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Rozsudek
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ADALMIŞ ET KILIÇ c. TURQUIE
(Requête no 25301/04)
ARRÊT
STRASBOURG
1er décembre 2009
DÉFINITIF
01/03/2010
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Adalmış et Kılıç c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 novembre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 25301/04) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Sedat Adalmış et Ercan Kılıç (« les requérants »), ont saisi la Cour le 31 mai 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Mes Y. Başara et M. Filorina, avocats à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.
3. Le 13 novembre 2008, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le grief tiré de l'article 6 § 3 c) au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Les requérants sont nés respectivement en 1976 et 1974 et résident à Istanbul.
5. Le 11 juillet 1999, le requérant Adalmış fut arrêté et placé en garde à vue ; le requérant Kılıç le fut le 13 juillet 1999.
6. Le 17 juillet 1999, ils furent tous deux entendus par le procureur près la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul (« le procureur » – « la cour de sûreté de l'Etat »). Par la suite, ils furent traduits devant un juge assesseur de cette juridiction, lequel ordonna leur mise en détention provisoire.
7. Lors des interrogatoires menés au cours de leur garde à vue, les requérants ne furent assistés par aucun avocat.
8. Le 18 août 2000, le procureur mit les requérants en accusation devant la cour de sûreté de l'Etat sur le fondement de l'article 168 de l'ancien code pénal réprimant l'appartenance à une bande armée.
9. Le 23 octobre 2002, la cour de sûreté de l'Etat condamna chacun des requérants à une peine d'emprisonnement de dix-sept ans et six mois. Elle augmenta également la peine du requérant Adalmış de deux ans et un mois d'emprisonnement pour avoir posé un engin explosif dans un lieu public. Pour établir la culpabilité des intéressés, la cour de sûreté de l'Etat se fonda sur les procès-verbaux d'état des lieux et de perquisition, les résultats de l'expertise calligraphique concernant l'écriture du requérant Kılıç et les cassettes vidéo concernant le requérant Adalmış, ainsi que les dépositions faites par les deux intéressés lors de leur garde à vue.
10. Par un arrêt du 18 novembre 2003, prononcé en audience publique le 19 novembre 2003, la Cour de cassation confirma ce jugement.
11. Le 23 janvier 2004, l'arrêt de cassation fut mis au net au greffe de la première instance.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
12. Le droit et la pratique internes pertinents en l'espèce sont exposés dans l'arrêt Salduz c. Turquie ([GC], no 36391/02, §§ 27-31, 27 novembre 2008).
EN DROIT
13. Invoquant l'article 6 § 3 c) de la Convention, les requérants se plaignent de ne pas avoir bénéficié de l'assistance d'un avocat lors de leur garde à vue et d'avoir été condamnés sur la base, en autres, des dépositions qu'ils avaient faites au cours de cette période.
I. SUR LA RECEVABILITÉ
14. Le Gouvernement excipe d'emblée du non-respect de la règle de six mois : il estime que les requérants auraient dû introduire leur requête dans le délai de six mois commençant à courir, selon lui, soit le 17 juillet 1999, date de leur comparution devant le juge assesseur, soit le 19 novembre 2003, date du prononcé en audience publique de l'arrêt de cassation.
15. La Cour rappelle sa jurisprudence constante (John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, § 63, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I) en vertu de laquelle l'examen de l'équité d'une procédure doit se faire à la lumière de l'ensemble de la procédure. Dans ces circonstances, la décision interne définitive, au sens de l'article 35 § 1 de la Convention, dans la présente espèce est l'arrêt de la Cour de cassation du 18 novembre 2003 (voir, dans le même sens, Ditaban c. Turquie, no 69006/01, § 47, 14 avril 2009).
16. En ce qui concerne la question de savoir à quelle date le délai de six mois commence à courir en cas d'absence de notification de l'arrêt de cassation, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, lorsque la signification n'est pas prévue en droit interne, comme c'est le cas en droit turc, il convient de prendre en considération la date de la mise à disposition de la décision, date à partir de laquelle les parties peuvent réellement prendre connaissance de son contenu (Seher Karataş c. Turquie, no 33179/96, § 27, 9 juillet 2002). Par ailleurs, le requérant, ou son avocat, doit disposer du texte de l'arrêt de la Cour de cassation pour élaborer son argumentation devant la Cour (Bilgin et Bulga c. Turquie, no 43422/02, § 11, 16 juin 2009).
17. En l'espèce, la Cour observe qu'il ressort du dossier que l'arrêt de la Cour de cassation du 18 novembre 2003, prononcé en audience publique le lendemain, a été mis à la disposition des parties au greffe de la cour de sûreté de l'Etat le 23 janvier 2004.
18. Aucun élément ne permet de penser que les requérants ou leurs avocats ont pu disposer du texte de l'arrêt à la date du prononcé en audience publique, audience à laquelle ils n'avaient d'ailleurs pas l'obligation d'assister (Okul c. Turquie (déc.), no 45358/99, 4 septembre 2003). Ainsi, le délai de six mois a commencé à courir le 23 janvier 2004 et les requérants peuvent passer pour avoir satisfait aux exigences de l'article 35 § 1 de la Convention sur ce point.
19. Il s'ensuit que l'exception de tardiveté soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.
20. La Cour constate par ailleurs que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 3 c) DE LA CONVENTION
21. Le Gouvernement soutient que le droit à un procès équitable des requérants n'a pas été violé étant donné qu'ils ont été représentés par un avocat pendant toute la procédure devant la cour de sûreté de l'Etat et devant la Cour de cassation.
22. Constatant que rien ne permet de distinguer les circonstances de la présente cause de celles examinées dans l'arrêt Salduz (précité, §§ 45-63), la Cour conclut, pour les mêmes motifs, à la violation de l'article 6 § 3 c) de la Convention, combiné avec l'article 6 § 1 (voir également Gülbahar et Tut c. Turquie, no 24468/03, § 10, 24 février 2009).
III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION
23. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants remettent en cause l'appréciation des preuves et le résultat de la procédure menée devant les tribunaux internes. Ils se plaignent également d'une absence de motivation des décisions judiciaires et d'un défaut d'indépendance et d'impartialité des juridictions nationales.
24. Eu égard au constat de violation de l'article 6 § 3 c), combiné avec l'article 6 § 1 de la Convention, la Cour estime qu'il ne s'impose plus de statuer séparément sur le restant des griefs tirés de l'article 6 § 1 (voir, dans le même sens, Soykan c. Turquie, no 47368/99, § 58, 21 avril 2009).
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
25. Au titre de l'article 41 de la Convention, les requérants demandent chacun 15 000 euros (EUR) pour préjudice moral. Ils réclament par ailleurs 5 850 EUR pour frais et dépens. Pour étayer ces demandes, les avocats des requérants soumettent la copie d'une note détaillée concernant des frais divers (frais postaux, de papeterie et de traduction) et indiquant le barème tarifaire minimum de l'Union des barreaux et le temps de travail consacré à la préparation de la requête.
26. La Cour, statuant en équité, accorde la somme de 1 000 EUR à chacun des requérants au titre du dommage moral. Elle estime aussi que la forme la plus appropriée de redressement serait, à condition que les requérants le demandent, un nouveau procès conforme aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention (Salduz, précité, § 72).
27. En ce qui concerne les frais et dépens, et s'agissant en particulier des honoraires d'avocat, la Cour prend en considération le tableau de travail communiqué par les représentants des requérants et estime raisonnable d'accorder conjointement aux requérants 1 000 EUR à ce titre. En l'absence de justificatifs, la Cour rejette la demande pour le surplus.
28. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 3 c) de la Convention, combiné avec l'article 6 § 1 ;
3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs tirés de l'article 6 § 1 ;
4. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i. 1 000 EUR (mille euros) à chacun des requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral,
ii. 1 000 EUR (mille euros) aux requérants conjointement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par les intéressés, pour frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er décembre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Sally Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente