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Rozsudek
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE VASILAKIS c. GRÈCE
(Requête no 25145/05)
ARRÊT
STRASBOURG
17 janvier 2008
DÉFINITIF
17/04/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Vasilakis c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Loukis Loucaides, président,
Christos Rozakis,
Nina Vajić,
Anatoli Kovler,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 décembre 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 25145/05) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Emmanouil Vasilakis (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 juin 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me S. Tsakyrakis, avocat au barreau d'Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, MM. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat, et I. Bakopoulos, auditeur auprès du Conseil juridique de l'Etat.
3. Le requérant alléguait en particulier des atteintes à son droit d'accès à un tribunal et à celui à la protection de sa liberté d'expression.
4. Le 14 septembre 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le lui permettait l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. La genèse de l'affaire
5. Journaliste de profession, le requérant publia en 1999 une série d'articles de contenu politique critiquant les membres du « Réseau 21 », association à caractère politique dont certains membres avaient, en février 1999, prêté leur concours à M. Abdulah Öcalan, ressortissant turc et ex-chef du Parti des Travailleurs du Kurdistan (« PKK »). Alors qu'il était poursuivi par les autorités turques pour faits de terrorisme, M. Öcalan s'était, en février 1999, rendu en Grèce avec le concours de ressortissants grecs. Auparavant, le Gouvernement grec avait déclaré que l'entrée de M. Öcalan sur le territoire grec serait fortement indésirable, au motif qu'elle provoquerait une dégradation des relations entre la Grèce et la Turquie. Les conditions d'entrée et de séjour de M. Öcalan en Grèce, son arrestation ultérieure au Kenya et son transfert en Turquie suscitèrent l'intérêt des médias grecs.
6. A la suite de la publication desdits articles, plusieurs membres du « Réseau 21 », agissant à titre individuel, saisirent les juridictions civiles d'actions en dommages-intérêts pour diffamation et injure dirigées contre le requérant. L'objet financier de ces actions dépassait les deux milliards de drachmes (six millions d'euros environ). D.K. et F.K., avocats et membres du « Réseau 21 », déposèrent plusieurs actions contre le requérant, soit à titre individuel, soit en tant que représentants d'autres membres de ladite association.
7. Le 12 juillet 1999, lors d'une conférence de presse, le journaliste R.S. rendit publique une déclaration signée par « cent vingt personnalités de la vie publique venant des milieux académique, intellectuel et journalistique », et faisant état de leur soutien à l'égard du requérant. Ladite déclaration affirmait que l'escalade des actions engagées contre le requérant visait en réalité à affaiblir la liberté de la presse et à terroriser les journalistes. En septembre 1999, D.K. notifia des plaintes extrajudiciaires à certaines des cent vingt personnes qui avaient offert leur soutien au requérant, les invitant à dire publiquement s'ils partageaient les opinions exprimées par le journaliste R.S. lors de la conférence de presse et à publier une annonce dans la presse pour réparer l'atteinte portée à sa personnalité.
8. En novembre 1999, le requérant adressa une lettre au bâtonnier de l'ordre des avocats d'Athènes. Il s'y plaignait de l'attitude de D.K. et de F.K., la qualifiant de « contraire au code de déontologie des avocats ». Il alléguait en particulier que l'accumulation d'actions à son encontre par les membres du « Réseau 21 » visait, en substance, à son anéantissement économique et professionnel. En outre, il affirmait que D.K. et F.K. avaient notifié plusieurs plaintes extrajudiciaires à des personnalités politiques ou intellectuelles qui avaient entre-temps exprimé leur soutien à sa personne. Enfin, le requérant affirmait que le comportement de D.K. et F.K. constituait un abus de droit emportant des conséquences pour la liberté de la presse et la justice. Le requérant demandait au bâtonnier de l'ordre des avocats d'Athènes d'intervenir et de faire le nécessaire dans le cadre de la déontologie de l'ordre des avocats.
B. La procédure judiciaire en cause
9. Le 8 mai 2000, D.K. saisit à nouveau les juridictions civiles d'une action en dommages-intérêts pour diffamation dirigée contre le requérant. Il demandait une somme de 8 millions de drachmes (23 500 euros environ) pour dommage moral. Il affirmait que « les propos incriminés le rabaissaient et portaient atteinte, avec une brutalité inouïe, à son existence professionnelle et politique ».
10. Le 29 octobre 2001, le tribunal de première instance d'Athènes fit partiellement droit à la demande de D.K. (décision no 5074/2001).
