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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
12.1.2010
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE DOĞRU AVŞAR c. TURQUIE

(Requête no 14310/05)

ARRÊT

STRASBOURG

12 janvier 2010

DÉFINITIF

12/04/2010

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Doğru Avşar c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Dragoljub Popović,
Nona Tsotsoria,
Işıl Karakaş,
Kristina Pardalos, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2009,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 14310/05) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet État, Mme Sevil Doğru Avşar (« la requérante »), née en 1962 et résidant à İzmir, a saisi la Cour le 8 avril 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Mes N. Değirmenci et B. Değirmenci, avocats à İzmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

3. Le 10 septembre 2008, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

4. Le 18 janvier 2001, le ministère de l'Éducation nationale rejeta la demande, formulée par la requérante, de réintégration à son poste d'institutrice. Cette décision lui fut notifiée le 12 février 2001. A une date non précisée, celle-ci intenta un recours contre la décision de l'administration devant le tribunal administratif d'Ankara qui, par une décision du 12 avril 2001, se déclara incompétent ratione loci (yer yönünden yetkisizlik) et envoya le dossier au tribunal administratif d'İzmir. Par un jugement du 7 novembre 2001, ce dernier rejeta la demande de la requérante qui, le 24 juin 2002, se pourvut en cassation. Le 15 septembre 2004, le Conseil d'État confirma le jugement attaqué.

EN DROIT

5. Sous l'angle de l'article 13 de la Convention, la requérante se plaint essentiellement de n'avoir pas pu obtenir sa réintégration à son ancien poste. A cet égard, elle prétend également que les recours administratifs et judiciaires qu'elle a intentés en vue de sa réintégration n'étaient pas effectifs dans la pratique, étant donné qu'ils n'ont pas abouti à un résultat favorable à sa demande.

La Cour estime que, par principe, les États ont un intérêt légitime à réguler les conditions d'emploi dans le service public. Elle a également considéré que le refus d'embauche dans la fonction publique ne pouvait en tant que tel constituer le fondement d'un grief tiré de la Convention (Glasenapp c. Allemagne, 28 août 1986, § 49, série A no 104, et Kosiek c. Allemagne, 28 août 1986, § 35, série A no 105) et que, par ailleurs, la Convention ne garantissait pas en tant que tel le droit d'accès à une profession particulière (voir, mutatis mutandis, Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, § 43, série A no 323, et Thlimmenos c. Grèce [GC], no 34369/97, § 41, CEDH 2000IV). Tel est le cas en l'espèce. Aucune apparence d'arbitraire ni de violation de l'équité de la procédure interne n'a pu être relevée par ailleurs. Vu que l'article 13 de la Convention, dont l'efficacité du recours qu'il garantit ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable, ne peut être invoqué indépendamment des autres dispositions de la Convention et compte tenu des conclusions tirées ci-dessus, la Cour rejette le grief de la requérante pour défaut manifeste de fondement en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

6. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, la requérante dénonce la durée excessive de son procès. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le retenir.

7. Quant au fond, la période à considérer a débuté à la date à laquelle la requérante a introduit son action devant le tribunal administratif d'Ankara (entre les 12 février et 12 avril 2001). Elle s'est terminée le 15 septembre 2004. Elle a donc duré environ trois ans et demi pour deux instances dans un litige portant sur le contentieux du travail. Or, la Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle de la présente espèce, dans lesquelles elle a conclu à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000VII).

8. Elle observe qu'en l'espèce, l'affaire est restée pendante devant le Conseil d'État pendant environ deux ans et trois mois. Le Gouvernement n'a présenté aucune explication pouvant justifier cette durée et rien dans le dossier ne permet d'attribuer celle-ci au comportement de la requérante. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime donc qu'en l'espèce, la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.

9. Reste la question de l'application de l'article 41, au titre duquel, la requérante réclame 10 000 euros (EUR) pour préjudice moral. Elle réclame également 6 200 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. A titre justificatif, elle fournit un décompte des heures de travail effectué par son avocat.

Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ces demandes.

10. Statuant en équité comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour alloue à la requérante 1 000 EUR pour dommage moral et 1 000 EUR pour frais et dépens engagés.

11. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que l'État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

i. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;

ii. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par la requérante, pour frais et dépens ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 janvier 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-Passos Françoise Tulkens
Greffière adjointe Présidente