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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
11.10.2007
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 499/02
présentée par Pelin ERDA et autres
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 11 octobre 2007 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,

C. Bîrsan,

Mmes E. Fura-Sandström,

A. Gyulumyan,

M. E. Myjer[1],

Mmes I. Ziemele,

I. Berro-Lefèvre, juges,

et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 11 octobre 2001,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu la décision partielle du 1er juin 2006,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, dont les noms figurent en annexe, sont des ressortissants turcs. Ils sont représentés devant la Cour par Me M.N. Terzi, avocat à İzmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent pour la procédure devant la Cour.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Les requérants Jale Kurt, Levent Kılıç, Sema Taşar, Aşkın Yeğin, Ayşe Mine Balkanlı, Özgür Zeybek, Münire Apaydın, Ali Göktaş, Faruk Deniz, Abdullah Yücel Karakaş, Emrah Sait Erda, Hüseyin Korkut et Mahir Göktaş furent arrêtés entre le 26 décembre et le 29 décembre 1995 et placés en garde à vue jusqu’au 5 janvier 1996 dans les locaux de la section antiterroriste de la direction de la sûreté de Manisa. Il leur fut reproché d’avoir porté assistance à une organisation illégale.

Le 3 juin 1996, le procureur de la République près la cour d’assises de Manisa (« la cour d’assises ») intenta une action pénale à l’encontre de dix policiers pour avoir infligé des mauvais traitements aux requérants lors de leur garde à vue. Il requit leur condamnation sur la base des articles 243 et 245 de l’ancien code pénal.

Les requérants Ramazan Zeybek et Osman Ergin Balkanlı se constituèrent partie intervenante à la procédure devant la cour d’assises respectivement le 25 décembre 1996 et le 30 avril 1997. Les autres requérants se constituèrent partie intervenante le 21 août 1996.

Entre le 24 juin 1996 et le 11 mars 1998, la cour d’assises tint quinze audiences au cours desquelles elle recueillit les déclarations des dix policiers mis en cause ainsi que de dix-huit plaignants, de douze victimes et de plus de trente témoins, dont plusieurs par commission rogatoire. Elle délivra plusieurs mandats d’amener et demanda la production de fiches d’état civil, d’extraits de casier judiciaire, de rapports médicaux, de registres de garde à vue, d’enregistrements vidéo et leur transcription ainsi que des renseignements sur l’état de santé de certaines victimes. Lors du 16 juillet 1997, elle décida de procéder à une séance d’identification sur présentation de photographie, laquelle eut lieu à l’audience du 23 décembre 1997, en l’absence des certaines victimes réfractaires et de deux victimes à l’étranger. Certaines séances d’identification furent réalisées sur commission rogatoire.

Au terme de l’audience du 11 mars 1998, la cour d’assises acquitta les fonctionnaires de police faute de preuves suffisantes.

Le 12 octobre 1998, la Cour de cassation cassa l’arrêt de la cour d’assises. Elle se basa sur les rapports médicaux et se référa aux dispositions de la Constitution turque et du code pénal réprimant les mauvais traitements et la torture ainsi qu’à l’article 3 de la Convention.

Le 27 janvier 1999, la cour d’assises réitéra son arrêt initial. Au cours des deux audiences qui se tinrent, elle entendit à nouveau les dix policiers mis en cause, dont quatre par commission rogatoire.

Le 15 juin 1999, les Chambres pénales réunies de la Cour de cassation cassèrent l’arrêt du 27 janvier 1999 et renvoyèrent l’affaire devant la juridiction de première instance.

Entre le 28 décembre 1999 et le 15 novembre 2000, la cour d’assises tint sept audiences au cours desquelles elle recueillit à nouveau les déclarations des policiers mis en cause, dont certains par commission rogatoire. Les audiences du 19 juillet et du 25 septembre 2000 furent ajournées dans l’attente des déclarations d’un policier. Elle délivra un mandat d’arrêt à l’encontre de ce policier et demanda au parquet de Manisa d’engager des poursuites à l’encontre des personnes responsables du retard dans la réalisation de la commission rogatoire.

Au terme de l’audience du 15 novembre 2000, la cour d’assises reconnut les policiers coupables d’actes de torture et les condamna à des peines de prison allant de cinq ans à dix ans et dix mois. Lors de cette audience, elle refusa d’accorder un délai aux avocats des policiers pour la présentation de leur défense.

Le 2 mai 2001, la Cour de cassation cassa l’arrêt du 15 novembre 2000 au motif que les droits de défense des accusés n’avaient pas été respectés.

Lors des quinze audiences qui eurent lieu devant la cour d’assises entre le 18 juillet 2001 et le 16 octobre 2002, celle-ci recueillit les déclarations de certains accusés, pour certains par commission rogatoire. Au cours de ces audiences, elle accorda à plusieurs reprises un délai supplémentaire aux avocats de la défense. À la suite de la démission de certains avocats, elle informa les accusés concernés et accorda des délais supplémentaires aux nouveaux avocats.

Le 16 octobre 2002, la cour d’assises réitéra les peines initialement prononcées à l’encontre des policiers.

Le 4 avril 2003, la Cour de cassation confirma cet arrêt.

GRIEF

Les requérants se plaignent de la durée de la procédure devant la cour d’assises de Manisa.

EN DROIT

Les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Selon le Gouvernement, la durée de la procédure s’explique par la complexité de l’affaire et par le fait que l’affaire a été examinée à quatre reprises par chaque juridiction. Il ajoute qu’aucune période d’inactivité n’est imputable aux autorités judiciaires.

Les requérants soutiennent que la procédure n’a pas été conduite avec la diligence nécessaire, vu notamment la gravité de l’affaire. À cet égard, ils font observer que les policiers ont été poursuivis pour des faits de torture sur des mineurs, et qu’ils ont continué à exercer leurs fonctions pendant toute la durée de procédure. Selon eux, une exigence de célérité était essentielle pour préserver la confiance du public dans la justice.

La Cour observe que la période à considérer a débuté avec la constitution de partie intervenante des requérants, à savoir le 25 décembre 1996 pour Ramazan Zeybek, le 30 avril 1997 pour Osman Ergin Balkanlı et le 21 août 1996 pour les autres requérants. Elle s’est terminée le 4 avril 2003, date de la décision interne définitive. La période à considérer a donc duré environ six ans et trois mois pour Ramazan Zeybek, cinq ans et onze mois pour Osman Ergin Balkanli et six ans et sept mois pour les autres requérants, pour huit instances.

La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II). De même, si l’article 6 § 1 de la Convention prescrit la célérité des procédures judiciaires, il consacre aussi le principe, plus général, d’une bonne administration de la justice (Boddaert c. Belgique, arrêt du 12 octobre 1992, série A no 235-D, p. 82, § 39).

La Cour note d’abord que l’affaire revêtait une certaine complexité en ce que les juridictions internes ont dû gérer un procès impliquant dix accusés poursuivis pour avoir infligé des mauvais traitements sur treize personnes. Cette circonstance a nécessité un long travail de reconstitution des faits, de rassemblement des preuves et de détermination des charges à l’encontre de chaque policier. Plusieurs commissions rogatoires et de nombreux actes de procédure ont été nécessaires.

Il n’est pas établi que le comportement des requérants ait contribué à l’allongement de la procédure.

Quant au comportement des autorités judiciaires, aucun retard important ne peut leur être reproché, lesquelles ont tenu des audiences régulières et mené la procédure à un rythme soutenu. La durée de la procédure devant la cour d’assises et la Cour de cassation, appelées à statuer sur l’affaire à quatre reprises chacune, ne prête pas à critique.

La cour d’assises a statué sur l’affaire, pour la première fois, un an, neuf mois et sept jours après le dépôt de l’acte d’accusation. Pendant cette période, elle recueillit les déclarations des accusés, des victimes, des plaignants et des témoins et procédé à de nombreux actes de procédures.

La cour d’assises a ensuite statué sur l’affaire respectivement en trois mois et seize jours la deuxième fois, en un an, cinq mois et deux jours la troisième fois et en un an, cinq mois et quinze jours pour la quatrième fois. S’il est vrai que la durée de la procédure devant la cour d’assises lorsqu’elle a connu l’affaire pour la troisième fois s’explique partiellement par le refus d’un policier de comparaitre, la Cour observe que la cour d’assises a fait preuve d’une diligence particulière. À cet égard, il convient de noter qu’elle a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre du policier réfractaire et pris la décision d’engager des poursuites pénales contre les responsables des négligences. Quant à la durée de la procédure devant la cour d’assises, appelée à connaitre de l’affaire pour la quatrième fois, elle s’explique principalement par la démission de certains avocats de la défense, circonstance qui a nécessité la désignation de nouveaux représentants et des délais supplémentaires pour la préparation de la défense.

La Cour de cassation, quant à elle, a statué sur les pourvois en sept mois et deux jours, quatre mois et dix-neuf jours, cinq mois et seize jours et cinq mois et dix-huit jours respectivement.

Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que dans les circonstances particulières de la présente affaire la durée de la procédure répond à l’exigence du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Il convient également de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare le restant de la requête irrecevable.

Stanley Naismith Boštjan M. Zupančič
Greffier adjoint Président


Annexe

Liste des requérants

1. Pelin Erda, née 1959

2. Emrah Sait Erda, né en 1973

3. Nevin Apaydın, née en 1957

4. Münire Apaydın, née en 1979

5. Müslüm Apaydın, né en 1954

6. Aydın Yeğin, né en 1969

7. Aşkın Yeğin, né en1972

8. Selda Göktaş, née en1973

9. Ali Göktaş, né en 1966

10. Mahir Göktaş, né en 1981[2]

11. Muharrem Göktaş, né en 1949

12. Muhammer Göktaş, né en 1963

13. Derviş Karakaş, né en 1958

14. Abdullah Yücel Karakaş, né en 1976

15. Satı Taşar, née en 1928

16. Şadiye Taşar, née en 1974

17. Sema Taşar, née en1978

18. Mustafa Seydi Korkut, né en 1965

19. Hüseyin Korkut, né en 1971

20. Mustafa Kurt, né en 1951

21. Jale Kurt, née en 1977

22. Ayşe Deniz, née en 1939

23. Faruk Deniz, né en 1972

24. Osman Ergin Balkanlı, né en 1940

25. Sevil Balkanlı, née en 1944

26. Ayşe Mine Balkanlı, née en 1979

27. Ramazan Zeybek, né en 1953

28. Özgür Zeybek, né en 1979

29. Leman Kılıç, née en 1949

30. Levent Kılıç, né en 1974


[1] M. Myjer a été désigné pour siéger en tant que juge national au titre de la Turquie en vertu de l’article 29 du règlement de la Cour.

[2] Mahir Göktaş est décédé le 19 août 2006. L’avocat des requérant a fait savoir par une lettre du 18 décembre 2006 que ses parents, Muharrem (déjà requérant) et Fatma Göktaş entendaient poursuivre la requête devant la Cour en qualité d’héritiers.