11. Le 4 février 2002, le requérant interjeta appel. Le 5 décembre 2002, la cour d'appel d'Athènes confirma la décision attaquée. Elle s'exprima comme suit :
« Le défendeur emploie dans sa lettre [adressée au bâtonnier de l'ordre des avocats d'Athènes] des formulations comme « je sollicite votre intervention pour rappeler [à D.K. et F.K] leur rôle d'avocats, qui leur sert de prétexte (...) ; pour mettre fin au terrorisme qu'ils exercent sur des journalistes et des médias en abusant de leur pouvoir (...) ; ces messieurs ont riposté en introduisant des dizaines d'actions abusives, infondées et contenant des arguments irrationnels (...). [D.K. et F.K] falsifient les textes des journalistes (...) car ils inaugurent une nouvelle pratique de bâillonnement et d'abolition de la liberté d'expression (...) visant à terroriser et anéantir les personnes qui s'opposent à leurs idées (...), ils considèrent que tous ceux qui critiquent leurs actes politiques et leurs objectifs sont des ennemis de la patrie et de la nation et qu'ils doivent être bâillonnés et anéantis (...), ils abusent de leur qualité [d'avocats] avec un fanatisme inouï, qui tourne à la manie (...) ; ils ont notifié des plaintes extrajudiciaires exorbitantes à 120 personnalités en exigeant de leur part des « déclarations de repentir » concernant le soutien apporté à E. Vasilaki (...) ; tout cela est ahurissant, à l'image de leur volonté d'anéantissement au travers de cette machine originale (...) ; [D.K. et F.K] ont organisé l'anéantissement pour l'exemple des journalistes victimes par le biais de cette procédure abusive (...), en abusant de leur qualité d'avocats et de la possibilité de saisir les juridictions sans frais, ils poursuivent cette chasse à l'homme (...) ».
[Toutes ces formulations] constituent des railleries et, en tout état de cause, elles mettent en question l'activité professionnelle et l'honnêteté du plaignant, sont injurieuses et diffamatoires et portent atteinte de manière illégale à l'honneur et à la réputation de l'intéressé (...). Le défendeur visait à déclencher l'ouverture de poursuites disciplinaires contre le plaignant devant le comité compétent de l'ordre des avocats d'Athènes et il entendait, à travers les formulations susmentionnées, le rendre suspect de manquer à ses devoirs dans l'exercice de ses activités professionnelles. (...) Si le défendeur croyait que le plaignant exerçait sa profession de manière répréhensible, il lui suffisait, pour atteindre son objectif, de rédiger sa plainte en exploitant différemment la richesse de la langue grecque. »
12. En vertu des articles 57 et 914 du code civil combinés avec les articles 361 et 362 du code pénal, la cour d'appel d'Athènes condamna le requérant à verser à D.K. la somme de 3 000 euros pour dommage moral (arrêt no 9537/2002).
13. Le 19 juillet 2002, le requérant se pourvut en cassation, soulevant deux moyens. D'une part, il alléguait que la cour d'appel n'avait pas correctement interprété l'article 14 de la Constitution, l'article 10 de la Convention et les articles 361 et 362 du code pénal. D'autre part, il soutenait que l'arrêt de la cour d'appel n'était pas suffisamment motivé. Il citait les expressions jugées diffamatoires par la cour d'appel et les motifs sur la base desquels celle-ci avait rejeté son recours.
14. Le 7 février 2005, la Cour de cassation écarta le pourvoi, déclarant irrecevables les deux moyens articulés par le requérant, au motif que celui-ci n'avait pas précisé les circonstances de fait sur lesquelles la cour d'appel s'était fondée pour rejeter son appel. Elle s'exprima notamment comme suit :
« En vertu des articles 118 § 4, 566 § 1, 577 § 3 et 578 du code de procédure civile, lorsque l'action en justice a été jugée fondée ou infondée, il ne suffit pas que le demandeur expose dans son pourvoi en cassation sa version des faits de la cause, les dispositions dont il allègue la violation, la signification qu'il leur prête et la conclusion critiquée par lui de la juridiction inférieure. Il lui faut surtout exposer, de manière complète et claire, ce que celle-ci a admis en substance, c'est-à-dire les faits sur lesquels elle a fondé sa conclusion quant au fond de l'affaire. Dans le cas contraire, le bien-fondé des moyens de cassation ne peut pas être établi, dans la mesure où ceux-ci ne ressortent pas du contenu du pourvoi (...). [En l'occurrence,] le demandeur présente (...) de manière fragmentaire l'appréciation portée par la cour d'appel quant à la lettre [adressée au bâtonnier de l'ordre des avocats d'Athènes] [et] les conclusions finales de ladite juridiction. Par contre, il n'expose pas les faits retenus en substance par la cour d'appel pour fonder sa décision » (arrêt no 225/2005).
