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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE DINU c. ROUMANIE et FRANCE
(Requête no 6152/02)
ARRÊT
STRASBOURG
4 novembre 2008
DÉFINITIF
06/04/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Dinu c. Roumanie et France,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura-Sandström,
Jean-Paul Costa,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 octobre 2008,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 6152/02) dirigée contre la Roumanie et la France et dont une ressortissante roumaine,
Mme Cristina Dinu (« la requérante »), a saisi la Cour le 20 janvier 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement roumain est représenté par son agent, M. Răzvan‑Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères. Le gouvernement français est représenté par son agente, Mme Edwige Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Par une décision du 23 novembre 2006, la Cour a déclaré la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention et visant le droit de la requérante à l’exécution des décisions judiciaires rendues en sa faveur.
4. Tant la requérante que les deux gouvernements ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante est née en 1957 et réside à Braşov.
A. Procédures relatives à la fixation de la pension alimentaire
6. Par un jugement du 7 juillet 1992, le tribunal de première instance de Braşov condamna N.C., de nationalité roumaine, le mari de la requérante qui avait quitté la Roumanie pour la France, à verser une pension alimentaire de 2 000 lei roumains (ROL) par mois au bénéfice de C., leur enfant mineur, né en 1987 et élevé par la requérante.
7. Le 14 janvier 1993, par un jugement définitif du même tribunal, la pension fut portée, à la demande de la requérante, à 3 150 ROL par mois.
8. Par un jugement du 24 juin 1994, le tribunal de première instance de Braşov prononça le divorce entre la requérante et N.C. et mit à la charge de ce dernier l’obligation de verser une pension alimentaire de 1 000 francs français (FRF) à son fils, à compter de la date du jugement.
Par un arrêt définitif du 3 mai 1995, la cour d’appel de Braşov, sur un appel des parties, fixa la pension alimentaire à 800 FRF par mois.
9. Par un arrêt définitif du 22 avril 1997, le tribunal départemental de Braşov rejeta la demande de diminution de la pension présentée par N.C.
B. Démarches en vue d’obtenir le paiement de la pension
1. Démarches visant la pension fixée avant l’arrêt du 3 mai 1995
10. Le 25 mai 1993, alléguant que N.C. refusait d’acquitter la pension alimentaire, la requérante entama la procédure prévue par la Convention de New York du 20 juin 1956 sur le recouvrement des aliments à l’étranger (« la Convention de New York »), selon laquelle l’institution intermédiaire, en l’espèce, le ministère français des Affaires étrangères (« le ministère français ») assiste le créancier d’aliments pour leur recouvrement par l’intermédiaire de l’autorité expéditrice, en l’espèce, le ministère roumain de la Justice (« le ministère roumain »).
11. Arrivée au ministère roumain le 1er juin 1993, la demande fut transmise au ministère français le 8 juillet 1993.
12. Après un échange de lettres entre les deux ministères et la requérante, le 21 juin 1994, le ministère roumain informa la requérante que le ministère français avait constaté que N.C. payait la pension régulièrement et que, par conséquent, aucune action ne pouvait être entreprise à son encontre.
2. Démarches effectuées après l’arrêt du 3 mai 1995
13. Par une lettre du 20 juillet 1995, la requérante demanda au ministère roumain son assistance afin d’obtenir le versement de la pension alimentaire pour la période de juin 1994 à février 1995, tout en quantifiant ses prétentions.
Le 30 août 1995, cette lettre fut transmise par le ministère roumain au ministère français, accompagnée de la copie des décisions rendues dans la procédure de divorce, ainsi que du point de vue de la requérante sur les modalités de paiement.
14. Le 24 janvier 1996, le ministère français informa le ministère roumain qu’il avait pris contact avec N.C., lequel lui avait communiqué la situation des sommes non payées.
15. Le 16 avril 1996, la requérante informa le ministère roumain des sommes encaissées et précisa ses prétentions jusqu’en octobre 1995.
16. Le 22 avril 1996, le ministère roumain demanda au ministère français de lui communiquer les mesures prises afin que la requérante puisse obtenir le versement de la pension alimentaire due.
17. Par une lettre du 14 juin 1996, le ministère français demanda au ministère roumain de lui confirmer les versements faits par le débiteur et de lui adresser un décompte des sommes dues. Il lui demanda également des précisions quant à la procédure en diminution du montant de la pension (ayant donné lieu à l’arrêt définitif du 22 avril 1997).
