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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
12.2.2008
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 43422/02
présentée par Salih Zeki BİLGİN et İlhan BULGA
contre la Turquie

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section section), siégeant le 12 février 2008 en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Antonella Mularoni,
Ireneu Cabral Barreto,
Rıza Türmen,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 18 octobre 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, MM. Salih Zeki Bilgin (« Bilgin ») et İlhan Bulga (« Bulga »), sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1972 et 1970. Ils sont représentés devant la Cour par Mes Hasan Girit et Gülendam Şan, avocats à İstanbul.

Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Le 14 octobre 1996, les requérants furent arrêtés et placés en garde à vue. Ils étaient soupçonnés d’appartenir à une bande armée. Lors de la garde à vue, les policiers leur auraient fait subir des mauvais traitements.

Le 25 octobre 1996, à l’issue des interrogatoires, les requérants furent examinés par un médecin légiste dont le rapport ne fit état d’aucune lésion traumatique sur leur corps.

Le même jour, ils furent d’abord entendus par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul (« le procureur » ; « la cour de sûreté de l’Etat ») puis traduits devant le juge assesseur de cette juridiction, qui ordonna leur mise en détention provisoire. Devant ces autorités, le requérant Bilgin réitéra sa déposition faite à la police et reconnut avoir été arrêté lors d’une rencontre avec un militant du PKK[1] en possession d’une enveloppe fournie par celui-ci contenant des fiches de paiement et d’autres documents relatifs aux activités de la bande ainsi que d’une somme d’argent destinée au financement de ses activités. Après qu’on lui en eut lu le contenu, le requérant confirma la déposition obtenue de lui par la police.

Le requérant Bulga confirma aussi avoir été arrêté en possession d’une fausse carte d’identité et de fiches de paiement produites par le PKK et réaffirma avoir été « combattant » en son sein jusqu’en 1995. Il nia en revanche toute appartenance à celui-ci depuis cette date.

Par un acte d’accusation du 4 novembre 1996, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État, composée de trois juges dont un magistrat militaire, déféra les requérants devant ladite cour pour appartenance à une bande armée.

Le 20 janvier 1997, la cour de sûreté de l’Etat tint une audience en présence des avocats des requérants.

A l’audience du 28 février 1997, le requérant Bilgin, revenant sur sa déposition faite devant la police, nia les faits reprochés, alléguant avoir été soumis à des mauvais traitements lors de sa garde à vue. Il contesta, par ailleurs, ses dépositions faites devant les magistrats lors de l’instruction préliminaire. Il demanda à être réexaminé par un médecin légiste. La cour de sûreté de l’État écarta cette demande eu égard au fait que le dossier contenait déjà un rapport médicolégal, qui ne faisait état d’aucune trace de mauvais traitements.

Lors de la même audience, le requérant Bulga réitéra les termes de ses dépositions faites devant la police et le procureur ainsi que le juge assesseur.

A l’audience du 21 mai 1997, la cour de sûreté de l’Etat ordonna la libération provisoire du requérant Bulga. Le requérant Bilgin formula une demande aux mêmes fins, faisant valoir une intervention médicale qu’il avait subie à l’hôpital de la prison de Bayrampaşa. A la demande du requérant, la cour de sûreté de l’État ordonna le versement dans le dossier des documents relatifs à cette intervention, afin d’en éclairer les causes.

Un rapport daté du 11 août 1997 établi par l’hôpital de Sağmacilar indiqua que le requérant avait été hospitalisé du 29 mars au 16 mai 1997 pour traiter une otite moyenne.

Aux audiences des 28 juillet et 12 décembre 1997 et dans les demandes d’élargissement de l’instruction qu’il présenta le 1er octobre 1997 et le 12 février 1998, le requérant Bilgin revint sur les dépositions qu’il avait livrées lors de l’instruction préliminaire, y compris celle faite devant le juge assesseur. Alléguant derechef avoir été maltraité lors de sa garde à vue, il réitéra sa demande d’être réexaminé par un médecin légiste en vue de l’établissement d’un nouveau rapport médical. Cette demande fut, comme la précédente, rejetée. Il demanda par ailleurs que les documents relatifs aux soins médicaux reçus par lui, tant dans le cadre de l’établissement pénitentiaire que de l’hôpital de Kırklareli, soient versés au dossier.

A l’audience du 20 juin 1998, la cour de sûreté de l’État examina le rapport du juge désigné afin d’examiner la vidéo de reconstitution des faits. Le requérant Bilgin contesta ledit rapport, alléguant s’être trouvé sous contrainte lors de l’enregistrement en question.

A l’audience des 17 avril 1998 et 28 mars 1999, dans le but d’étayer ses allégations de mauvais traitements, le requérant présenta un rapport de l’hôpital d’Istanbul daté du 27 janvier 1998 constatant la diminution de l’acuité auditive de ses deux oreilles. Il renia de nouveau ses dépositions antérieures, obtenues selon lui sous la contrainte.

Au cours de ce procès, le 18 juin 1999, entra en vigueur un amendement à l’article 143 de la Constitution qui régissait la composition des cours de sûreté de l’Etat. En conséquence, les requérants furent désormais poursuivis devant une cour de sûreté de l’État composée de trois juges civils.

Le 18 juin 2001, la cour de sûreté de l’Etat ordonna à nouveau la mise en détention provisoire du requérant Bulga.

Les 20 juin 2001 et 24 juillet 2001, le requérant Bulga, se disant atteint d’une néphrite, demanda sa libération dans la mesure où les conditions de vie carcérales n’étaient pas compatibles avec son état de santé. Ces demandes furent rejetées pour défaut de fondement.

Par un jugement du 3 août 2001, la cour de sûreté de l’État condamna les requérants à une peine d’emprisonnement de douze ans et six mois pour appartenance à une bande armée.

Par un arrêt du 7 mars 2002, mis au net le 18 mars 2002, la Cour de cassation confirma ce jugement.

Entre temps, le requérant Bulga entama plusieurs grèves de la faim qui, selon le rapport du 9 décembre 2002 de l’Institut médicolégal, avaient provoqué l’apparition du syndrome de Wernicke-Korsakoff. L’Institut médicolégal recommanda sa libération pour six mois.

Le 30 décembre 2002, le procureur rendit une décision de sursis à l’exécution de sa peine pour raison de santé, pour une durée de six mois.

Le dossier ne contient pas d’information sur le sort du requérant Bilgin.

GRIEFS

Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants affirment avoir été soumis à des mauvais traitements lors de leur garde à vue. Par ailleurs, ils déplorent l’absence d’enquête pénale à propos de ces allégations. Le requérant Bulga se plaint d’avoir été détenu alors qu’il était atteint d’une maladie.

Invoquant l’article 5 §§ 1 c), 2, 3 et 4 de la Convention, les requérants se plaignent d’avoir été arrêtés en l’absence de raisons plausibles de les soupçonner, de n’avoir pas été informés des motifs de leur arrestation, d’avoir été retenus en garde à vue pendant une durée excessivement longue et de n’avoir pas disposé d’une procédure effective par laquelle ils auraient pu contester la légalité de leur garde à vue.

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent que la cour de sûreté de l’État qui les a jugés ne saurait passer pour un tribunal indépendant et impartial au sens de cette disposition, dès lors que l’un des trois juges qui y siégeaient était un officier de l’armée.

Les requérants allèguent qu’ayant été accusés de délits relevant de la compétence des cours de sûreté de l’Etat, ils se sont trouvés soumis à des règles de procédure particulièrement coercitives par rapport à la procédure pénale prévue pour les infractions dites « de droit commun ». En particulier, ils se plaignent de n’avoir pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de l’instruction préliminaire. Ils invoquent, en substance, l’article 6 § 3 c) de la Convention.

Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention, ils se plaignent de l’absence de communication de l’avis du procureur général près la Cour de cassation.

EN DROIT

1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que la Cour de sûreté de l’État ne constituait pas un « tribunal indépendant et impartial » et que la procédure devant elle manquait d’équité. Invoquant en substance l’article 6 § 3 c) de la Convention, ils se plaignent, en particulier, de l’absence de l’assistance d’un avocat lors de l’instruction préliminaire.

Invoquant en substance l’article 6 § 3 b) de la Convention, ils se plaignent que l’avis du procureur général près la Cour de cassation ne leur a pas été notifié.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ces griefs et juge nécessaire de les communiquer au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants se plaignent d’avoir été soumis à des mauvais traitements lors de leur garde à vue et de l’absence d’une enquête effective au plan interne concernant ses allégations. Le requérant Bulga allègue aussi une insuffisance de soins médicaux dans la prison.

La Cour observe que le requérant Bulga n’a pas saisi les autorités judiciaires nationales de ses allégations de mauvais traitements. Il ne peut dès lors passer pour avoir épuisé les voies de recours internes. Quant au grief tiré du manque des soins médicaux dans la prison, la Cour observe que le requérant ne présente aucun commencement de preuve permettant d’étayer ses allégations. Ce grief est dès lors manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ailleurs, à supposer même que le requérant Bilgin puisse, de son côté, passer pour avoir épuisé les voies de recours internes, la Cour note qu’il n’a fourni aucun élément de preuve pouvant étayer ses allégations de mauvais traitements lors de la garde à vue et rien dans le dossier ne permet d’établir que les autorités, eu égard aux données dont elles disposaient, ont manqué au devoir de mener une enquête effective. Il s’ensuit que ses griefs sous l’angle de l’article 3 de la Convention sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention

3. Invoquant l’article 5 de la Convention, les requérants affirment qu’ils ont été arrêtés sans raisons, qu’ils n’ont pas été informés des motifs de leur arrestation, qu’ils n’ont pas été traduits aussitôt devant un juge et qu’ils ne disposaient d’aucune voie de recours permettant de faire contrôler la légalité de leur garde à vue.

La Cour relève que la garde à vue litigieuse était conforme à la législation en vigueur à l’époque des faits et que les requérants ne disposaient d’aucune voie de recours effective pour contester ni sa durée ni sa légalité (Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, §§ 66-72, CEDH 2005IV). Partant, le délai de six mois court à partir de l’acte incriminé, à savoir la garde à vue, qui a pris fin le 25 octobre 1996 avec le placement des requérants en détention provisoire. Or, la requête a été introduite, le 18 octobre 2002. Dès lors, ces griefs doivent être rejetés pour non-respect du délai de six mois, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen des griefs des requérants tirés de l’article 6 de la Convention ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Sally Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente


[1] Le parti des travailleurs du Kurdistan, une organisation illégale.