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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ASLAN ET AUTRES c. TURQUIE
(Requêtes nos 75202/01, 9820/02 et 27942/02)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée conformément à l'article 81 du règlement de la Cour le 8 février 2008
STRASBOURG
11 Décembre 2007
DÉFINITIF
31/03/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Aslan et autres c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Mme F. Tulkens, présidente,
MM. I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
V. Zagrebelsky,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 novembre 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouvent trois requêtes (nos 75202/01, 9820/02 et 27942/02) dirigées contre la République de Turquie en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et introduites par les ressortissants de cet État (« les requérants ») dont les détails figurent en annexe du présent jugement.
2. Les requérants sont représentés par leurs avocats dont les noms figurent en annexe. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.
3. Aux dates indiquées en annexe, la Cour a décidé de communiquer les requêtes au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé des affaires.
EN FAIT
A. Requête no 75202/01, Aslan
4. En septembre 1998, le Ministère de l'énergie et des ressources naturelles expropria les biens de la requérante.
5. En désaccord avec les montants alloués par l'administration, la requérante introduisit deux recours distincts en augmentation des indemnités d'expropriation relatifs aux parcelles nos 346 et 347 auprès du tribunal de grande instance de Nizip.
6. S'agissant de la parcelle no 346, la procédure prit fin le 7 février 2000 par un arrêt de la Cour de cassation.
7. Le 2 août 2001, l'administration versa l'indemnité complémentaire assortie des intérêts moratoires.
8. Quant à la parcelle no 347, la procédure prit fin le 29 mai 2000 par un arrêt de la Cour de cassation.
9. Le 4 novembre 2002, l'administration versa l'indemnité complémentaire assortie des intérêts moratoires.
B. Requête no 9820/02, Acar et autres
10. A une date non précisée, la direction générale des routes nationales expropria le terrain des requérants et leur versa une indemnité d'expropriation fixée par une commission.
11. En désaccord avec le montant versé par l'administration, les requérants introduisirent un recours en augmentation de l'indemnité d'expropriation auprès du tribunal de grande instance d'Ankara, le 12 mars 1993.
12. Par un jugement rendu le 12 avril 2000, le tribunal leur octroya une indemnité d'expropriation de 220 894 929 livres turques (TRL) assortie d'intérêts moratoires à compter des 19 et 22 mars 1993.
13. Le 25 septembre 2000, la Cour de cassation rectifia le montant à 259 463 753 TRL sans estimer nécessaire de renvoyer l'affaire devant le tribunal de première instance.
14. Le 21 août 2001, l'administration versa aux requérants l'indemnité complémentaire d'expropriation dont le montant s'élevait à 1 179 079 146 TRL.
C. Requête no 27942/02, Gümüş et Yılmaz
15. A une date non précisée, le Ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles procéda à l'expropriation de terrains appartenant aux requérants et sis à Şanlıurfa, pour la construction d'un barrage.
16. En désaccord avec le montant versé par l'administration, les requérants introduisirent un recours en augmentation de l'indemnité d'expropriation auprès du tribunal de grande instance de Birecik, le 5 avril 1999.
17. Le tribunal accorda aux requérants, le 30 juin 1999, une indemnité complémentaire de 22 488 399 000 TRL, assortie d'un intérêt moratoire simple au taux légal à compter du 29 avril 1999.
18. Le 13 décembre 1999, la Cour de cassation confirma l'arrêt rendu par la première instance.
19. Le 15 novembre 2001, le Ministère paya les indemnités d'expropriation aux requérants, assorties d'un intérêt moratoire simple de 50 % et 60 % entre le 29 avril 1999 et le 15 novembre 2001.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
20. Pour le droit et la pratique internes pertinents en matière d'expropriation, voir les arrêts Akkuş c. Turquie (9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, pp. 1305-1306, §§ 13-16) et Aka c. Turquie (23 septembre 1998, Recueil 1998 VI, pp. 2674 2676, §§ 17-25).
