive être exécuté intégralement, il est néanmoins établi (arrêt de cassation no 2002/5‑634 du 5 mars 2002,)[2] que les peines [prononcées] peuvent toujours faire l'objet d'un cumul, à condition que le délit initial (...) ainsi que le deuxième délit (...) ayant entraîné la révocation de la libération conditionnelle relèvent tous deux de la loi no 4616. C'est après avoir à nouveau cumulé le reliquat de la première peine avec la seconde peine (paragraphe 18 ci-dessus) (...) qu'il aurait fallu déterminer la peine totale à purger puis en déduire la remise de six jours par mois prévue à l'article additionnel 2 de la loi no 647 et la remise de dix ans prévue par la loi no 4616 telle que modifiée par la loi no 4758 (...). »
29. Le 12 juin 2002, le procureur de la République d'Eskişehir, O.O., saisit le ministre de la Justice pour qu'il forme un pourvoi dans l'intérêt de la loi contre la décision du 4 juin 2002 (paragraphe 28 ci-dessus). Rappelant que tout comme la seconde peine infligée le 4 mars 1998 (paragraphe 17 ci‑dessus), la première peine, prononcée le 3 avril 1987 (paragraphe 3 ci‑dessus), était déjà une peine confondue en vertu du premier paragraphe de l'article 77 de l'ancien code pénal, il estimait que le fait de cumuler à nouveau ces deux peines, qui avaient l'une comme l'autre déjà été plafonnées, était contraire au sixième paragraphe du même article, qui énonçait ceci :
« Lorsqu'a déjà été prononcée une condamnation définitive à une peine dont le quantum a été plafonné selon les limites fixées aux paragraphes ci-dessus, les peines infligées pour d'autres délits commis postérieurement à cette condamnation sont exécutées intégralement. »
Le procureur soutint en outre que la remise de six jours par mois prévue par la loi no 647 devait s'appliquer sur le quantum de la peine qui serait effectivement exécutée selon l'article 19 § 1 de la loi no 647, c'est-à-dire sur la moitié de la peine infligée (paragraphe 20 ci-dessus), et non sur la totalité de celle-ci.
30. Le 19 juillet 2002, le ministre de la Justice se pourvut devant la 6ème chambre de la Cour de cassation. Le 26 septembre 2002, celle-ci déclina sa compétence en faveur de la 1ère chambre, qui, par un arrêt du 18 novembre 2002 (no 2002/4544-4197), infirma la décision de la cour d'assises de Kütahya, pour les motifs qui suivent.
« (...) A la suite de l'annulation par la Cour constitutionnelle de certaines dispositions de la loi no 4616, la mesure de libération conditionnelle prévue par l'article 1 § 2 de ladite loi est devenue applicable à toute condamnation relevant de cette loi, sans que soit perdu le bénéfice de l'article 2 additionnel de la loi no 647. Etant la lex specialis par rapport au code pénal et à la loi no 647, la loi no 4616 est à appliquer en priorité. Or, celle-ci ne précise pas les modalités d'exécution du reliquat des peines à purger en vertu de l'article 17 du code pénal, ni si la révocation d'une libération conditionnelle ferait obstacle à l'application de son article 1 § 2.
Il s'ensuit que l'article 1 § 2 sur la libération conditionnelle de la loi no 4616 (...) et l'article additionnel 2 de la loi no 647 doivent être appliqués aux condamnations prononcées pour des délits relevant de la loi no 4616 commis au plus tard le 23 avril 1999, aux condamnations prononcées pour les délits à l'origine de l'annulation de la libération provisoire, et au reliquat des peines à purger du fait de cette annulation. Les condamnations prononcées pour des délits commis après cette date (...) relèvent exclusivement des dispositions de l'article 17 du code pénal et de la loi no 647. En d'autres termes, pour que la loi no 4616 puisse trouver à s'appliquer, il faut que le délit initial et le délit ayant entraîné la révocation de la libération conditionnelle aient été commis avant le 23 avril 1999 et entrent dans le champ d'application de ladite loi.
