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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
16.10.2007
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE CAPONE ET CENTRELLA c. ITALIE

(Requête no 45836/99)

ARRÊT

STRASBOURG

16 octobre 2007

DÉFINITIF

31/03/2008

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Capone et Centrella c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Mme F. Tulkens, présidente,
MM. A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
M. Ugrekhelidze,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Mularoni,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 septembre 2007,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 45836/99) dirigée contre la République italienne et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Raffaele Capone et Saverio Centrella (« les requérants »), ont saisi la Cour le 14 janvier 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me S. Ferrara, avocat à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I.M. Braguglia et son coagent, M. F. Crisafulli, ainsi que par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.

3. Le 14 décembre 2004, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement.

4. Par une décision du 27 janvier 2005, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.

5. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

6. Les requérants sont nés respectivement en 1959 et 1940 et résident à Pietradefusi (Avellino).

A. La procédure principale

7. Le 4 novembre 1992, le parquet de Bénévent demanda le renvoi en jugement des requérants et de six autres personnes. Ils étaient accusés de soustraction de deniers publics et d'abus d'autorité publique.

Le juge des investigations préliminaires de Bénévent fixa la date de l'audience préliminaire au 17 février 1993.

Par un jugement du 29 septembre 1997, le tribunal de Bénévent relaxa les requérants.

Le 5 novembre 1997 le parquet interjeta appel.

Par un arrêt du 3 novembre 1998, dont le texte fut déposé au greffe le 10 novembre 1998, la cour d'appel de Naples relaxa les requérants pour cause de prescription.

B. La procédure « Pinto »

8. Le 6 juillet 2001, les requérants saisirent la cour d'appel de Rome au sens de la « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée de la procédure décrite ci-dessus. Les requérants demandèrent donc à la Cour de suspendre l'examen de la requête.

Ils demandèrent à la cour d'appel de conclure à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de condamner l'Etat italien au dédommagement des préjudices matériels et moraux subis, qu'ils évaluaient à 12 000 000 lires italiennes (ITL) chacun [soit 6 197,48 euros (EUR)].

Les requérants soumirent à la cour d'appel l'affaire Iarrobino et De Nisco c. Italie, dont la procédure litigieuse avait été la même de celle faisant l'objet de leur requête, dans laquelle la Cour européenne avait conclu à la violation du principe du « délai raisonnable » et avait alloué la somme demandée à titre de satisfaction équitable (voir Iarrobino et De Nisco c. Italie, no 40662/98, du 26 avril 2001).

Par une décision du 15 octobre 2001, dont le texte fut déposé au greffe le 30 octobre 2001, la cour d'appel rejeta le recours. Même à supposer que la durée eût été déraisonnable, l'action publique étant prescrite, les requérants n'avaient pu subir de dommage. La cour d'appel condamna les requérants à 1 600 000 ITL (soit 826,33 EUR) pour frais de justice.

Les requérants se pourvurent en cassation. Ils soulignèrent la contradiction entre la décision litigieuse et la jurisprudence de la Cour européenne. Ils évoquèrent une nouvelle fois l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Iarrobino et De Nisco.

Par une décision du 4 juillet 2001, dont le texte fut déposé au greffe le 27 décembre 2002, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle estima que le droit à l'examen de la requête dans un « délai raisonnable » n'est pas un droit fondamental de la personne et que, par conséquent, l'éventuel constat de violation n'entraîne pas la reconnaissance automatique de l'existence d'un préjudice. Ce dernier ne pouvait donc pas être considéré in re ipsa. La Cour de cassation condamna les requérants à 500 000 ITL (soit 258,23 EUR) pour frais de justice.

Par une lettre du 21 février 2003, les requérants prièrent la Cour de reprendre l'examen de leur requête.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

9. Le droit et la pratique internes pertinents figurent dans l'arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-...).

EN DROIT

I. OBSERVATION LIMINAIRE SUR LA QUALITE DE VICTIME

10. Bien que le Gouvernement n'ait pas soulevé d'exception sur ce point, les parties ayant déposé leurs mémoires et observations respectifs sur la requête antérieurement aux arrêts par lesquels, en mars 2006, la Grande Chambre s'est penchée sur la question de la qualité de victime, la Cour se doit de l'examiner d'office.

11. La Cour rappelle qu'afin de savoir si un requérant peut se prétendre « victime » au sens de l'article 34 de la Convention, il y a lieu d'examiner si les autorités nationales ont reconnu puis réparé de manière appropriée et suffisante la violation litigieuse (voir, entre autres, Delle Cave c. Italie, no 14626/03, §§ 25-31, 5 juin 2007; Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 69-98).

12. Or, il y a lieu de noter d'emblée que la première condition, à savoir le constat de violation par les autorités nationales, n'est pas remplie en l'espèce. En effet, les juridictions nationales n'ont pas pris en considération la décision rendue par la Cour dans l'affaire Iarrobino et De Nisco c. Italie, dans laquelle elle avait conclu à la violation du délai raisonnable de la même procédure pénale. En effet, compte tenu du caractère non complexe de l'affaire ainsi que des retards dus aux coinculpés, dans ladite affaire la Cour avait néanmoins estimé que, au vu du comportement des autorités compétentes, l'on ne saurait considérer comme « raisonnable » une durée globale de six ans et six jours pour deux degrés de juridiction (Iarrobino et De Nisco, précité, §§ 19-24).

