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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
11.12.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 26890/03
présentée par Yosif Vladimirov PETROV
contre la Bulgarie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquième section), siégeant le 11 décembre 2006 en une chambre composée de :

M. P. Lorenzen, président,
Mme S. Botoucharova,
M. V. Butkevych,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. R. Maruste,
J. Borrego Borrego,
Mme R. Jaeger, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 7 août 2003,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Yosif Vladimirov Petrov, est un ressortissant bulgare, né en 1946 et résidant à Sofia.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

En 1961, à une date non communiquée, des poursuites pénales pour espionnage furent ouvertes contre le père du requérant. Pendant l’enquête, les autorités découvrirent quatre cent deux pièces d’or enterrées dans la cour de la maison de l’inculpé et les saisirent.

Par un jugement du 28 septembre 1961, le tribunal de la ville de Sofia reconnut le père du requérant coupable d’espionnage au profit d’un état étranger et le condamna à dix ans de réclusion criminelle. Dans le même jugement, le tribunal ordonna la confiscation des pièces d’or retrouvées pendant l’enquête. Le jugement fut confirmé par un arrêt de la Cour suprême du 28 novembre 1961. Il ressort des pièces du dossier que le père du requérant purgea sa peine et fut libéré en 1966.

En 1993, à une date non communiquée, le père du requérant saisit la Cour suprême d’un recours en révision (преглед по реда на надзора) de la condamnation de 1961.

Par un arrêt du 2 août 1993, la Cour suprême annula la condamnation d’espionnage et l’acquitta.

Le 23 mai 1995, le père du requérant saisit le tribunal de la ville de Sofia d’une action en dommages et intérêts conformément aux dispositions de la loi sur la responsabilité de l’Etat pour les dommages causées aux particuliers. Il demanda, entre autres, la somme de 2 100 000 levs bulgares à titre de dédommagement pour la confiscation des pièces de monnaie en cause.

A l’audience du 2 octobre 1995, le tribunal ordonna une expertise comptable et une expertise numismatique et demanda d’office le dossier pénal de 1961 des archives du tribunal. L’audience fut ajournée au 12 février 1996.

A l’audience du 12 février 1996, le tribunal ordonna un complément de l’expertise comptable et demanda encore une fois aux archives le dossier pénal de 1961. L’audience fut reportée au 10 juin 1996.

A l’audience du 10 juin 1996, l’expert comptable présenta son complément d’expertise et le tribunal interrogea l’épouse du demandeur. Le dossier pénal n’ayant toujours pas été présenté, le tribunal ajourna l’audience au 14 octobre 1996.

L’audience du 14 octobre 1996 fut ajournée à cause du défaut de citation à comparaître du ministère des Finances.

A l’audience du 17 février 1997, le tribunal ordonna un complément d’expertise à l’expert numismate.

Le 16 juin 1997, le tribunal recueillit le complément d’expertise et les avocats du père du requérant revirent à la hausse la somme du dédommagement requis. Le tribunal demanda encore une fois d’office la présentation du dossier pénal de 1961.

Les audiences du 8 décembre 1997, du 16 février et du 1er juin 1998 furent ajournées car le dossier pénal demandé n’était toujours pas présenté au tribunal.

A l’audience du 6 octobre 1998, le tribunal constata que le demandeur avait présenté une preuve écrite que les autres parties ne connaissaient pas et ajourna l’examen de l’affaire au 9 février 1999 pour permettre aux autres participants au procès de présenter leurs observations sur ledit document.

L’audience du 9 février 1999 fut ajournée à cause du défaut de citation à comparaître du ministère des Finances.

Le 11 mai 1999, le tribunal de la ville de Sofia entendit les plaidoiries des parties et déclara qu’il se prononcerait par un jugement dans le délai prévu par la législation.

Le 18 mai 1999, le tribunal constata que le dossier du procès pénal de 1961 avait été retrouvé et fixa la date de l’audience suivante pour le 26 octobre 1999 pour permettre aux parties de prendre connaissance des documents du dossier.

Par un jugement du 15 décembre 1999, le tribunal de la ville de Sofia condamna le parquet de la République de Bulgarie à payer à titre de dommages et intérêts la somme de 305,23 nouveaux levs bulgares (BGN) pour la condamnation du demandeur et son incarcération. En ce qui concernait les pièces d’or, le tribunal constata que le père du requérant les avait héritées de sa mère et condamna le parquet et le ministère de l’Intérieur à lui verser la somme de 2 638,10 BGN à titre de dommages et intérêts.