Vu les dispositions de la loi no 4758 portant révision des dispositions de loi no 4616 annulées par la Cour constitutionnelle ;
Considérant, ensemble, les arrêts de l'assemblée plénière des chambres répressives de la Cour de cassation nos 2002/6-43-151 du 5 février 2002[3] et no 1‑65-88 du 23 mars 1992, dont il ressort que le régime d'exécution du reliquat d'une peine devant être purgée en vertu de l'article 17 du code pénal à la suite de la révocation d'une libération conditionnelle diffère du régime d'exécution des peines (...) infligées pour les délits (...) ayant entraîné ladite révocation ; que le ou les délits ayant entraîné la révocation peuvent faire l'objet d'un cumul de peines au sens de l'article 77 du code pénal, que, dans ce cas, l'article 19 et [l'article additionnel 2] de la loi no 647 trouvent également à s'appliquer ; et que dans ces conditions, le reliquat d'une peine à purger en vertu de l'article 17 du code pénal doit être exécuté dans sa totalité ;
Il convient donc d'admettre qu'en l'espèce :
a) en raison de la révocation de la libération conditionnelle, [le reliquat de] la peine infligée pour le délit initial doit être exécuté dans sa totalité ;
b) pour ce qui est du deuxième délit, qui a entraîné la révocation de la libération conditionnelle, le quantum de la peine à exécuter intégralement est égal à celui calculé conformément à l'article 19 et à l'article additionnel 2 de la loi no 647, déduction faite de la remise de dix ans. »
31. Ainsi, le dossier fut renvoyé devant la cour d'assises d'Eskişehir. Le 13 janvier 2003, celle-ci décida de confondre la première peine de 23 ans et 249 jours avec la seconde peine de 36 ans (paragraphe 16 ci‑dessus), considérant que ces peines relevaient toutes deux de la loi no 4616. Partant, elle cumula puis plafonna les peines du requérant à 36 ans de prison ferme, en vertu de l'article 77 § 1 de l'ancien code pénal.
32. Le 14 janvier 2003, conformément à la décision susmentionnée, le procureur pénitentiaire révisa la durée totale de la peine devant être purgée par le requérant : réincarcéré le 1er août 1995, l'intéressé devait être libéré à titre conditionnel le 17 mars 2014, sous réserve que lui soit accordée la remise supplémentaire de 444 jours pour bonne conduite.
33. Tant le requérant que le procureur O.O. (paragraphe 29 ci-dessus) formèrent opposition contre cette ordonnance, devant la cour d'assises de Kütahya.
Le procureur soutint que la décision du 13 janvier 2003 (paragraphe 31 ci‑dessus) allait à l'encontre des indications données dans l'arrêt du 18 novembre 2002 (paragraphe 30 ci-dessus) et dans un autre arrêt rendu par la même chambre le 20 novembre 2002 (arrêt no 2002/4646-4271). Il maintint que la loi ne permettait pas de confondre une peine fixée en vertu de l'article 17 du code pénal avec d'autres types de peines.
