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Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 37115/06
présentée par Vittorio SGARBI
contre l'Italie
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant le 21 octobre 2008 en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 5 septembre 2006,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Vittorio Sgarbi, est un ressortissant italien, né en 1952 et résidant à Ro Ferrarese. Il est représenté devant la Cour par Me G. Cicconi, avocat à Macerata.
Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant était, à l'époque des faits, député du parlement italien et vice-ministre de la Culture. Les 14 et 17 août 1998, le quotidien Il Giornale publia deux articles dans lesquels le requérant exprimait ses opinions concernant l'activité des magistrats du parquet de Palerme, Giancarlo Caselli, Vittorio Aliquò, Guido Lo Forte, Antonio Ingroia, Giovanni Di Leo et Lia Sava.
Les articles faisaient référence à l'activité du parquet de Palerme et commentaient en particulier le suicide de M. Lombardini, un procureur de la République mis en cause dans le cadre d'une enquête pour extorsion menée par le parquet de Palerme.
La publication du 14 août 1998 consistait en une interview du requérant intitulée « un procès à la Démocratie Chrétienne voulu par Violante et exécuté par Caselli ». Elle contenait les déclarations suivantes :
« Entre Violante (député des Démocrates de Gauche, à l'époque des faits président de la Chambre des Députés et ancien président de la commission parlementaire antimafia) et Caselli existe une unité si claire et évidente qu'aucun argument n'est nécessaire.
Violante avait toute l'influence et l'autorité nécessaires pour suggestionner, suggérer, influencer tous ceux du CSM (Conseil supérieur de la magistrature) qui pouvaient voir une coordination entre son activité au Parlement et la fonction judiciaire de Caselli à Palerme. Ce qui a ponctuellement eu lieu (...) avec la honteuse mise en accusation du sénateur Andreotti dans un procès qui a été interprété par les magistrats de Palerme comme étant la reconstruction de la vraie histoire d'Italie, alors qu'il s'agissait en réalité d'un véritable procès contre la Démocratie Chrétienne (...).
Ils sont le chat et le renard depuis trente ans (...). Personne ne peut dire que la nomination de Caselli (en tant que chef du parquet de Palerme) n'est pas un hommage à Violante et que son action n'a pas été fortement liée avec l'engagement politique de l'actuel président de la Chambre des Députés (...)
Il [M. Caselli] a exagéré. Celui-là [M. Lombardini] est mort entre ses mains. Et maintenant Caselli, l'interprète de Violante, peut penser se sauver en démontrant seulement en-hors du délai maximum, que Lombardini est coupable. Mais il s'agit d'une enquête sur un délit impossible (...).
Maintenant Lombardini représente pour Caselli un mort aussi gênant que l'ombre du commandeur pour Dom Juan ».
L'article du 17 août 1998, dont le requérant était l'auteur, était intitulé « Il s'agit d'une justice d'abattoir, désormais les enquêtes sont des vengeances politiques. Ne faisons pas de Caselli un martyre, tôt ou tard il sera lui aussi jugé ». Il contenait, entre autres, les passages suivants :
« Le suicide de Lombardini a mis en évidence la nature exclusivement politique de l'action de Caselli et des siens (...). Mais quand est-ce qu'on découvrira la vérité, celle que les parents de Lombardini demandent avec insistance, tandis que vous continuez sans vergogne à fouiller parmi les cartes et les disques des ordinateurs en mettant les mains même dans sa tombe ?
On ne peut pas tolérer que, dans un pays civilisé et démocratique, il existe, dans une région fortement mafieuse, un contrepouvoir qui pendant les six derniers années, s'est caractérisé exclusivement pour ses activités et enquêtes politiques, ayant donné une crédibilité aux mafieux, assassins, faux repentis, et en ridiculisant avec arrogance toute personne honnête et influente porteuse de vérités différentes de celles établies par Caselli.
On criminalise, au lieu des mafieux, le lieutenant Canale, le général Mori, et le ROS (Regroupement Opérationnel Spécial des Carabiniers).
Pensez donc aux Carabiniers De Donno et Mori, qui accusent de collusion le procureur Guido Lo Forte. Mais contre cet intouchable tout est classé sans délai, tandis qu'il continue sans vergogne à mener des procès interminables sur la base des accusations des repentis, qui devraient être moins dignes de foi que les carabiniers. »
La procédure pénale contre le requérant
Le 10 novembre 1998, estimant que les affirmations du requérant portaient atteinte à leur réputation, les magistrats concernés déposèrent une plainte à l'encontre de ce dernier, ainsi que de l'auteur de l'interview et du directeur du quotidien.
Le ministère public demanda le renvoi en jugement du requérant et des deux autres prévenus pour le délit de diffamation, aggravée par voie de presse. Le 13 octobre 1999, le juge des investigations préliminaires de Monza renvoya en jugement les prévenus et fixa la première audience au 6 juin 2000. Le jour venu, le juge décida la disjonction du cas du requérant de celui des autres inculpés en raison du défaut de notification au requérant de l'avis d'audience.
La procédure à l'encontre des coinculpés du requérant se termina par la suite avec une condamnation.
Entre-temps, le juge des investigations préliminaires de Monza fixa au 21 novembre 2001 une nouvelle audience préliminaire concernant le requérant. Celui-ci était représenté dans la procédure par un avocat de son choix.
Le 15 novembre 2001, le requérant demanda un renvoi de l'audience préliminaire en raison de certains engagements liés à son activité de vice-ministre. Le juge fit droit à la demande du requérant et reporta l'audience au 5 décembre 2001.
A cette dernière date, le requérant demanda un nouveau renvoi en raison de ses engagements institutionnels. Le juge de l'audience préliminaire fit droit à ladite demande et l'audience fut ainsi reportée au 6 décembre 2001. La notification de l'avis de convocation à cette dernière date fut effectuée par le juge au cours de l'audience auprès du remplaçant du conseil de l'intéressé, qui avait été délégué pour assister à l'audience au nom de celui-ci.
Le 6 décembre 2001, le requérant présenta une troisième demande de renvoi en raison de son activité de parlementaire. Le juge de l'audience préliminaire releva que le requérant n'avait produit aucune preuve concrète de l'existence de l'engagement invoqué ni de la nature absolue de l'empêchement à comparaître à l'audience. En outre, il observa que le dernier renvoi avait été décidé sur la base d'un « calendrier des engagements » établi par le requérant le 28 novembre 2001 et indiquant le 6 décembre 2001 comme une date disponible.
Par conséquent, il rejeta la troisième demande de renvoi du requérant et, après avoir déclaré l'intéressé contumace, le renvoya en jugement devant le tribunal d'instance de Monza. La première des onze audiences devant le tribunal fut fixée au 29 novembre 2002.
Le jour dit, le requérant ne se présenta pas. L'avocat demanda au tribunal un renvoi de l'audience, affirmant que son client ne pouvait pas comparaître puisqu'il était convoqué à une audience devant le tribunal de Bologne. Le même jour, le tribunal releva que l'engagement invoqué par le requérant était inexistant, celui-ci ne s'étant pas présenté à l'audience de Bologne, et déclara l'intéressé contumace.
Le requérant ne se présenta pas aux audiences suivantes.
L'avocat du requérant déposa des documents et demanda la convocation et l'audition de onze témoins à décharge. Il s'agissait en particulier de politiciens, magistrats et journalistes qui étaient en mesure de relater l'activité de M. Lombardini et les rapports entre la magistrature, la politique et la criminalité en Italie.
Par une ordonnance du 29 avril 2003, le tribunal refusa de convoquer les témoins indiqués par le requérant, ainsi que ceux indiqués par les parties lésées, au motif que ceux-ci ne pouvaient pas témoigner sur des faits et des circonstances relatives à l'objet du procès. En outre, il refusa de verser au dossier certains des documents produits par le requérant, jugés non pertinents pour l'affaire.
Pendant les débats, le tribunal entendit les plaignants.
Par un jugement du 17 mai 2004, en application des articles 595, alinéas 1, 3 et 13 de la loi no 47 du 8 février 1948 sur la presse, le tribunal d'instance de Monza affirma que les déclarations du requérant, soutenant clairement l'existence d'une situation d'illégalité et une absence totale de professionnalisme de la part du parquet de Palerme, étaient manifestement diffamatoires et portaient atteinte à l'honneur et à la réputation des plaignants. Par ailleurs, les déclarations litigieuses ne relevaient pas de l'exercice légitime du droit de critique du requérant, car elles n'étaient rien d'autre qu'une attaque injustifiée et outrageuse contre M. Caselli et les autres magistrats du parquet de Palerme. A ce propos, le tribunal affirma que les débats avaient mis en lumière la fausseté des allégations du requérant, qui n'avaient été prouvées ou démontrées ni pendant les débats ni durant les six années qui s'étaient écoulées depuis la publication des articles en question. A cet égard, le tribunal releva que certaines enquêtes qui avaient été menées par le Conseil Supérieur de la Magistrature et le ministre de la Justice pour élucider le décès de M. Lombardini n'avaient aucunement mis en cause les magistrats de Palerme. En outre, les affirmations du requérant concernant la prétendue collusion du procureur Lo Forte et l'habitude de classer sans suite toute procédure à son encontre s'étaient avérées dépourvues de toute vraisemblance.
Dès lors, compte tenu également du comportement du requérant pendant le procès, le tribunal condamna celui-ci à un an de réclusion avec sursis, au paiement aux parties civiles de dommages-intérêts dont le montant devait être établi par le juge civil, au paiement des frais de procédure à hauteur de 10 000 Euros et à la publication du jugement dans le quotidien Il Giornale.
Le requérant n'a pas informé la Cour au sujet de la procédure en dommages-intérêts engagée devant la juridiction civile.
Le requérant interjeta appel devant la cour d'appel de Milan, alléguant entre autre le refus du tribunal de convoquer les témoins à décharge et demandant la réouverture de l'instruction.
A l'audience du 20 décembre 2005, l'avocat du requérant déposa une demande de renvoi de l'audience en alléguant un engagement de son client à la Chambre des Députés. Dans sa demande, il indiqua son intention de participer aux débats et de prendre la parole en dernier.
Par une ordonnance du même jour, la cour d'appel, affirmant que le requérant n'avait pas adéquatement justifié son absence, rejeta la demande de renvoi, déclara l'intéressé contumace et ajourna les débats au 26 janvier 2006.
Le jour venu, l'avocat du requérant présenta une nouvelle demande de renvoi. La cour d'appel refusa de reporter l'audience. Elle rappela que le requérant avait été déclaré contumace le 20 décembre 2005 et affirma que l'appelant déclaré contumace, tout en ayant le droit d'intervenir lors des audiences successives, n'a pas la faculté d'en demander le renvoi en raison de son impossibilité à comparaître.
Par un arrêt du même jour, déposé le 15 mars 2006, la cour d'appel de Milan confirma la condamnation du requérant pour diffamation, tout en convertissant la peine de réclusion en une amende de 1 000 euros. Quant au refus de convoquer les témoins indiqués par le requérant, la cour d'appel affirma que le tribunal avait eu raison de considérer les témoignages de ceux-ci manifestement superflus et sans intérêt dans la procédure.
Le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt du 30 août 2006, la haute juridiction débouta le requérant de son pourvoi et confirma l'arrêt de la cour d'appel tant au fond que sous l'angle de la procédure.
Les affirmations du requérant n'ayant aucunement été démontrées et étant sans conteste offensantes pour l'honneur et l'image des plaignants, la Cour de cassation affirma que les faits de la cause ne pouvaient pas être couverts par l'exercice légitime du droit de critique.
GRIEFS
1. Invoquant l'article 6 de la Convention, le requérant se plaint sous plusieurs aspects de la procédure pénale menée contre lui.
2. Invoquant l'article 10 de la Convention, il allègue également une entrave à son droit à la liberté d'expression.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint, sous différents aspects, de l'iniquité de la procédure pénale à son encontre. Il invoque l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
3. Tout accusé a droit notamment à :
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; (...)
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; (...) ».
a) Le requérant se plaint d'avoir été jugé par contumace. Il affirme ne pas avoir renoncé de manière volontaire à participer à son procès et allègue ne pas avoir eu la possibilité d'être présent aux audiences devant les différentes juridictions afin de présenter sa version des faits et exposer ses arguments de défense.
En outre, il allègue que le juge des investigations préliminaires n'a pas tenu compte de son statut de parlementaire et a refusé, sans vérifier au préalable la réalité de son impossibilité à comparaître à l'audience du 6 décembre 2001, de reporter l'audience préliminaire à une autre date.
Par ailleurs, le requérant conteste la décision du juge des investigations préliminaires du 5 décembre 2001, reportant l'audience au lendemain et notifiant la convocation à ladite audience au remplaçant de l'avocat, présent dans la salle d'audience. Il affirme que le juge aurait dû notifier la convocation à sa propre attention et accorder un renvoi plus long, afin de garantir son droit à la défense.
Enfin, le requérant se plaint de la décision de la cour d'appel de Milan de le déclarer contumace et de ne pas reporter les audiences des 20 décembre 2005 et 26 janvier 2006. A cet égard, il fait valoir que la cour d'appel de Milan, à la différence du juge des investigations préliminaires, n'avait établi aucun calendrier des audiences tenant en considération ses engagements institutionnels.
Etant donné que les exigences du paragraphe 3 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de l'article 6, la Cour examinera les doléances du requérant sous l'angle de ces deux textes combinés (voir, parmi beaucoup d'autres, Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999-I).
La Cour rappelle ensuite que quoique non mentionnée en termes exprès au paragraphe 1 de l'article 6, la faculté pour l'« accusé » de prendre part à l'audience découle de l'objet et du but de l'ensemble de l'article. Du reste, les alinéas c), d) et e) du paragraphe 3 reconnaissent à « tout accusé » le droit à « se défendre lui-même », « interroger ou faire interroger les témoins » et « se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience », ce qui ne se conçoit guère sans sa présence (voir Colozza c. Italie, arrêt du 12 février 1985, série A no 89, p. 14, § 27 ; T. c. Italie, arrêt du 12 octobre 1992, série A no 245-C, p. 41, § 26 ; F.C.B. c. Italie, arrêt du 28 août 1991, série A no 208-B, p. 21, § 33 ; voir également Belziuk c. Pologne, arrêt du 25 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 570, § 37).
Elle observe qu'en l'espèce, le requérant a été régulièrement informé des charges et des dates des débats et le procès s'est déroulé, en trois instances, en la présence du conseil nommé par l'accusé (a contrario, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, CEDH 2006‑....). L'intéressé, alléguant à maintes reprises son impossibilité à comparaître en raison des engagements dérivant de son activité de parlementaire, ne se présenta à aucune audience.
Il y a donc lieu de vérifier si les refus des juridictions d'ajourner les débats étaient justifiés, ou bien si les engagements invoqués par le requérant étaient tels qu'ils l'empêchaient de manière absolue d'exercer son droit de participer à son procès.
La Cour observe d'emblée que la première audience fixée dans le cadre de la procédure contre le requérant était l'audience préliminaire du 15 novembre 2001. Reportée à deux reprises, à la demande du requérant, elle se tint le 6 décembre 2001 – indiquée comme date disponible par le requérant - en l'absence de l'accusé, le juge des investigations préliminaires ayant relevé que le requérant n'avait pas dûment démontré son impossibilité absolue à comparaître. Par la suite, le tribunal rejeta une demande de renvoi du requérant au motif que l'engagement invoqué s'était révélé inexistant. Enfin, le requérant demanda la suspension des débats d'appel à deux reprises, sans toutefois étayer son impossibilité à comparaître. Le procès se termina en cassation en 2006.
Aux yeux de la Cour, on ne saurait reprocher aux autorités nationales d'avoir rejeté certaines des demandes de renvoi du requérant en raison du fait que celui-ci n'avait pas étayé son impossibilité absolue à être présent à son procès. Tout en reconnaissant l'importance, pour un homme politique, d'honorer ses engagements institutionnels, la Cour ne saurait sous-estimer l'obligation, pour tout prévenu, de justifier adéquatement les absences.
La Cour rappelle qu'elle a déjà considéré que la comparution d'un prévenu revêt une importance capitale et que, dès lors, le législateur doit pouvoir décourager les abstentions injustifiées (Krombach c. France, no 29731/96, § 84, CEDH 2001-II ; Eliazer c. Pays-Bas, no 38055/97, § 32, CEDH 2001‑X).
D'ailleurs, la Cour observe que, comme la cour d'appel l'a affirmé dans son ordonnance du 26 janvier 2006, le requérant n'a jamais perdu son droit à être présent à son procès. En effet, malgré les déclarations de contumace le concernant, il lui a été toujours loisible de se rendre aux débats et d'exprimer ses arguments et son point de vue sur les faits litigieux. Cependant, l'intéressé, qui était représenté par un avocat de son choix, demeura contumace tout au long des onze audiences devant le tribunal et des deux audiences qui se tinrent devant la cour d'appel.
Dans ces conditions, la Cour ne saurait conclure que le refus d'ajourner les audiences litigieuses était arbitraire ou qu'il a porté atteinte au droit à la comparution du prévenu, tel que garanti par l'article 6 de la Convention.
Quant à la doléance du requérant concernant la notification de l'avis de fixation de l'audience préliminaire au 6 décembre 2001, effectuée à l'audience du 5 décembre 2001 uniquement au remplaçant du conseil du requérant, la Cour rappelle d'emblée qu'elle est compétente uniquement pour appliquer la Convention européenne des Droits de l'Homme, et qu'il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I, et, par rapport spécifiquement à la prétendue nullité d'une notification, Somogyi c. Italie, no 67972/01, § 62, CEDH 2004-IV).
Elle n'est donc pas appelée à se prononcer sur la régularité, en droit italien, de la notification de l'avis de fixation de l'audience préliminaire, effectuée auprès de l'avocat du requérant. La Cour doit en revanche vérifier si, dans son ensemble, la procédure pénale menée contre le requérant a revêtu un caractère équitable (voir, parmi beaucoup d'autres, Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997, Recueil 1997-III, p. 711, § 50), en recherchant si les effets de la notification litigieuse ont porté atteinte aux droits de la défense au point d'enfreindre l'article 6 de la Convention.
En l'espèce, force est de constater que la notification de l'avis de fixation de l'audience faite au remplaçant du conseil de l'intéressé, qui avait été régulièrement admis à assister à l'audience du 5 décembre 2001 au nom de celui-ci, n'a pas empêché le requérant d'avoir connaissance de la date de l'audience préliminaire. En effet, le jour venu, l'avocat du requérant se présenta à l'audience et accomplit son activité de défense, sans par ailleurs alléguer la brièveté du délai (a contrario, Hany c. Italie (déc.), no 17543/05, 6 novembre 2007).
Par ailleurs, la Cour ne perd pas de vue le fait que la date de l'audience litigieuse avait été initialement fixée au 15 novembre 2001 et avait été par la suite reportée à deux reprises en raison des demandes de renvoi du requérant. De surcroît, la date du 6 décembre 2001 avait été choisie par le juge des investigations préliminaires sur la base d'un calendrier des audiences convenu au préalable avec l'intéressé.
A la lumière des considérations ci-dessus, il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
b) Le requérant se plaint également du refus du tribunal de Monza de convoquer les témoins à décharge et de déposer au dossier tous les documents qu'il avait produits. Il allègue que le tribunal n'a pas dûment indiqué les raisons pour lesquelles l'audition des témoins et l'analyse des documents étaient inutiles. Le requérant se plaint d'une violation des droits de la défense et, en particulier, de l'article 6 § 3 d) de la Convention.
La Cour rappelle qu'il revient en principe aux juridictions nationales d'apprécier les éléments rassemblés par elles et la pertinence de ceux dont les accusés souhaitent la production (voir notamment Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, arrêt du 6 décembre 1988, série A no 146, p. 31, § 68). Spécialement, l'article 6 § 3 d) leur laisse, toujours en principe, le soin de juger de l'utilité d'une offre de preuve par témoins (voir Asch c. Autriche, arrêt du 26 avril 1991, série A no 203, p. 10, § 25) ; il « n'exige pas la convocation et l'interrogation de tout témoin à décharge : ainsi que l'indiquent les mots « dans les mêmes conditions », il a pour but essentiel une complète « égalité des armes » en la matière » (arrêts Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A no 22, pp. 38-39, § 91, et Vidal c. Belgique du 22 avril 1992, série A no 235-B, p. 32, § 33).
La notion d'« égalité des armes » n'épuise pourtant pas le contenu du paragraphe 3 d) de l'article 6, pas plus que du paragraphe 1 dont cet alinéa représente une application parmi beaucoup d'autres. La tâche de la Cour européenne consiste à rechercher si la procédure litigieuse, considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu le caractère équitable voulu par le paragraphe 1 (voir notamment Delta c. France, arrêt du 19 décembre 1990, série A no 191, p. 15, § 35, et Destrehem c. France, no 56651/00, § 40, 18 mai 2004).
Ainsi, même s'« il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou de l'opportunité de citer un témoin (...), des circonstances exceptionnelles pourraient conduire la Cour à conclure à l'incompatibilité avec l'article 6 de la non-audition d'une personne comme témoin » (Bricmont c. Belgique, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 158, p. 31, § 89). En tout état de cause, il ne suffit pas, au requérant qui allègue la violation de l'article 6 § 3 d) de la Convention, de démontrer qu'il n'a pas pu interroger un certain témoin à décharge. Encore faut-il qu'il rende vraisemblable que la convocation dudit témoin était nécessaire à la recherche de la vérité et que le refus de l'interroger a causé un préjudice aux droits de la défense (R.M.M., F.P. et L.P. c. Italie (déc.), no 61692/00, 11 janvier 2001).
En l'espèce, les juridictions nationales ont examiné les listes des témoins présentées par les parties en cause et, par des décisions que la Cour ne saurait qualifier d'arbitraires, les ont considérées sans intérêt pour le procès. Après s'être livrée à l'examen des arguments du requérant, la Cour observe que celui-ci n'a pas démontré que les témoignages des personnes dont il avait demandé l'audition auraient pu apporter des éléments nouveaux et pertinents pour l'examen de son affaire. Il ressort que les personnes citées auraient dû témoigner de l'activité de M. Lombardini et des rapports entre le système politique et le pouvoir judiciaire en Italie, mais elles n'auraient pu prouver les prétendus agissements illégaux et le manquement aux devoirs institutionnels de M. Caselli et des autres magistrats de Palerme.
De même, quant aux éléments de preuve écartés par les juridictions compétentes, la Cour note que l'intéressé n'a pas indiqué le contenu de ceux-ci et n'a pas précisé leur valeur probatoire par rapport aux faits litigieux.
Dans ces conditions, il s'ensuit que le refus des autorités nationales d'auditionner les témoins indiqués par le requérant et de déposer au dossier toutes les pièces produites par la défense, ne saurait être considéré arbitraire et prêter à critique sous l'angle de l'article 6.
Par conséquent, ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Le requérant allègue que sa condamnation s'analyse en une ingérence injustifiée dans son droit à la liberté d'expression. Il invoque l'article 10 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière (...).
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, (...) ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
Le requérant affirme que sa condamnation a entravé son droit de critique. Il met en avant son rôle de parlementaire, qui aurait été négligé par les juridictions nationales, et soutient avoir « donné voix à ses propres électeurs ».
En outre, il se plaint de ce que les juridictions l'auraient empêché d'établir l'exactitude de ses affirmations, en refusant d'entendre les témoins à décharge qu'il avait indiqués devant le tribunal.
La presse joue un rôle éminent dans une société démocratique : si elle ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits d'autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d'intérêt général, y compris celles de la justice (De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil 1997-I, § 37). A sa fonction qui consiste à en diffuser s'ajoute le droit, pour le public, d'en recevoir. S'il en allait autrement, la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de « chien de garde » (Thorgeir Thorgeirson c. Islande, arrêt du 25 juin 1992, série A no 239, § 63, et Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 62, CEDH 1999-III). Outre la substance des idées et informations exprimées, l'article 10 protège leur mode d'expression (Oberschlick c. Autriche (no1), arrêt du 23 mai 1991, série A no 204, § 57). La liberté journalistique comprend aussi le recours possible à une certaine dose d'exagération, voire même de provocation (Prager et Oberschlick c. Autriche, arrêt du 26 avril 1995, série A no 313, § 38 ; Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, §§ 45 et 46, CEDH 2001-III ; Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 39, CEDH 2003‑V).
L'adjectif « nécessaire », au sens de l'article 10 § 2, implique l'existence d'un « besoin social impérieux ». Les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour juger de l'existence d'un tel besoin, mais cette marge va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions appliquant celle-ci, même quand elles émanent d'une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d'expression sauvegardée par l'article 10 (Janowski c. Pologne [GC], no 25716/94, § 30, CEDH 1999-I, et Association Ekin c. France, no 39288/98, § 56, CEDH 2001-VIII).
Quant au volet du grief tiré du refus des juridictions italiennes d'admettre les preuves proposées par le requérant, la Cour estime qu'il ne soulève en substance aucune question distincte de celle qu'elle a déjà tranchée dans le cadre de l'article 6 §§ 1 et 3 d). Par conséquent, la Cour n'examinera que le premier volet, c'est–à–dire la condamnation du requérant en tant que telle, sous l'angle des garanties substantielles prévues par l'article 10 (Perna, précité, § 34).
Elle observe ensuite que le requérant a été condamné en raison de la portée diffamatoire de certaines déclaration parues dans la presse, selon lesquelles les magistrats du parquet de Palerme auraient manqué à leurs devoirs et obligations professionnelles, notamment dans le cadre des poursuites engagées à l'encontre de M. Lombardini.
Selon la Cour, ladite condamnation s'analyse sans conteste en une « ingérence » dans l'exercice par le requérant de son droit à la liberté d'expression. La question se pose de savoir si pareille ingérence peut se justifier au regard du paragraphe 2 de l'article 10. Il y a donc lieu de déterminer si cette ingérence était « prévue par la loi », visait un « but légitime » en vertu de ce paragraphe et était « nécessaire dans une société démocratique » (Lingens c. Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 103, pp. 24-25, §§ 34-37).
La Cour constate que les juridictions compétentes se sont fondées sur les articles 595, alinéas 1 et 2, 61 § 10 du code pénal et 13 de la loi no 47 du 8 février 1948 sur la presse, et que les motifs de leurs décisions poursuivaient un but légitime : protéger la réputation et les droits d'autrui, en l'occurrence des magistrats du parquet de Palerme (Perna précité, § 42, et Nikula c. Finlande, no 31611/96, § 38, CEDH 2002-II).
La Cour a pour tâche de déterminer, eu égard à l'ensemble des circonstances, si la restriction qui a touché la liberté d'expression du requérant répondait à un « besoin social impérieux » et était « proportionnée au but légitime visé », et si les motifs avancés par les tribunaux internes pour la justifier étaient « pertinents et suffisants ».
Le requérant fait valoir ses prérogatives de parlementaire et son rôle d'interprète des opinions et des inquiétudes de ses électeurs.
A cet égard, la Cour a déjà affirmé que, précieuse pour chacun, la liberté d'expression l'est tout particulièrement pour un élu du peuple ; il représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts (mutatis mutandis, Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 42, série A no 236). La presse représente en effet l'un des moyens dont disposent les responsables politiques et l'opinion publique pour s'assurer que les juges s'acquittent de leurs hautes responsabilités conformément au but constitutif de la mission qui leur est confiée (Prager et Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995, § 34, série A no 313).
Il n'en demeure pas moins que le droit de communiquer des informations sur des questions d'intérêt général est protégé à condition d'agir de bonne foi, sur la base de faits exacts, et de fournir des informations « fiables et précises » (voir, par exemple, les arrêts précités Fressoz et Roire, § 54, Bladet Tromsø et Stensaas, § 58, et Prager et Oberschlick, pp. 18-19, § 37).
Par ailleurs, l'action des tribunaux, qui sont garants de la justice et dont la mission est fondamentale dans un Etat de droit, a besoin de la confiance du public pour bien fonctionner. Aussi peut-il s'avérer nécessaire de protéger celle-ci contre des attaques destructrices dénuées de fondement sérieux (De Haes et Gijsels c. Belgique du 24 février 1997, Recueil 1997-I, p. 234, § 37 ; Schöpfer c. Suisse, arrêt du 20 mai 1998, Recueil 1998-III ; Prince c. Royaume-Uni, no 11456/85, décision de la Commission du 13 mars 1986, Décisions et rapports 46, p. 222).
La Cour observe que le requérant fut condamné pour avoir accusé les magistrats du parquet de Palerme d'avoir agi illégalement dans le cadre des investigations à l'encontre de M. Lombardini, ayant amené à la mort tragique de ce dernier. Les déclarations litigieuses ne s'inscrivaient pas dans le cadre d'un débat parlementaire mais faisaient partie d'articles de presse. Au moyen de propos clairs et dénués de toute ambigüité, le requérant visait à transmettre à l'opinion publique un message selon lequel les plaignants auraient commis des abus de pouvoir dans l'exercice de la fonction judiciaire, dans le but précis de nuire à la Démocratie Chrétienne et ainsi favoriser la partie politique adverse.
La Cour considère que les faits rapportés par le requérant étaient d'une extrême gravité. En outre, elle ne perd pas de vue le fait que, selon les juridictions nationales, le requérant n'a aucunement démontré ses allégations au cours du procès, et que les affirmations litigieuses n'avaient pas été prouvés au cours des investigations engagées au niveau disciplinaire et politique à la suite du suicide de M. Lombardini.
Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que la condamnation du requérant pour ses déclarations diffamatoires et la peine qui lui a été infligée (paiement d'une amende à hauteur de 1 000 euros, paiement de dommages-intérêts et des frais de procédure à hauteur de 10 000 euros, remboursement des frais exposés par la partie civile, publication de l'arrêt), n'étaient pas disproportionnées au but légitime visé et que les motifs avancés par les juridictions nationales étaient suffisants et pertinents pour justifier pareilles mesures. L'ingérence dans le droit du requérant à la liberté d'expression pouvait donc raisonnablement passer pour nécessaire dans une société démocratique afin de protéger la réputation d'autrui au sens de l'article 10 § 2 de la Convention.
Par conséquent, ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Sally Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente