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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
4.10.2007
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE FORUM MARITIME S.A. c. ROUMANIE

(Requêtes jointes nos 63610/00 et 38692/05)

ARRÊT

STRASBOURG

4 octobre 2007

DÉFINITIF

04/01/2008

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Forum Maritime S.A. c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. C.L. Rozakis, président,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
Mme N. Vajić,
M. A. Kovler,
Mme E. Steiner,
M. S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 septembre 2007,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouvent deux requêtes (nos 63610/00 et 38692/05) dirigées contre la Roumanie et dont une société commerciale de droit panaméen établie à Panama et à Pirée (Grèce), Forum Maritime S.A. (« la requérante ») et – s'agissant seulement de la première requête – M. Stelios Katounis, ressortissant grec, actionnaire de la requérante et président directeur général de celle-ci (« S.K. »), ont saisi la Cour le 1er août 2000 et le 14 octobre 2005 respectivement en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante et S.K. étaient représentés par Mes N. Scorinis et J. Vrellos, avocats à Pirée, et par Mes S. Dragomir et A.M. Lefter, avocats à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. H. Radu, du ministère des Affaires étrangères.

3. Les représentants de S.K., décédé le 4 janvier 2002, ont informé la Cour le 10 mai 2004 que l'héritier présomptif de leur client avait refusé le bénéfice de l'héritage, qu'ils ignoraient s'il existait d'autres ayants-droit et qu'ils ne représenteraient plus que la requérante. Au vu de ces éléments, la Cour note que l'intéressée poursuit seule la procédure devant la Cour.

4. La requérante alléguait en particulier que le déroulement de la procédure civile, de la procédure pénale avec constitution de partie civile et de la procédure commerciale qu'elle avait engagées en vue d'obtenir le remboursement par une banque d'un montant de 25 millions de dollars américains (« USD ») avaient donné lieu à la violation de son droit au respect de ses biens, de son droit à un procès équitable et de son droit d'accès à un tribunal. Elle se plaignait également de l'inégalité des armes et du manque d'indépendance des procureurs roumains chargés de la procédure pénale ainsi que de la durée excessive de la procédure commerciale.

5. Le 28 octobre 2003 et le 18 mai 2006 respectivement, la Cour a décidé de communiquer les requêtes au Gouvernement. En application de l'article 29 § 3 de son règlement, elle a décidé à cette dernière date d'en examiner conjointement la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A. Faits relatifs à un virement bancaire de 25 millions de USD

6. Au printemps 1993, la requérante engagea des négociations avec le Gouvernement au sujet de la privatisation de la flotte commerciale de Roumanie.

7. Par télécopie du 3 mai 1993, le ministre roumain des transports invita les dirigeants de la société requérante à entrer en pourparlers et recommanda vivement la désignation d'un homme d'affaires dénommé F.T. en tant qu'intermédiaire chargé des négociations entre les parties.

8. Le 18 mai 1993, la requérante conclut avec la société C.N.M. Petromin S.A., la compagnie maritime de l'Etat roumain (« Petromin »), un contrat par lequel elle s'engageait à participer à l'augmentation du capital de celle-ci. Le contrat en question comportait une clause résolutoire obligeant Petromin à obtenir les autorisations requises des autorités roumaines dans un délai de 45 jours ou dans un autre délai dont les parties pourraient convenir par écrit.

9. Par télécopie du 17 juin 1993, la banque commerciale Ion Ţiriac («la BCIT »), chargée du déroulement des opérations bancaires relatives au contrat susmentionné, informa la requérante que le premier versement dû au titre du contrat devait être viré sur un compte – dont elle lui indiqua le numéro – détenu en commun par S.K. et F.T. Dans l'ordonnance de nonlieu qu'il rendit le 22 juin 2000 sur une plainte pénale de la requérante, le procureur compétent nota qu'une expertise graphologique ordonnée par le parquet près la Cour suprême de Justice avait conclu que cette télécopie était un faux puisque, à la date où elle avait été envoyée, le compte bancaire n'était pas encore ouvert et la signature de la fonctionnaire de la BCIT avait été copiée à l'aide d'un scanner.

10. Par un jugement du 18 juin 1993, le tribunal de première instance de Constanţa accueillit la requête par laquelle Petromin avait sollicité l'autorisation de procéder à une augmentation de capital au moyen d'un apport de la requérante.

11. Le 22 juin 1993, F.T. ouvrit un compte bancaire à la BCIT. Il ressort des documents de la BCIT que F.T. était titulaire de ce compte et que S.K. était autorisé à y effectuer des opérations. Toutefois, ce dernier ne déposa pas le spécimen de sa signature à la BCIT.

12. Entre le 23 et le 30 juin 1993, S.K., agissant au nom de la requérante et en vertu du contrat du 18 mai 1993, vira 25 millions de USD sur le compte ouvert par F.T. Le bordereau de virement désignait S.K. et F.T. comme étant les bénéficiaires de cette opération.

13. Le 30 juin 1993, la BCIT délivra une attestation précisant que, dans le cadre de l'opération Petromin-Forum Maritime, un montant de 25 millions de USD avait été viré sur un compte ouvert à son agence de Bucarest et que « [cette] somme a[vait] été enregistrée suivant les instructions reçues du donneur d'ordre externe et sera[it] utilisée conformément aux directives du donneur d'ordre ».

14. Le tribunal départemental de Constanţa ayant annulé par un arrêt du 6 août 1993 le jugement rendu le 18 juin 1993, le contrat du 18 mai 1993 fut rompu. Cependant, Petromin et la requérante continuèrent à négocier jusqu'en mars 1995, époque à laquelle le Gouvernement informa l'intéressée qu'il serait impossible d'obtenir les autorisations nécessaires.

15. Entre 1993 et 1995, en vertu d'un pouvoir sous seing privé délivré par S.K. le 14 septembre 1993, F.T. effectua plusieurs virements à partir du compte en question. Selon le Gouvernement et une ordonnance de non-lieu rendue le 22 juin 2000, la majeure partie des virements en question furent réalisés vers différents comptes que la requérante et des sociétés liées à celle-ci détenaient à l'étranger.

16. Le 12 juillet 1996, F.T. demanda à la BCIT de clore le compte en cause et en liquida le solde, d'un montant de 40 486 USD.

17. Le 6 février et le 8 juillet 1997, la requérante invita la BCIT à virer sur un compte qu'elle détenait dans une agence de cette banque à Ploiesti la somme de 25 millions de USD qui avait été déposée en juin 1993. Elle ne reçut aucune réponse de la BCIT.

B. La procédure civile contre la BCIT et Petromin

18. Le 13 mai 1998, la BCIT n'ayant donné aucune suite à ses instructions, la requérante engagea une action contre Petromin et cette banque devant le tribunal départemental de Constanţa. Elle demandait à cette juridiction de prononcer la nullité du contrat du 18 mai 1993 pour violation des conditions de forme et de fond requises, d'ordonner à la BCIT de virer un montant de 25 millions de USD sur deux comptes qu'elle détenait dans deux agences de cette banque et de condamner celle-ci au paiement d'une indemnité. Initialement estimés à 50 000 000 lei roumains (« ROL »), les dommages-intérêts exigés par la requérante furent chiffrés à 149 125 000 USD le 8 juillet 1998 et fixés à 64 401 331 USD le 19 août 1998.

19. Lors de l'audience du 1er juin 1998, à laquelle elle avait été citée à comparaître sans que le montant du droit de timbre afférent à l'action qu'elle avait introduite lui eût été précisé, la requérante s'acquitta de la somme de 1 095 000 ROL à ce titre.

20. Le 9 septembre 1998, le tribunal départemental ajourna l'examen du fond de l'affaire et entendit les parties sur l'exception que les défenderesses avaient soulevée au sujet de la somme due par la requérante au titre du droit de timbre. A cet égard, l'intéressée soutenait que le tribunal devait qualifier ses demandes pour déterminer le montant en question et que celle qu'elle avait formulée au sujet du virement bancaire avait pour objet une obligation de faire et non une obligation de donner car elle était titulaire de deux comptes tenus par des agences de la BCIT. Selon elle, une telle demande relevait de l'article 13 de la loi no 146/1997 sur le droit de timbre (« la loi no 146/1997 ») et était donc soumise à une taxe de 20 000 ROL. Les défenderesses contestèrent la qualification juridique retenue par l'intéressée.

21. Par une décision avant dire droit du 10 septembre 1998, le tribunal départemental de Constanţa jugea que la demande de virement de la somme de 25 millions de USD sur un compte bancaire de la requérante s'analysait en une demande de paiement de ce montant adressée à la BCIT et qu'elle avait pour objet une obligation de donner. Il en déduisit que la requérante était redevable, au titre de cette demande, d'un droit de timbre proportionnel à la somme sollicitée et lui accorda un délai expirant le 7 octobre 1998 pour s'en acquitter. Le montant total du droit de timbre dû pour l'examen au fond de la demande de virement et de la demande indemnitaire s'élevait à 15 176 283 750 ROL. La décision en question ne pouvait être contestée indépendamment du jugement du tribunal statuant au principal.

22. Par un jugement du 16 octobre 1998, le tribunal départemental de Constanţa déclara l'action de l'intéressée irrecevable sans en examiner le fond, au motif que la requérante n'avait pas payé le droit de timbre.

23. Par un arrêt du 28 janvier 1999, la cour d'appel de Constanţa accueillit l'appel interjeté par la requérante. Estimant qu'il avait été fait une fausse application de la loi no 146/1997, elle annula le jugement du 16 octobre 1998 et ordonna un nouvel examen de l'affaire. Elle considéra qu'il y avait lieu d'appliquer l'article 20 § 4 de la loi no 146/1997, en vertu duquel les juridictions devaient examiner au fond les demandes dont elles étaient saisies dès lors que le droit de timbre y afférent avait été payé, quand bien même les demandeurs auraient modifié leurs prétentions par la suite. Elle ajouta que la juridiction de renvoi devrait déterminer le montant dû par la requérante au titre du droit de timbre afférent à la demande que celle-ci avait formulée au sujet du virement de la somme de 25 millions de USD.

24. Les parties défenderesses se pourvurent devant la Cour suprême contre l'arrêt de la cour d'appel. Elles soutenaient que l'article 20 § 4 de la loi précitée n'était pas applicable car la requérante n'avait pas payé l'intégralité du droit de timbre correspondant au montant des demandes figurant dans l'acte introductif d'instance enregistré au greffe du tribunal, à savoir 3 235 000 ROL, dont 3 215 000 ROL pour la troisième demande, celle qui portait sur les dommages-intérêts.

25. Par un arrêt du 10 février 2000, la Cour suprême de Justice fit droit au recours des parties défenderesses et confirma le bien-fondé du jugement du 16 octobre 1998. Jugeant que la disposition applicable était l'article 20 § 2 et non l'article 20 § 4 de la loi précitée, elle conclut à l'irrecevabilité de l'action de la requérante en se fondant sur l'article 20 § 3 de la loi en question. A ses yeux, la cour d'appel de Constanţa avait interprété de manière extensive l'article 20 § 4 car la requérante ne s'était acquittée ni du montant du droit de timbre dû au titre des trois demandes figurant dans l'acte introductif d'instance ni de la somme fixée par le tribunal départemental de Constanţa dans le jugement avant dire droit du 10 septembre 1998.

C. La plainte pénale avec constitution de partie civile dirigée contre F.T. et le directeur de la BCIT

26. Le 30 décembre 1997, les avocats de la requérante et de S.K. saisirent le parquet d'une plainte pénale avec constitution de partie civile dirigée contre F.T. et le directeur de la BCIT, qu'ils accusaient d'escroquerie et à qui ils demandaient, à titre de dommages-intérêts, 25 millions de USD augmentés des intérêts y afférents. La requérante et S.K. soutenaient qu'ils n'avaient jamais autorisé F.T. à faire des virements à partir de leur compte, qu'ils qualifiaient de compte de garantie bloqué, et affirmaient que la BCIT savait que ce compte avait une affectation spéciale.

27. Chargé de superviser l'examen de la plainte, le parquet près la Cour suprême de Justice ordonna l'administration d'une expertise graphologique de la lettre du 17 juin 1993 et du pouvoir du 14 septembre 1993 ainsi que la réalisation d'une expertise comptable par trois experts respectivement désignés par le parquet, par la requérante et S.K., et par F.T. et le directeur de la BCIT. L'expert nommé par la requérante et S.K contesta par la suite les conclusions du rapport d'expertise comptable. Le parquet invita également les avocats de la requérante et de S.K. à produire des documents à l'appui de la plainte de leurs clients.

28. Le 14 septembre 1999, le parquet autorisa l'ouverture de poursuites contre F.T. Les procureurs en charge des poursuites procédèrent à l'audition d'un certain nombre de témoins, notamment au sujet de la lettre du 17 juin 1993 et des destinataires des virements effectués par F.T. (voir le paragraphe 15 cidessus). Ils obtinrent de la BCIT des documents qui furent versés au dossier des poursuites, lequel comprenait plusieurs volumes à la clôture de celles-ci.

29. En 1999, l'examen de la plainte pénale en cause, initialement attribué à F.C., échut à la procureure S.R. Selon la requérante, à une date non précisée, F.C. reprit le dossier de l'affaire et S.R. fut mutée du parquet près la Cour suprême de Justice au parquet près le tribunal départemental de Bucarest parce qu'elle avait l'intention de renvoyer les accusés en jugement.

30. Le 22 juin 2000, F.C. rendit une ordonnance de non-lieu sur la plainte pénale, concluant que les faits reprochés ne remplissaient pas les conditions nécessaires pour être qualifiés de délits. Il précisa, entre autres, que le pouvoir du 14 septembre 1993 s'était révélé authentique, que F.T. avait effectué les virements litigieux en sa qualité de représentant de la requérante et de S.K., et qu'il ressortait de l'expertise comptable que, à l'exception d'un montant de 686 397 USD, les virements réalisés par F.T. entre 1993 et 1995 avaient bénéficié à la requérante et à S.K. ou à des sociétés contrôlées par eux.

31. Le 1er août 2000, la requérante exerça le recours prévu à l'article 278 du code de procédure pénale (« CPP ») contre l'ordonnance de non-lieu rendue par F.C. auprès du supérieur hiérarchique de celui-ci.

32. Par lettre du 21 décembre 2000, la requérante fut informée que la plainte avait été rejetée en vertu d'une ordonnance du 4 décembre 2000 rendue par le procureur en chef du parquet. Cette lettre indiquait que le nonlieu du 22 juin 2000 avait été jugé régulier et bien-fondé, et que l'ordonnance était susceptible de recours devant les juridictions du fond compétentes, conformément à la décision no 486/1997 de la Cour constitutionnelle. Toutefois, elle ne précisait pas les motifs sur lesquels l'ordonnance était fondée.

33. Le 17 janvier 2001, la requérante demanda au parquet près de la Cour suprême de Justice de lui communiquer les motifs de l'ordonnance du 4 décembre 2000 et de lui donner des précisions, en renvoyant aux articles pertinents du CPP, sur le recours mentionné dans la lettre en question, le délai dans lequel il pouvait être exercé et les juridictions compétentes pour en connaître.

34. Par lettre du 13 février 2001, le procureur en chef du parquet près la Cour suprême de Justice adressa à la requérante une copie de la décision no 486/1997 de la Cour constitutionnelle, sans répondre aux autres questions qui lui avaient été posées et sans communiquer les motifs sur lesquels l'ordonnance du 4 décembre 2000 était fondée.

35. La requérante prit connaissance des motifs de cette ordonnance en février 2005, en recevant communication des observations du Gouvernement sur la recevabilité et le fond auxquels ceux-ci étaient annexés.

D. La procédure commerciale contre la BCIT

36. Le 14 juillet 1997, la requérante assigna la BCIT devant le tribunal départemental de Bucarest. A titre principal, elle invitait cette juridiction à ordonner à la BCIT de virer sur un compte qu'elle détenait dans une agence de cette banque à Ploieşti les 25 millions de USD augmentés des intérêts y afférents portés au crédit du compte ouvert par F.T.

37. Par un arrêt avant dire droit du 25 novembre 1997, la Cour suprême de Justice renvoya l'affaire devant le tribunal départemental de Braşov, à la demande de la BCIT, pour cause de suspicion légitime.

38. Le 27 mai 1998, lors d'une audience devant le tribunal départemental de Braşov qui se déroula en l'absence des avocats de la requérante, le juge chargé de l'affaire, après avoir entendu l'avocat de la BCIT sur la question de la qualification de l'action et du droit de timbre dû, en détermina le montant et renvoya l'affaire à une nouvelle audience afin de permettre à la requérante de le payer. A l'audience du 10 juin 1998, la requérante demanda la récusation du juge pour violation du principe du contradictoire, en vain.

39. Par un jugement du 27 octobre 1998, ultérieurement confirmé par un arrêt rendu le 20 avril 1999 par la cour d'appel de Braşov, la chambre commerciale du tribunal départemental de Braşov déclara irrecevable l'action de la requérante au motif que celle-ci ne s'était pas acquittée du droit de timbre dû.

40. Sur recours de la requérante, l'affaire fut renvoyée devant la Cour suprême de Justice, qui fixa la première audience au 15 février 2000. A cette date, la requérante demanda un renvoi en raison d'une grève des avocats et la Cour suprême de justice ajourna l'examen de l'affaire au 31 octobre 2000. Selon la requérante, la grève en question prit fin peu de temps après le 15 février 2000.

41. Par un arrêt du 31 octobre 2000, la Cour suprême de Justice accueillit le recours formé par la requérante et renvoya l'affaire au tribunal départemental de Braşov pour un examen au fond. Elle jugea que la demande de l'intéressée visant à obtenir le virement des 25 millions de USD d'un compte à un autre avait pour objet une obligation de faire, et non une obligation de donner, et que la requérante ne devait donc payer que 20 000 ROL de droit de timbre.

42. Le 29 mai 2001, le tribunal départemental de Braşov tint la première audience après le renvoi de l'affaire.

43. Le 19 novembre 2001, le tribunal décida de joindre au fond les fins de non-recevoir invoquées par la BCIT et de faire droit à la requête par laquelle l'intéressée sollicitait la fixation des intérêts afférents à la somme de 25 millions de USD pour la période comprise entre 1993 et 1998 ainsi que la réalisation d'une expertise comptable qui devait notamment servir au calcul du montant du droit de timbre dû au titre de la demande de virement de cette somme formulée dans l'acte introductif d'instance.

44. Après avoir soumis la BCIT à un interrogatoire, remplacé deux experts qui avaient refusé leur mission et annulé un premier rapport d'expertise au motif que l'expert s'était prononcé sur le fond de l'affaire dans son rapport, le tribunal départemental de Braşov, par un jugement du 14 avril 2003, accueillit la fin de non-recevoir relative au défaut de qualité pour agir invoquée par la BCIT et rejeta l'action de la requérante. Le tribunal jugea que, puisque l'objet de l'action s'analysait en une obligation de faire, la requérante ne pouvait à bon droit demander aux juridictions d'ordonner à la BCIT de virer une somme prélevée sur un compte dont le titulaire était F.T.

45. Par un arrêt du 4 novembre 2003, la cour d'appel de Braşov saisie par la requérante rejeta la fin de non-recevoir soulevée par la BCIT, annula le jugement du 14 avril 2003 et renvoya l'affaire devant le tribunal départemental de Braşov. Elle estima qu'il y avait lieu de distinguer entre, d'une part, le droit matériel invoqué dans l'action au fond et, d'autre part, la qualité pour ester en justice dont la requérante était titulaire puisque celle-ci avait viré 25 millions de USD sur un compte ouvert à la BCIT, fait confirmé par l'attestation délivrée par cette dernière le 30 juin 1993.

46. La première audience sur renvoi devant le tribunal départemental de Braşov eut lieu le 10 décembre 2003. Dans ses observations sur le fond de l'affaire, la requérante argua que l'attestation du 30 juin 1993 apportait la preuve de l'affection spéciale du compte, dont elle prétendait avoir la disposition exclusive en sa qualité de donneur d'ordre. La BCIT répliqua qu'elle n'avait pas reçu d'instruction spécifique relativement à la gestion de ce compte bancaire et que la requérante aurait dû diriger son action contre F.T.

47. Par un jugement du 22 janvier 2004, le tribunal départemental de Braşov rejeta l'action de la requérante pour défaut de fondement. Il jugea que le virement par l'intéressée du montant en litige sur un compte dont le titulaire était F.T. avait eu pour effet de transférer à ce dernier la propriété du montant en question, et qu'il pouvait donc disposer des avoirs déposés sur le compte. Le tribunal conclut qu'aucun acte ou fait juridique soumis à son examen ne permettait à la requérante de demander à la BCIT de virer sur un compte dont elle était titulaire une somme prélevée sur un compte détenu par F.T.

48. La requérante interjeta appel du jugement du 22 janvier 2004. Elle alléguait que, en permettant à F.T. d'ouvrir le compte en question et d'effectuer des virements à partir de celui-ci, qui devait être qualifié de compte à affectation spéciale, la BCIT avait enfreint plusieurs normes de prudence bancaire, y compris ses propres règles de fonctionnement.

49. A l'audience du 26 mai 2004, avant les plaidoiries des parties, la requérante produisit de nouvelles pièces (représentant 500 pages environ), arguant notamment que les virements réalisés par F.T. entre 1993 et 1995 au bénéfice de sociétés qu'elle contrôlait n'étaient pas destinés à rembourser les 25 millions de USD litigieux mais à effectuer des paiements dus au titre d'autres contrats.

50. Par un arrêt du 9 juin 2004, la cour d'appel de Braşov rejeta l'appel de la requérante. Elle jugea que le manquement allégué de la BCIT aux règles de fonctionnement que celle-ci s'était données, sanctionné par la nullité relative, ne pouvait être invoqué par l'intéressée, qui était un tiers au rapport de droit bancaire existant entre la BCIT et F.T., constatant à cet égard que les documents relatifs au virement bancaire de juin 1993 identifiaient clairement le compte destinataire – celui dont F.T. était titulaire – et mentionnaient le nom des bénéficiaires, F.T. et S.K. Elle en conclut que la requérante ne pouvait ni disposer des sommes inscrites sur le compte détenu par F.T. ni en demander la restitution à la BCIT.

51. Sur recours exercé par l'intéressée, l'affaire fut renvoyée devant la Haute Cour de cassation et de justice (« la Cour de cassation »), qui avait remplacé l'ancienne Cour suprême de Justice. A l'appui de son recours, la requérante arguait principalement que les documents qu'elle avait versés au dossier prouvaient que la BCIT savait que le compte bancaire litigieux était un compte à affectation spéciale et qu'elle seule pouvait disposer des sommes inscrites sur ce compte. La BCIT soumit un mémoire en défense auquel l'intéressée répliqua.

52. Le 23 novembre 2004, la Cour de cassation tint sa première audience et ajourna l'affaire au 8 mars 2005, afin de permettre à la BCIT de préparer sa défense.

53. A l'audience du 8 mars 2005, la requérante invita la Cour de cassation à prendre en considération un certain nombre de pièces versées au dossier de la plainte pénale qu'elle avait déposée contre F.T. et le directeur de la BCIT. Elle lui demanda également d'enjoindre la BCIT à se soumettre à un interrogatoire portant sur l'existence de certaines pièces auxquelles la banque s'était référée dans ses observations et dans de divers documents que celle-ci avait produits en première instance et en appel, et, en application de l'article 172 § 2 in fine du CPC, de l'inviter à les verser au dossier. Il s'agissait principalement de documents relatifs à des virements bancaires effectués par F.T. au bénéfice de la requérante, de la demande de celui-ci de se voir délivrer l'attestation du 30 juin 1993 et du contrat bancaire que F.T. avait conclu avec la BCIT. La banque répliqua que toutes les pièces en cause figuraient déjà dans le dossier de l'affaire.