De ce fait, à défaut d'un constat des autorités nationales du dépassement du délai raisonnable, la Cour considère qu'il n'y a eu aucun redressement et que les requérants peuvent toujours se prétendre « victimes » au sens de l'article 34 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

13. Les requérants se plaignent de la durée de la procédure pénale et considèrent que le rejet de leurs demandes dans le cadre de la procédure « Pinto » va à l'encontre de la jurisprudence de la Cour.

14. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.

15. L'article 6 § 1 de la Convention est ainsi libellé :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

16. La Cour estime que la période à considérer a commencé le 4 novembre 1992, avec la demande du parquet de Bénévent de renvoi en jugement des requérants, pour s'achever le 10 novembre 1998, date du dépôt au greffe de la décision de la cour d'appel de Naples qui relaxa les requérants pour cause de prescription. Elle a donc duré six ans et six jours pour deux instances de juridiction.

La Cour rappelle qu'elle vient de juger que les requérants n'ont obtenu aucun redressement en vertu de la procédure « Pinto ».

Après avoir examiné les faits à la lumière des informations fournies par les parties, compte tenu de sa jurisprudence en la matière, et en particulier de sa décision dans l'affaire Iarrobino et De Nisco (précité, §§ 19-24), la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».

17. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

18. Les requérants affirment que la procédure « Pinto » n'est pas un remède effectif et viole l'article 13 de la Convention, qui est ainsi libellé :

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

19. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.

20. La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de faire valoir les droits et libertés tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés. Il a pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant l'instance nationale compétente à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et, de plus, à offrir le redressement approprié dans les cas qui le méritent (voir Mifsud c. France (dec.) [GC], no 57220/00, § 17, ECHR 2002-VIII ; Scordino c. Italie (no 1), no 36813/97, §§ 186-188, du 29 mars 2006 ; Surmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 99, 8 juin 2006). La Cour rappelle en outre que le droit à un recours efficace au sens de la Convention ne saurait être interprété comme donnant droit à ce qu'une demande soit accueillie dans le sens dans lequel l'entend l'intéressé (Surmeli, précité, § 98).

21. La Cour doit déterminer si le moyen offert aux requérants en droit italien peut être considéré comme un recours efficace, adéquat et accessible, permettant de sanctionner la durée excessive d'une procédure judiciaire. A cet égard, elle rappelle avoir déjà estimé que le recours devant les cours d'appel introduit en Italie par la loi Pinto est accessible et que rien ne permet de douter de son efficacité (Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001-IX ; Scordino (no 1), précité, § 144).

22. En l'espèce, la cour d'appel de Rome ainsi que la cour de cassation avaient compétence pour se prononcer sur le grief des requérants et ont procédé à son examen.

23. Par conséquent, compte tenu de ce qu'il a été décidé dans des affaires italiennes similaires (voir, Delle Cave c. Italie, précité, §§ 35-39 et §§ 43-46 ; G.M. c. Italie, no 56293/00, §§ 40-43, 5 juillet 2007), les requérants ayant disposé d'un recours effectif pour exposer les violations de la Convention qu'ils alléguaient, il n'y a pas eu violation de l'article 13.

IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

24. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

25. Les requérants réclament la somme de 50 756,26 EUR chacun au titre des préjudices matériel et moral.

26. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour.

27. La Cour estime qu'elle aurait pu accorder à chaque requérant, en l'absence de voies de recours internes, la somme de 7 000 EUR pour dommage moral. Partant, le fait que la cour d'appel de Rome, ainsi que la cour de cassation, appelées à se prononcer sur la durée de la procédure ne soient pas parvenues au constat de violation aboutit à un résultat manifestement déraisonnable. Par conséquent, eu égard aux caractéristiques de la voie de recours « Pinto » et compte tenu de la solution adoptée dans les arrêts Cocchiarella c. Italie (précité, mutatis mutandis §§ 139-142 et 146) et Iarrobino et De Nisco c. Italie (précité, mutatis mutandis §§ 26-28), statuant en équité la Cour alloue à chaque requérant la somme de 3 000 EUR en réparation des dommages moraux.

B. Frais et dépens

28. Les requérants demandent le remboursement de 7 448,98 EUR, pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes, puis la Cour.

29. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour.

30. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003VIII).

31. Quant aux frais et dépens soutenues par les requérants, la Cour estime raisonnable de rembourser aux requérants les frais de justice qu'ils ont été obligés de payer dans le cadre de la procédure « Pinto », notamment 542,28 EUR chacun, ainsi que les frais de la procédure à Strasbourg. Statuant en équité comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour octroie à chaque requérant la somme de 1 800 EUR.

C. Intérêts moratoires

32. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention ;

3. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral ;

ii. 1 800 EUR (mille huit cents euros) pour frais et dépens ;

iii. tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 octobre 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé F. Tulkens
Greffière Présidente