18. Par une lettre du 2 juillet 1996, le ministère roumain informa la requérante du contenu des déclarations de N.C. auprès du ministère français. Il demanda également à la requérante de présenter la situation exacte des versements reçus au titre de la pension alimentaire. La réponse de la requérante ainsi que les documents sollicités furent envoyés au ministère français par son homologue roumain le 22 août 1996.
19. Le 5 août 1996, la requérante réitéra sa demande d’assistance auprès du ministère français et présenta le décompte des sommes non payées.
3. Démarches en vue d’obtenir l’exéquatur
20. Le 8 juillet 1997, la requérante informa le ministère roumain de l’adoption de l’arrêt du 22 avril 1997, ayant fixé la pension alimentaire à 800 FRF par mois, et présenta le calcul de la pension restant due pour la période d’octobre 1995 à mai 1997. Cette lettre fut transmise le 30 juillet 1997 au ministère français, lequel la reçut le 3 septembre 1997.
21. Le 4 janvier 1998, la requérante envoya au ministère français un nouveau calcul de la pension non acquittée et demanda son assistance pour en obtenir le paiement.
22. Parallèlement, le 12 décembre 1997, le ministère français demanda au ministère roumain d’informer la requérante qu’il souhaitait disposer d’informations et documents complémentaires, à savoir : préciser quelle était la décision de justice dont devait être prononcé l’exequatur, envoyer la citation à comparaître adressée à N.C. et afférente à l’arrêt du 22 avril 1997, l’acte de signification à partie de cet arrêt ainsi que le certificat constatant l’absence de pourvoi en cassation. En outre, des formulaires de demande d’aide juridictionnelle furent adressés à la requérante afin qu’elle les retourne accompagnés des justificatifs de ses revenus de l’époque.
23. Le 9 janvier 1998, le ministère roumain transmit à la requérante la lettre du ministère français du 12 décembre 1997 et les documents annexés, tout en lui demandant de bien vouloir compléter les formulaires d’aide juridictionnelle et de les lui renvoyer afin qu’il puisse les transmettre au ministère français.
Le 12 janvier 1998, la requérante se conforma aux demandes des deux ministères, les documents étant transmis par le ministère roumain au ministère français le 9 février 1998.
24. Le 17 juillet 1998, le ministère français sollicita à nouveau
du ministère roumain la production de documents complémentaires.
Le 19 août 1998, le ministère roumain envoya cette lettre à la requérante et la conseilla quant à la forme des actes sollicités pour compléter son dossier.
Le 2 septembre 1998, il rappela à la requérante la nécessité de se conformer aux demandes du ministère français, tout en lui précisant qu’en vertu de la Convention de New York, la seule obligation qui incombait au ministère roumain était de transmettre les documents au ministère français.
25. Le 3 septembre 1998, la requérante produisit un certificat du greffe du tribunal de Braşov en date du 12 janvier 1998 attestant que le débiteur était représenté à l’instance ayant donné lieu à l’arrêt du 3 mai 1995, qu’il avait eu communication de l’arrêt par le greffe et que cet arrêt était définitif et exécutoire. Elle renouvela également sa demande visant le paiement des arriérés.
Une seconde attestation en date du 12 septembre 1998 était produite concernant ce même arrêt. En revanche, selon le gouvernement français, aucun élément n’était communiqué quant à la procédure ayant donné lieu à l’arrêt du 22 avril 1997.
26. Au cours de l’année 1999, le ministère roumain informa la requérante que ses documents avaient été transmis aux autorités françaises et indiqua que la durée de la procédure et l’issue de l’affaire dépendaient uniquement du ministère français.
27. Au cours des années 2000 et 2001, la requérante sollicita à plusieurs reprises le ministère roumain afin qu’il intervienne auprès de son homologue pour faire avancer la procédure d’exequatur. Les lettres des 19 janvier, 8 septembre 2000 et du 25 janvier 2001, adressées à cette fin par le ministère roumain, restèrent sans réponse de la part du ministère français.
Le ministère roumain informa la requérante de cette situation et lui rappela que la procédure d’exéquatur et sa durée relevaient de la compétence exclusive des autorités françaises.
28. Par une lettre du 24 septembre 2001, reçue le 4 octobre, le ministère français informa son homologue qu’il envisageait de solliciter l’exequatur des décisions du 3 mai 1995 et du 22 avril 1997 et demanda la copie certifiée conforme par le tribunal de la citation à comparaître à l’audience du 3 mai 1995 adressée à N.C. (ou à son avocat), de l’acte de signification à partie notifiée par voie internationale à ce dernier et d’un état actualisé des sommes dues. Un nouveau formulaire de demande d’aide juridictionnelle était joint.