34. Le 27 janvier 2003, la cour d'assises de Kütahya statua sur les deux recours (dossier no 2003/36). Elle s'exprima ainsi :
« Il ressort effectivement de l'arrêt de (...) cassation no 2002/4646-4271 du 20 novembre 2002 qu'une peine relevant de l'article 17 du code pénal n'est pas cumulable avec d'autres peines et, par conséquent, ne peut pas non plus être confondue en vertu de l'article 77 § 1 du code pénal. Les peines infligées en application de l'article 17 du code doivent être exécutées intégralement. En revanche, les délits ayant entraîné la révocation de la libération conditionnelle peuvent toujours faire l'objet d'un cumul. Quoi qu'il en soit, le reliquat de la peine initiale et la peine de 36 ans de prison ferme à l'origine de la révocation de la libération conditionnelle doivent être exécutées séparément, en vertu de l'article 19 et de l'article additionnel 2 de la loi 647 et des dispositions de la loi no 4616. »
Les juges conclurent donc que le requérant devait d'abord purger, jusqu'au 7 avril 2009, le reliquat de sa première peine, soit 23 ans et 249 jours de prison, moins la remise de dix ans prévue par la loi no 4616, puis, à partir de cette date, la seconde peine de 36 ans de prison, étant entendu que, compte tenu des remises prévues par la loi no 647, cette seconde peine pouvait être ramenée à 14 ans, 4 mois et 26 jours si le requérant faisait preuve d'une bonne conduite.
35. Le 4 février 2003, le procureur chargé de l'application des peines informa le requérant qu'il devait demeurer incarcéré jusqu'au 31 août 2023.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
36. Une grande partie des éléments pertinents du droit interne se trouvent exposés ci-dessus. Il faut de plus rappeler un principe posé par la jurisprudence constante de la Cour de cassation concernant le régime de l'exécution des peines. Selon ce principe, les règles régissant le cumul et le calcul des peines à purger – y compris celles découlant des lois spéciales, telles les lois nos 647 ou 4616 – relèvent du régime susmentionné. Par conséquent, les erreurs commises dans l'application desdites règles, fussent-elles favorables à l'individu qui purge la peine visée, ne génèrent aucun droit acquis et peuvent être corrigées à tout moment.
Pour ce qui est de la pratique dans ce domaine, il convient de rappeler les exemples jurisprudentiels suivants, versés au dossier par les parties.
37. Dans un arrêt du 25 janvier 2002 (no 2001/18105-506), la 6ème chambre répressive de la Cour de cassation a précisé qu'en cas de condamnations multiples, la remise de peine de dix ans était à appliquer sur la totalité des peines à purger, et non pas seulement sur le reliquat de la peine devant être exécutée du fait de la révocation pour récidive de la libération conditionnelle.
38. Dans un arrêt du 5 février 2002 (no 2002/6-43-151), l'assemblée plénière des chambres répressives de la Cour de cassation a tenu le raisonnement suivant :
– l'article 1 § 6 de la loi no 4616 ayant été annulé par la Cour constitutionnelle (paragraphes 21 et 25 ci-dessus), les personnes condamnées pour un nouvel acte commis pendant la période de probation mais relevant de cette loi pouvaient bénéficier de la remise de peine de dix ans prévue à l'article 1 § 2 ;
– cette remise ne visait que les peines infligées pour des délits commis avant le 23 avril 1999 (paragraphe 21 ci-dessus), les délits postérieurs à cette date relevant du droit général, à savoir l'ancien code pénal et la loi no 647 ;
– par rapport à ces derniers, la loi no 4616 constituait une lex specialis et s'appliquait donc en priorité, nonobstant l'article 17 de l'ancien code pénal (paragraphe 19 ci-dessus).
Elle a donc conclu que la remise de peine de dix ans devait s'appliquer au reliquat de la peine à purger en vertu de l'article 17 de l'ancien code pénal, sous réserve que le délit à l'origine de la condamnation initiale et le deuxième délit, ayant entraîné la révocation de la libération conditionnelle, relèvent tous deux de la loi no 4616[4].
39. On peut encore mentionner l'arrêt du 5 mars 2002 (no 2002/149‑633), par lequel la 1ère chambre répressive de la Cour de cassation a tenté de répondre à la question de savoir si, en cas de récidive, le reliquat d'une première peine ayant fait l'objet d'une libération conditionnelle et la seconde peine infligée pour un nouveau délit commis pendant la période de probation pouvaient être cumulés et, le cas échéant, confondus en vertu de l'article 77 § 1 de l'ancien code pénal.