Le père du requérant interjeta appel en dénonçant le faible montant du dédommagement accordé. Le parquet interjeta également appel.

La cour d’appel de Sofia tint deux audiences – le 2 octobre et le 13 novembre 2000, et délivra son jugement le 16 novembre 2000. La cour d’appel confirma le jugement de la première instance en ce qu’il concernait le dédommagement pour la condamnation et l’incarcération du demandeur, mais l’infirma dans la partie relative à la confiscation des pièces d’or. La juridiction d’appel motiva sa décision comme suit :

« (...) Il ressort des pièces du dossier qu’il n’existe pas de preuve certaine pour le droit de propriété du plaignant sur les quatre cent deux pièces d’or retrouvées dans son terrain et décrites dans le procès-verbal de saisie. De telles preuves n’ont pas été présentées pendant la procédure.

La condamnation (du plaignant) n’est pas en mesure de servir de preuve pour le droit de propriété du plaignant sur lesdites pièces de monnaie car, en premier lieu, elle a été annulée et, deuxièmement, une condamnation pénale (...) ne prouve pas à elle seule le fait que les biens confisqués font partie du patrimoine du condamné.

Il en ressort que, n’ayant pas prouvé son droit de propriété allégué sur les pièces d’or, le plaignant n’a pas prouvé l’existence du dommage prétendu. »

Le 12 janvier 2001, le père du requérant se pourvut en cassation. Il fut cité à comparaître le 24 avril 2002 devant la Cour suprême de cassation (CSC) par le biais d’une publication au Journal officiel du 26 février 2002.

Le père du requérant décéda le 16 octobre 2001 et laissa deux héritiers – son épouse et le requérant.

A l’audience du 24 avril 2002, les avocats du père du requérant présentèrent à la CSC le certificat de son décès. La haute juridiction suspendit la procédure afin de permettre aux héritiers de se constituer parties à la procédure, ce qu’ils firent quelque temps plus tard.

L’audience suivante eut lieu le 9 octobre 2002. Par un arrêt du 6 novembre 2002, la CSC confirma le jugement de l’instance d’appel dans la partie concernant les pièces d’or en reprenant les mêmes motifs. Il semble que le texte de l’arrêt fut déposé dans le dossier peu après cette date.

Aux dires du requérant, il se munit d’une copie de l’arrêt le 12 juin 2003.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

L’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’Etat pour les dommages causés aux particuliers, dans sa rédaction à l’époque des faits, se lisait ainsi :

Article 2

« L’Etat est responsable des dommages causés aux particuliers par les organes d’enquête policière et de l’instruction, du parquet, des tribunaux et des juridictions non judiciaires en cas de :

(...)

2. Poursuites pénales illicites si l’inculpé a été acquitté par la suite (...) »

La confiscation des biens du condamné, qui fait partie du système des peines du droit pénal bulgare, était prévue par l’article 22 du Code pénal de 1951 ; elle est actuellement régie par l’article 44 du Code pénal de 1968 (CP). Selon la jurisprudence constante des juridictions internes, un tribunal pénal ne peut ordonner la confiscation d’un bien que si ce bien fait partie du patrimoine du condamné. Pour cette raison, le tribunal est tenu d’établir pendant la procédure et sur la base des preuves recueillies quels sont les biens appartenant à l’inculpé (решение № 533 от 25.10.1956 г. по н.д. № 2730/1956 г. на ІІІ н.о.; решение № 74 от 05.02.1957 г. по н.д. № 75/1957 г. на ІІІ н.о.; решение № 34 от 29.06.1988 г, ОСНК на ВС ; решение № 16 от 14.02.1989 г. по н.д. № 3/1989 г, ОСНК на ВС ; решение № 26 от 19.07.1990 г. по н.д. № 643/1990 г, І н.о.).

L’article 222 du Code de procédure civile (CPC) régit la force probante des conclusions des juridictions pénales dans le cadre d’un procès civil relatif aux mêmes faits que la condamnation. Selon cette disposition les juridictions civiles sont tenues de respecter les condamnations prononcées par les juridictions pénales en ce qu’elles concernent la commission des faits et la culpabilité du prévenu.

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée excessive de la procédure civile.

2. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint que les jugements des juridictions internes concernant le dédommagement pour la confiscation des pièces d’or sont erronés.

3. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint que les juridictions internes l’ont privé du dédommagement qu’il aurait dû obtenir pour la confiscation des pièces d’or de son père.