54. Par un arrêt avant dire droit du 8 mars 2005, la Cour de cassation rejeta la demande d'interrogatoire et ordonna à la BCIT de vérifier si elle avait versé au dossier les documents mentionnés dans ses observations en défense et, le cas échéant, de les produire.

55. Le 23 mars 2005, en exécution de l'arrêt avant dire droit susmentionné, la BCIT versa au dossier et communiqua à la requérante plusieurs documents qui étaient, selon elle, ceux dont l'intéressée exigeait la production. Il s'agissait notamment de la demande d'ouverture d'un compte personnel à la BCIT que F.T. avait formulée le 22 juin 1993, de celle par laquelle avait été sollicitée l'attestation délivrée le 30 juin 1993 et de documents relatifs à des virements d'un montant total de 10 226 816 USD réalisés par F.T. au bénéfice de la requérante. Le 25 mars 2005, l'intéressée demanda à la Cour de cassation de rectifier et de compléter le texte de l'arrêt avant dire droit du 8 mars 2005 en y mentionnant le motif du rejet de sa demande d'interrogatoire et l'injonction faite à la BCIT de produire les documents sollicités au cas où ceux-ci n'auraient pas déjà été versés au dossier. Le 30 mars 2005, la requérante produisit un certain nombre de documents et sollicita leur transmission en urgence à la BCIT, selon la même procédure que celle qui avait été employée pour lui faire parvenir les pièces de cette banque.

56. Lors de l'audience du 5 avril 2005, la Cour de cassation rendit un arrêt avant dire droit par lequel elle modifia le texte de l'arrêt avant dire droit du 8 mars 2005, y ajoutant que la demande de communication de pièces dirigée contre la BCIT avait été accueillie. Elle y indiqua également que la demande d'interrogatoire avait été rejetée pour défaut de pertinence et que la requérante n'avait pas démontré, comme l'exigeait l'article 174 du CPC, que la banque avait dissimulé ou détruit les documents sollicités. Elle entendit ensuite les parties sur le fond du recours et ajourna l'affaire au 19 avril 2005 pour délibérer et leur donner la possibilité de déposer des conclusions.

57. Par un arrêt du 19 avril 2005, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la requérante en se fondant notamment sur les documents afférents à l'ouverture du compte bancaire par F.T. et sur les virements bancaires réalisés fin juin 1993. Relevant que l'intéressée n'avait pas fourni d'instructions complémentaires à la BCIT lors de la réalisation des virements en question ou ultérieurement, elle jugea que la banque ne pouvait être tenue pour responsable du fait que F.T. avait disposé des sommes déposées sur le compte dont il était titulaire et que ces virements étaient les seules opérations juridiques qui avaient été conclues entre la requérante et la banque.

58. Par un arrêt du 16 mars 2006, la Cour de cassation rejeta la contestation en annulation de l'arrêt du 19 avril 2005 introduite par la requérante, au motif que les moyens invoqués par celle-ci ne constituaient pas une cause d'annulation d'un arrêt définitif au sens du CPC.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

1. Les dispositions relatives au droit de timbre

59. Les dispositions pertinentes en la matière sont citées dans l'arrêt Iorga c. Roumanie (no 4227/02, §§ 22-25, 25 janvier 2007). Par ailleurs, les articles suivants de la loi no 146/1997 sur le droit de timbre, tels qu'ils étaient rédigés avant leur modification par la loi no 195/2004, sont également pertinents.

Article 13

« Les actions et les demandes en justice dont l'objet ne peut pas être évalué en argent (...) sont soumises à un droit de timbre de 20 000 ROL. »

Article 20

« 1) Le droit de timbre doit être payé à l'avance.

2) Si le droit de timbre n'a pas été payé conformément à la loi lors de l'introduction de l'action ou de la demande, ou si, au cours de la procédure, il apparaît que le montant du droit de timbre doit être augmenté, la juridiction attire l'attention du requérant sur l'obligation de payer le montant majoré avant la prochaine audience. Dans le cas où, après l'enregistrement de la demande ou de l'action initialement introduite, l'auteur de celle-ci réduit le montant de ses prétentions, la somme due au titre du droit de timbre reste celle qui avait été déterminée au regard des prétentions initiales.

3) Le défaut de paiement du droit de timbre dans le délai requis est sanctionné par l'irrecevabilité de l'action ou de la demande.

4) Dans le cas où la valeur de l'objet de l'action ou de la demande ayant servi de base au calcul du montant du droit de timbre dont le demandeur s'est acquitté au moment de l'enregistrement de celle-ci a subi des modifications, l'action ou la demande n'est pas déclarée irrecevable et doit être examinée au fond à concurrence du montant du droit de timbre payé. »

2. Le code de procédure pénale (« CPP »)

a) Les dispositions relatives à l'accès des avocats des parties au dossier des affaires pénales et à leur participation aux actes de poursuite

60. L'article 172 § 1 du CPP prévoit que, au lors de la phase des poursuites, l'avocat de l'accusé peut assister à l'accomplissement de tout acte de poursuite, formuler des demandes et déposer des observations. A l'époque où se déroulait la procédure pénale introduite par la requérante et S.K., l'article 173 § 1 du même code autorisait en outre l'avocat de la victime – même si celle-ci ne s'était pas constituée partie civile – à formuler des demandes et à soumettre des observations dans l'affaire. Celui-ci pouvait également assister de plein droit à l'accomplissement de certains actes de procédure – comme la prolongation de la détention provisoire de l'accusé, les perquisitions et les auditions de son client – mais devait obtenir l'accord du procureur pour les autres. L'article 173, tel que modifié par la loi no 281 du 24 juin 2003 (« la loi no 281 »), énonce désormais que l'avocat de la partie civile peut assister au déroulement de tous les actes de poursuite.

61. L'article 118 § 3 prévoit que chaque partie à un procès pénal a le droit de désigner un expert de son choix pour la réalisation d'une expertise.

62. L'article 294 § 2 dispose que, lors de la phase de jugement, l'accusé, les autres parties ainsi que leurs avocats peuvent prendre connaissance des pièces du dossier de l'affaire tout au long de la procédure et que la juridiction de jugement doit respecter le principe du contradictoire.

63. Eu égard aux articles susmentionnés et à la pratique des parquets, la doctrine considère que la phase des poursuites n'est pas contradictoire, les parties n'ayant généralement pas connaissance des déclarations et observations des parties ayant des intérêts contraires aux leurs. Se fondant sur l'article 250 du CPP, elle précise également que l'accusé ne peut prendre connaissance de l'intégralité du dossier des poursuites avant la clôture de celles-ci et que les autres parties, notamment la partie civile, n'y ont accès que lors de l'accomplissement des actes de procédure – tels que l'expertise – pour lesquels le CPP leur reconnaît expressément ce droit (I. Neagu, Traité de droit processuel pénal, tome II, p. 34, 2004).

b) Autres dispositions pertinentes

64. Conformément à l'article 19 § 1 du code de procédure pénale, la victime qui ne s'est pas constituée partie civile dans la procédure pénale peut saisir les juridictions civiles d'une action en dommages-intérêts pour la réparation du préjudice causé par le délit. La procédure devant les juridictions civiles doit être suspendue jusqu'au prononcé d'un jugement définitif dans le procès pénal (article 19 § 2). A l'époque des faits, la suspension était facultative pour le juge civil s'il y avait des indices quant à la commission d'un délit qui pouvait être déterminant pour l'issue de la procédure civile, mais elle devenait obligatoire dès que l'action pénale était mise en mouvement.

65. L'article 20 § 1 prévoit que la victime qui s'est constituée partie civile dans le procès pénal peut introduire devant les juridictions civiles une action tendant à la réparation de son préjudice si les juridictions pénales n'ont pas examiné au fond sa demande de dommages-intérêts. En vertu de l'article 22 § 1, l'autorité de la chose jugée attachée aux décisions pénales définitives, qui s'impose aux tribunaux civils saisis d'une action civile en dommages-intérêts par la victime, s'étend à l'établissement des faits à l'origine des poursuites, à l'identification de l'auteur de ces faits et à la culpabilité de celui-ci.

66. Les dispositions de l'article 278 du CPP et de l'arrêt du 2 décembre 1997 de la Cour constitutionnelle relatives aux voies de recours ouvertes contre les actes et décisions des procureurs sont exposées dans l'affaire Velcea c. Roumanie ((déc.), no 60957/00, 23 juin 2005). La loi no 281 précitée portant modification du CPP a institué, par un nouvel article 2781, un recours juridictionnel contre les décisions rejetant les plaintes formulées contre les décisions de non-lieu rendues par le parquet. Cette loi, dont les dispositions pertinentes sont entrées en vigueur le 1er janvier 2004, prévoyait dans l'article IX de ses dispositions transitoires que les résolutions et ordonnances de non-lieu rendues par les parquets avant son entrée en vigueur étaient susceptibles de recours juridictionnel, selon la procédure prévue à l'article 2781, dans un délai d'un an à partir de sa publication au Journal officiel.

3. Le secret professionnel des avocats

67. L'article 8 de la loi no 51/1995 relative à la profession d'avocat, dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, prévoyait que les avocats étaient tenus au secret professionnel sur tous les aspects des affaires dont ils étaient chargés, sauf disposition expresse contraire de la loi. Le statut de la profession d'avocat alors en vigueur, adopté par le conseil de l'Union des avocats de Roumanie (« l'UAR ») et publié au Moniteur Officiel du 17 octobre 1995, précisait que le secret professionnel était absolu et qu'il s'étendait à tous les volets de l'activité professionnelle des avocats. L'article 5 § 2 du statut de la profession d'avocat, tel qu'il avait été adopté par l'UAR en 2001 avant d'être publié au Moniteur Officiel du 31 mai 2001, énonçait que le secret professionnel concernait toutes les informations dont les avocats ou leurs employés avaient pris connaissance dans l'exercice de leurs fonctions et attributions.

4. Les dispositions légales concernant l'indépendance des procureurs

a) La loi no 92/1992 sur l'organisation judiciaire

68. Les dispositions de la loi no 92/1992 sont exposées ci-dessous telles qu'elles étaient rédigées à l'époque des faits.

69. Selon l'article 26, le ministère public exerce ses fonctions par l'intermédiaire de procureurs constitués en parquets auprès de chaque juridiction, sous l'autorité du ministre de la Justice. L'activité du ministère public est organisée conformément aux principes de la légalité, de l'impartialité et du contrôle hiérarchique. Le ministère public est indépendant dans ses relations avec les autres autorités publiques. Conformément à l'article 28, les procureurs de chaque parquet d'un département sont subordonnés au procureur en chef de ce parquet, qui est lui-même subordonné au procureur en chef du parquet rattaché à la juridiction supérieure du département.

70. En vertu de l'article 33, les procureurs sont tenus de se conformer aux instructions que le ministre de la Justice leur adresse directement ou par l'intermédiaire du procureur général en vue de faire respecter la loi. Selon l'article 34, le ministre de la Justice contrôle le travail et les aptitudes professionnelles des procureurs par l'intermédiaire d'inspecteurs. Il peut ordonner aux procureurs de déclencher des poursuites ou d'exercer une voie de recours mais non de mettre fin à des poursuites déjà engagées. Conformément à l'article 40, le procureur en chef du parquet près la Cour suprême de Justice, qui exerce son contrôle sur tous les parquets, est désigné et révoqué par le président de Roumanie, sur proposition du ministre de la Justice.

b) Autres dispositions et textes pertinents

71. Les articles 235 et 262 du CPP prévoient respectivement que le procureur décide par ordonnance de mettre en mouvement l'action pénale, après étude du dossier, et que, à la clôture des poursuites et au vu des éléments de preuve dont il dispose, il ordonne le renvoi de l'inculpé en jugement ou prononce un non-lieu.

