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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
28.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE POULAIN DE SAINT PÈRE c. FRANCE

(Requête no 38718/02)

ARRÊT

STRASBOURG

28 novembre 2006

DÉFINITIF

28/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Poulain de Saint Père c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė,
E. Fura-Sandström, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 novembre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 38718/02) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Philippe Poulain de Saint Père (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 octobre 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant était représenté par Me Catherine Laboulais, avocate au barreau de Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le 30 mai 2005, la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1930 et réside à Chambray Les Tours.

5. Par un acte authentique notarié du 15 novembre 1985, la tante du requérant consentit au profit de l’association cultuelle « Fraternité Sacerdotale Saint Pie X » (ci-après « l’association ») une donation, comprenant la pleine propriété d’un portefeuille de valeurs de bourse estimé à 1 871 193 FF (soit environ 285 243 euros), à charge pour l’association de lui servir une rente viagère indexée d’un montant mensuel de 14 800 FF (soit 2 256 euros).

6. Par un arrêté du 17 décembre 1985, le Préfet des Hauts-de-Seine autorisa ladite association à accepter la donation susmentionnée.

7. Le 14 novembre 1994, suite au décès de sa tante, le requérant sollicita du Préfet, par voie de recours gracieux, le retrait de cet arrêté. Son recours fut rejeté implicitement.

8. Le 31 janvier 1995, le requérant saisit le tribunal administratif de Paris d’une requête tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral. Le 11 octobre 1996, le tribunal tint une audience publique.

9. Par un jugement du 8 novembre 1996, le tribunal annula l’arrêté litigieux. Sur le bien fondé de la requête, le tribunal considéra en effet que la donation ne pouvait être regardée comme destinée à l’accomplissement de l’objet de l’association ou grevée de charges pieuses ou cultuelles au sens de l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905. Il conclut par conséquent que l’arrêté était entaché d’erreur de droit.

10. Sur appel de l’association, la cour administrative d’appel de Paris tint une audience publique le 28 octobre 1999 au cours de laquelle les avocats des parties furent entendus en leurs observations.

11. Par un arrêt motivé du 12 novembre 1999, la cour administrative d’appel de Paris rejeta le recours de l’association contre ce jugement.

12. L’association se pourvut en cassation contre cet arrêt le 28 janvier 2000. Le requérant, qui constitua avocat le 11 octobre 2000, déposa son mémoire en défense le 17 novembre 2000.

13. Il ressort de la « fiche requête » relative au déroulement de l’instruction du pourvoi que produit le Gouvernement dans ses observations, que l’avocat du requérant fut régulièrement informé de la date d’audience le 26 mars 2002.

14. Le 3 avril 2002, à 14h00, le Conseil d’Etat tint une séance publique au cours de laquelle les avocats des deux parties furent entendus en leurs observations. Les débats furent clôturés à l’instant où le commissaire du gouvernement prit la parole, conformément aux usages en vigueur.

15. Par un arrêt du 29 avril 2002, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, annula l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 12 novembre 1999 ainsi que le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 novembre 1996, et débouta le requérant de sa demande présentée devant ledit tribunal. Il statua en ces termes :

« Vu la requête et le mémoire complémentaire (...) présentés par [l’association] (...) ;

(...) ;

Vu les autres pièces du dossier ;

(...) ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Herondart, Auditeur,

- les observations de (...) l’avocat de [l’association] et [de celui du requérant],

