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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
22.9.2009
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE AHMET ARSLAN c. TURQUIE

(Requête no 24739/04)

ARRÊT

STRASBOURG

22 septembre 2009

DÉFINITIF

22/12/2009

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Ahmet Arslan c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er septembre 2009,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 24739/04) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ahmet Arslan (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 décembre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Me S. Epçeli, avocate à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

3. Le 16 septembre 2008, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1979 et réside à Charenton-le-Pont.

5. Le 8 octobre 1998, dans le cadre d’une opération menée contre l’organisation illégale DHKP-C (Front du parti révolutionnaire de libération du peuple), le requérant fut arrêté et placé en garde à vue par des policiers de la direction de la sûreté d’İzmir. Selon le procès-verbal, une bombe à retardement d’environ trois kilos, un minuteur, deux goupilles et un téléphone portable furent retrouvés sur l’intéressé.

6. Le 10 octobre 1998, le requérant fut transféré à la direction de la sûreté d’Istanbul, où il demeura jusqu’au 13 octobre, date à laquelle il retourna à la direction de la sûreté d’İzmir.

7. Avant son transfert à Istanbul, il avait été examiné par un médecin qui n’avait décelé aucune lésion corporelle et qui avait conclu à l’absence de contre-indication médicale à un déplacement en avion.

8. Le 13 octobre 1998, fut dressé un procès-verbal de confrontation et d’identification, aux termes duquel le requérant avait été mis en présence d’un autre membre de l’organisation litigieuse et reconnu par celui-ci comme faisant partie de cette organisation.

9. A la même date, l’intéressé fut examiné par un médecin qui ne releva sur son corps aucune trace de coups ni de blessures.

10. Le 14 octobre 1998, fut dressé le procès-verbal d’un transport sur les lieux effectué sur les indications du requérant et auquel il prit part.

11. Les interrogatoires durèrent jusqu’au 14 octobre 1998. L’intéressé, qui ne fut pas représenté par un avocat au cours de sa garde à vue, reconnut être membre du DHKP-C. Il raconta en détail avoir participé à plusieurs opérations au nom de celui-ci.

12. Le même jour, après un examen médical qui ne révéla aucune anomalie, le requérant fut déféré devant le procureur près la cour de sûreté de l’Etat d’İzmir qui recueillit sa déposition. A cette occasion, l’intéressé reconnut appartenir à l’organisation litigieuse. Au cours de cette audition, il fut donné lecture au requérant de sa déposition de garde à vue et de celles des personnes qui avaient été arrêtées dans le cadre de la même opération policière ainsi que d’un procès-verbal d’identification. Le requérant confirma, pour partie, sa déposition de garde à vue et reconnut partiellement les faits qui lui étaient reprochés en apportant néanmoins des précisions et rectifications à cet égard. Il déclara également avoir fait l’objet de pressions et de mauvais traitements lors de sa garde à vue.

A. La plainte du requérant contre les policiers responsables de sa garde à vue

13. Le 14 octobre 1988, le requérant porta plainte contre les policiers responsables de sa garde à vue pour torture.

14. Le 22 octobre 1998, le procureur de la République d’İzmir rendit une ordonnance de non-lieu au motif qu’il n’y avait aucune preuve tangible pouvant étayer les allégations du requérant.

15. Le 3 mai 1999, se fondant principalement sur les rapports médicaux, le procureur de la République de Fatih fit de même et classa l’affaire sans suite.

16. Le requérant ne fit pas opposition contre les ordonnances de non-lieu.

B. La procédure pénale engagée contre le requérant

17. Le 14 octobre 1998, le requérant comparut devant le juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat d’İzmir. Il réitéra sa déposition faite devant le procureur et dit ne rien regretter. Le juge ordonna son placement en détention provisoire.

18. Par un acte d’accusation présenté le 3 novembre 1998, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul reprocha au requérant d’être membre d’une organisation illégale et requit sa condamnation sur le fondement de l’article 168 § 2 du code pénal.

19. Le requérant fut poursuivi devant la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul (« la cour de sûreté de l’Etat ») dans le cadre d’une procédure impliquant vingt autres accusés faisant partie de la même organisation.

20. A l’audience du 29 janvier 1999, le requérant, assisté de son avocat, contesta les accusations portées contre lui. Il ajouta avoir été torturé lors de sa garde à vue.

21. A l’audience du 14 avril 1999, la cour de sûreté de l’Etat procéda à la lecture des pièces à conviction. Le requérant nia une nouvelle fois les faits qui lui étaient reprochés. Au terme de cette audience, la cour de sûreté prononça le maintien en détention de l’intéressé eu égard au contenu du dossier et à l’état des preuves.

22. Le 18 juin 1999, la Grande Assemblée nationale de Turquie modifia l’article 143 de la Constitution et exclut les magistrats militaires de la composition des cours de sûreté de l’Etat.

23. A la suite des modifications législatives apportées en ce sens le 22 juin 1999 à la loi sur les cours de sûreté de l’Etat, le juge militaire siégeant au sein de la cour de sûreté de l’Etat chargée de l’affaire du requérant fut remplacé.

24. Du 25 juin 1999 au 10 juillet 2002, la cour de sûreté de l’Etat tint quatorze audiences. Durant cette période, elle prononça le maintien en détention du requérant eu égard notamment au contenu du dossier, à l’état des preuves, à la nature des crimes reprochés et à la date et la durée de la détention.

25. Les 25 juin et 25 août 1999, les juges entendirent des témoins. Le requérant prit la parole à deux reprises et soutint être innocent.

