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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
3.3.2009
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SIMÕES ALVES NORONHA c. PORTUGAL

(Requête no 35254/05)

ARRÊT

STRASBOURG

3 mars 2009

DÉFINITIF

03/06/2009

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Simões Alves Noronha c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,

Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 février 2009,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35254/05) dirigée contre la République portugaise et dont des ressortissantes de cet Etat, Mmes Maria de Lourdes Simões Alves Noronha Lopes, Maria João Simões Alves Noronha, Maria Madalena Simões Alves Noronha Cabral Menéres, Maria da Graça Simões Alves Noronha Mendes de Almeida, Maria Isabel Simões Alves Noronha Cabral Menéres et Maria Teresa Simões Alves Noronha Pisarra (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 21 septembre 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérantes interviennent en leur propre nom ainsi que dans leur qualité d’héritières de Mme Maria Madalena d’Abreu Simões Alves de Noronha, décédée le 28 septembre 1995.

3. Les requérantes sont représentées par Me B. Bagulho Albino, avocat à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. J. Miguel, procureur général adjoint.

4. Les requérantes alléguaient que la détermination et le paiement tardifs d’une indemnisation consécutive à l’expropriation de leurs terrains avait porté atteinte au droit au respect de leurs biens.

5. Le 19 mai 2008, la Cour (deuxième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérantes, Mmes Maria de Lourdes Simões Alves Noronha Lopes, Maria João Simões Alves Noronha, Maria Madalena Simões Alves Noronha Cabral Menéres, Maria da Graça Simões Alves Noronha Mendes de Almeida, Maria Isabel Simões Alves Noronha Cabral Menéres et Maria Teresa Simões Alves Noronha Pisarra, sont des ressortissantes portugaises, nées respectivement en 1940, en 1953, en 1944, en 1950, en 1947 et en 1942 et résidant à Évora (Portugal).

7. Les requérantes sont les héritières de Mme Maria Madalena d’Abreu Simões Alves de Noronha, décédée le 28 septembre 1995, l’usufruitière de plusieurs terrains d’une superficie totale de 9 795,65 hectares, qui firent l’objet d’une expropriation en 1975 dans le cadre de la politique relative à la réforme agraire.

8. La législation pertinente en la matière prévoyait que les propriétaires pouvaient, sous certaines conditions, exercer leur droit de « réserve » (direito de reserva) sur une partie des terrains afin d’y poursuivre leurs activités agricoles. Elle prévoyait par ailleurs l’indemnisation des intéressés. Le montant, le délai et les conditions de paiement d’une telle indemnisation restaient à définir.

9. Suite à l’exercice de leur droit de réserve, pendant les années 1980, 1982, 1986, 1988, 1990 et 1993, les requérantes se trouvèrent en possession d’une partie de leurs terrains correspondant à 9 401,34 hectares, le restant n’ayant pas été rendu.

10. Une subvention correspondant à 203 949 escudos portugais (PTE), soit 1 017 euros (EUR), fut attribuée ainsi que des indemnisations provisoires correspondant à 4 013 510 PTE (20 019 EUR) pour l’usufruitière, et à 13 087 126 PTE (65 278 EUR) pour chaque requérante dans un totale de 391 670 EUR.

11. Par des arrêtés ministériels conjoints du ministre de l’Agriculture et du secrétaire d’Etat au Trésor en date du 2 février 2005, portés à la connaissance du représentant des requérantes le 21 mars 2005, l’indemnisation définitive fut fixée à 339 799 843 PTE (1 694 915 EUR). De cette somme devait être déduit le montant de 412 706 EUR correspondant à la subvention et aux indemnisations provisoires octroyées. Ce montant, majoré de 1 062 209 EUR à titre d’intérêts, fut versé le 12 août 2005.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

12. L’arrêt Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal (nos 29813/96 et 30229/96, CEDH 2000-I) décrit, en ses paragraphes 31 à 37, le droit et la pratique internes pertinents en matière de réforme agraire. Il convient d’ajouter que le Tribunal constitutionnel a confirmé sa jurisprudence en la matière (arrêt Almeida Garrett précité, § 37) par son arrêt no 85/03/T du 12 février 2003.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