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
15. L'article 14 de la Constitution dispose :
« 1. Chacun peut exprimer et diffuser ses pensées oralement, par écrit et par voie de presse, en observant les lois de l'Etat.
(...) »
16. Les articles pertinents du code de procédure civile disposent :
Article 118
« Les recours notifiés entre les parties ou déposés auprès du tribunal doivent inclure (...) 4) l'objet du recours de manière claire, précise et succincte (...) »
Article 566 §1
« Le pourvoi en cassation doit comprendre les éléments exigés par les articles 118 à 120, citer l'arrêt attaqué, les moyens de cassation en entier ou en partie de l'arrêt attaqué ainsi qu'une demande quant au fond de l'affaire. »
Article 577 § 3
« La Cour de cassation examine la recevabilité et le fond des motifs de cassation si elle juge le pourvoi en cassation légal et recevable. »
Article 578
« La Cour de cassation rejette le pourvoi en cassation si elle estime que les motifs de l'arrêt attaqué sont erronés et que son dispositif est juste (...). »
17. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le pourvoi en cassation doit indiquer la règle de fond censée avoir été violée, préciser en quoi consiste l'erreur juridique alléguée, autrement dit où se trouve la violation supposée avoir été commise dans l'interprétation ou l'application de la règle en cause, et aussi comporter l'exposé des faits sur lesquels la cour d'appel s'est fondée pour rejeter le recours (Cour de cassation, nos 372/2002, 388/2002).
18. Les dispositions pertinentes du code civil disposent :
Article 57
« Celui qui est atteint d'une manière illicite dans sa personnalité a le droit d'exiger la suppression de l'atteinte et, en outre, l'abstention de toute atteinte à l'avenir. En cas d'atteinte à la personnalité d'une personne décédée, ce droit appartient aux conjoint, descendants, ascendants, frères et sœurs et héritiers testamentaires du défunt.
En outre, la prétention à des dommages-intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n'est pas exclue. »
Article 914
« Celui qui, de manière illégale, cause par sa faute un dommage à autrui est tenu à réparation. »
19. Les articles pertinents du code pénal disposent :
Article 361
Injure
« 1. Quiconque, mis à part les cas de diffamation (articles 367 et 363), porte atteinte, par le biais de propos ou d'actes ou de toute autre manière, à l'honneur d'autrui, est puni d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à un an ou d'une amende. L'amende peut être infligée conjointement avec la peine d'emprisonnement.
(...) »
Article 362
Diffamation
« Quiconque formule ou diffuse devant autrui, de quelque manière que ce soit, des allégations susceptibles de nuire à l'honneur ou à la réputation d'autrui est puni d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à deux ans ou d'une amende. L'amende peut être infligée conjointement avec la peine d'emprisonnement. »
Article 367
« 1. Ne sont pas considérés comme des actes préjudiciables : a) les jugements défavorables portés sur des travaux scientifiques, artistiques ou professionnels (...) c) les actions accomplies dans l'exercice de tâches légales, dans l'exercice légal de pouvoirs, pour la sauvegarde (protection) d'un droit ou pour tout autre intérêt légitime (...). »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
20. Le requérant allègue que le rejet de son pourvoi en cassation a emporté violation de son droit d'accès à un tribunal, tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention. Les parties pertinentes de cette disposition sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
21. Considérant que le grief du requérant n'est pas manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention, et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
22. Le Gouvernement expose que la Cour de cassation n'agit pas en tant que troisième degré de juridiction. Sa tâche ne consiste pas à réexaminer les faits de la cause, mais à apprécier la légalité de la décision attaquée. Le Gouvernement souligne que, dans la présente affaire, la Cour de cassation a purement et simplement appliqué sa jurisprudence constante quant aux conditions de recevabilité d'un pourvoi en cassation. En particulier, selon cette jurisprudence, lorsque l'appel est rejeté comme dénué de fondement par la juridiction inférieure après l'administration des preuves, la juridiction suprême exige que l'intéressé relate dans son pourvoi les faits de la cause tels qu'ils ont été admis par la juridiction inférieure. Pour le Gouvernement, cet exposé est indispensable pour permettre à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur l'interprétation faite par la juridiction inférieure des règles de droit en cause. Le Gouvernement estime raisonnable que le demandeur en cassation soit tenu de présenter les faits de la cause tels qu'ils ont été établis par la cour d'appel après l'administration des preuves. Dans le cas contraire, il incomberait à la Cour de cassation de rechercher elle-même les faits de la cause ayant conduit la cour d'appel à l'interprétation litigieuse du droit interne.
23. Le requérant rétorque qu'il a bel et bien relaté dans son pourvoi en cassation les faits sur lesquels la cour d'appel avait fondé son jugement. Pour lui, ni la Cour de cassation ni le Gouvernement n'ont précisé les points sur lesquels les faits exposés dans le pourvoi en cassation n'auraient pas été suffisamment complets et clairs. Il serait ainsi resté dans l'incertitude quant aux raisons pour lesquelles son pourvoi en cassation avait été jugé vague. Il ajoute que l'attitude de la haute juridiction consistant à rejeter des moyens en raison de leur manque de clarté a déjà été à plusieurs reprises sanctionnée par la Cour. Il cite à cet égard les arrêts Liakopoulou c. Grèce, no 20627/04, 24 mai 2006, Efstathiou et autres c. Grèce, no 36998/02, 27 juillet 2006, et Zouboulidis c. Grèce, no 77574/01, 14 décembre 2006. Il estime que le rejet pour cause d'irrecevabilité de son pourvoi en cassation n'est pas un cas isolé mais s'inscrit dans une pratique plus générale de la Cour de cassation consistant à déclarer des pourvois irrecevables afin d'éviter l'examen du fond des affaires.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
24. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle elle n'a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C'est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu'il incombe d'interpréter la législation interne (voir, parmi beaucoup d'autres, García Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 36, CEDH 2000-II). Par ailleurs, le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'Etat, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l'article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi beaucoup d'autres, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998–I, p. 290, § 34). En effet, le droit d'accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de sécurité juridique et de bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente.
25. La Cour rappelle en outre que l'article 6 de la Convention n'astreint pas les Etats contractants à créer des cours d'appel ou de cassation (voir, notamment, Delcourt c. Belgique, arrêt du 17 janvier 1970, série A no 11, pp. 13-15, §§ 25-26). Cependant, si de telles juridictions existent, les garanties de l'article 6 doivent être respectées, notamment en ce qu'il assure aux plaideurs un droit effectif d'accès aux tribunaux pour faire statuer sur les contestations relatives à leurs « droits et obligations de caractère civil » (voir, parmi d'autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2956, § 37). En outre, la compatibilité des limitations prévues par le droit interne avec le droit d'accès à un tribunal reconnu par l'article 6 § 1 de la Convention dépend des particularités de la procédure en cause et il faut prendre en compte l'ensemble du procès mené dans l'ordre juridique interne et le rôle qu'y a joué la Cour suprême, les conditions de recevabilité d'un pourvoi en cassation pouvant être plus rigoureuses que pour un appel (Khalfaoui c. France, no 34791/97, CEDH 1999-IX).
26. La Cour rappelle enfin que la réglementation relative aux formalités pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Toutefois, les intéressés doivent pouvoir s'attendre à ce que les règles soient appliquées (Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 33, CEDH 2000-I).
27. Cela étant, la Cour a conclu à plusieurs reprises que l'application par les juridictions internes de formalités à respecter pour former un recours est susceptible de violer le droit d'accès à un tribunal. Il en est ainsi quand l'interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire faite par une juridiction empêche, de fait, l'examen au fond du recours exercé par l'intéressé (Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 69, CEDH 2002-IX ; Zvolský et Zvolská c. République tchèque, no 46129/99, § 55, CEDH 2002‑IX).
b) Application en l'espèce des principes susmentionnés
28. Dans le cas d'espèce, la tâche de la Cour consiste à examiner si la raison pour laquelle la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant priva, de fait, l'intéressé de son droit à voir son affaire jugée au fond. Pour ce faire, la Cour se penchera sur la proportionnalité de la limitation imposée par rapport aux exigences de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice.
29. Tout d'abord, la Cour constate que la règle appliquée par la Cour de cassation pour se prononcer sur la recevabilité des moyens en cause est une construction jurisprudentielle : elle ne découle pas d'une disposition procédurale spécifique mais bien de la combinaison de quatre articles du code de procédure civile. Bref, la haute juridiction fixe en la matière une condition de recevabilité portant sur la clarté des moyens en cassation.
30. Il n'en reste pas moins que cette règle jurisprudentielle obéit, d'une manière générale, aux exigences de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice ; quand le demandeur en cassation reproche à la cour d'appel une appréciation erronée des faits de la cause par rapport à la règle juridique appliquée, il paraît raisonnable d'exiger qu'il relate dans son pourvoi les faits pertinents tels qu'ils ont été admis par la cour d'appel. A défaut, la haute juridiction ne serait pas en mesure d'exercer son contrôle d'annulation à l'égard de l'arrêt attaqué ; elle serait tenue de procéder à un nouvel établissement des faits pertinents de la cause et de les apprécier elle-même par rapport à la règle de droit appliquée par la cour d'appel. Cette hypothèse ne peut donc être envisagée, car elle équivaudrait à exiger de la haute juridiction qu'elle formule elle-même les moyens de cassation censés être soumis à son examen. En somme, la règle jurisprudentielle appliquée en l'espèce se concilie avec la spécificité du rôle joué par la Cour de cassation, dont le contrôle est limité au respect du droit (voir, en ce sens, Brechos c. Grèce (déc.), no 7632/04, 11 avril 2006).
31. On ne peut toutefois soutenir en l'occurrence que le pourvoi en cassation du requérant faisait peser sur la Cour de cassation la charge de procéder à un nouvel établissement des faits de l'espèce. La Cour note en effet que le requérant avait cité dans son pourvoi toutes les formulations jugées diffamatoires par la juridiction inférieure ainsi que les motifs sur la base desquels celle-ci avait rejeté son recours. La Cour de cassation avait donc à sa disposition tous les éléments nécessaires pour examiner le bien-fondé du pourvoi en cause. De plus, l'arrêt litigieux de la cour d'appel était joint au pourvoi en cassation. Le juge suprême était ainsi en mesure de consulter aisément le texte de l'arrêt attaqué et de vérifier l'exactitude des faits cités dans le pourvoi.
32. Dans ces conditions, la Cour estime que les faits de la cause tels qu'établis par la cour d'appel avaient été portés à la connaissance de la Cour de cassation. Prononcer l'irrecevabilité des moyens soulevés au motif que le demandeur n'a pas exposé dans son pourvoi « les faits retenus en substance par la cour d'appel pour fonder sa décision » (paragraphe 14 ci-dessus) relève d'une approche par trop formaliste, qui en l'espèce a empêché le requérant d'obtenir un examen au fond de ses allégations par la Cour de cassation (voir, en ce sens, Běleš et autres c. République tchèque, précité, § 69 ; Zvolský et Zvolská c. République tchèque, précité, § 55).
33. La Cour ne perd pas de vue à cet égard que la Cour de cassation a admis dans son arrêt no 225/2005 que le requérant avait présenté de manière fragmentaire l'appréciation portée par la cour d'appel sur les formulations contenues dans la lettre adressée au bâtonnier de l'ordre des avocats d'Athènes ainsi que les conclusions finales de cette juridiction, avant de conclure, néanmoins, que les faits sur lesquels la cour d'appel avait fondé sa décision faisaient défaut. Or, la Cour de cassation n'a pas mentionné, même sommairement, ce qui, censé ne pas faire partie des faits relatés de manière « fragmentaire », manquait dans le pourvoi en cassation. On peut ainsi raisonnablement considérer que le requérant, qui pouvait légitimement avoir la conviction qu'il avait rempli la condition de recevabilité établie par la jurisprudence de la Cour de cassation, a été plongé dans l'incertitude quant aux éléments faisant défaut dans son pourvoi en cassation.
34. A la lumière des considérations qui précèdent, la Cour estime qu'en l'espèce la limitation au droit d'accès à un tribunal imposée au requérant n'était pas proportionnée au but visant à garantir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice.
35. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention relativement au droit d'accès à un tribunal du requérant.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
36. Le requérant voit dans sa condamnation au civil à verser des dommages-intérêts à D.K. une violation de son droit à la liberté d'expression découlant de l'article 10 de la Convention, qui dispose :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
A. Sur la recevabilité
37. Le Gouvernement plaide l'inapplicabilité de l'article 10 en l'espèce, relevant notamment qu'il n'y a pas eu diffusion dans l'opinion publique d'idées d'intérêt politique, social ou général.
38. Le requérant conteste cette thèse.
39. La Cour note, tout d'abord, que l'applicabilité de l'article 10 ne présuppose pas la diffusion des propos incriminés auprès de plusieurs personnes. En effet, pour que l'article 10 entre en jeu, il est seulement exigé que l'information ou l'opinion litigieuse soit communiquée, ne fût-ce qu'au travers de l'envoi d'une lettre à un destinataire unique (voir, Skałka c. Pologne, no 43425/98, §§ 10 et 30, 27 mai 2003 ; Grigoriades c. Grèce, arrêt du 25 novembre 1997, Recueil 1997‑VII, pp. 2580-2582 et 2586, §§ 13, 14 et 33). En outre, le contenu des propos en cause, ou plus précisément la question de savoir s'ils suscitent un intérêt général ou non, n'est pas un élément susceptible d'influencer l'applicabilité de l'article 10, mais il est pertinent pour l'appréciation du rapport de proportionnalité entre l'ingérence incriminée et le but légitime poursuivi.
40. Dans le cas d'espèce, le requérant a été condamné à verser des dommages-intérêts à D.K. pour le contenu d'une lettre adressée au bâtonnier de l'ordre des avocats d'Athènes. Il s'ensuit que ses opinions ont été communiquées, au sens de l'article 10 de la Convention, et que cette disposition est applicable en l'espèce.
41. Considérant que le grief du requérant n'est pas manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention, et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
42. Le Gouvernement relève qu'en l'espèce il y a conflit entre la liberté d'expression et le droit à la protection de la personnalité. Il plaide que, même à admettre que les propos incriminés étaient des jugements de valeur, l'atteinte portée à la liberté d'expression du requérant n'est pas disproportionnée. Il souligne que les propos incriminés ne concernaient pas un homme politique mais un simple particulier et affirme qu'ils visaient à porter atteinte à la personnalité et à la réputation professionnelle de l'intéressé. La liberté de la presse ne serait pas en jeu dans le cas d'espèce et la condamnation du requérant à verser la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts aurait été raisonnable et proportionnée au but poursuivi.
43. Le requérant estime pour sa part que le droit de chaque citoyen de s'adresser aux autorités compétentes se trouve au cœur de la liberté d'expression. Cela serait d'autant plus vrai dans le cas d'un grief non soulevé en public mais adressé individuellement à l'autorité compétente. Le requérant aurait sollicité de bonne foi l'intervention du bâtonnier de l'ordre des avocats d'Athènes, après que D.K. eut saisi les juridictions internes d'une série d'actions portant sur des sommes vertigineuses. De plus, l'obligation d'être présent aux audiences, fixées à des dates différentes, dans ces affaires aurait représenté un coût considérable pour lui et aurait substantiellement compliqué l'exercice de sa profession de journaliste. Le requérant ajoute que les propos qui lui étaient reprochés avaient une base factuelle solide et qu'aucune des formulations employées dans la lettre litigieuse n'était excessive ou injurieuse. Il estime enfin que, vu la nature et l'enjeu de l'affaire, une condamnation à verser des dommages-intérêts, quel qu'en fût le montant, devait s'analyser en une atteinte à sa liberté d'expression. Il conclut que sa condamnation à verser la somme de 3 000 euros n'était pas proportionnée au but poursuivi en l'espèce.
2. L'appréciation de la Cour
a) Principes généraux
44. La Cour rappelle que son rôle consiste à statuer en dernier ressort sur le point de savoir si une « restriction » à la liberté d'expression se concilie avec l'article 10 de la Convention. A cet effet, elle considère l'ingérence litigieuse à la lumière de l'ensemble de l'affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissaient « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés par l'article 10, et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (voir, entre autres, Steel et Morris c. Royaume-Uni, no 68416/01, § 87, CEDH 2005‑II).
45. La Cour souligne d'emblée le rôle éminent, celui de « chien de garde », que joue la presse dans une société démocratique (voir, Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 62, CEDH 1999-III). En raison de cette fonction de la presse, la liberté journalistique implique aussi la possibilité de recourir à une certaine dose d'exagération, voire de provocation (Gawęda c. Pologne, no 26229/95, § 34, CEDH 2002‑II). A cet égard, il convient de rappeler que l'exercice de la liberté d'expression comporte des devoirs et des responsabilités, et que la garantie que l'article 10 offre aux journalistes est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique (Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 37, CEDH 2004-II ; McVicar c. Royaume-Uni, no 46311/99, §§ 83-86, CEDH 2002-III).
46. S'agissant de la nature des propos susceptibles de porter atteinte à la réputation d'un individu, la Cour distingue traditionnellement entre faits et jugements de valeur. Si la matérialité des premiers peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude. Lorsqu'une déclaration s'analyse en un jugement de valeur, la proportionnalité de l'ingérence peut être fonction de l'existence d'une base factuelle suffisante car, faute d'une telle base, un jugement de valeur peut lui aussi se révéler excessif (voir, par exemple, Feldek c. Slovaquie, no 29032/95, §§ 75-76, CEDH 2001-VIII).
47. Dans le contexte d'une procédure de diffamation ou d'injure, la Cour doit en outre vérifier si les autorités internes ont ménagé un juste équilibre entre, d'une part, la protection de la liberté d'expression, consacrée par l'article 10, et, d'autre part, celle du droit à la réputation des personnes mises en cause, qui, en tant qu'élément de la vie privée, se trouve protégé par l'article 8 de la Convention (Chauvy et autres c. France, no 64915/01, § 70 in fine, CEDH 2004‑VI). Cette dernière disposition peut nécessiter l'adoption de mesures positives propres à garantir le respect effectif de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (Von Hannover c. Allemagne, no 59320/00, § 57, CEDH 2004-VI ; Stubbings et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1505, §§ 61‑-62).