26. A l’audience du 15 novembre 2000, le parquet présenta ses conclusions finales et requit la condamnation du requérant.

27. Le 16 mai 2001, l’intéressé demanda une nouvelle fois son acquittement et sollicita un délai pour la préparation de sa défense, soutenant n’avoir pu s’entretenir avec son avocat, ce qui lui fut accordé.

28. Les 10 juillet et 25 août 2002, le conseil du requérant exposa ses moyens de défense quant au fond des accusations et demanda son acquittement. Il souligna que la garde à vue de l’intéressée, de par sa durée, avait été contraire aux dispositions de la Convention et aux exigences de la jurisprudence de la Cour. Il ajouta que, ayant été recueillies sous la contrainte, ses déclarations ne sauraient servir de preuves.

29. Le 25 octobre 2002, la cour de sûreté de l’Etat rendit son arrêt concernant vingt et un accusés dont le requérant. Elle déclara le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à une peine d’emprisonnement de quinze ans en application de l’article 168 § 2 du code pénal. Pour ce faire, la Cour se fonda sur les éléments de preuve contenus dans le dossier et notamment sur la déposition faite par le requérant au cours de sa garde à vue, ses dépositions devant le procureur de la République et le juge assesseur ainsi que sur les procès-verbaux d’arrestation, de transport sur les lieux, d’identification et de confrontation. Elle jugea notamment établi que le requérant entretenait un lien permanent avec l’organisation incriminée au moyen d’un ordinateur portable.

30. Le 8 décembre 2002, le requérant se pourvut en cassation.

31. Le 1er juillet 2003, après avoir tenu une audience, la Cour de cassation confirma l’arrêt attaqué, considérant que la décision rendue par la juridiction de première instance était conforme aux règles procédurales et à la loi. Elle estima notamment au vu des éléments de preuve que la qualification des faits retenue par la juridiction de première instance était conforme aux conclusions de l’instruction.

32. Le 2 juillet 2003, cet arrêt fut prononcé hors la présence de l’avocat du requérant.

33. Le 14 août 2003, l’arrêt de la Cour de cassation fut mis à la disposition des parties au greffe de la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 DE LA CONVENTION

34. Invoquant l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 c) de la Convention, le requérant se plaint de n’avoir pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de l’instruction préliminaire. Il y voit une violation de ses droits de la défense.

35. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ce grief pour non-respect du délai de six mois. Sur le fond, il soutient que pour déterminer si un procès a ou non revêtu un caractère équitable, il faut prendre en considération l’intégralité de la procédure. A cet égard, il estime que la restriction imposée à l’accès du requérant à un avocat lors de l’instruction préliminaire n’a pas enfreint le droit à un procès équitable garanti à l’intéressé par l’article 6 de la Convention. Dès lors, selon le Gouvernement, dans la mesure où le requérant a été représenté par un avocat pendant la procédure devant la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul et devant la Cour de cassation, son droit à un procès équitable n’a pas été violé.

36. La Cour note que l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juillet 2003, qui a été mis à la disposition des parties au greffe de la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul le 14 août 2003, constitue la décision interne définitive, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Elle observe que l’intéressé a introduit sa requête le 30 décembre 2003, soit dans le délai de six mois à partir de la décision interne définitive. Elle constate en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

37. En ce qui concerne le fond de l’affaire, la Cour renvoie à son arrêt Salduz c. Turquie ([GC], no 36391/02, §§ 45-63, 27 novembre 2008) et conclut, pour les mêmes motifs, à la violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention combiné avec l’article 6 § 1. En effet, la Cour considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.

II. SUR LES AUTRES ARTICLES DE LA CONVENTION

38. Le requérant se plaint également de la violation des articles 3, 5 §§ 1 c), 2, 3 et 5, 6 § 1, 6 § 2, 6 § 3 d), 8, 13 et 14 de la Convention.

39. La Cour a examiné l’ensemble des griefs tels qu’ils ont été présentés par le requérant. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaitre des allégations formulées, elle n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

40. Le requérant réclame 5 000 euros (EUR) pour préjudice matériel et 5 000 EUR pour préjudice moral. Pour ce qui est des frais et dépens, il demande 7 874 EUR. A titre de justificatifs, il fournit une facture relative aux honoraires d’avocat et le tableau des honoraires de référence des avocats au barreau d’Istanbul ainsi que des quittances relatives aux frais d’envoi postaux.

41. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

42. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 1 000 EUR au titre du préjudice moral.

43. En outre, la Cour réaffirme que la forme la plus appropriée de redressement pour une violation de l’article 6 § 1 consiste à faire en sorte que le requérant se retrouve autant que possible dans la situation qui aurait été la sienne si cette disposition n’avait pas été méconnue (Salduz, précité, § 72, Teteriny c. Russie, no 11931/03, § 56, 30 juin 2005, Jeličić c. Bosnie-Herzégovine, no 41183/02, § 53, CEDH 2006-..., et Mehmet et Suna Yiğit c. Turquie, no 52658/99, § 47, 17 juillet 2007). Elle juge que ce principe trouve à s’appliquer en l’espèce. En conséquence, la forme la plus appropriée de redressement serait, pourvu que le requérant le demande, un nouveau procès conforme aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003).

44. Quant aux frais et dépens, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR, moins les 850 euros versés par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire, pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

45. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la non-assistance par un avocat lors de la garde à vue et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention combiné avec l’article 6 § 1 à raison du fait que le requérant a été privé de l’assistance d’un avocat pendant sa garde à vue ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

i) 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens, moins les 850 EUR (huit cent cinquante euros) versés par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 septembre 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Sally Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente