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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ADEM ARSLAN c. TURQUIE
(Requête no 75836/01)
ARRÊT
STRASBOURG
19 décembre 2006
DÉFINITIF
19/03/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Adem Arslan c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 novembre 2006,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 75836/01) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Adem Arslan (« le requérant »), a saisi la Cour le 2 mars 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Me N. Bener, avocate à Bursa. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n'a pas désigné d'agent aux fins de la procédure devant la Cour.
3. Le requérant alléguait la violation de l'article 6 § 1 de la Convention faute d'avoir pu bénéficier d'une audience publique dans le cadre d'une procédure pénale accélérée.
4. Le 9 novembre 2004, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1974 et réside à Ordu.
6. Le 20 novembre 1999, à la suite d'une plainte formulée par ses voisins, le requérant fut convoqué au commissariat de police et y fit une déposition. Il admit avoir en sa possession une arme à feu avec autorisation de port et avoir tiré des coups de feu à l'intérieur de son appartement alors qu'il était dans un état de crise après avoir constaté que sa femme l'avait quitté. Une instruction judiciaire fut ouverte.
7. Le 24 novembre 1999, le tribunal de paix de Bursa (Sulh Ceza Mahkemesi) notifia au requérant une ordonnance de règlement amiable d'un montant de 15 000 000 livres turques (TRL) [environ 28 euros (EUR)] indiquant qu'en cas de refus de paiement au terme d'un délai de dix jours une action publique serait ouverte à son encontre.
8. Le 4 février 2000, sur la base du dossier, le tribunal de paix condamna le requérant, en application de l'article 386 du code de procédure pénale, à une amende d'un montant de 15 000 000 TRL pour usage d'arme à feu à son domicile, et ordonna la saisie de l'arme et des douilles retrouvées au domicile de l'intéressé.
9. Le 13 mars 2000, le requérant s'opposa à cette ordonnance auprès du tribunal correctionnel de Bursa (Asliye Ceza Mahkemesi) en demandant l'ouverture d'une procédure pénale contradictoire avec audience.
10. Le 29 mars 2000, le tribunal correctionnel accepta cette demande et ordonna au tribunal de paix de tenir une audience.
11. Le 13 avril 2000, le tribunal de paix demanda au ministère de la Justice « une instruction écrite » dans l'intérêt de la loi, en application de l'article 343 du code de procédure pénale, afin de poursuivre la procédure sur dossier.
12. Le ministère de la Justice transmit le dossier à la deuxième chambre de la Cour de cassation.
13. Le 7 juillet 2000, la Cour de cassation cassa le jugement rendu par le tribunal correctionnel et demanda le réexamen du dossier.
14. Le 26 octobre 2000, le tribunal correctionnel réexamina le dossier et rejeta l'opposition formulée par le requérant contre l'ordonnance pénale rendue par le tribunal de paix.
II. LE DROIT INTERNES PERTINENTS
15. La disposition pertinente du code pénal était ainsi libellée :
Article 119
(annulation de la procédure pénale par le paiement de la contravention)
« (...) La notification de la contravention envoyée par le parquet doit indiquer la somme à payer et le délai de paiement. En cas de paiement dans ce délai, aucune poursuite pénale ne saurait être engagée contre l'intéressé. Si le prévenu refuse de s'acquitter de la somme, une procédure pénale sera ouverte et, si la culpabilité est établie, la peine sera majorée de moitié.
En application de ce qui précède, si, malgré la notification, la somme n'est pas acquittée dans le délai une action publique sera ouverte et, si la culpabilité est établie, la peine sera majorée de moitié sans dépasser le plafond de référence. (...) »
16. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale et un arrêt rendu le 30 étaient ainsi que d'autres éléments les détails libellées à l'époque des faits :
Article 386
« Le juge d'instance statue sans tenir d'audience par une ordonnance pénale sur les infractions du domaine de compétence des tribunaux d'instance.
L'ordonnance pénale peut uniquement porter sur la condamnation à une amende légère ou lourde ou à une peine d'emprisonnement de trois mois au maximum ou à l'interdiction temporaire d'exercer une profession et un métier ou une saisie (...) »
Article 387
« Si le juge pénal voit un inconvénient à statuer sans audience, il peut fixer une date pour la tenue de celle-ci. »
Article 390
« Une audience est tenue en cas d'opposition formée contre une ordonnance pénale portant sur une peine d'emprisonnement légère.
(...)
En cas d'opposition formée contre une ordonnance portant sur une condamnation à une amende légère ou lourde ou à une interdiction temporaire d'exercer une profession et un métier ou une saisie (...), le président du tribunal correctionnel ou le juge examine l'opposition en application des articles 301, 302 et 303 [du présent code]. (...) »
Article 302
« A l'exception des cas prévus pas la loi, la procédure d'opposition se déroule sans audience. Le procureur de la République est entendu si nécessaire.
Si l'opposition est accueillie, la même juridiction examine le bien-fondé de l'affaire. »
Article 343
(relatif au pourvoi dans l'intérêt de la loi, Yazılı emir ile bozma)
« Lorsqu'il est avisé qu'il a été rendu, par un juge ou par un tribunal, un arrêt ou un jugement devenu définitif sans passer par l'examen de la Cour de cassation, le ministre de la Justice peut donner un ordre formel au parquet de la République pour que celui-ci demande à la Cour de cassation d'annuler l'arrêt ou le jugement dont il s'agit. (...) »
17. Par un arrêt rendu le 30 juin 2004, la Cour constitutionnelle, à l'unanimité, a déclaré l'article 390 § 3 de l'ancien code de procédure pénale non conforme à l'article 36 de la Constitution et l'a annulé. Elle a considéré que l'absence d'audience devant le tribunal correctionnel, appelé à se prononcer sur l'opposition formée contre une ordonnance pénale, méconnaissait le droit à un procès équitable et restreignait les droits de défense tels que prévus aux articles 6 de la Convention et 36 de la Constitution. Tout en soulignant la légitimité de la procédure d'ordonnance pénale, elle a relevé qu'une audience devait avoir lieu devant le tribunal correctionnel.
18. Le 1er juin 2005, les nouveaux codes pénal et de procédure pénale sont entrés en vigueur. Ils ne contiennent aucune disposition sur l'ordonnance pénale.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
19. Le requérant se plaint que sa cause n'a pas été entendue équitablement dans la mesure où sa demande de tenue d'une audience a été rejetée et que sa condamnation au pénal a été prononcée sans qu'il ait pu exercer pleinement sa défense. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et (...), par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
A. Sur l'exception préliminaire
20. Le Gouvernement soulève une exception d'irrecevabilité et soutient que l'ordonnance pénale n'est pas « un jugement » au sens propre du terme, ce n'est qu'une décision administrative. Il affirme que le requérant pouvait contester la décision du juge de paix en saisissant le tribunal correctionnel d'instance, ce qui aurait permis un « incident contentieux » au sens du droit pénal. En effet, le jugement du tribunal correctionnel d'instance du 29 mars 2000 confirme, selon le Gouvernement, l'efficacité de ce recours (paragraphe 10 ci-dessus).
21. Le requérant rétorque que la décision rendue par le tribunal correctionnel d'instance a été annulée à la suite de la demande « d'instruction écrite » du juge de paix au ministère de la Justice.
22. La Cour rappelle qu'en vertu de l'article 35 § 1, « il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire qu'il était accessible, était susceptible d'offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès » (Akdivar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, p. 1211, § 68).
23. La Cour constate qu'en l'espèce le requérant a saisi le tribunal correctionnel d'instance, créant ainsi un « incident contentieux » au sens du droit pénal. Il n'y a donc pas de doute qu'il s'agissait d'une affaire pénale et non purement administrative. Ensuite, malgré l'ordre du tribunal correctionnel au tribunal de paix de tenir une audience, la procédure s'est déroulée par écrit avec l'autorisation du ministère de la Justice (paragraphes 11‑14 ci-dessus). Par conséquent, le recours invoqué par le Gouvernement n'était pas « effectif » au sens de la jurisprudence. Il s'ensuit que son exception doit être rejetée.
24. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
25. La Cour rappelle que la publicité des débats judiciaires constitue un principe fondamental consacré par l'article 6 § 1 de la Convention. Elle protège les justiciables contre une justice échappant au contrôle du public et constitue ainsi l'un des moyens de contribuer à préserver la confiance dans les tribunaux. Par la transparence qu'elle donne à l'administration de la justice, elle aide à atteindre le but de l'article 6 § 1, à savoir le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique (Stefanelli c. Saint-Marin, no 35396/97, § 19, CEDH 2000‑II, et Malhous c. République tchèque [GC], no 33071/96, § 55, 12 juillet 2001).
26. La Cour note que, selon les dispositions pertinentes de l'ancien code de procédure pénale, le juge d'instance pouvait, pour certaines catégories d'infractions, émettre une ordonnance pénale sur la seule base du dossier, sans tenir d'audience. La procédure d'opposition devant le tribunal correctionnel se déroulait également sans audience lorsqu'elle était formée contre une ordonnance portant sur une condamnation à une amende légère ou lourde. Le tribunal correctionnel statuait également sur la seule base du dossier en cas d'opposition.
27. En l'espèce, elle note qu'à aucun stade de la procédure, le requérant n'a bénéficié d'une audience devant les juridictions internes. Ni le tribunal de police qui a délivré l'ordonnance pénale ni le tribunal correctionnel qui s'est prononcé sur l'opposition n'ont tenu d'audience. Le requérant n'a jamais eu la possibilité de comparaître personnellement devant les magistrats appelés à le juger.
28. La Cour relève aussi que l'absence d'audience devant le tribunal correctionnel a été débattue par la Cour constitutionnelle, laquelle a considéré que celle-ci n'était pas compatible avec le droit à un procès équitable et les droits de la défense. Elle prend en considération ce constat ainsi que l'absence de disposition sur l'ordonnance pénale dans les nouveaux codes pénal et de procédure pénale.
29. Dès lors, la Cour considère qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce que la cause du requérant n'a pas été entendue publiquement par les juridictions saisies de son affaire.
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
30. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
31. Le requérant allègue avoir subi un préjudice matériel et réclame 1 555 000 000 livres turques (TRL) [environ 863 EUR] à ce titre. Il demande en outre la réparation d'un dommage moral qu'il évalue à 25 000 dollars américains (USD) [environ 20 161 EUR].
32. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
33. La Cour ne saurait spéculer sur les conclusions auxquelles les juridictions turques auraient abouti en l'absence des manquements relevés, et rejette donc la demande du requérant au titre du préjudice matériel.
Elle estime que le requérant a subi un certain préjudice moral que le simple constat de violation suffit à compenser.
B. Frais et dépens
34. Le requérant demande 10 000 USD [environ 8 064 EUR] pour les frais et dépens encourus devant la Cour. Il ne présente aucun justificatif.
35. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
36. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu des éléments en sa possession, des critères susmentionnés et de l'assistance judiciaire accordée au requérant (paragraphe 2 ci-dessus), la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR tous frais confondus et l'accorde à l'intéressé.
C. Intérêts moratoires
37. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit que le présent arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
4. Dit
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 500 EUR (cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 décembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président