L'affaire concernait le détenu M.Ç., qui avait d'abord été condamné à une peine cumulée puis plafonnée à 36 ans de prison ferme en vertu de l'article 77 § 1 de l'ancien code pénal. Admis ultérieurement au bénéfice de la libération conditionnelle, M.Ç. avait récidivé pendant sa période de probation : il avait commis trois délits, pour lesquels il avait été condamné à des peines dont le cumul s'élevait à 24 ans, 30 mois et 26 jours de prison ferme. Cette durée devait s'ajouter au reliquat de la première peine (21 ans et 55 jours de prison ferme). Dans son arrêt, la haute juridiction s'est exprimée ainsi :
« (...) Certes, l'article 17 du code pénal exige que la peine de 21 ans et 55 jours de prison, qui correspond au reliquat de la peine initiale, soit exécutée en sa totalité. [Cependant,] de par leur nature et leur date de commission, tant les délits à l'origine de la peine initiale que les délits commis pendant la période de probation relèvent de la loi no 4616. Il s'ensuit que les deux peines doivent être fixées conformément à ladite loi, nonobstant l'article 17 du code pénal (...) c'est-à-dire qu'il faut d'abord cumuler ces peines et plafonner leur quantum selon l'article 77 § 1 dudit code, puis procéder à l'exécution de la peine ainsi déterminée conformément à la loi no 4616. »
En conclusion, la Cour de cassation a estimé que le quantum total des deux peines infligées à M.Ç., à savoir 45 ans, 30 mois et 81 jours, devait être ramené à nouveau à 36 ans de prison ferme, en vertu de l'article 77 § 1 précité, et que les autres remises légales prévues par les lois nos 4616 et 647 devaient être appliquées sur la durée de 36 ans.
40. Les cours d'assises d'Eskişehir et d'İstanbul ont également rendu des décisions relatives aux demandes de libération conditionnelle formées par des récidivistes, İ.G., E.Ö., İ.K., E.S., S.K., N.A. et K.A., sur le fondement des lois nos 647 et 4616. Les éléments pertinents et les conclusions y afférentes sont récapitulés ci-dessous. Il n'est toutefois pas à exclure qu'une ou plusieurs erreurs aient été commises : en effet, les dispositifs de ces décisions sont relativement brefs et restent évasifs quant aux modes de calcul retenus.
41. Dans le cas d'İ.G. (arrêt no 2001/438 du 3 octobre 2001), le reliquat de la peine à purger du fait de la révocation de la libération conditionnelle était de 11 ans et 414 jours, et la peine infligée pour le délit à l'origine de la révocation, de 9 ans et 10 jours. Les juges ont décidé de confondre les peines et ont ordonné la libération conditionnelle à partir du 3 octobre 2001.
42. Dans le cas d'E.Ö. (arrêt no 2002/66 du 15 février 2002), le reliquat de la peine à purger du fait de la révocation de la libération conditionnelle était de 10 ans et 341 jours, et la peine infligée pour les délits à l'origine de la révocation, de 6 ans et 20 mois. Les juges ont décidé de confondre les peines et ont ordonné la libération conditionnelle à partir du 22 février 2002.
43. Dans le cas d'İ.K. (arrêt no 2001/47 du 13 mars 2002), la peine initiale était de 25 ans, cumulés puis plafonnés en vertu de l'article 77 § 1 de l'ancien code pénal. Le reliquat de la peine à purger du fait de la révocation de la libération conditionnelle était de 19 ans et 33 jours, et la peine infligée pour le délit à l'origine de la révocation, de 10 ans, 11 mois et 10 jours. Les juges ont décidé de confondre les peines et ont ordonné la libération conditionnelle à partir du 3 mars 2002.