(...) ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu’aux termes de l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, les associations cultuelles « devront avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte » et « pourront recevoir, dans les conditions déterminées par les articles 7 et 8 de la loi des 4 février 1901 et 8 juillet 1941, relative à la tutelle administrative en matière de dons et legs, les libéralités testamentaires et entre vifs destinés à l’accomplissement de leur objet ou grevées de charges pieuses ou cultuelles » ; qu’il ne résulte pas de ces dispositions que les libéralités reçues par les associations cultuelles destinées à l’accomplissement de leur objet ne pourraient être assorties de charges ayant pour objet d’assurer l’entretien du donateur, dès lors que ces charges ne sont pas de nature à remettre en cause l’objet cultuel de l’association ; qu’ainsi, en jugeant qu’il résulte des dispositions précitées que les charges qui grèvent une donation ne peuvent avoir pour objet l’entretien du donateur dès lors que celui-ci ne concourt pas à l’exercice du culte, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que l’association requérante est par suite fondée à demander l’annulation de l’arrêt du 12 novembre 1999 de la cour administrative d’appel de Paris ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut « régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;

Considérant (...) [qu’une] association cultuelle peut être autorisée à recevoir une libéralité assortie d’une charge ayant pour objet d’assurer l’entretien du donateur ; que, par suite, c’est à tort que, par son jugement du 8 novembre 1996, le tribunal administratif de Paris s’est fondé sur ce qu’une telle donation ne pouvait être regardée comme destinée à l’accomplissement de l’objet de cette association ou grevée de charges pieuses ou cultuelles au sens de l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905 pour annuler l’arrêté du 17 décembre 1985 (...) ;

Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par [le requérant] ;

Considérant qu’aucune disposition législative, ni aucune disposition réglementaire n’impose au préfet, saisi d’une demande d’autorisation d’une donation à une association cultuelle, d’informer les membres de la famille du donateur ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que l’arrêté du 17 décembre 1985 serait entaché d’illégalité faute pour le préfet des Hauts-de-Seine d’avoir procédé à cette information doit être écarté ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que lorsqu’elle a demandé à être autorisée à accepter la donation que lui consentait [la tante du requérant], [l’association] a présenté l’acte du 15 novembre 1985 procédant à cette donation ; qu’il n’appartenait pas au préfet de rechercher, contrairement à ce que soutient [le requérant], si l’état mental de [sa tante] ne rendait pas nulle cette donation, dont l’acte était produit devant lui ;

Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que l’activité de [l’association] n’ait pas été exclusivement cultuelle, conformément à son objet statutaire ; que, dès lors, le préfet (...) a pu légalement estimer que l’association (...) était une association cultuelle ;

(...) ;

Considérant qu’il y a lieu (...) de faire application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner [le requérant] à verser à [l’association] une somme de 1500 euros au titre des frais exposés par elle en première instance, en appel et en cassation et non compris dans les dépens ; (...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

16. Le requérant dénonce l’iniquité de l’instance devant le Conseil d’Etat, en particulier la méconnaissance du principe du contradictoire et d’impartialité résultant, d’une part, de la participation du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement et, d’autre part, de l’impossibilité de répondre utilement aux conclusions de ce magistrat. Sur ce dernier point, le requérant, se référant à un arrêt du Conseil d’Etat (Société Dégremont du 27 juillet 2001) déclarant que la production d’une note en délibéré ne saurait contribuer au caractère contradictoire de l’instance dont elle est issue, expose que la note en délibéré ne comporte aucune force juridique à défaut de texte réglementaire ou législatif liant le juge. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention qui se lit comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial, (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

17. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

a) En ce qui concerne l’impossibilité de répondre aux conclusions du commissaire du gouvernement

18. La Cour rappelle que la notion de procès équitable implique en principe le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation soumise au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision, et de la discuter (voir les arrêts Lobo Machado c. Portugal du 20 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, p. 215, § 49, Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, Recueil 1996-I, p. 234, § 33, K.D.B. c. Pays-Bas du 27 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 631, § 44, et Nideröst-Huber c. Suisse, arrêt du 18 février 1997, Recueil 1997I, p. 108, § 24)