72. La recommandation Rec (2000) 19 adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe le 6 octobre 2000 énonce les principes fondamentaux qui doivent régir les missions du ministère public et les garanties qui lui sont nécessaires. Elle décrit en outre la manière dont doivent s'organiser les rapports de celui-ci avec les pouvoirs exécutif et législatif, les juges, la police et les justiciables.

73. Ce texte recommande aux Etats membres de prendre des mesures afin que les pouvoirs du gouvernement à l'égard du ministère public soient réglementés par la loi et que leur exercice soit transparent, les éventuelles instructions de poursuite devant s'accompagner de garanties de transparence et d'équité suffisantes. Par ailleurs, les procureurs doivent veiller au respect du principe de l'égalité des armes, notamment en transmettant aux autres parties les informations en leur possession susceptibles d'affecter le déroulement équitable du procès. Les autorités doivent veiller à ce que les parties intéressées, en particulier les victimes, aient la possibilité de contester les décisions de non-lieu prises par le ministère public, soit dans le cadre d'un contrôle juridictionnel, soit en autorisant les parties à déclencher elles-mêmes les poursuites.

5. Les dispositions légales concernant l'indépendance des juges

74. Les articles mentionnés ci-dessous sont présentés tels qu'ils étaient rédigés à l'époque des faits, avant leur abrogation ou modification par la loi no 303/2004 sur le statut des magistrats, qui a renforcé les garanties d'indépendance des juges et est entrée en vigueur le 24 septembre 2004.

75. L'article premier de la loi no 92/1992 sur l'organisation judiciaire proclame le principe de la séparation du pouvoir judiciaire et des pouvoirs législatif et exécutif respectivement. Selon les articles 3 et 91 de cette loi, les juges sont indépendants, inamovibles et assujettis uniquement à la loi. Conformément à l'article 47, les juges, sélectionnés par concours, sauf exception, sont nommés par décret du président de Roumanie, sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Celui-ci est composé de 15 juges et procureurs désignés pour une durée de quatre ans par le Parlement sur des listes de magistrats élus par les assemblées des magistrats des différentes juridictions.

76. Dans les tribunaux de première instance peuvent également siéger des juges stagiaires, nommés par décision du ministre de la Justice, s'ils remplissent les conditions légales pour être juges (article 51). Le CSM siège également en tant que conseil de discipline des juges (article 88).

77. Le CSM est compétent en matière de promotion des magistrats (article 69 de la loi no 92/1992) sur proposition du ministre de la Justice (article 16 du règlement relatif au fonctionnement du CSM).

78. Il est également compétent pour proposer au président de Roumanie, sur recommandation du ministre de la Justice, la nomination des juges à la Cour suprême de Justice, pour un mandat de 6 ans. Les juges de la Cour suprême sont indépendants et sont assujettis uniquement à la loi (articles 6 et 12 de la loi no 56/1993 sur la Cour suprême de Justice, republiée, en vigueur à l'époque des faits).

6. Le code de procédure civile (« CPC »)

79. Les articles pertinents du CPC se lisent comme suit :

Article 172

« 1) Si l'une des parties au litige fait état d'un document se trouvant en possession d'une autre partie, le tribunal peut ordonner à celle-ci qu'elle le produise.

2) Une demande de production d'un document ne peut pas être rejetée si le document est commun aux parties ou si la partie visée par la demande s'est référée au document au cours de la procédure (...) »

Article 174

« Si la partie concernée refuse de répondre à l'interrogatoire relatif à l'existence ou à la possession d'un document, s'il ressort des preuves administrées qu'elle l'a dissimulé ou détruit ou si elle ne produit pas un document dont l'existence a été démontrée bien qu'elle y ait été invitée par le tribunal, celui-ci pourra considérer que la partie qui a demandé la production du document en question a rapporté la preuve des allégations qu'elle formulait relativement au contenu de celui-ci. »

Article 7206

L'article 7206 a été introduit dans le CPC en vertu de l'ordonnance no 138/2000 prise par le Gouvernement.

« En matière commerciale, les litiges doivent être jugés avec célérité, dans le respect des droits et obligations des parties concernant le déroulement de la procédure (...). »

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

80. En application de l'article 42 § 1 de son règlement, la Cour décide de joindre les requêtes nos 63610/00 et 38692/05, eu égard à leur éléments factuels et juridiques communs.

II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

81. La requérante allègue que les procédures civile, commerciale et pénale avec constitution de partie civile qu'elle avaient engagées pour faire valoir ses droits sur le montant litigieux de 25 millions de USD ont donné lieu à plusieurs violations de l'article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur le droit d'accès à un tribunal

Sur la recevabilité

82. L'intéressée allègue qu'il y a eu violation de son droit d'accès à un tribunal dans la procédure civile dirigée contre la BCIT et la procédure pénale avec constitution de partie civile visant F.T. et le directeur de cette banque, qu'elle avait engagées en vue d'obtenir notamment le remboursement d'une somme de 25 millions de USD virée sur un compte géré par cette banque. En ce qui concerne la première de ces deux procédures, la requérante critique l'arrêt du 10 février 2000 par lequel la Cour suprême de Justice a jugé irrecevable l'action civile dirigée contre la BCIT, sans examen au fond, au motif qu'elle ne s'était pas acquittée du droit de timbre exigible, dont elle estime le montant excessif. Elle y voit une atteinte disproportionnée à son droit d'accès à un tribunal. Pour ce qui est de la seconde procédure, l'intéressée se plaint d'avoir été définitivement déboutée de sa plainte pénale avec constitution de partie civile par les ordonnances de non-lieu rendues par le parquet les 22 juin et 4 décembre 2000, sans qu'un tribunal eût statué sur sa demande de dommages-intérêts.

a) Thèses des parties

83. Le Gouvernement excipe du non-épuisement par la requérante des voies de recours internes. S'agissant de la procédure civile contre la BCIT, il soutient que l'intéressée aurait dû contester le jugement avant dire droit du 10 septembre 1998 du tribunal départemental de Constanţa selon le recours prévu par les dispositions combinées des lois nos 146/1997 et 105/1997 et du règlement no 2214/1997 portant application de la loi no 146/1997, qui donnaient compétence au ministère des Finances pour examiner ce type de contestation. Pour ce qui est de la procédure pénale avec constitution de partie civile, il plaide que la requérante aurait dû contester les ordonnances de non-lieu litigieuses en vertu de l'article 278 du CPP, tel qu'interprété par la Cour constitutionnelle.

84. Le Gouvernement allègue que l'ingérence dans le droit d'accès de la requérante à un tribunal a été proportionnée au but poursuivi et que la présente affaire se distingue de l'affaire Kreuz c. Pologne (no 28249/95, CEDH 2001-VI) en ce que l'intéressée est une personne morale disposée à investir en Roumanie une somme très importante et qu'elle ne prétend pas être dans l'impossibilité de payer le droit de timbre en cause, pour lequel elle n'a pas sollicité d'exonération auprès du ministère des Finances. S'appuyant sur les arrêts Assenov c. Bulgarie (no 24760/94, § 112, Recueil 1998-VIII) et Ernst et autres c. Belgique (no 33400/96, § 55, 15 juillet 2003) ainsi que sur la décision Stokas c. Grèce (no 51308/99, 29 novembre 2001), le Gouvernement soutient également que les non-lieux prononcés par le parquet ne liaient pas les juridictions et n'ont pas porté atteinte au droit de la requérante d'agir en réparation du préjudice dont elle se prétendait victime, notamment dans le cadre de la procédure commerciale contre la BCIT.

85. L'intéressée conteste l'efficacité des voies de recours internes mentionnées par le Gouvernement. Elle soutient d'abord qu'une partie des dispositions concernant le droit de timbre sur lesquelles le Gouvernement prétend qu'elle aurait dû s'appuyer avaient été déclarées inconstitutionnelles et qu'elle ne contestait pas le mode de calcul du montant à payer mais la qualification juridique donnée par les juridictions internes à son action civile. Elle fait ensuite valoir que, à l'époque des faits, aucune disposition légale ne permettait aux justiciables de saisir les juridictions pour contester un non-lieu et que les motifs de l'ordonnance du 4 décembre 2000 ne lui ont pas été communiqués.

86. Citant l'affaire Beles et autres c. République tchèque (no 47273/99, §§ 51 et 69, CEDH 2002-IX), la requérante estime avoir été privée de son droit à un examen au fond, par un tribunal, de ses demandes relatives à la somme litigieuse de 25 millions de USD virée sur un compte à la BCIT en raison, d'une part, d'une interprétation excessivement rigoureuse des dispositions légales concernant la qualification de l'action civile et le droit de timbre exigible et, d'autre part, des non-lieux prononcés par un procureur qui n'a même pas examiné sa constitution de partie civile. Selon elle, les non-lieux susmentionnés l'ont empêchée d'exercer de manière effective le droit que lui offrait la loi roumaine d'opter entre la voie civile et la voie pénale pour agir en réparation, ce qui l'a contrainte à engager contre la BCIT une action commerciale qui lui était moins favorable en termes de durée et de contraintes procédurales.

b) Appréciation de la Cour

87. Le grief de la requérante devant être rejeté comme manifestement mal fondé, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner le caractère effectif des voies de recours mentionnées par le Gouvernement.

88. La Cour rappelle que l'article 6 § 1 consacre le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu'un aspect. Ce droit n'est toutefois pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation par l'Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d'une certaine marge d'appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l'accès offert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation ne se concilie avec l'article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 59, CEDH 1999-I et Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, § 48, 15 juillet 2003).

89. La Cour observe que la requérante allègue que l'irrecevabilité de l'action civile contre la BCIT prononcée par les tribunaux pour nonpaiement du droit de timbre et les ordonnances de non-lieu rendues en 2000 par le parquet près la Cour suprême de justice sur la plainte pénale avec constitution de partie civile dirigée contre F.T. et le directeur de la BCIT l'ont privée du droit à un examen au fond, par un tribunal, de ses prétentions relatives à la somme litigieuse, d'un montant de 25 millions de USD, qui avait été virée sur un compte bancaire ouvert à la BCIT.

90. Relevant qu'il ne prête pas à controverse entre les parties que les limitations en cause avaient une base légale et qu'elles avaient pour but légitime d'assurer la bonne administration de la justice (voir, mutatis mutandis, Kreuz c. Pologne, no 28249/96, § 59 ; CEDH 2001-VI), la Cour rappelle que la proportionnalité de telles limitations du droit d'accès à un tribunal doit être examinée à la lumière des circonstances particulières de l'espèce (Waite et Kennedy, précité, § 64).

91. A cet égard, dans d'autres affaires où était en cause l'absence d'examen au fond de constitutions de partie civile en raison de l'irrecevabilité des plaintes pénales auxquelles elles étaient jointes, la Cour a attaché de l'importance à l'accessibilité et à l'efficacité des autres voies judiciaires ouvertes aux intéressés pour faire valoir leurs prétentions, notamment les actions disponibles devant les juridictions civiles. Dans les cas où elle a considéré que les requérants disposaient effectivement de pareils recours, elle a conclu à l'absence de violation du droit d'accès à un tribunal (Assenov et autres c. Bulgarie, no 24760/94, § 112, Recueil 1998-VIII, Ernst et autres précité, §§ 53-55, et Moldovan et autres c. Roumanie (no 2), no 41138/98 et 64320/01, §§ 119-122, 12 juillet 2005).

92. La Cour relève que, en l'espèce, la requérante a engagé trois procédures dans le but principal d'obtenir le remboursement d'une somme de 25 millions de USD et des dommages-intérêts de la part de la BCIT, du directeur de cette banque et de F.T. Ces trois procédures portaient sur les mêmes faits et avaient été introduites à la même époque. Toutefois, le déroulement de la procédure pénale et les non-lieux prononcés par le parquet n'ont pas eu pour conséquence de priver l'intéressée d'un examen au fond de ses prétentions dans le cadre de l'action commerciale dirigée contre la BCIT (Ernst et autres précité, § 55). La même conclusion s'impose à l'égard de l'irrecevabilité de l'action civile contre la BCIT pour nonpaiement du droit de timbre (voir, a contrario, Weissman c. Roumanie, no 63945/00, §§ 42-43, 4 mai 2006).

93. Au vu de ce qui précède et eu égard à l'ensemble des éléments du dossier, la Cour conclut que les restrictions apportées au droit d'accès à un tribunal n'ont pas porté atteinte à la substance même du droit de la requérante à un tribunal et qu'elles ne sont pas disproportionnées au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

94. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Sur l'équité de la procédure civile contre la BCIT et Petromin

Sur la recevabilité

a) Thèses des parties

95. La requérante se plaint en substance de ce que les juridictions internes ont arbitrairement jugé que sa demande relative au virement bancaire d'une somme de 25 millions de USD avait pour objet une obligation de donner, sans motiver leur choix de cette qualification, ce qui les avait conduites à conclure à l'irrecevabilité de son action pour défaut de paiement du droit de timbre. En se prononçant ainsi, les tribunaux internes auraient conféré aux parties défenderesses un avantage contraire au principe de l'égalité des armes puisque celles-ci avaient obtenu le rejet de l'action dirigée contre elles sans avoir à justifier leur refus d'effectuer le virement en question.

96. Le Gouvernement estime que, dans son jugement avant dire droit du 10 septembre 1998, le tribunal départemental de Constanţa a motivé de manière brève mais adéquate la qualification de la demande de la requérante relative au virement bancaire litigieux. Il considère par ailleurs que, compte tenu des circonstances de la cause, la qualification de l'objet de la demande était dépourvue de pertinence pour la question soumise aux tribunaux, laquelle consistait à déterminer si la demande en question était évaluable en argent, ce à quoi ils ont répondu par l'affirmative, jugeant qu'elle devait être taxée en conséquence.

b) Appréciation de la Cour

97. La Cour rappelle que l'article 6 implique à la charge du « tribunal » l'obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à intervenir et sans qu'il puisse se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, pp. 19-20, §§ 59 et 61). L'étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision. C'est pourquoi la question de savoir si un tribunal a manqué à son obligation de motiver découlant de l'article 6 de la Convention ne peut s'analyser qu'à la lumière des circonstances de l'espèce (Ruiz Torija c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303-A, p. 12, § 29).

98. La Cour observe que l'action civile au titre de laquelle la requérante formulait trois demandes, dont une relative à un virement d'un montant de 25 millions de USD, a été déclarée irrecevable par les juridictions pour défaut de paiement du droit de timbre dû. A cet égard, elle note qu'il ressort du dossier que la question de la qualification juridique de la demande relative au virement en question a été tranchée par le jugement avant dire droit rendu le 10 septembre 1998 par le tribunal départemental de Constanţa. Elle relève que l'intéressée estime que cette question, à ses yeux essentielle, n'a pas été adéquatement traitée par ce tribunal et par les juridictions qui ont confirmé l'irrecevabilité de l'action.

99. La Cour rappelle que, pour vérifier si les juridictions internes avaient respecté leur obligation de motiver leurs décisions, elle a également pris en compte dans d'autres affaires la pertinence et l'incidence des arguments ou des moyens auxquels les tribunaux n'avaient pas répondu sur l'issue des affaires qui leur étaient soumises (voir Jahnke et Lenoble c. France (déc.), no 40490/98, CEDH 2000-IX ; et Driemond Bouw BV c. Pays-Bas (déc.), no 31908/96, 2 février 1999). Elle observe que, en l'espèce, les recours exercés portaient essentiellement sur la question de savoir s'il convenait d'appliquer l'article 20 § 4 de la loi no 146/1997 – auquel cas les juridictions auraient pu examiner au fond une partie des demandes formulées – ou l'article 20 §§ 2 et 3, qui conduisait à l'irrecevabilité pure et simple de l'action engagée. Il apparaît que l'incidence de la qualification de la demande relative au virement litigieux sur l'applicabilité de l'un ou de l'autre de ces articles n'a été jugée déterminante ni par la cour d'appel de Constanţa – qui a statué en faveur de la requérante sans se prononcer sur la qualification – ni par la Cour suprême de justice qui, par un arrêt du 10 février 2000, a accueilli le recours des parties défenderesses, jugeant que l'article 20 § 4 n'était pas applicable et que l'action devait être déclarée irrecevable au motif que l'intéressée ne s'était pas acquittée, au moment de l'enregistrement de l'action en question ou à tout le moins dans le délai qui lui avait été imparti le 10 septembre 1998, du montant du droit de timbre dû au titre des trois demandes figurant dans l'acte introductif d'instance.

100. Au vu de ce qui précède et à la lumière des éléments en sa possession, la Cour considère que, même s'il aurait été souhaitable que les juridictions internes clarifient leur position quant à l'incidence de la qualification juridique de la demande relative au virement litigieux sur l'applicabilité de l'article 20 § 4, elles ont globalement motivé de manière adéquate l'irrecevabilité de l'action de la requérante, qui ne saurait être qualifiée d'arbitraire. A cet égard, la Cour rappelle qu'il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, entre autres, l'arrêt Garcia Ruiz c. Espagne du 21 janvier 1999, Recueil des arrêts et décisions 1999-I, § 28).

101. Par ailleurs, la Cour considère pour les mêmes motifs que le rejet pour irrecevabilité de l'action de la requérante prononcé par les juridictions internes ne saurait être interprété comme ayant favorisé les parties défenderesses au mépris de l'égalité des armes.

102. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

C. Sur l'équité de la procédure pénale avec constitution de partie civile dirigée contre F.T. et le directeur de la BCIT

103. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint du défaut d'indépendance et d'impartialité des procureurs, en particulier du manque d'impartialité du procureur F.C. Elle dénonce en outre l'iniquité de la procédure, alléguant notamment que les restrictions imposées par le CPP à son droit d'accéder au dossier des poursuites ont porté atteinte au principe de l'égalité des armes.

1. Quant à l'indépendance et à l'impartialité des procureurs

Sur la recevabilité

a) Thèses des parties

104. Le Gouvernement admet que l'article 6 § 1 s'applique à la plainte pénale avec constitution de partie civile déposée par la requérante le 30 décembre 1997. Toutefois, sans opposer expressément d'exception au grief soulevé par l'intéressée, il allègue que celle-ci aurait dû saisir les juridictions internes d'une plainte contre les ordonnances de non-lieu rendues par le parquet les 22 juin et 4 décembre 2000. Il soutient que la requérante aurait dû, d'une part, s'appuyer sur l'article 278 du CPP, tel qu'interprété par la décision de la Cour constitutionnelle du 2 décembre 1997, et, d'autre part, se fonder sur l'article 2781 du même code pour introduire un recours dans le délai d'un an prévu par la disposition transitoire contenue dans l'article IX de la loi no 281.

105. La requérante conteste les arguments du Gouvernement et souligne que la loi no 281 est entrée en vigueur plusieurs années après les non-lieux prononcés par le parquet.

b) Appréciation de la Cour

106. A titre liminaire, la Cour observe que les parties s'accordent sur l'applicabilité en l'espèce de l'article 6 § 1 de la Convention. Elle rappelle qu'une plainte avec constitution de partie civile entre dans le champ d'application de l'article 6 § 1 de la Convention, sauf dans les hypothèses où elle s'analyse en une « vengeance privée » ou une actio popularis et sauf dans les cas où elle emporte renonciation non équivoque de la victime à l'exercice du droit d'intenter une action civile dans le cadre de la procédure pénale (voir, mutatis mutandis, Perez c. France [GC], no 47287/99, §§ 70 et 71, CEDH 2004-I). Se référant à l'affaire Perez précitée, elle estime qu'il serait artificiel de considérer que l'issue de la procédure diligentée par la requérante devant les juridictions pénales contre F.T. et le directeur de la BCIT, dans laquelle l'intéressée a demandé la réparation du préjudice subi du fait des infractions alléguées, aurait perdu son caractère déterminant du seul fait de l'existence d'une procédure commerciale pendante contre cette banque (voir Perez précité, § 66, et Ernst et autres c. Belgique (déc.), no 33400/96, 25 juin 2002). L'article 6 § 1 trouve donc à s'appliquer sous son volet civil à la procédure pénale en cause.

107. S'agissant de l'argument du Gouvernement susceptible d'être interprété comme une exception de non-épuisement des voies de recours internes, la Cour rappelle avoir déjà jugé que le recours prévu par la décision de la Cour constitutionnelle du 2 décembre 1997 relative à l'article 278 du CPP n'était pas effectif (Rupa c. Roumanie (déc.), no 58478/00, §§ 88-90, 14 décembre 2004) et ne voit aucune raison d'aboutir à une autre conclusion en l'espèce.

108. Quant au recours prévu par la disposition transitoire contenue dans l'article IX de la loi no 281, la Cour rappelle que l'épuisement des voies de recours internes s'apprécie normalement à la date d'introduction de la requête devant elle. Cependant, cette règle ne va pas sans exceptions, qui peuvent être justifiées par les circonstances particulières de l'espèce (Prodan c. Moldova, no 49806/99, § 39, CEDH 2004III (extraits)).

109. La Cour relève qu'au moment de l'introduction de la requête devant elle, la requérante avait épuisé les voies de droit disponibles en droit roumain à l'époque pertinente. Par ailleurs, elle observe que les dispositions régissant le recours en question sont devenues applicables plus de trois ans après le prononcé du non-lieu litigieux et l'introduction de la requête et que, malgré ses démarches, la requérante ne s'est pas vu communiquer les motifs du non-lieu du 4 décembre 2000 (voir les paragraphes 32 à 35 ci-dessus), ce qui lui aurait éventuellement permis de former un recours motivé devant les tribunaux. Dans ces circonstances, la Cour estime qu'il n'existe en l'espèce aucun élément susceptible de justifier une dérogation au principe général selon lequel la condition d'épuisement des voies de recours internes doit être appréciée au moment de l'introduction de la requête. Partant, l'exception du Gouvernement ne saurait être retenue dans aucune de ses deux branches.

110. Par ailleurs, la Cour constate que le grief de la requérante n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

Sur le fond

a) Thèses des parties

111. Le Gouvernement soutient que l'autorité du ministre de la Justice sur les procureurs n'est pas de nature hiérarchique, mais seulement administrative.

112. S'appuyant sur les articles 235 et 262 du CPP et sur la recommandation Rec (2000) 19 du Comité des Ministres, il considère que le simple fait que les procureurs sont subordonnés au pouvoir exécutif n'est pas contraire à la Convention, car le droit roumain leur offre les garanties requises par la recommandation en question et les laisse libres de présenter aux tribunaux les conclusions qu'ils jugent fondées au regard des éléments des dossiers dont ils ont la charge.

113. Observant que l'intéressée pouvait contester les non-lieux prononcés en 2000 par le parquet devant des juridictions indépendantes et impartiales, le Gouvernement en conclut que les autorités ont respecté les exigences de l'article 6 § 1 en la matière.

114. La requérante renvoie aux dispositions de la loi no 92/1992 relatives au statut des procureurs (voir les paragraphes 68 à 70 ci-dessus). Elle soutient que ceux-ci sont hiérarchiquement subordonnés au ministre de la Justice – donc au pouvoir exécutif – et que le droit roumain ne distingue pas entre la subordination administrative et la subordination hiérarchique. Par ailleurs, elle allègue que le droit interne n'offre pas les garanties de transparence requises par la recommandation Rec (2000) 19 en ce qui concerne l'ingérence que le ministre de la Justice peut exercer dans l'activité, la nomination et la promotion des procureurs en vertu des pouvoirs de direction et de contrôle dont il dispose. Enfin, l'intéressée fait valoir que la Cour a déjà conclu à la violation de l'article 6 § 1 dans des affaires où des magistrats du siège étaient subordonnés au ministre de la Justice (Brudnicka et autres c. Pologne, no 54723/00, § 41, Recueil 2005-II) et a jugé que, dans le système judiciaire roumain, les procureurs ne jouissaient pas de l'indépendance à l'égard de l'exécutif (Vasilescu c. Roumanie, no 27053/95, § 41, Recueil 1998-III).

b) Appréciation de la Cour

115. La Cour réaffirme que, pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant » aux fins de l'article 6 § 1, il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l'existence d'une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s'il y a ou non apparence d'indépendance (voir, entre autres, Zolotas c. Grèce, no 38240/02, § 24, 2 juin 2005).

116. Quant à la condition d'« impartialité », elle revêt deux aspects. Il faut d'abord que le tribunal ne manifeste subjectivement aucun parti pris ni préjugé personnel. Ensuite, le tribunal doit être objectivement impartial, c'est-à-dire offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Findlay c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1997, Recueil 1997-I, § 73).

117. Par ailleurs, lorsqu'un organe juridictionnel chargé d'examiner des contestations portant sur des « droits et obligations de caractère civil » ne remplit pas toutes les exigences de l'article 6 § 1, il n'y a pas violation de la Convention si la procédure devant cet organe a fait l'objet du « contrôle ultérieur d'un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article » (voir, entre autres, Kingsley c. Royaume-Uni, no 35605/97, § 51, 7 novembre 2000).

118. Les notions d'indépendance et d'impartialité objective étant étroitement liées, la Cour les examinera ensemble, dans la mesure où elles intéressent toutes deux la présente espèce (Findlay précité, § 73, et Pabla Ky c. Finlande, no 47221/99, § 28, CEDH 2004-V).

119. La Cour rappelle avoir déjà jugé que, dans le système judiciaire roumain, les procureurs agissaient en qualité de magistrats du ministère public, comme ce fut le cas pour ceux ayant rendu les ordonnances de nonlieu des 22 juin et 4 décembre 2000, et ne remplissaient pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif (Vasilescu précité, pp. 1075-1076, §§ 40-41, et plus récemment Grecu c. Roumanie, no 75101/01, § 63, 30 novembre 2006). Elle relève également que les ordonnances susmentionnées n'ont pas fait l'objet d'un contrôle ultérieur d'un organe judiciaire de pleine juridiction satisfaisant aux exigences de l'article 6 § 1 puisque la requérante ne disposait, à l'époque des faits, d'aucune voie de recours effective qui lui eût permis de les contester en justice. Elle observe qu'en vertu d'une modification du code de procédure pénale intervenue en 2003, les justiciables peuvent désormais contester les non-lieux rendus par le parquet devant un tribunal de pleine juridiction (voir le paragraphe 66 ci-dessus).

120. Compte tenu de ce qui précède ainsi que de la réglementation nationale concernant le statut des procureurs (voir les paragraphes 68 à 70 ci-dessus), la Cour considère que la plainte pénale avec constitution de partie civile introduite par la requérante le 30 décembre 1997 n'a pas été examinée par un tribunal indépendant et impartial, comme l'exige l'article 6 § 1.

121. Il y a eu donc violation de cet article à cet égard.

122. Compte tenu de la conclusion à laquelle elle est parvenue en ce qui concerne le défaut d'indépendance et d'impartialité des procureurs ayant rendu les ordonnances litigieuses, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément la branche du grief de la requérante relative au manque d'impartialité subjective du procureur F.C.

2. Quant à l'accès de la requérante aux pièces du dossier des poursuites

Sur la recevabilité

123. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

Sur le fond

a) Thèses des parties

124. Le Gouvernement soutient que la procédure pénale roumaine donne au plaignant qui se constitue partie civile le droit d'avoir accès au dossier des poursuites au même titre que l'accusé. Il affirme que, pour exercer ce droit, il suffit à la partie civile de désigner un avocat, qui pourra obtenir copie du dossier, ou de demander elle-même à l'autorité de poursuite d'ordonner les mesures nécessaires, de procéder à une audition de témoins ou d'enjoindre à l'accusé ou à une tierce partie de produire un document. Il précise que, pour empêcher l'altération ou la destruction de pièces du dossier des poursuites par les intéressés, les autorités peuvent tenir secrètes une partie de celles-ci dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

125. S'appuyant sur l'arrêt de la Cour dans l'affaire Menet c. France (no 39553/02, §§ 47-50, 14 juin 2005), le Gouvernement allègue que le principe de l'égalité des armes n'a pas été méconnu en l'espèce. Par ailleurs, il soutient que les avocats de la requérante auraient pu demander l'accès aux pièces du dossier des poursuites, ce qu'ils n'ont pas prouvé avoir fait, et souligne qu'ils ont soumis des observations, notamment en ce qui concerne l'expertise comptable, qui furent versées à ce dossier.

126. La requérante conteste les arguments du Gouvernement, soulignant que l'article 173 du CPP, tel qu'il était rédigé à l'époque des faits, ne donnait pas à l'avocat de la partie civile le droit d'accéder au dossier des poursuites dans les mêmes conditions que le conseil de l'accusé. Elle précise que ceux-ci ne se trouvaient sur un pied d'égalité à cet égard que lors de la phase de jugement, qui n'a pas été atteinte en l'espèce puisque le parquet a prononcé des non-lieux qui n'étaient pas susceptibles de recours juridictionnel. Elle soutient que le droit reconnu à la partie civile de soumettre des observations à verser au dossier des poursuites était vidé de sa substance dans la mesure où elle n'avait pas connaissance des déclarations des accusés et des témoins et ne pouvait étudier les autres pièces qui y figuraient. En outre, elle fait valoir que le caractère secret de la phase des poursuites ressort indirectement des dispositions précitées ainsi que de la pratique et de la doctrine pertinentes (voir les paragraphes 60 à 63 cidessus).

127. Elle allègue que le fait que son avocat n'a pu déposer des observations que sur l'expertise comptable administrée, comme l'y avait invité les autorités de poursuite en vertu des dispositions impératives de l'article 118 § 3 du CPP, démontre justement qu'il n'a pas eu accès aux autres pièces du dossier des poursuites et qu'il n'a pas été convoqué pour assister à l'accomplissement des autres actes procéduraux ayant servi à la constitution du dossier en question. D'autre part, elle fait valoir que la présente affaire se distingue de l'affaire Menet citée par le Gouvernement dans la mesure où la limitation du droit d'accès au dossier des poursuites a été appliquée également à l'égard de son avocat, qui était tenu au secret professionnel.

b) Appréciation de la Cour

128. La Cour considère que le grief de la requérante soulève la question de savoir si le droit d'accès au dossier des poursuites dont celle-ci bénéficiait en sa qualité de partie civile assistée par un avocat a été restreint et, dans l'affirmative, si les restrictions dont elle se plaint ont violé le droit à un procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention.

129. La Cour relève qu'il ressort des articles pertinents du CPP tels qu'ils étaient rédigés à l'époque des faits ainsi que de la doctrine que la procédure antérieure au renvoi d'une affaire pénale devant une juridiction de jugement n'était ni publique ni contradictoire. Surtout, à la différence de ce que le CPP prévoyait pour la phase de jugement (voir les paragraphes 62 et 63 ci-dessus), l'accès de la partie civile ou de son avocat au dossier des poursuites n'était pas garanti, sauf dans certains cas, notamment lorsqu'une expertise devait être réalisée. Par ailleurs, sauf exceptions, la partie civile et son avocat ne pouvaient assister à l'accomplissement des actes de poursuite – telles que des auditions de témoins ou de l'accusé – accomplis par les autorités de poursuite et ne pouvaient donc prendre connaissance des éléments de preuve utilisés par le parquet pour rendre une décision sur une plainte pénale avec constitution de partie civile, décision qui n'était pas susceptible de recours juridictionnel à l'époque pertinente.

130. La Cour doute que la possibilité offerte à l'avocat de la partie civile de solliciter auprès du procureur l'autorisation d'assister à l'accomplissement d'un acte de poursuite autre que ceux prévus à l'article 173 du CPP ait eu un caractère effectif en pratique car le CPP n'obligeait pas le parquet à informer l'avocat de son intention d'y procéder et à le convoquer. D'ailleurs, le Gouvernement n'a cité aucune disposition légale ni aucun exemple tiré de la jurisprudence interne ou de la doctrine à l'appui de sa thèse selon laquelle l'avocat de la partie civile pouvait consulter le dossier des poursuites ou en obtenir copie et assister à l'accomplissement d'actes de poursuite autres que ceux prévus à l'article 173 du CPP. Les documents fournis par le Gouvernement prouvent en effet que l'avocat de la requérante n'a été convoqué par les autorités de poursuite que lors de la réalisation de l'expertise comptable, acte pour lequel le CPP prévoyait expressément une telle obligation.

131. Observant que le dossier des poursuites sur la base duquel le parquet a prononcé les non-lieux des 22 juin et 4 décembre 2000 comptait plusieurs volumes dans lesquels figuraient notamment des documents émanant de la BCIT ainsi que des dépositions de témoins, la Cour estime que la requérante et son avocat n'ont pas été en mesure d'avoir accès aux pièces du dossier en question à l'exception du rapport d'expertise comptable et de celles qu'ils avaient eux-mêmes déposées.

132. La Cour rappelle que le principe de l'égalité des armes – l'un des éléments de la notion plus large de procès équitable – requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire. Le droit à une procédure contradictoire, quant à lui, implique, pour une partie, la faculté de prendre connaissance des observations ou pièces produites par l'autre, ainsi que de les discuter. Néanmoins, les modalités de l'application de ces garanties durant la phase des poursuites dépendent des particularités de la procédure et des circonstances de la cause (Ernst et autres précité, §§ 60 et 68).

133. La Cour observe qu'il ressort des articles pertinents du CPP –notamment de l'article 294 § 2 lu a contrario – et de la doctrine que, lors de la phase des poursuites, la procédure pénale n'était ni publique ni contradictoire à l'époque pertinente. D'ailleurs, sans s'expliquer davantage sur les dispositions légales qui régissaient la matière, le Gouvernement admet qu'une partie du dossier des poursuites pouvait être tenue secrète.

134. La Cour rappelle avoir déjà jugé deux affaires où était en cause l'accès au dossier d'une partie civile à laquelle on avait opposé le secret de l'instruction. Ayant estimé que le caractère secret de la procédure d'instruction pouvait se justifier par des raisons relatives à la protection de la vie privée des parties au procès et aux intérêts de la justice, elle a conclu à l'absence de violation de l'article 6 § 1 et précisé que les droits de l'accusé et ceux de la partie civile pouvaient être différenciés au regard de cette disposition. Par ailleurs, elle a tenu compte, dans les deux affaires en question, du choix des requérants de se défendre seuls, l'un ayant décidé de se passer de l'assistance d'un conseil qui aurait eu le droit d'avoir accès aux pièces du dossier d'instruction (Menet précité, §§ 47-53), l'autre de dessaisir l'avocat constitué, sans avoir sollicité en temps utile l'accès au dossier pénal (Frangy c. France, no 42270/98, § 36-43, 1er février 2005).

135. Toutefois, la Cour estime que la présente affaire se distingue des affaires susmentionnées. En l'espèce, ni la requérante, ni son avocat n'ont été en mesure d'avoir accès aux pièces versées par les accusés au dossier des poursuites et à celles rassemblées par le parquet – documents et dépositions des témoins et des accusés. Dans ces conditions, la Cour considère que la présentation de la cause de la requérante devant le parquet – appelé à rendre une décision définitive non susceptible de recours juridictionnel sur la plainte avec constitution de partie civile déposée par l'intéressée – a pu être affectée par la limitation de l'accès au dossier des poursuites (voir, mutatis mutandis, Menet précité, § 48).

136. Par ailleurs, il convient de relever que l'avocat de la requérante était tenu au secret sur tous les volets de son activité professionnelle.

137. Eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, la Cour considère que les restrictions apportées tout au long de la procédure à l'accès de la requérante, qui était assistée d'un avocat, aux pièces versées au dossier des poursuites par les accusés ou rassemblées par le ministère public ont entaché d'iniquité la procédure concernant la plainte pénale avec constitution de partie civile déposée par l'intéressée.

138. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

D. Sur l'équité de la procédure commerciale contre la BCIT

1. Quant au respect des principes du contradictoire et de l'égalité des armes

Sur la recevabilité

a) Thèses des parties

139. Le Gouvernement considère qu'il n'y a pas eu méconnaissance des principes susmentionnés car, le 23 mars 2005, la BCIT s'est conformée à l'injonction que lui avait adressée la Cour de cassation lors de l'audience du 8 mars 2005 en versant au dossier de l'affaire les documents dont la requérante avait exigé la communication à l'audience en question. Par ailleurs, il observe que les documents en cause n'étaient pas mentionnés dans les passages des observations de la BCIT que l'intéressée avait alors évoqués. Il ajoute que la preuve de l'exécution par la BCIT de son obligation de produire les documents cités dans ses observations découle également de l'attitude de la requérante, qui ne s'est plainte d'aucun manquement de la BCIT à cet égard lors de l'audience du 5 avril 2005 et n'a pas évoqué cette question dans la contestation en annulation qu'elle a exercée contre l'arrêt rendu le 19 avril 2005 par la Cour de cassation.

140. Il argue que, à supposer même que les documents litigieux aient existé et que la BCIT n'ait pas versé au dossier tous ceux auxquels elle s'était référée dans ses observations, il y aurait lieu de distinguer les circonstances de l'espèce de celles qui étaient cause dans l'affaire Mantovanelli c. Italie (arrêt du 18 mars 1997, Recueil 1997-II), car ceux-ci ne figurent pas parmi les pièces sur lesquelles la Cour de cassation s'est fondée pour statuer. Il ajoute que si cette dernière avait estimé que des documents pertinents manquaient au dossier, elle aurait de nouveau ordonné à la BCIT de les produire. A ses yeux, la présente affaire est à rapprocher de l'affaire Ernst et autres c. Belgique précitée, les juridictions internes ayant rendu leurs décisions sur le fondement des pièces versées au dossier, dont les parties et les tribunaux avaient la même connaissance.

141. Observant que la requérante n'a pas demandé la production des documents litigieux à un stade plus précoce de la procédure, et qu'au moins une partie d'entre eux figuraient au dossier, il plaide que l'équité du procès doit être examinée au regard de l'ensemble de la procédure et qu'il n'y a pas eu en l'espèce violation des principes du contradictoire et de l'égalité des armes.

142. La requérante fait valoir qu'elle a demandé à l'audience du 8 mars 2005 la production par la BCIT d'un certain nombre de documents auxquels cette dernière s'était référée, implicitement ou explicitement, dans ses observations. Elle affirme que la manière dont la Cour de cassation a accueilli sa demande en conférant à la BCIT des compétences en matière d'administration de la preuve revenait à confier à cette banque des prérogatives reconnues aux magistrats puisqu'elle avait le pouvoir de vérifier si les documents litigieux se trouvaient au dossier de l'affaire et de décider librement s'il convenait ou non de les y verser. Elle affirme que, compte tenu du dispositif de l'arrêt avant dire droit rendu le 8 mars 2005 par la Cour de cassation, elle n'avait aucun motif de se plaindre à l'audience du 5 avril 2005 du fait que la BCIT n'avait pas produit les documents litigieux. Elle précise par ailleurs que le manquement en question ne constituait pas une cause d'annulation.

143. Elle considère que les documents litigieux étaient pertinents, sinon la Cour de cassation n'aurait pas enjoint à la BCIT de les produire puisque, en droit roumain, les moyens de preuve offerts par les parties ne sont admissibles que s'ils sont pertinents et utiles pour l'examen de l'affaire. Détaillant ses arguments présentés dans la procédure interne, elle fait valoir que les documents litigieux, corroborés par d'autres pièces du dossier, devaient servir à démontrer que la BCIT savait en 1993 que le compte bancaire en cause était un compte bloqué à affectation spéciale, que cette banque avait donné son aval aux opérations bancaires de F.T. en dépit du fait que le mandat dont celui-ci disposait ne lui donnait pas le pouvoir nécessaire à cet effet, et que les virements réalisés après 1993 au bénéfice de l'intéressée ne démontraient pas l'existence d'une entente occulte entre elle et F.T.

b) Appréciation de la Cour

144. La Cour renvoie aux principes précités qui se dégagent de sa jurisprudence pertinente en matière d'égalité des armes et de respect du contradictoire (voir le paragraphe 132 ci-dessus).

145. Elle observe que les parties sont en désaccord sur le point de savoir si les documents dont la production avait été demandée par la requérante ont tous été versés au dossier de l'affaire. Celles-ci s'opposent en effet sur l'interprétation de l'arrêt avant dire droit du 8 mars 2005 par lequel la Cour de cassation avait accueilli cette demande et sur la manière dont la BCIT avait rempli son obligation à cet égard en produisant le 23 mars 2005 un certain nombre de pièces.

146. Elle relève que la formulation de l'arrêt avant dire droit du 8 mars 2005, qui laissait à la BCIT le soin de vérifier et de produire les documents auxquels elle s'était référée et qui auraient pu manquer au dossier, est quelque peu imprécise. Toutefois, elle observe que la requérante, qui avait reçu copie des documents déposés le 23 mars 2005 par la BCIT, n'a pas prétendu et encore moins prouvé à l'audience du 5 avril 2005 que cette banque avait dissimulé ou détruit des pièces qu'elle aurait dû produire. A cet égard, la Cour renvoie aux motifs de la décision du 5 avril 2005 concernant le rejet de la demande d'interrogatoire formulée par la requérante, et notamment au fait que la Cour de cassation a relevé d'office que la preuve de la dissimulation ou de la destruction de documents n'avait pas été rapportée. Elle constate enfin que l'intéressée assure que l'existence des documents litigieux dont celle-ci aurait pu se servir pour appuyer ses arguments ressortait explicitement ou implicitement des observations de la BCIT. Compte tenu de la conclusion à laquelle la Cour de cassation est parvenue à cet égard et des éléments en sa possession – notamment les observations des parties, la demande formulée par la requérante le 8 mars 2005 et les documents versés au dossier par la BCIT le 23 mars 2005 – la Cour estime que la thèse de la requérante selon laquelle cette banque serait restée en défaut de produire les pièces qu'elle avait mentionnées dans ses observations revêt un caractère quelque peu spéculatif.

147. Observant que la requérante n'a pas démontré que la défense de la BCIT était fondée sur des documents qui n'avaient pas fait l'objet d'un débat contradictoire, et surtout que les parties et les juges ont eu la même connaissance des pièces et des observations présentées en vue d'influencer la décision à intervenir, la Cour estime qu'il n'apparaît pas que la procédure a manqué aux règles du contradictoire et de l'égalité des armes.

148. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Quant au rejet de la demande d'interrogatoire et à l'examen de l'affaire au fond

Sur la recevabilité

149. La requérante se plaint du rejet opposé par la Cour de cassation, lors de l'audience du 8 mars 2005, à sa demande d'interrogatoire. Elle dénonce également le fait que les juridictions de recours se sont bornées à examiner l'affaire sur la foi des trois documents fournis par la BCIT en ne tenant aucun compte des 500 pages de pièces qu'elle avait soumises à la cour d'appel le 26 mai 2004.

150. La Cour rappelle que, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève dès lors au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (Garcia Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). En l'espèce, elle observe que la demande d'interrogatoire a été rejetée de manière motivée, pour défaut de pertinence. Quant à l'examen par les tribunaux internes des pièces susmentionnées, la Cour estime que, compte tenu du nombre très important de documents versés au dossier, il ne saurait être reproché aux juridictions de recours de ne pas avoir mentionné dans les motifs de leurs décisions toutes les pièces et tous les arguments des parties, dans la mesure où elles ont répondu aux moyens de défense essentiels de la requérante (voir, mutatis mutandis, Burg et autres c. France (déc.), no 34763/02, 28 janvier 2003).

151. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Quant au défaut d'indépendance et d'impartialité des juges

Sur la recevabilité

152. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint du manque d'indépendance des juges ayant examiné son affaire. Observant à cet égard que, avant la modification de la loi no 92/1992 sur l'organisation judiciaire par la loi no 303/2004 sur le statut des magistrats, le ministre de la Justice jouait un rôle décisif dans la nomination et la promotion des juges, elle estime que le Gouvernement était intéressé à l'issue de l'affaire. Par ailleurs, elle allègue que les magistrats en question ont manqué d'impartialité. En particulier, elle affirme que l'affaire a suscité un grand intérêt dans les médias, que les parties ont été renvoyées devant le tribunal départemental de Braşov, ville natale de l'actionnaire principal de la BCIT, un ancien sportif roumain très connu, que lors de l'audience du 27 mai 1998, ce tribunal a ouvert les débats au fond en son absence, et que les juges, de manière générale, ont tranché l'affaire sur la seule base des pièces fournies par la BCIT.

153. La Cour renvoie aux principes établis dans sa jurisprudence relative à l'exigence d'un tribunal indépendant et impartial imposée par l'article 6 § 1 de la Convention (voir les paragraphes 115 et 116 ci-dessus). Les notions d'indépendance et d'impartialité objective étant étroitement liées, la Cour les examinera ensemble, dans la mesure où elles intéressent toutes deux la présente affaire (Pabla Ky, précité, § 28).

154. La Cour considère que le pouvoir reconnu au ministre de la Justice d'adresser des recommandations au président de Roumanie quant à la nomination des juges à la Cour suprême de Justice, sur proposition du CSM, ne saurait à lui seul porter atteinte à leur indépendance dès lors qu'il ressort des dispositions applicables en la matière (les lois nos 92/1992 et 56/1993) qu'ils ne sont soumis à aucune pression et exercent leurs fonctions en toute indépendance une fois qu'ils sont désignés (voir, mutatis mutandis, Zolotas, précité, § 24). La même conclusion s'impose quant au rôle de l'exécutif dans la nomination et la promotion des autres magistrats ayant examiné l'affaire de la requérante, compte tenu de l'indépendance et de l'inamovibilité dont ils jouissent ainsi que du rôle éminent du CSM (voir, mutatis mutandis, Iovchev c. Bulgarie (déc.), no 41211/98, 18 novembre 2004). Pour ce qui est de la question de savoir s'il existait en l'espèce des garanties objectivement suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à l'impartialité des magistrats, la Cour n'aperçoit aucun élément susceptible de faire naître pareil doute chez la requérante. En particulier, ni l'intérêt des médias – dont la requérante n'a pas rapporté la réalité mais qui semblerait compréhensible compte tenu du l'objet du litige – ni le fait que l'actionnaire principal de la BCIT était originaire de Braşov ne suffisent à inspirer des doutes légitimes quant à l'impartialité des magistrats.

155. S'agissant du manque d'impartialité subjective allégué, la Cour observe que, après la récusation demandée en tout début de procédure, la requérante n'a formulé aucune allégation de parti pris à l'encontre des juges appelés à connaître de l'affaire bien que celle-ci eût par la suite fait l'objet de plusieurs examens au fond par différents juges.

156. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

E. Sur la durée de la procédure commerciale contre la BCIT

Sur la recevabilité

157. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

Sur le fond

a) Thèses des parties

158. Le Gouvernement estime que la durée de la procédure a été raisonnable. A cet égard, il fait valoir que l'affaire était assez complexe, que les parties ont soulevé un nombre important d'exceptions de procédure et de fins de non-recevoir, que la requérante a contribué à allonger la durée en question par ses demandes d'ajournement et qu'il n'y a pas eu de période d'inactivité puisque les juridictions internes ont rendu neuf décisions et tenu une cinquantaine d'audiences au cours de la procédure.