44. Dans le cas d'E.S. (arrêt no 2002/103 du 14 mars 2002), la peine initiale était une peine de perpétuité (soit 20 ans à purger effectivement selon la loi no 647). Le reliquat de la peine à purger du fait de la révocation de la libération conditionnelle était de 20 ans moins 11 ans et 275 jours déjà exécutés, soit 9 ans et 89 jours ; et la peine infligée pour le délit à l'origine de la révocation était de 13 ans et 4 mois. Les juges ont décidé de confondre les peines et ont ordonné la libération conditionnelle à partir du 14 mars 2002.
45. Dans le cas de S.K. (arrêt no 2002/105 du 14 mars 2002), la peine initiale était une peine de perpétuité (soit 20 ans à purger effectivement selon la loi no 647). Le reliquat de la peine à purger du fait de la révocation de la libération conditionnelle était de 20 ans moins 10 ans et 245 jours déjà exécutés, soit 9 ans et 119 jours ; la peine infligée pour le délit à l'origine de la révocation était de 15 ans et 2 mois. Les juges ont décidé de confondre les peines et ont ordonné la libération conditionnelle à partir du 14 mars 2002.
46. Dans le cas de N.A. (arrêt no 2002/104 du 14 mars 2002), le reliquat de la peine à purger du fait de la première révocation de la libération conditionnelle était de 11 ans, 3 mois et 79 jours ; les peines cumulées infligées pour les actes à l'origine de la révocation étaient de 16 ans et 21 jours. Les juges ont décidé de confondre les peines et ont ordonné la libération conditionnelle à partir du 14 mars 2002.
47. Dans le cas de K.A. (arrêt no 2002/164 du 26 juin 2002), le reliquat de la peine à purger du fait de la première révocation de la libération conditionnelle était de 17 ans et 1 jour, et la peine infligée pour le délit à l'origine de la révocation, de 1 an et 4 mois. Les juges ont décidé de confondre les peines et ont ordonné la libération conditionnelle à partir du 26 juin 2002.
EN DROIT
A. L'objet du litige
48. Le requérant invoque les articles 5, 6 et 14 de la Convention. Il se plaint que les autorités répressives ne lui aient pas dûment appliqué la loi d'amnistie no 4616, et voit dans le refus de l'admettre au bénéfice de la libération conditionnelle une privation de liberté arbitraire et discriminatoire, estimant que la méthode de calcul adoptée relativement au quantum de sa peine d'emprisonnement n'était pas la même que celle appliquée à une cinquantaine d'autres détenus de la prison d'Eskişehir qui se trouvaient dans une situation comparable, et qui ont été libérés par la cour d'assises d'Eskişehir entre le 27 octobre 2001 et le 14 mars 2002. A cet égard, il s'appuie sur des exemples de jugements concernant selon lui des cas analogues au sien (paragraphes 40 à 47 ci-dessus) pour reprocher au procureur O.O. d'avoir fait tout ce qui était en son pouvoir afin d'empêcher qu'il recouvre la liberté.
49. Compte tenu des éléments du dossier, la Cour estime que les allégations du requérant appellent un examen sur le seul terrain de l'article 5 § 1 a) de la Convention combiné avec l'article 14. Ces dispositions sont ainsi libellées :
Article 5 § 1 a)
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
(...) »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
50. Par ailleurs, vu le contexte de la présente affaire, la Cour juge qu'il n'est plus nécessaire de revenir sur la question de l'absence d'assistance par un avocat pendant la procédure, soulevée d'office lors de la communication de la présente requête au Gouvernement.
B. Sur le grief tiré des articles 5 § 1 a) et 14 de la Convention
1. Thèses des parties
a) Quant à la recevabilité
51. Le Gouvernement excipe d'abord du non-épuisement des voies de recours internes, soutenant que le requérant a omis de soulever ses griefs devant les autorités nationales.