19. Pour ce qui est de l’impossibilité pour les parties de répondre aux conclusions du commissaire du gouvernement à l’issue de l’audience de jugement, la Cour a déjà relevé qu’à la différence de l’affaire Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France (arrêt du 31 mars 1998, Recueil 1998-II), il n’est pas contesté que dans la procédure devant le Conseil d’Etat, les avocats qui le souhaitent peuvent demander au commissaire du gouvernement, avant l’audience, le sens général de ses conclusions. Il n’est pas davantage contesté que les parties peuvent répliquer, par une note en délibéré, aux conclusions du commissaire du gouvernement, ce qui permet, et c’est essentiel aux yeux de la Cour, de contribuer au respect du principe du contradictoire. Enfin, au cas où le commissaire du gouvernement invoquerait oralement lors de l’audience un moyen non soulevé par les parties, le président de la formation de jugement ajournerait l’affaire pour permettre aux parties d’en débattre (Kress c. France, [GC], no 39594/98, § 76, CEDH 2001VI).

20. En l’espèce, la Cour relève que le requérant, alors qu’il en avait la possibilité, a omis de déposer une note en délibéré, ce qui lui aurait permis de contribuer effectivement au respect du principe du contradictoire. Dès lors, nonobstant les doutes que le requérant émet quant à une telle pratique, la Cour estime que la procédure suivie devant le Conseil d’Etat a offert suffisamment de garanties au requérant et qu’aucun problème ne se pose sous l’angle du droit à un procès équitable pour ce qui est du respect du contradictoire.

Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à cet égard.

b) En ce qui concerne la présence du commissaire du gouvernement au délibéré du Conseil d’Etat

21. Le Gouvernement réitère les observations qu’il a présentées notamment dans les affaires Martinie c. France ([GC], no 58675/00, CEDH 2006-...) et SARL du Parc d’activités de Blotzheim c. France (no 72377/01, 11 juillet 2006).

22. Le requérant ne répond pas aux observations du Gouvernement. Il invite néanmoins la Cour à conclure à une violation de la Convention.

23. La Cour constate que le Gouvernement interprète l’arrêt Kress susmentionné comme condamnant la participation active du commissaire du gouvernement au délibéré, mais non sa simple présence. A l’appui de ses prétentions, il tire argument du fait, notamment, que le dispositif de cet arrêt, comme celui des arrêts postérieurs portant sur le même grief, use du terme « participation » uniquement, et non de « présence » (voir APBP c. France, no 38436/97, 21 mars 2002, Immeubles Groupe Kosser, no 38748/97, 21 mars 2002 et Theraube, no 44565/98, 10 octobre 2002).

24. La Cour rappelle qu’elle a jugé, récemment, que « [la] lecture des faits de la cause, des arguments présentés par les parties et des motifs retenus par la Cour, ensemble avec le dispositif de l’arrêt, montre (...) clairement que l’arrêt Kress use de ces termes comme de synonymes, et qu’il condamne la seule présence du commissaire du gouvernement au délibéré, que celle-ci soit « active » ou « passive » » (Martinie c. France précité, § 53).

25. En l’espèce, la Cour constate qu’il n’existe aucun motif susceptible de la convaincre qu’il y a lieu de réformer sa jurisprudence. Partant, la Cour en conclut qu’il y a eu, en la présente cause, violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la présence du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’Etat.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

A. Sur le grief tiré de l’absence d’audience publique devant le Conseil d’Etat

26. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de l’absence d’audience publique devant le Conseil d’Etat lorsque celui-ci, comme en l’espèce, annule la décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort et décide de régler l’affaire au fond. Il explique que la Cour suprême, ayant utilisé cette voie, s’est ainsi saisie des questions de fait et des moyens de droit sans que les parties puissent présenter leurs observations orales.

a) Sur la recevabilité

27. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

b) Sur le fond

28. Le Gouvernement note que le Conseil d’Etat a statué le 3 avril 2002 en audience publique. Il joint le rôle de la séance publique qui en atteste. Il observe en outre que l’avocat du requérant avait été averti de la date d’audience le 26 mars 2002, comme en atteste la « fiche requête » qu’il produit, laquelle retrace le déroulement de l’instruction du dossier. En conséquence, il estime que les affirmations du requérant selon lesquelles il aurait été statué sur sa requête sans la convocation d’une audience publique sont infondées.