EN DROIT
I. JONCTION DES AFFAIRES
21. Compte tenu de la similitude des affaires quant aux faits et au problème de fond qu'elles posent, la Cour estime nécessaire de les joindre, en vertu de l'article 42 § 1 de son règlement.
II. SUR LA RECEVABILITÉ
22. Les requérants se plaignent du retard pris par l'État dans le paiement des indemnités complémentaires d'expropriation et de l'insuffisance du taux de l'intérêt moratoire appliqué aux dettes de l'État. La Cour va examiner les requêtes sous le seul angle de l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
23. Dans l'affaire Gümüş et Yılmaz, sur la base des faits exposés ci‑dessus, les requérants se plaignent par ailleurs de la durée excessive de la procédure jusqu'à l'exécution de la décision de justice. Dans l'affaire Acar et autres, les requérants se plaignent de l'exécution tardive de la décision du tribunal à cause de certaines erreurs de calcul prétendument commises par les juridictions. A cet égard, ils prétendent qu'ils ont été chargés de payer les frais de justice alors que le tribunal leur avait donné gain de cause, ce qui a repoussé encore le paiement de la somme due. Ils contestent, en outre, la date indiquée par les juridictions pour le départ du calcul des intérêts moratoires et le montant de ceux-ci. Les requérants invoquent, à ces égards, l'article 6 de la Convention.
24. Le Gouvernement soutient que les requérants n'ont pas épuisé, comme l'exige l'article 35 § 1 de la Convention, les voies de recours internes, faute d'avoir correctement exercé le recours mis à leur disposition par l'article 105 du code des obligations.
25. La Cour rappelle qu'elle a rejeté une exception semblable dans l'affaire Aka (précitée, pp. 2678 2679, §§ 34-37). Elle n'aperçoit aucun motif de se départir de sa précédente conclusion.
26. La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir, notamment, arrêt Akkuş et arrêt Aka, précités) et compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, que les requêtes doivent faire l'objet d'un examen au fond. Elle constate en effet qu'elles ne se heurtent à aucun motif d'irrecevabilité.
III. SUR LE FOND
A. Sur la violation alléguée de l'article 1 du Protocole no 1
27. La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 1 du Protocole no 1 (voir les arrêts précités Akkuş, p. 1310, §§ 30-31, et Aka, p. 2682, §§ 50-51).
28. En l'espèce, elle note que, dans ses observations, le Gouvernement n'a fourni aucun fait ni argument convainquant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate que le retard pris dans le paiement de l'indemnité complémentaire accordée par les juridictions internes, n'est imputable qu'à l'administration expropriante, qui a ainsi fait subir aux propriétaires un préjudice distinct s'ajoutant à l'expropriation de leurs biens. C'est ce retard qui amène la Cour à considérer que les requérants ont eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens.
29. Par conséquent, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
B. Sur la violation alléguée de l'article 6 de la Convention
30. Eu égard au constat de violation auquel elle est parvenue pour l'article 1 du Protocole no 1 (paragraphe 29 ci-dessus), la Cour estime avoir examiné la question juridique principale posée par les présentes requêtes. Compte tenu de l'ensemble des faits de la cause et des arguments des parties, elle considère qu'il ne s'impose plus de statuer séparément sur les griefs tirés de l'article 6 de la Convention.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
31. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage, frais et dépens
32. Dans l'affaire Aslan (no 75202/01), les requérants n'ont présenté aucune demande de satisfaction équitable dans le délai qui leur avait été imparti à cet effet, bien que, par lettre du 27 septembre 2006, leur attention a été attirée sur les termes de l'article 60 §§ 1 et 2 du règlement de la Cour. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'octroyer de somme en la matière (Willekens c. Belgique, no 50859/99, § 27, 24 avril 2003, et Roobaert c. Belgique, no 52231/99, § 24, 29 juillet 2004).
33. Dans l'affaire Acar et autres, les requérants demandent 300 000 euros (EUR) au titre de leur dommage matériel et 15 000 EUR pour le dommage moral qu'ils auraient subi.
34. Dans l'affaire Gümüş et Yılmaz, les requérants réclament 15 635 dollars américains (USD) (12 220 EUR environ - montant converti selon le cours du 7 août 2006, soit à la date de la présentation des prétentions des requérants) au titre de leur dommage matériel. Ils demandent en outre 4 000 USD (3 127 EUR environ) pour leur préjudice moral.
35. Pour les honoraires d'avocat les requérants sollicitent, 25 000 EUR dans l'affaire Acar et autres et 2 000 USD (1 563 EUR environ) dans l'affaire Gümüş et Yılmaz.
36. À la lumière de sa jurisprudence et ayant procédé à son propre calcul, la Cour estime raisonnable d'accorder les sommes suivantes conjointement aux requérants ou aux ayants droit des requérants au titre de leur dommage matériel :
- 7 420 EUR dans l'affaire Gümüş et Yılmaz,
- 750 EUR dans l'affaire Acar et autres.
37. Quant au préjudice moral, la Cour estime que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable à cet égard.
38. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).
La Cour observe que les prétentions des requérants au titre des frais et dépens ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires. Il convient donc d'écarter ces demandes.
B. Intérêts moratoires
39. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare les requêtes recevables ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
4. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément les autres griefs des requérants ;
5. Dit que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante quant au préjudice moral subi par les requérants ;
6. Dit
a) que l'État défendeur doit verser conjointement aux requérants (ou leurs ayants droit), dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i. pour dommage matériel dans l'affaire Gümüş et Yılmaz (no 27942/02), 7 420 EUR (sept mille quatre cent vingt euros) ;
ii. pour dommage matériel dans l'affaire Acar et autres (no 9820/02), 750 EUR (sept cent cinquante euros) ;
iii. plus tout montant pouvant être dû sur les sommes ci-dessus au titre d'impôts ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 décembre 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé F. Tulkens
Greffière Présidente
ANNEXE
1. Requête no 75202/01, Aslan
Date d'introduction de la requête : 16 juillet 2001
Date de la communication : 27 juin 2006
Nom et prénom de la requérante : Aslan Hayriye
Représentant: Me S. Sinan Yılmaz, avocat à Gaziantep
2. Requête no 9820/02, Acar et autres
Date d'introduction de la requête : 26 décembre 2001
Date de la communication : 1er septembre 2006
Noms et prénoms des requérants :
Zehra Acar, İzzet Acar (ses héritiers : Sefer Acar, Zülfiye (Acar) Gülebakan, Semiha (Acar) Binici et Hafize (Acar) Biber), Mehmet Acar (ses héritiers : Leyla Acar, Halime (Acar) Yaman, Abdulkadir Acar, Mehmet Acar et Ayşe (Acar) Doğar), Mustafa Acar, Cafer Acar, Refika Acar, Harun Acar, Zeki Acar, Kasım Acar, Satıa Acar[1], Kadriye Çıplak (Karaağaç) (ses héritiers : Mustafa Karaağaç, Halil İbrahim Karaağaç et Mehmet Karaağaç), Mustafa Karaağaç, Halil İbrahim Karaağaç et Mehmet Karaağaç.
Représentant: Me G.Ç. Ekşioğlu, avocat à Ankara
3. Requête no 27942/02, Gümüş et Yılmaz
Date d'introduction de la requête : 13 mai 2002
Date de la communication : 9 juin 2006
Noms et prénoms des requérants : Emine Gümüş et Bekir Yılmaz
Représentant: Me Yusuf Karataş, avocat à Şanlıurfa
[1]Rectifié le 8 février 2008 en ce qui concerne le prénom de la requérante Satıa Acar, anciennement Satia.