Il explique ensuite que tant l'arrêt de cassation du 18 novembre 2002 (paragraphe 30 ci-dessus) que le jugement rendu par la cour d'assises de Kütahya le 27 janvier 2003 (paragraphe 34 ci-dessus), qui rejetaient l'un comme l'autre la demande du requérant, ont été rendus sur le fondement de l'article 1 § 2 de la loi no 4616 tel que modifié par la loi no 4758 du 21 mai 2002, et que, la Cour constitutionnelle ayant, par un arrêt du 28 mai 2002, annulé cette disposition à compter du 6 novembre 2002 (paragraphe 27
ci-dessus), le requérant aurait dû faire valoir cette nouvelle situation de droit et demander à nouveau sa libération conditionnelle.
52. Le requérant ne s'est pas exprimé sur ces points.
b) Quant au fond
53. Le requérant renvoie aux arguments exposés dans sa requête, arguments qu'il a repris dans ses observations.
54. Le Gouvernement fait observer que la première version de l'article 1 § 2 de la loi no 4616, annulée le 18 juillet 2001 par la Cour constitutionnelle, est restée en vigueur jusqu'au 27 avril 2002. Il rappelle que par la suite, un nouvel article 1 § 2 a été promulgué dans la loi no 4758 du 21 mai 2002, mais que, le 28 mai 2002, cette nouvelle version a elle aussi été définitivement annulée pour inconstitutionnalité, avec effet au 6 novembre 2002.
55. A cet égard, le Gouvernement souligne que l'examen de la demande de libération conditionnelle du requérant est intervenu alors que la deuxième version de l'article 1 § 2 de la loi no 4616 était encore en vigueur, et que la remise de dix ans qu'elle prévoyait a bien été appliquée au requérant. D'après le Gouvernement, c'est précisément ce point qui pose problème. Il affirme en effet que alors qu'en vertu de la première version de l'article 1 § 2 de la loi no 4616, la remise devait s'appliquer au total des peines de prison que l'intéressé devait exécuter, la deuxième version prévoyait que la remise de dix ans s'appliquerait au total des peines infligées par la cour.[5]
56. Le Gouvernement déduit de ce qui précède que les exemples de décisions de justice produits par le requérant à l'appui de son allégation relative à une application de la loi discriminatoire à son égard ne sont pas pertinents, car ils remontent tous à des dates antérieures au 14 mars 2002, et donc à l'entrée en vigueur, le 21 mai 2002, de la deuxième version de l'article 1 § 2 (qui lui a été appliquée).
57. Le Gouvernement conclut que le calcul de la peine du requérant était correct et conforme à la loi en vigueur au moment des décisions correspondantes. Il estime que malgré la remise de dix ans, le requérant ne pouvait prétendre à une libération conditionnelle, compte tenu du reliquat de la peine qu'il devait encore purger.
2. Appréciation de la Cour
58. Au vu de l'ensemble des circonstances de la présente affaire et, en particulier, des éléments de droit interne dont elle dispose, la Cour n'estime pas devoir s'attarder sur la question de l'épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement (paragraphe 51 ci-dessus) car, en tout état de cause, les griefs du requérant ne sauraient prospérer.
59. En l'espèce, il n'est pas contesté que celui-ci a été condamné à une peine d'emprisonnement au terme d'une procédure prévue par la loi, par un tribunal compétent au sens de l'article 5 § 1 a) de la Convention. L'intéressé n'a d'ailleurs pas mis en cause la légalité de sa détention jusqu'à la promulgation, le 21 décembre 2000, de la loi no 4616. En revanche, il allègue avoir été exclu du bénéfice d'une libération conditionnelle après cette date, et s'estime victime pour cette raison d'un traitement discriminatoire.
Cette allégation concerne les mesures relatives à la remise d'une peine ou à un changement dans le système de libération conditionnelle, qui ont trait à l'« application » de la peine, et n'en sont pas partie intégrante (Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 142, CEDH 2008‑(...), et Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 98, 17 septembre 2009).
60. A cet égard, la Cour rappelle d'emblée que l'article 5 § 1 a) de la Convention ne garantit pas, en tant que tel, le droit pour un condamné, par exemple, de jouir d'une loi d'amnistie ou de bénéficier de façon anticipée d'une remise en liberté conditionnelle ou définitive (Mouesca c. France (déc.), no 52189/99, 18 octobre 2001, et İrfan Kalan c. Turquie (déc.), no 73561/01, 2 octobre 2001). Toutefois, il pourrait en aller autrement lorsque les juridictions internes sont tenues, en l'absence de tout pouvoir discrétionnaire, d'appliquer une telle mesure à toute personne remplissant les conditions fixées par la loi pour en bénéficier (Grava c. Italie, no 43522/98, § 43, 10 juillet 2003, Pilla c. Italie, no 64088/00, § 41, 2 mars 2006, et Şahin Karataş c. Turquie, no 16110/03, § 35, 17 juin 2008).
61. Les approches apparemment différentes des juridictions turques et l'incertitude qui se dégage de l'absence de jurisprudence uniforme et claire en la matière sont révélatrices de la complexité juridique de la situation examinée. Mais, en réalité, le problème qui se pose en l'espèce n'est pas celui de savoir si le requérant a bénéficié de la remise de peine de dix ans offerte par la loi no 4616 : ce point ne fait pas controverse.
Le principal argument formulé par l'intéressé devant les autorités compétentes consistait à dire que la remise de peine devait être appliquée après confusion du reliquat de sa première peine de 23 ans et 249 jours de prison avec sa seconde peine de 36 ans de prison, en vertu de l'article 77 § 1 de l'ancien code pénal (paragraphe 24 ci-dessus).
Cependant, les juges ont suivi le procureur O.O., qui estimait que l'article 77 § 6 dudit code interdisait la confusion d'une peine avec une peine déjà plafonnée en vertu de l'article 77 § 1, et que le reliquat d'une peine imposée en vertu de l'article 17 de l'ancien code pénal à la suite de la révocation d'une décision de libération conditionnelle devait être purgé intégralement et ne pouvait donc être cumulé avec une autre peine infligée postérieurement (paragraphes 29 et 34 ci-dessus).
62. Le fait que les juridictions concernées aient souscrit aux arguments du procureur O.O. n'entache pas la détention du requérant d'arbitraire au regard de l'article 5 § 1 a) (Mehmet Ferit Aydın c. Turquie (déc.), no 41954/98, 14 septembre 2000). Il leur incombait en premier lieu d'interpréter et d'appliquer le droit interne et il n'appartient pas à la Cour de se substituer à elles pour évaluer les faits qui les ont conduites à adopter une décision plutôt qu'une autre. Cela étant, après l'avoir examiné de près, la Cour ne peut que marquer son accord avec le procédé de calcul adopté en l'espèce, lequel ne prête à aucune confusion et cadre avec les règles en vigueur à l'époque des faits.
63. Cela étant, tout en étant conforme en elle-même aux exigences de l'article 5 § 1 a), il n'est pas exclu que la détention du requérant après l'entrée en vigueur de la loi no 4616 puisse néanmoins enfreindre cette disposition combinée avec l'article 14, à condition de revêtir un caractère discriminatoire (voir, par exemple, l'Affaire linguistique belge (fond), 23 juillet 1968, § 9, série A no 6). La Cour l'a d'ailleurs déjà dit : une distinction concernant les modalités d'exécution d'une mesure privative de liberté n'échappe pas à l'empire de l'article 14, car elle se répercute sur la manière dont est « assurée » la « jouissance » du droit consacré par l'article 5 § 1 a) (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 72, série A no 22, et İrfan Kalan c. Turquie (déc.), no 73561/01, 2 octobre 2001).
64. Il reste donc à examiner, à la lumière de la jurisprudence pertinente (voir, pour un exposé des principes généraux, Kafkaris, précité, §§ 159‑161), le point de savoir si le requérant peut légitimement prétendre avoir été l'objet d'un traitement discriminatoire par rapport à d'autres détenus qui ont bénéficié d'une mise en liberté conditionnelle.