29. Le requérant ne répond pas aux observations du Gouvernement. Il invite néanmoins la Cour à conclure à une violation de la Convention.

30. La Cour note tout d’abord que le requérant, tel qu’il expose son grief, considère qu’il aurait dû bénéficier d’une nouvelle audience publique devant le Conseil d’Etat, postérieurement à celle du 3 avril 2002, dans la mesure où la juridiction suprême de l’ordre administratif, ayant décidé « de régler l’affaire au fond », était devenu juge du droit et juge du fait.

31. La Cour rappelle ensuite que la publicité des débats constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1, et que le droit de chacun à ce que sa cause soit « entendue publiquement », au sens de cette disposition, implique nécessairement le droit d’assister et de prendre part à une « audience publique », à moins que des circonstances exceptionnelles justifient de s’en dispenser (voir, entre autres, Allan Jacobsson c. Suède (no 2), arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, § 46 ; Lundevall c. Suède, no 38629/97, § 34, 12 novembre 2002 ; Döry c. Suède, no 28394/95, 12 novembre 2002, § 37 ; Göç v. Turquie [GC], no 36590/97, §§ 47-52, CEDH 2002-V).

32. Cependant, la Cour ne saurait conclure, même dans l’hypothèse d’une juridiction investie de la plénitude de juridiction, que l’article 6 implique toujours le droit à une audience publique, indépendamment de la nature des questions à trancher. D’autres considérations, dont le droit à un jugement dans un délai raisonnable et la nécessité en découlant d’un traitement rapide des affaires inscrites au rôle, peuvent entrer en ligne de compte pour déterminer si des débats publics correspondent à un besoin (voir Jan Åke Andersson c. Suède, arrêt du 29 octobre 1991, série A no 212B, p. 45, § 27, et Allan Jacobsson c. Suède (no 2) précité, § 46). Elle a aussi considéré que des procédures consacrées exclusivement à des points de droit ou hautement techniques peuvent remplir les conditions de l’article 6 même en l’absence de débats publics (Varela Assalino c. Portugal (déc.), no 64336/01, 25 avril 2002). Ainsi, l’absence de débats publics en deuxième ou troisième instance peut être justifiée par les caractéristiques de la procédure dont il s’agit, pourvu qu’il y ait eu audience publique en première instance.

33. Dans la présente affaire, la Cour note d’emblée que le requérant bénéficia d’une « audience publique » en première et seconde instance devant des juridictions jouissant de la plénitude de juridiction. Elle constate ensuite que le Conseil d’Etat, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, décida de « régler l’affaire au fond » de sorte que, d’un point de vue juridique, il assuma un rôle de juge d’appel pouvant connaître des faits et du droit de l’affaire qui lui était soumise. Eu égard à l’étendue de ces pouvoirs, l’on pourrait considérer que l’article 6 § 1 de la Convention commandait la tenue d’une audience publique à laquelle le requérant pût assister. Toutefois, la Convention ne visant pas à protéger des droits purement théoriques ou illusoires (voir, parmi d’autres, a contrario, Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, § 33 ; voir également Stepinska c. France, no 1814/02, § 18, 15 juin 2004), il reste à examiner la manière dont les intérêts du requérant furent réellement exposés et protégés devant le Conseil d’Etat et à savoir, surtout, si la nature des questions à trancher exigeait en l’espèce la tenue de nouveaux débats publics devant lui.