29. Par une lettre du 29 octobre 2001, le ministère roumain communiqua à la requérante la lettre du 24 septembre 2001 et la conseilla concernant la production des documents demandés et les mesures à prendre pour se conformer aux demandes des autorités françaises.
30. Le 14 janvier 2002, la requérante précisa que tous les documents demandés lui avaient déjà été envoyés au cours de l’année 1998 et qu’une nouvelle transmission constituait désormais un effort financier impossible pour elle. Elle indiqua, en outre, avoir transmis en même temps des renseignements sur le montant restant dû ainsi que le formulaire d’aide juridictionnelle complété.
31. Le 18 mars 2002, le ministère roumain informa la requérante que les documents qu’elle avait envoyés ne se trouvaient pas dans le dossier sous la forme requise et lui demanda en conséquence de les transmettre en bonne et due forme dans les plus brefs délais.
32. Par une lettre du 14 mai 2002, le ministère roumain transmit au ministère français des documents fournis par la requérante avec des précisions quant aux dispositions procédurales concernant la citation et la signification internationales.
33. Le 3 juillet 2002, le ministère roumain, se référant à son courrier du 14 mai 2002, demanda au ministère français de lui en accuser réception et de l’informer du stade de la procédure d’exequatur dans les plus brefs délais.
34. Le 3 septembre 2002, le ministère français informa le ministère roumain des lacunes du dossier en cause, à savoir l’adresse incomplète de N.C., l’absence de la preuve de l’assignation et de la signification des décisions roumaines et l’absence de copies en roumain des décisions rendues par les juridictions roumaines. Il précisa qu’à défaut de fournir les renseignements et les pièces judiciaires sollicitées, aucune démarche ne pourrait être effectuée. Il demanda également au ministère roumain des informations relatives à la loi en matière de signification de décisions judiciaires lorsque l’adresse du débiteur est inconnue.
35. Le 14 septembre 2002, la requérante produisit les originaux des décisions revêtues de la formule exécutoire.
36. Le 23 septembre 2002, le ministère roumain transmit à la requérante une copie de la communication de son homologue en date du 3 septembre 2002. Selon la requérante, cette lettre lui demandait la copie d’une décision du 5 mai 1997, décision qui n’existait pas. Elle y répondit le 30 septembre, en rappelant au ministère français que tous les documents sollicités lui avaient déjà été envoyés entre 1995 et 1998.
37. Les 24 septembre et 16 octobre 2002, le ministère roumain envoya au ministère français le texte des dispositions légales demandées par
celui-ci.
38. Le 7 janvier 2003, l’aide juridictionnelle totale fut accordée à la requérante par le tribunal de grande instance de Béthune. Selon la requérante, ses tentatives pour prendre contact avec l’avocat désigné pour la représenter dans la procédure auraient échoué.
39. Par une lettre du 11 octobre 2003, le ministère français renvoya à la requérante des documents superflus qui se trouvaient dans son dossier, dont deux copies de l’arrêt du 3 mai 1995.
40. Au cours de l’année 2003, de nouvelles recherches furent diligentées en vue de retrouver l’adresse du débiteur, lequel avait déménagé. Lorsque les recherches aboutirent en décembre 2003, le ministère français engagea la procédure d’exequatur.
4. Démarches d’exécution forcée en France
41. Par des ordonnances du 30 avril 2004, le président du tribunal de grande instance de Béthune accorda l’exequatur des décisions roumaines rendues dans la procédure de divorce, y compris de l’arrêt du 3 mai 1995 et de l’arrêt du 22 avril 1997. Il en informa le ministère roumain les 10 juin et 29 juillet 2004. Il transmit également une proposition de règlement amiable de la créance faite par le débiteur, laquelle fut refusée par la requérante par une lettre du 18 juillet 2004.
42. Le 29 juillet 2004 et, faute de réponse, le 8 novembre 2004, le ministère français demanda au ministère roumain que la requérante lui fasse parvenir un décompte actualisé des sommes due ainsi que ses références bancaires.
43. Les mesures d’exécution forcée furent engagées par l’intermédiaire d’un huissier. N.C. contesta auprès de ce dernier la somme réclamée par la requérante, au motif qu’il n’avait pas eu connaissance de la décision du 22 avril 1997. Il proposa une somme à la requérante, dont le versement serait échelonné.