159. La requérante conteste les arguments du Gouvernement. Elle estime que l'affaire n'était pas complexe, en voulant pour preuve que, après deux cassations avec renvoi, il n'a fallu au tribunal départemental de Braşov qu'un mois et demi pour trancher l'affaire au fond. En ce qui concerne la critique formulée par le Gouvernement à l'égard de son comportement, elle soutient qu'elle a été contrainte de demander des ajournements parce que les tribunaux ne lui avaient pas communiqué les actes de la procédure en tant utile, avant les audiences, et souligne que les juridictions sont responsables de la longueur des délais fixés entre les audiences. S'appuyant sur la jurisprudence de la Cour (Capuano c. Italie, arrêt du 25 juin 1987, série A no 119, p.19, § 32), elle impute la responsabilité de la durée excessive de la procédure à l'attitude des autorités, déplorant les retards survenus dans l'administration de l'expertise et le fait que l'examen au fond de l'action commerciale qu'elle avait introduite en juillet 1997, dont l'enjeu était très important, n'a débuté qu'en janvier 2004.

b) Appréciation de la Cour

160. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

161. La Cour constate que la procédure en question, qui a débuté avec l'acte introductif d'instance du 14 juillet 1997, a pris fin le 19 avril 2005, date de l'arrêt de la Cour de cassation. La période à prendre en considération a donc duré sept ans et neuf mois environ pour trois degrés de juridiction. A ce dernier égard, la Cour relève toutefois que, conformément aux dispositions de procédure applicables à l'époque, lors du deuxième cycle procédural – celui qui a suivi la première cassation avec renvoi prononcée par la Cour suprême de justice le 31 octobre 2000 – l'affaire en cause n'a été examinée que par deux degrés de juridiction.

162. La Cour a été appelée à connaître à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d'espèce et a souvent constaté la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).

163. La Cour ne saurait accueillir l'argument du Gouvernement quant à la complexité de l'affaire. Elle observe, en effet, que l'action de la requérante n'a été examinée au fond que lors du dernier cycle procédural et qu'il n'a fallu au tribunal départemental qu'un mois et demi pour trancher l'affaire. Par ailleurs, elle estime que l'attitude de la requérante n'a pas été de nature à causer des retards importants dans la procédure. En tout état de cause, l'on ne saurait lui reprocher d'avoir usé de divers recours internes pour défendre ses droits (Erkner et Hofauer c. Autriche, 23 avril 1987, série A, no 117, p. 63, § 68).

164. S'agissant de l'attitude des autorités compétentes, la Cour observe que celles-ci ont à diverses reprises tenu audience plusieurs mois après les ajournements qu'elles avaient prononcés ou les renvois qui avaient été ordonnés, alors même que les circonstances de la cause ne justifiaient pas pareils délais (voir les paragraphes 40, 42 et 52 ci-dessus). Par ailleurs, elle constate que l'expertise comptable administrée lors du deuxième cycle procédural sur ordre du tribunal départemental de Braşov a occasionné des retards et que celui-ci a débouté l'intéressée pour défaut de qualité pour agir à l'issue de cette expertise un an et cinq mois environ après en avoir ordonné la réalisation (voir les paragraphes 43 et 44 ci-dessus).

165. Elle relève surtout que l'affaire n'a été examinée au fond que lors du dernier cycle procédural, soit plus de six ans après l'introduction de l'action, et que les délais les plus importants ont été causés par la succession des cassations avec renvoi prononcées antérieurement à ce stade de la procédure. Bien que la Cour ne soit pas compétente pour analyser la manière dont les juridictions nationales ont interprété et appliqué le droit interne, elle considère toutefois que ces cassations successives étaient dues aux erreurs commises par les juridictions inférieures lors de l'examen de l'affaire (Wierciszewska c. Pologne, no 41431/98, 25 novembre 2003, § 46). En outre, la répétition des cassations dénote un dysfonctionnement du système judiciaire.

166. Au vu de ce qui précède et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».

167. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

168. La requérante dénonce une violation de son droit au respect de ses biens. A cet égard, elle invoque l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

Sur la recevabilité

a) Thèses des parties

169. En ce qui concerne la somme de 25 millions de USD virée sur le compte bancaire ouvert à la BCIT, le Gouvernement allègue que, au regard de la jurisprudence de la Cour, la requérante ne pouvait à bon droit revendiquer la propriété d'un bien ou se prévaloir d'une espérance légitime à cet égard. Il souligne que l'intéressée n'a jamais été titulaire du compte en question et que, quand bien même aurait-elle pensé détenir une créance sur F.T., le titulaire du compte, elle aurait dû agir en justice contre celui-ci, ce qu'elle n'a pas fait. A ses yeux, la seule obligation qui incombait aux autorités était d'assurer à la requérante une procédure judiciaire équitable lui permettant de faire valoir ses prétentions.

170. L'intéressée conteste la thèse du Gouvernement. Elle estime que son droit de disposer du montant litigieux a été méconnu par les autorités car aucune juridiction interne n'a examiné au fond ses arguments relatifs à son droit de propriété sur la somme en question, son action contre la BCIT ayant été déclarée irrecevable pour défaut de paiement du droit de timbre. Elle affirme par ailleurs que si les juridictions commerciales ont apprécié au fond ses arguments dans le cadre de la procédure dirigée contre la BCIT, elles n'avaient pas intérêt à remédier à la situation dont elle se plaignait car elles étaient subordonnées à l'exécutif.

b) Appréciation de la Cour

171. La Cour relève que même si, dans un premier temps, la question du droit de la requérante sur le montant en litige et celle de la responsabilité de la BCIT n'ont pas fait l'objet d'un examen au fond dans le cadre de la procédure civile, les prétentions de l'intéressée à cet égard ont été ensuite rejetées sur le fond à l'issue de la procédure commerciale contre la BCIT.

172. S'agissant des conséquences de cette dernière procédure sur le droit revendiqué par la requérante, la Cour rappelle que le fait qu'un litige entre particuliers soit tranché par un tribunal sur la base du droit en vigueur n'engage pas, en lui-même, la responsabilité de l'Etat sur le terrain de l'article 1 du Protocole no 1, si aucun indice d'arbitraire n'a été relevé (voir, entre autres, Vasilev c. Bulgarie (déc.), no 47063/99, 10 mars 2005). En l'espèce, elle observe que les tribunaux internes ont procédé à un examen approfondi des preuves apportées par les parties, qu'aucun indice d'arbitraire ne se décèle dans les décisions qu'ils ont rendues et que les allégations de la requérante relatives au défaut d'indépendance et d'impartialité des juges ayant examiné l'affaire sont dénuées de fondement (voir les paragraphes 153 à 156 ci-dessus).

173. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

174. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

175. La requérante réclame 291 751 562 euros (EUR) au titre du préjudice matériel que lui auraient causé la non-restitution de la somme de 25 millions de USD augmentée des intérêts y afférents et le non-paiement des pénalités de retard auxquelles elle dit avoir droit en raison du refus de la BCIT d'effectuer le virement bancaire litigieux. Par ailleurs, elle demande 10 000 000 EUR au titre du dommage moral, faisant valoir à cet égard que les violations de ses droits à un procès équitable, à une durée raisonnable de la procédure commerciale et au respect de ses biens ont détruit sa réputation ainsi que sa crédibilité dans le monde des affaires et ont compromis ses activités.

176. S'appuyant sur la jurisprudence de la Cour dans des affaires où celle-ci a conclu à la violation de l'article 6 § 1, le Gouvernement soutient qu'il n'y a pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué. Quant aux sommes sollicitées au titre du dommage moral, il considère que le constat de violation pourrait constituer en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral allégué et que, de toute manière, ces montants sont excessifs au vu de la jurisprudence de la Cour.

177. A l'instar du Gouvernement, la Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre le dommage matériel allégué et les violations constatées, qui ont trait à la méconnaissance du droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial dans la procédure pénale avec constitution de partie civile et à la durée excessive de la procédure commerciale. Partant, elle rejette la demande de la requérante à ce titre. Quant au tort moral prétendument subi, elle estime que les constats de violation auxquels elle a abouti ne suffisent pas à y remédier. Statuant en équité, elle considère que la somme de 3 500 EUR constitue une réparation raisonnable du préjudice en question.

B. Frais et dépens

178. La requérante demande en outre 81 984, 17 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour, ainsi ventilés :

a) 160 EUR pour la procédure pénale avec constitution de partie civile (correspondant au travail fourni pour la rédaction de la plainte pénale), 211,18 EUR pour l'action civile et 15 612,99 EUR pour la procédure commerciale dirigées contre la BCIT, pour lesquelles l'intéressée a fourni des contrats d'assistance juridique et des quittances de paiement, sans pour autant préciser quel type de travail avait été effectué pour les besoins de ces deux procédures et le nombre d'heures qui y avait été consacré ;

b) 66 000 EUR pour la procédure devant la Cour. Ce montant se compose, d'une part, d'un forfait de 60 000 EUR pour lequel l'intéressée fournit un bref document rédigé par deux de ses avocats et qui indique, sans plus de précisions, que la somme en question correspond au travail juridique fourni par eux pour les besoins de la procédure devant la Cour, et, d'autre part, d'un montant de 6 000 EUR pour lequel les deux autres avocats de la requérante ont produit un justificatif d'où il ressort que cette somme représente les honoraires dus au titre de la rédaction des observations de leur cliente.

179. S'agissant des frais et dépens encourus dans la procédure commerciale contre la BCIT, le Gouvernement affirme que le montant de 15 612,99 EUR sollicité est excessif et renvoie à d'autres affaires de durée de procédure sur lesquelles la Cour a statué. En ce qui concerne la procédure devant la Cour, il soutient que le document fourni par l'intéressée pour justifier les 60 000 EUR réclamés ne saurait constituer une preuve de la réalité et de la nécessité des frais et dépens en question, qu'il estime d'ailleurs excessifs. Il indique en outre que le justificatif présenté à l'appui de la demande de remboursement des 6 000 EUR d'honoraires réclamés par deux des avocats de la requérante ne précise pas la part que chacun d'eux a prise dans le travail prétendument fourni.

180. La Cour rappelle que, lorsqu'elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder le remboursement des frais et dépens exposés devant les juridictions internes, mais uniquement lorsqu'ils ont été engagés « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation » (voir, notamment, Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A no 66, § 36, et Bouilly c. France (no 2), no 57115/00, § 29, 24 juin 2003). En ce qui concerne les frais encourus dans la procédure pénale avec constitution de partie civile, qui a donné lieu à deux violations de l'article 6 § 1 constatées par la Cour, la requérante n'a pas démontré qu'ils avaient été exposés pour tenter de remédier aux violations en question. A cet égard, la Cour observe que les parties n'ont pas allégué qu'il y avait des voies de recours internes à épuiser. Il convient d'écarter la demande sur ce point. En revanche, dès lors que dans les affaires de durée de procédure le prolongement de l'examen d'une cause au-delà du « délai raisonnable » entraîne une augmentation des frais à la charge du requérant (Bouilly c. France précité, § 33, et Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 148, CEDH 2006-...), la Cour n'estime pas déraisonnable en l'espèce d'allouer 1 000 EUR à la requérante au titre des frais encourus pour les besoins de la procédure commerciale contre la BCIT.

181. Quant aux frais et dépens afférents à la procédure devant la Cour, compte tenu de la nature des griefs en cause, des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d'allouer à l'intéressée la somme de 7 000 EUR.

C. Intérêts moratoires

182. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare les requêtes recevables pour autant qu'elles concernent les griefs tirés de l'article 6 § 1 qui portent sur le droit à un tribunal indépendant et impartial et les restrictions du droit d'accès au dossier des poursuites dans la procédure pénale avec constitution de partie civile et sur la durée de la procédure commerciale, et irrecevables pour le surplus ;

3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la méconnaissance du droit à un tribunal indépendant et impartial dans la procédure pénale avec constitution de partie civile ;

4. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner de surcroît sur le fond la branche du grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention concernant le manque d'impartialité du procureur F.C ;

5. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison des restrictions au droit d'accès au dossier de poursuites dans la procédure pénale avec constitution de partie civile susmentionnée ;

6. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure commerciale ;

7. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros) pour dommage moral et 8 000 EUR (huit mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 octobre 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Christos Rozakis
Greffier Président