13. Les requérantes allèguent que le montant des indemnisations ne saurait correspondre à une « juste indemnisation » et se plaignent du retard dans la fixation et le paiement de l’indemnisation définitive. Elles invoquent la violation du droit au respect de leurs biens, prévu par l’article 1 du Protocole nº 1 à la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

14. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

15. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité (voir, à cet égard, Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal précité, §§ 4143). Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

16. La Cour rappelle qu’elle a déjà été appelée à examiner des affaires similaires, s’agissant de la politique d’indemnisation des nationalisations et expropriations ayant eu lieu au Portugal en 1975 (voir l’arrêt Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres précité et, en dernier lieu, Companhia Agrícola Cortes e Valbom, S.A. c. Portugal, nº 24668/05, 30 septembre 2008). Dans toutes ces affaires, elle a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1, considérant que les intéressés avaient eu à supporter une charge spéciale et exorbitante ayant rompu le juste équilibre devant régner entre, d’une part, les exigences de l’intérêt général et, d’autre part, la sauvegarde du droit au respect des biens.

17. La Cour n’aperçoit pas de motifs justifiant de s’écarter de cette jurisprudence dans la présente affaire.

18. Il y a donc eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION

19. Invoquant les mêmes faits, les requérantes invoquent également la violation des articles 6 et 13 de la Convention.

20. Eu égard à la conclusion formulée au paragraphe 18 ci-dessus, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner la question séparément sous l’angle de ces dispositions.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

21. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

22. Les requérantes réclament plusieurs sommes au titre du préjudice matériel et moral qu’elles auraient subi.

23. Le Gouvernement conteste ces demandes.

24. La Cour relève, conformément à sa jurisprudence constante en la matière, que les requérantes ont pu subir un préjudice matériel, correspondant à la différence entre les intérêts à recevoir aux termes de la législation pertinente et la dépréciation monétaire au Portugal pendant la période concernée, qui a débuté le 9 novembre 1978, date de l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard du Portugal, et s’est terminée à la date de mise à disposition des requérantes de l’indemnisation en cause. En effet, les sommes que les requérantes devaient recevoir n’ont pas été mises à leur disposition dans les délais prévus par la législation interne pertinente et le taux d’intérêt moratoire a été trop bas par rapport à la dépréciation de la monnaie pendant la période en cause (voir Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal (satisfaction équitable), nos 29813/96 et 30229/96, §§ 22 et 23, 10 avril 2001).

25. Le calcul précis d’un tel préjudice se heurte toutefois à des difficultés, l’indemnisation fixée tenant en effet déjà compte, dans une certaine mesure, de l’écoulement du temps, même si le montant indiqué à titre d’intérêts, certes important, se révèle de toute évidence insuffisant pour compenser le long laps de temps en cause dans la présente affaire. Ces difficultés augmentent si l’on tient compte des différents éléments composant l’indemnisation en cause, dont le calcul a par ailleurs certainement retardé la détermination du montant de ladite indemnisation. Enfin, le fait que les requérantes ont reçu des indemnisations provisoires doit aussi entrer en jeu, s’agissant de déterminer leur préjudice réel.

26. La Cour décide ainsi de calculer le préjudice des requérantes en équité, comme le permet l’article 41 de la Convention. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, ainsi que de sa jurisprudence en la matière, elle juge raisonnable d’allouer la somme de 350 000 EUR conjointement aux requérantes, pour le dommage matériel.

27. Concernant le dommage moral, la Cour décide d’accorder la somme de 2 500 EUR à chaque requérante.

B. Frais et dépens

28. Les requérantes demandent également 20 000 EUR pour les frais et dépens.

29. Le Gouvernement conteste ce montant qu’il trouve excessif.

30. La Cour décide, conformément à sa pratique dans ce type d’affaires, d’octroyer à titre de frais et dépens la somme forfaitaire de 2 000 EUR, conjointement aux requérantes.

C. Intérêts moratoires

31. La Cour juge approprié de calculer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole nº 1 ;

  1. Dit qu’il ne s’impose pas d’examiner séparément les griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention les sommes suivantes :

(i) 350 000 EUR (trois cent cinquante mille euros) aux requérantes, conjointement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

(ii) 2 500 EUR (deux mille cinq cent euros) à chaque requérante, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

(iii) 2 000 EUR (deux mille euros) conjointement aux requérantes, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par eux, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 mars 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-Passos Françoise Tulkens
Greffière adjointe Présidente