48. En outre, s'agissant de l'objet des propos incriminés, la Cour rappelle que les limites de la critique admissible à l'égard d'un homme politique, visé en cette qualité, sont plus larges qu'à l'égard d'un simple particulier : à la différence du second, le premier s'expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes, tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (Lingens c. Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 103, p. 26, § 42). Ce principe ne s'applique pas uniquement dans le cas de l'homme politique, mais s'étend à toute personne pouvant être qualifiée de personnage public, c'est-à-dire à toute personne qui, par ses actes (voir, en ce sens, Krone Verlag GmbH & Co. KG c. Autriche, no 34315/96, § 37, 26 février 2002 ; News Verlags GmbH & Co.KG c. Autriche, no 31457/96, § 54, CEDH 2000‑I) ou par sa position même (Verlagsgruppe News GmbH c. Autriche (no 2), no 10520/02, § 36, 14 décembre 2006), relève de la sphère publique.
49. Enfin, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des peines infligées sont des éléments à prendre en considération lorsqu'il s'agit de mesurer la proportionnalité d'une atteinte au droit à la liberté d'expression (Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], no 33348/96, § 111, CEDH 2004‑XI). La Cour doit aussi faire preuve de la plus grande prudence lorsque les mesures ou sanctions prises par les autorités nationales sont de nature à dissuader la presse de participer à la discussion de questions présentant un intérêt général légitime (Jersild c. Danemark, arrêt du 23 septembre 1994, série A no 298, pp. 25-26, § 35).
b) Application en l'espèce des principes susmentionnés
50. La Cour estime que la condamnation à verser des dommages-intérêts à D.K., prononcée contre le requérant au civil, s'analyse en une atteinte au droit à la liberté d'expression de l'intéressé. Elle considère par ailleurs que cette mesure était « prévue par la loi », plus précisément par les articles 57 et 914 du code civil combinés avec les articles 361 et 362 du code pénal, et qu'elle poursuivait un but légitime au regard de l'article 10 § 2 de la Convention, à savoir la protection de la réputation d'autrui, en l'occurrence celle de D.K. La Cour se penchera donc sur la question de savoir si l'ingérence litigieuse était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les juridictions internes pour la justifier apparaissent pertinents et suffisants.
51. La Cour note d'abord qu'au travers de la lettre adressée au bâtonnier de l'ordre des avocats d'Athènes le requérant formulait des allégations concernant le comportement de F.K. et D.K., qu'il estimait être contraire à la déontologie des avocats et avoir pour objectif de l'atteindre professionnellement. La Cour considère qu'en énonçant des jugements de valeur, que traduisent des formulations telles que « terrorisme qu'ils exercent sur des journalistes et des médias », « nouvelle pratique de bâillonnement et d'abolition de la liberté d'expression », « avec un fanatisme inouï, qui tourne à la manie », « déclarations de repentir », « volonté d'anéantissement au travers de cette machine originale » (...) ; « organisé l'anéantissement exemplaire des journalistes victimes par le biais de cette procédure abusive » et « chasse à l'homme », le requérant souhaitait présenter sa propre version de l'affaire en cause. La Cour observe à cet égard qu'il n'est pas contesté que ni F.K. ni D.K. avaient saisi les juridictions civiles d'une série d'actions en dommages-intérêts pour diffamation et injure ni que l'objet financier de ces actions dépassait les deux milliards de drachmes (six millions d'euros environ). De même, il n'est pas contesté que D.K. avait notifié des plaintes extrajudiciaires à certaines personnalités qui avaient offert leur soutien au requérant, en les invitant à déclarer publiquement s'ils partageaient les opinions exprimées par le journaliste R.S. lors de la conférence de presse et à publier une annonce dans la presse pour supprimer l'atteinte portée à sa personnalité. Il apparaît ainsi que le requérant s'est efforcé d'offrir une base factuelle à ses allégations et d'étayer sa thèse selon laquelle D.K. souhaitait son anéantissement professionnel et économique.
52. Or, la Cour est frappée par le fait que les juridictions internes n'ont aucunement distingué entre « faits » et « jugements de valeur », mais ont uniquement recherché si les termes employés par le requérant étaient susceptibles de porter atteinte à la personnalité et à la réputation professionnelle et personnelle du plaignant. De fait, pour évaluer l'intention du requérant, elles n'ont pas replacé les propos incriminés dans le contexte de l'affaire. La Cour considère pour sa part que l'expression par le requérant de ses opinions sous la forme d'une lettre adressée personnellement au bâtonnier du barreau des avocats d'Athènes, plutôt que par le biais de la publication d'un article de même contenu dans la presse, indiquait une intention de soulever les responsabilités déontologiques de F.K. et de D.K. auprès de l'autorité disciplinaire compétente, plutôt qu'une intention d'insulter ou diffamer ouvertement les intéressés.
53. En réalité, le requérant, exerçant un droit fondamental, celui de s'adresser aux autorités, a simplement sollicité l'intervention du bâtonnier de l'ordre des avocats d'Athènes pour défendre des droits qu'il estimait être mis à mal par l'attitude de deux membres dudit ordre. De surcroît, il n'a pas réclamé du bâtonnier la prise de mesures illégales mais lui a seulement demandé de faire le nécessaire dans le cadre de la déontologie de son ordre. Il n'est donc pas sorti des limites de la légalité.
54. En ce qui concerne le statut de la cible des propos incriminés, autrement dit la question de savoir si le plaignant doit être considéré comme un « simple particulier » ou être assimilé à un « homme politique », auquel cas les limites de la critique admissible seraient plus larges, la Cour estime que cet élément n'est pas déterminant en l'espèce. En effet, la distinction entre « simple particulier » et « homme politique » est surtout pertinente dans les cas où les propos incriminés sont diffusés auprès du public, car il s'agit alors d'apprécier s'ils ont trait à une question de nature à susciter l'intérêt général. Dans le cas d'espèce, la lettre incriminée n'était pas adressée au public, mais à une personne unique, compétente pour engager la procédure disciplinaire contre F.K. et D.K.
55. De toute manière, la Cour considère qu'il faut voir dans le plaignant non pas un « simple particulier », mais plutôt un personnage public de l'actualité. L'intéressé était en effet membre du « Réseau 21 », association à caractère politique dont certains membres avaient prêté leur concours à M. Abdulah Öcalan en février 1999. Partant, le fond de la question soulevée par le requérant touchait à un sujet qui avait suscité à l'époque l'intérêt des médias. Aussi les propos incriminés, tout en ne visant pas un homme politique au sens propre du terme, s'inscrivaient-ils dans le contexte d'un débat de fort intérêt public (voir, en ce sens, Selistö c. Finlande, no 56767/00, § 51, 16 novembre 2004). La Cour ne perd pas de vue à cet égard que, dans son action, D.K. affirmait que les propos incriminés portaient atteinte tant à son existence professionnelle qu'à son existence politique. Il reconnaissait ainsi lui-même, de manière implicite, que la lettre en cause ne l'atteignait pas uniquement en sa qualité de « simple particulier ».
56. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que les autorités nationales n'ont pas fourni des motifs pertinents et suffisants pour justifier la condamnation à verser des dommages-intérêts à D.K. prononcée contre le requérant au civil et que cette sanction ne répondait pas à un « besoin social impérieux ».
Partant, il y a eu violation de l'article 10 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
57. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
58. Le requérant réclame 30 000 EUR pour l'angoisse et la détresse qu'il dit avoir ressenties au cours de la procédure litigieuse. Il souligne que la procédure en cause ne concerne qu'une petite partie de l'ensemble des actions engagées contre lui par D.K. et ayant entraîné son anéantissement professionnel et économique.
59. Le Gouvernement estime que le seul constat d'une violation de l'article 10 constituerait en soi une satisfaction équitable.
60. La Cour estime vraisemblable que le requérant ait subi une frustration en raison des violations constatées. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, elle lui octroie 6 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt.
B. Frais et dépens
61. Le requérant réclame une somme totale de 12 216 EUR, qu'il ventile comme suit :
i. 5 906 EUR au titre des dommages-intérêts alloués par les juridictions internes et des frais de justice afférents à la procédure devant la Cour de cassation ;
ii. 1 310 EUR, note d'honoraires à l'appui, pour les frais d'avocat devant la Cour de cassation ;
iii. 5 000 EUR, note d'honoraires à l'appui, pour les frais d'avocat relatif à la procédure suivie devant la Cour.
62. Le Gouvernement estime que la somme demandée pour les dommages-intérêts alloués par les juridictions internes et les frais de justice afférents à la procédure devant la Cour de cassation ne peut être remboursée au titre des frais et dépens. Il trouve par ailleurs excessive la somme demandée pour la procédure devant la Cour.
63. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En l'occurrence, la Cour note que la somme sollicitée au titre des dommages-intérêts alloués par les juridictions internes n'est pas afférente aux frais et dépens de la procédure en cause. Elle rejette donc cette partie de la demande du requérant. En ce qui concerne le restant des prétentions, eu égard aux justificatifs produits et aux critères mentionnés ci-dessus, elle estime raisonnable d'allouer au requérant 6 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
C. Intérêts moratoires
64. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention ;
4. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention, 6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral et 6 000 EUR (six mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 janvier 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président