34. Or, aux yeux de la Cour, la procédure litigieuse ne soulevait aucune question qui ne pût se résoudre de manière adéquate sur la base du dossier. En effet, il ressort des faits de l’espèce que seule était en cause l’interprétation des dispositions pertinentes du droit interne, les faits de la cause étant déjà établis et non controuvés. La Cour note d’ailleurs que le requérant ne contesta à aucun moment de la procédure la version des faits présentée par la partie adverse, de sorte que le Conseil d’Etat n’était pas appelé à décider sur des faits controversés, mais uniquement sur des questions de droit national qui portaient, d’une part, sur la validité de la donation effectuée par la tante du requérant à l’association cultuelle Fraternité Sacerdotale Saint Pie X en application de l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’Etat, d’autre part sur les articles 7 et 8 de la loi des 4 février 1901 et 8 juillet 1941 concernant la tutelle administrative en matière de dons et legs, les libéralités testamentaires et entre vifs destinées à l’accomplissement de leur objet ou grevées de charges pieuses ou cultuelles et, enfin, l’absence d’obligation réglementaire imposant au préfet saisi d’une demande d’autorisation d’une donation à une association cultuelle d’informer les membres de la famille du donateur.

35. Dans ces conditions, la Cour estime que le différend à traiter en l’espèce se prêtait mieux à des écritures qu’à de nouvelles plaidoiries et qu’un examen de l’affaire, sur la base du dossier et des observations orales présentées lors de l’audience du 3 avril 2002, pouvait suffire (voir Varela Assalino c. Portugal (déc.), no 64336/01, 25 avril 2002). La Cour souligne à cet égard que le requérant n’a apporté aucun élément de nature à la convaincre que seule une nouvelle phase orale pouvait assurer le caractère équitable de la procédure (Varela Assalino c. Portugal précitée).

Elle note enfin que, sous couvert de réclamer une nouvelle audience publique, ce que le requérant conteste en réalité, c’est le principe de la possibilité pour le Conseil d’Etat de régler lui-même l’affaire au fond après avoir cassé une décision juridictionnelle rendue en dernier ressort, possibilité que lui offre l’article L.821-2 du code de justice administrative (voir §§ 15 et 33 ci-dessus). Or cette procédure, qui vise des impératifs de célérité et de bonne administration de la justice, auxquels la Cour est attachée (voir mutatis mutandis Schuler-Zgraggen c. Suisse, série A-263), serait dans la pratique rendue inopérante par l’obligation de convoquer une nouvelle audience publique, alors même que, en l’espèce, l’affaire a bénéficié de trois audiences publiques, en première instance, en appel et devant le Conseil d’Etat lui-même.

36. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

B. Sur le grief tiré du manque d’impartialité du Conseil d’Etat

37. Toujours sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du manque d’impartialité de la Haute juridiction aux motifs, d’une part, que l’arrêt du 29 avril 2002 ne contient pas les mentions relatives aux noms des juges ayant participé au délibéré ni celles relatives aux visas des mémoires et des pièces du dossier et, d’autre part, que le rapporteur, M. Herondart, a eu à connaître de l’affaire dans la mesure où la commission d’accès aux documents administratifs dont il est membre refusa de lui donner accès au dossier médical de sa tante.

Sur la recevabilité de ce grief

38. La Cour rappelle que l’impartialité au sens de l’article 6 § 1 de la Convention s’apprécie selon une double démarche : la première consiste à essayer de déterminer la conviction personnelle de tel ou tel juge en telle occasion ; la seconde amène à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Gautrin et autres c. France, arrêt du 20 mai 1998, Recueil 1998-III, pp. 1030-1031, § 58).

39. Quant à la première démarche, l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (voir, par exemple, Padovani c. Italie, arrêt du 26 février 1993, série A no 257-B, p. 20, § 26).

40. Quant à la seconde démarche, elle conduit à se demander, lorsqu’une juridiction collégiale est en cause, si, indépendamment de l’attitude personnelle de l’un de ses membres, certains faits vérifiables autorisent à mettre en question l’impartialité de celle-ci. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une espèce donnée, d’une raison légitime de craindre d’une juridiction un défaut d’impartialité, le point de vue de l’intéressé entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de celui-ci peuvent passer pour objectivement justifiées (Gautrin et autres précité, loc. cit.).

41. S’agissant de la première branche du grief, la Cour constate que, contrairement à ce que soutient le requérant, la minute de l’arrêt du Conseil d’Etat en cause, en page cinq, contient les mentions relatives aux noms des juges ayant siégé lors du délibéré des séances des 3 et 29 avril 2002 ainsi que celles relatives aux visas des mémoires et des pièces du dossier. S’agissant de la seconde branche du grief, il ne ressort d’aucune pièce du dossier que le rapporteur ait eu à connaître de l’affaire auparavant, si tant est que cela puisse poser un problème.

Il s’ensuit que cette partie de la requête, manquant en fait, doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

C. Sur le grief tiré de l’inégalité de traitement devant les juridictions administratives

42. Enfin, sur le même fondement de la Convention, le requérant se plaint d’une inégalité de traitement. Il dénonce la violation du principe d’impartialité au motif qu’il fut condamné au paiement d’une somme en application de l’article L. 761-1 du code de la juridiction administrative, alors que l’association, qui avaient succombé dans ses prétentions devant les juridictions de première puis de seconde instance, ne fut jamais condamnée à payer aucune indemnité.

Sur la recevabilité de ce grief

43. La Cour, compte tenu des éléments en sa possession et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

44. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

45. Le requérant, qui s’estime spolié, ne chiffre pas les dommages matériel et moral qu’il aurait subis.

46. Le Gouvernement observe que le requérant ne précise pas la nature de son préjudice et ne met en évidence aucun lien de causalité. Il soutient que le constat de la violation de l’article 6 de la Convention constituerait, le cas échéant, une satisfaction équitable.

47. La Cour n’aperçoit en tout état de cause aucun lien de causalité entre la violation constatée et un éventuel préjudice matériel qu’aurait subi le requérant, et rejette en conséquence cette demande. S’agissant d’un éventuel dommage moral, la Cour l’estime suffisamment réparé par le constat de violation auquel elle parvient.

B. Frais et dépens

48. Le requérant demande également 5 469,87 EUR au titre des frais et dépens encourus devant la Cour. Il produit deux notes d’honoraires de son conseil en date du 8 novembre 2002 : l’une intitulée « Rédaction lettre exposant griefs et rédaction de la requête pour saisine de la Cour Européenne des droits de l’Homme » à hauteur de 1 823,29 EUR, et l’autre intitulée « Dossier P. Poulain de Saint Père c. La fraternité Sacerdotale Saint Pie X » d’un montant de 3 646,58 EUR.

49. Le Gouvernement relève que seule la facture de 1 823,29 EUR mentionne le contentieux devant la Cour. Il estime que cette somme apparaît excessive au regard des prestations offertes par le conseil du requérant, qui s’est limité à remplir le formulaire de requête et rédiger des courriers demandant des délais à la Cour sous prétexte de la mauvaise santé de son client, sans jamais produire d’observations sur le fond. Il conclut dès lors au versement au requérant des seuls frais exposés devant la Cour, dûment justifiés et dans la limite de 1 823,29 EUR, s’en remettant à la Cour pour apprécier le caractère raisonnable de leur montant.

50. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour constate, avec le Gouvernement, que seule la facture mentionnant la procédure devant elle est pertinente. Ceci étant dit, la Cour estime que la somme de 1 823,29 EUR lui apparaît excessive, au vu des griefs soulevés et de la diligence du conseil du requérant. Statuant en équité, elle estime raisonnable d’allouer la somme de 1 500 EUR au requérant pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

C. Intérêts moratoires

51. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’iniquité de l’instance devant le Conseil d’Etat en raison de la participation du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement, de l’impossibilité de répondre utilement aux conclusions de ce magistrat, et de l’absence d’audience publique, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la présence du commissaire du gouvernement lors du délibéré de la formation de jugement ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 en ce qui concerne le grief tiré de l’impossibilité de répondre utilement aux conclusions du commissaire du gouvernement ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 en ce qui concerne le grief tiré de l’absence d’audience publique ;

5. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

6. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;


b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 novembre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Naismith A.B. Baka
Greffier adjoint Président