44. Le 26 mai 2005, le ministère français communiqua au ministère roumain la lettre de N.C. et sollicita les observations de la requérante afin de les transmettre à l’huissier. Le 4 juillet 2005, la requérante contesta les affirmations de N.C. et réclama le montant total des sommes dues, selon les décomptes présentés dans une précédente lettre du 4 janvier 2005. Elle se plaignit également de l’inertie de l’huissier dans le recouvrement de la pension mensuelle qui n’était plus versée par N.C. depuis mars 2005.
45. Le 18 mai 2006, le juge de l’exécution près le tribunal de grande instance de Béthune établit un nouveau décompte des arrérages de pension, sa décision étant communiquée par le ministère français au ministère roumain, les 22 et 31 mai 2006.
46. Le 13 septembre 2007, sur appel des parties, la cour d’appel de Douai constata que la dette au titre de l’arriéré de pension était éteinte au plus tard le 27 novembre 2006 et, dès lors, fit droit à la demande de N.C. de mainlevée de la mesure d’exécution forcée.
II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT
47. Les articles pertinents de la Convention de New York sur le recouvrement des aliments à l’étranger, adoptée le 20 juin 1956, sont présentés dans la décision sur la recevabilité adoptée dans la présente affaire le 23 novembre 2006.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
48. La requérante se plaint du manque de diligence des autorités roumaines et françaises compétentes pour l’assister dans l’exécution des décisions internes définitives fixant une pension alimentaire pour son fils. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi dans sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Thèses des parties
1. Grief contre la Roumanie
49. Le gouvernement roumain considère que l’attitude des autorités roumaines ne peut être mise en cause, dans la mesure où il incombait aux autorités françaises de rendre l’arrêt d’exequatur. La seule obligation qui incombait aux autorités roumaines était de transmettre des documents au ministère français, ce qu’elles ont fait. En outre, les autorités roumaines ont périodiquement demandé des renseignements sur l’état de la procédure et que l’affaire soit, si possible, réglée dans le plus court délai.
50. La requérante conteste la thèse du gouvernement roumain. Elle estime que les autorités roumaines n’ont pas satisfait aux obligations qui leur incombaient, en vertu de la Convention de New York précitée, de l’assister dans l’exécution des décisions internes définitives. Selon elle, les autorités roumaines ne l’ont pas informée avec clarté des démarches à suivre afin de voir exécuter les décisions en cause, et elles n’ont pas non plus agi avec diligence et célérité pour assurer l’échange des informations et du courrier entre l’institution intermédiaire et elle-même.
2. Grief contre la France
51. Le gouvernement français estime que pour ce qui est de la période qui s’est écoulée entre 1992 et 1997, la procédure d’exéquatur ne pouvait être utilement engagée dès lors que des procédures visant le montant de la pension étaient encore pendantes devant les juridictions roumaines.
52. S’agissant de la responsabilité de l’Etat français à partir de l’adoption de l’arrêt du 22 avril 1997, le Gouvernement fait valoir, que, malgré la persévérance du ministère français, les pièces constitutives du dossier, qui étaient nécessaires à l’engagement de la procédure d’exequatur préalable à l’exécution, n’ont, pour certaines, pas été produites (citations et significations des décisions à l’intention de N.C.), ou ne l’ont été sous les formes requises que fin 2002.
53. La requérante rappelle que les autorités françaises lui ont demandé de transmettre à plusieurs reprises les mêmes documents, et qu’elles ont laissé s’écouler de nombreux mois avant de demander des documents complémentaires.
Elle considère que les autorités françaises ont fait preuve de négligence, ont traité son dossier de manière superficielle et ont, en tant qu’institution intermédiaire, failli à leurs obligations découlant de la Convention de
New York.
B. Appréciation de la Cour
54. La Cour rappelle que, dans la présente affaire, bien que la requérante ait obtenu, le 3 mai 1995, une décision interne définitive ordonnant à son ex-mari de payer une pension alimentaire en faveur de leur fils mineur, et qu’elle ait engagé, le 20 juillet 1995, la procédure prévue par la Convention de New York, l’ordonnance d’exéquatur n’a été délivrée que le 30 avril 2004 et l’exécution forcée n’a été close par le tribunal français compétent que le 27 novembre 2006.
55. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Tacea c. Roumanie, no 746/02, 29 septembre 2005 ; Orha c. Roumanie, no 1486/02, 12 octobre 2006, et, mutatis mutandis, K. c. Italie, no 38805/97, CEDH 2004‑VIII, et Zabawska c. Allemagne (déc.), no 49935/99, 3 mars 2006). En outre, la Cour note aussi l’enjeu particulièrement important de la présente affaire, la requérante essayant par ses actions d’obtenir le paiement de la pension alimentaire qui lui était nécessaire pour faire face aux besoins quotidiens de son enfant mineur.
56. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que les deux gouvernements défendeurs n’ont exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.
57. Concrètement, la Cour note certains retards dans la transmission des courriers imputables aux autorités roumaines (voir, notamment, les paragraphes 11, 13, 18, 20, 24 et 29 ci-dessus). Quant au ministère français, la Cour n’estime pas raisonnables la lenteur avec laquelle celui-ci a complété le dossier de l’exéquatur, ou les demandes répétées de documents, alors que la requérante a maintes fois rappelé que ces documents avaient déjà été envoyés (paragraphes 22‑24, 32-33, 36 et 38 ci-dessus). Elle constate enfin une période d’absence totale de communication du ministère français avec le ministère roumain et la requérante entre 1999 et septembre 2001 (paragraphes 26-27 ci-dessus).
58. Toutefois, la Cour considère qu’après la délivrance de l’exéquatur, les deux ministères ont rempli avec soin leurs obligations.
59. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce les deux Etats, au moyen de leurs organes spécialisés, n’ont pas déployé tous les efforts nécessaires afin de faire exécuter avec célérité les décisions judiciaires favorables à la requérante.
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention par la Roumanie et la France.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
60. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
61. La requérante réclame le versement par chacun des deux gouvernements défendeurs d’une somme de 100 000 euros (EUR) au titre du dommage moral.
62. Le gouvernement français considère qu’un constat de violation constituerait une satisfaction équitable, thèse à laquelle souscrit aussi le gouvernement roumain, lequel estime en outre que les prétentions de la requérante sont exagérées et qu’aucun lien de causalité entre les violations alléguées et ces prétentions n’a été prouvé.
63. La Cour estime que la requérante a subi un préjudice moral du fait notamment de la frustration provoquée par la lenteur de l’exécution forcée en l’espèce et que ce préjudice n’est pas suffisamment compensé par un constat de violation.
64. Dans ces circonstances, eu égard à l’ensemble des éléments se trouvant en sa possession et notamment des actes et omissions imputables respectivement aux deux Etats et, statuant en équité, comme le veut
l’article 41 de la Convention, la Cour alloue à la requérante 16 000 EUR au titre du préjudice moral, dont 6 000 EUR à la charge de l’Etat roumain et 10 000 EUR à celle de l’Etat français.
B. Frais et dépens
65. La requérante réclame 7 800 EUR pour frais et dépens dans les procédures engagées depuis 1992 afin de mettre en place la pension alimentaire et son paiement par le débiteur. Elle fournit un décompte des frais engagés pour la traduction des documents entre 2002 et 2007, les copies, les envois à la Cour et aux tribunaux français, les frais de notaire, de transport pour se rendre aux audiences, au ministère roumain à Bucarest et d’autres déplacements, en envoyant des quittances attestant une partie de ses prétentions.
66. Le gouvernement français conteste la nécessité des frais de notaire engagés par la requérante et de ses déplacements pour se rendre aux entretiens à Bucarest, Paris et Strasbourg, et estime que le montant éventuellement alloué par la Cour à ce titre ne devrait pas dépasser 3 000 EUR.
67. Le gouvernement roumain estime que la somme réclamée par la requérante est exagérée et qu’en tout état de cause elle n’a pu justifier que le paiement de 500 EUR à ce titre. En outre, il fait valoir qu’il n’est pas opportun pour la requérante de demander le remboursement des frais pour la traduction, dans la mesure où, elle aussi, est traductrice autorisée.
68. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 3 000 EUR, tous frais confondus, et l’accorde à la requérante (1 500 EUR à la charge de chaque gouvernement).
C. Intérêts moratoires
69. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention par la Roumanie et la France ;
2. Dit
a) que l’Etat roumain doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 6 000 EUR (six mille euros), à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 1 500 EUR (mille cinq cents euros), à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;
b) que l’Etat français doit verser à la requérante, dans le même délai :
i. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;
c) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 novembre 2008, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président