65. A cet égard, la Cour reconnaît qu'il est difficile de distinguer, dans la situation du requérant, de circonstances de fait qui différeraient essentiellement de celles du détenu İ.K., admis au bénéfice de la libération conditionnelle le 13 mars 2002 (paragraphe 43 ci-dessus), encore moins de celles du détenu M.Ç., qui a fait l'objet de l'arrêt de la 1ère chambre répressive de la Cour de cassation en date du 5 mars 2002 (paragraphe 39 ci-dessus). De surcroît, le raisonnement qui ressort de ce dernier arrêt avait bien été suivi également dans l'affaire du requérant, d'abord par la cour d'assises de Kütahya (paragraphe 28 ci-dessus) puis par la cour d'assises d'Eskişehir (paragraphe 31 ci-dessus) ; ce n'est qu'ensuite que la 1ère chambre a changé sa position sur la question (paragraphe 30 ci-dessus).
66. Toutefois, dans les circonstances de la présente affaire, la distinction sus-décrite ne saurait tomber sous le coup de l'article 14 de la Convention, lequel ne joue que si des personnes placées dans des situations analogues ou comparables en la matière ont bénéficié d'un traitement préférentiel non-justifié (voir, parmi beaucoup d'autres, Sheffield et Horsham c.
Royaume-Uni, 30 juillet 1998, § 75, Recueil 1998‑V, et Spadea et Scalabrino c Italie, 28 septembre 1995, § 45, série A no 315‑B), en l'occurrence, dans la jouissance des droits consacrés par l'article 5 § 1 a).
67. En l'espèce, si la Cour a pu se convaincre que le calcul de la durée de la peine à purger par le requérant ne souffrait pas d'erreurs (paragraphe 62 ci-dessus), elle n'est pas à même d'arriver à une telle conclusion en ce qui concerne la situation des détenus İ.K. et M.Ç., auxquels le requérant se compare. Toutefois, il n'y a pas lieu de spéculer plus avant sur ce point, car au regard de la question soulevée dans la présente affaire, il suffit pour la Cour de souligner qu'en droit turc, s'agissant des modalités d'exécution des peines, aucune mesure ni erreur, fût-elle favorable à un détenu, ne confère aucun droit acquis et est susceptible d'être corrigée à tout moment, d'office (paragraphes 30 et 36 ci-dessus). Donc, les situations d'İ.K. ou de M.Ç. ne relèvent pas de l'exercice d'un droit acquis sur le terrain de l'article 5 § 1 a), et n'ont de ce fait aucune valeur comparative relativement à la situation du requérant : s'il y a eu inégalité, il s'agit d'une inégalité apparente de fait, dont l'intéressé ne saurait légitimement se prévaloir au regard de l'article 14.
68. Aussi la requête doit-elle être rejetée pour motif de défaut manifeste de fondement, au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Déclare la requête irrecevable.
Sally Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente
[1]. Ces règles sont énoncées dans la loi n° 647.
[2]. A ne pas confondre avec l’arrêt de cassation rendu à la même date dans un autre dossier n° 2002/149-633 (paragraphe 43 ci-dessous).
[3]. Paragraphe 42 ci-dessus.
[4]. Ce principe semble à première vue contredire celui posé précédemment par la 6ème chambre (paragraphe 37 ci-dessus). Cependant, dans un arrêt du 16 juin 2003 (arrêt n° 2003/02212-01393), la 1ère chambre a qualifié d’« établi » en la matière le principe posé par l’assemblée plénière.
[5]. « In accordance with the first version [of article 1 § 2 of the Law no. 4616], this deduction would be applied to the total of the terms of imprisonment which the convict would serve. In the second version, the deduction of 10 years would be applied to the total of terms of the imprisonment imposed by the court. »