EN DROIT

1. Le requérant allègue que l’action en dommages et intérêts introduite par son père n’a pas été examinée dans un « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention qui se lit comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. Le requérant allègue que le refus des tribunaux internes à lui octroyer un dédommagement pour les pièces d’or confisquées n’est pas conforme à la législation interne et s’analyse en une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Il prétend que le procès n’a pas été équitable car les tribunaux ont privilégié les arguments de la partie adverse. La partie pertinente dudit article est libellée ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, le procès équitable exige l’observation du principe de « l’égalité des armes » qui se traduit par l’obligation d’offrir à chaque partie au litige une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1993, série A no 274, p. 14, § 33).

En l’occurrence, il ressort des pièces du dossier que le demandeur a été représenté devant les juridictions internes par deux avocats et, par conséquent, a pu participer effectivement dans la procédure en dommages et intérêts. Ses avocats ont présenté des preuves, ont convoqué un témoin, ont pris connaissance des preuves présentées par la partie adverse et ont exposé leurs arguments. Les tribunaux ont exigé et obtenu le dossier pénal de 1961 et les parties ont eu suffisamment de temps pour prendre connaissance des documents du dossier et présenter leurs observations. Rien en l’occurrence n’indique que le requérant ait été placé dans une situation de net désavantage par rapport à la partie adverse au cours de l’examen de sa cause devant les tribunaux internes.

En ce qu’il s’agit des allégations du requérant selon lesquelles les tribunaux internes auraient interprété de manière erronée les dispositions de la législation interne et n’ont pas correctement établi les faits de la cause, la Cour rappelle que c’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne et qu’elle ne substituera pas sa propre appréciation des faits et du droit à la leur en l’absence d’arbitraire (Martinez-Lopes c. Espagne, no 51734/99, § 35, 16 novembre 2004).

De surcroît, le jugement de la cour d’appel de Sofia et l’arrêt de la CSC, que le requérant dénonce, ont été amplement motivés.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Le requérant considère que le refus des tribunaux internes de lui octroyer un dédommagement pour les pièces d’or confisquées en 1961 constitue une privation de bien contraire à l’article 1 du Protocole no 1, qui se lit comme suit :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 ne peut être invoqué par un requérant que dans la mesure où un « bien » lui appartenant se trouve en cause. La notion de « bien » inclut tant les « biens actuels » que les valeurs patrimoniales, telles que les créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35, CEDH 2004IX).

De même, une créance ne peut être qualifiée de « valeur patrimoniale » tombant sous le coup de l’article 1 du Protocole no 1 tant que celle-ci n’est pas suffisamment établie, par exemple, par une jurisprudence constante des juridictions internes (affaire Kopecký précitée, § 52).

Dans le cas d’espèce, le père du requérant a introduit une action en dédommagement contre l’Etat et a demandé l’équivalent des pièces de monnaies confisquées en 1961. Le recours en cause reposait sur les dispositions de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’Etat pour les dommages causés aux particuliers. Dans le cadre de la procédure en dédommagement, il incombait au demandeur de prouver l’existence d’un dommage et le lien de causalité entre ce dommage et la faute des juridictions pénales de l’Etat bulgare commise en 1961, cette dernière ayant été constatée par la Cour suprême en 1993. Or, les preuves engagées par la partie demanderesse n’ont pas été jugées suffisantes par la cour d’appel de Sofia et par la Cour suprême de cassation pour prouver l’appartenance des pièces d’or confisquées au requérant. La condamnation de 1961, même avant son annulation, n’avait pas de force probante obligatoire pour les juridictions civiles en ce qu’elle concernait l’appartenance des pièces de monnaie en cause (voir l’article 222 CPC).

Il en ressort qu’au moment de l’introduction de l’action devant la première instance, la créance en cause n’était pas suffisamment établie et certaine car il existait un doute sur l’existence d’un dommage matériel consistant en la privation du père du requérant d’une partie de son patrimoine. Même si le jugement du 15 décembre 1999 du tribunal de la ville de Sofia avait reconnu au père du requérant le droit de propriété sur les biens confisqués, ce jugement a été infirmé par la suite par deux juridictions supérieures qui se sont amplement motivées (voir l’affaire Kopecký précitée, § 59).

Il s’ensuit qu’à aucun moment de la procédure en cause, ni le requérant, ni son père, n’avaient une « valeur patrimoniale » suffisamment établie pour être considérée comme un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1.

Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen du grief du requérant tiré de l’article 6 § 1, relatif à la durée de la procédure civile ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président