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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
7.12.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 70456/01
présentée par Leulmi SAYOUD
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 7 décembre 2006 en une chambre composée de :

MM. C.L. Rozakis, président,
L. Loucaides,
J.-P. Costa,
Mmes F. Tulkens,
N. Vajić,
MM. D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 5 juillet 2000,

Vu la décision partielle du 1er avril 2004,

Vu les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Leulmi Sayoud, est né en 1950 en Algérie. Il est représenté devant la Cour par Me Abdelbaki Bouzidi, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme E. Belliard, Directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1. Evénements antérieurs à la date d’introduction de la requête

Le requérant est arrivé en France en 1965.

Le 10 juin 1998, la compagne du requérant, Mme M., avisa les services de police qu’il entreposait dans leur domicile une quantité importante de résine de cannabis. Deux fonctionnaires de police se présentèrent le même jour au domicile du couple ; Mme M. leur remit un sac contenant plus de 7 kg de résine de cannabis, leur indiqua que le requérant avait entreposé de tels sacs dans l’appartement à deux autres reprises et qu’il était aux Pays-Bas mais reviendrait le lendemain.

Le 11 juin 1998, le requérant fut interpellé et placé en garde à vue. Il semble qu’une perquisition fut ensuite effectuée (le même jour) au domicile du couple, en la présence de Mme M. et des deux enfants mineurs du couple ; 4 000 FRF en liquide, 250 g de résine de cannabis et un revolver furent saisis à cette occasion. Le 13 juin 1998, le requérant fut mis en examen pour infractions à la législation sur les stupéfiants et placé en détention provisoire.

Le 9 mai 2000, le juge d’instruction ordonna le renvoi du requérant et de treize autres personnes devant les juridictions de jugement. Le 7 juillet 2000, le tribunal correctionnel de Reims condamna le requérant à 6 ans d’emprisonnement ferme pour acquisition, détention, transport et offre ou cession non autorisés de stupéfiants, et (solidairement avec l’un de ses co-prévenus) à une amende douanière de 1 500 000 FRF.

Par un arrêt du 29 novembre 2000, la cour d’appel de Reims confirma la peine et l’amende douanière prononcées contre le requérant en première instance. Elle releva en particulier que le requérant avait été découvert en possession de plusieurs dizaines de kilos de résine de cannabis et qu’il avait été mis en cause pour des activités de revente de cette substance par plusieurs personnes, dont trois de ses co-prévenus ainsi que sa concubine.

En outre, la cour d’appel prononça à l’encontre du requérant une interdiction du territoire national durant cinq ans. Sur ce point, l’arrêt est ainsi motivé :

« (...) eu égard à la gravité des infractions en cause, commises de façon délibérée et portant sur plus de 180 kg de résine de cannabis, une interdiction du territoire national pendant cinq ans, destinée à faire comprendre au condamné, lequel, de nationalité algérienne – ne justifiant d’ailleurs pas de ce qu’il courrait personnellement un danger à retourner dans son pays, dont il n’a cessé de parler la langue et où ses parents sont enterrés – ne s’est aucunement soucié, en délinquant comme il l’a fait, du sort des enfants nés en France de ses relations avec sa concubine ».

Le pourvoi formé par le requérant fut rejeté par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 5 décembre 2001. Le requérant soutenait notamment que la mesure d’interdiction du territoire national emportait violation de l’article 8 de la Convention ; la Cour de cassation rejeta ce moyen par le motif suivant :

« Attendu que, pour condamner [le requérant] à 5 ans d’interdiction du territoire nationale, la cour d’appel relève que (...) ; Attendu qu’en l’état de ces motifs, relevant de son pouvoir souverain d’appréciation, la cour d’appel a justifié sa décision au regard de l’article 131-30 du code pénale, sans méconnaître les dispositions de l’article 8 de la Convention ».

Détenu à la maison d’arrêt de Reims à partir du 13 juin 1998, le requérant fut par la suite transféré à celle de Chalons en Champagne.

Le 6 octobre 2000, le requérant envoya au directeur régional des services pénitentiaires de Dijon, autorité hiérarchique, une réclamation dans laquelle il dénonçait l’ouverture du courrier que lui adressait la Cour. Il lui fut répondu le 23 octobre 2000 qu’un tel courrier avait été effectivement ouvert par erreur.

2. Evénements postérieurs à la date d’introduction de la requête

Le 29 novembre 2002, en exécution de la peine d’interdiction du territoire prononcée contre lui, le requérant fut mis dans un avion à destination d’Alger.

Par une décision du 20 janvier 2005, statuant sur une demande du requérant du 28 octobre 2004, le parquet général de la cour d’appel de Reims déclara le requérant relevé de plein droit de la peine complémentaire d’interdiction du territoire prononcée contre lui. Fondée sur l’article 86 de la loi no 2003-1119 du 26 novembre 2003, relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, cette décision est ainsi motivée :

« (...) Les renseignements donnés le 19 janvier 2005 par le Bureau de la Nationalité de la Préfecture de la Marne confirment la délivrance de titres de séjour depuis 1969 au requérant qui a résidé successivement [adresses].

Dès lors, M. Sayoud, qui résidait régulièrement en France depuis plus de vingt ans à la date du prononcé de la peine, remplit les conditions pour bénéficier des dispositions de cet article et se trouve donc relevé de plein droit de la peine complémentaire d’interdiction du territoire français. »

Le 7 avril 2005, l’avocat du requérant a informé la Cour que, nonobstant la décision du 20 janvier 2005, le requérant n’a pu revenir en France, ses demandes de visa ayant été rejetées. Le 8 avril 2005 puis le 2 juin 2005, le Greffe a invité le Gouvernement à clarifier ce point ; il n’a cependant pas donné suite.

Le 13 octobre 2005, la chambre a décidé, en vertu de l’article 54 § 2 c) du règlement de la Cour, d’inviter les parties à préciser notamment si le requérant a reçu notification de la décision de relèvement du 20 janvier 2005 et s’il a pu revenir en France sur le fondement de cette disposition et y obtenir un titre de séjour.

En réponse, le 16 décembre 2005, la Gouvernement a confirmé que la décision de relèvement avait été notifiée au requérant le 5 février 2005, à son adresse en Algérie, et que mention de celle-ci avait été portée en marge de l’arrêt du 29 novembre 2000 et figurait à son casier judiciaire. Il précisait qu’il résulte de l’article L. 541-4 du code de l’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile, que la délivrance d’un visa à des étrangers résidants hors de France qui ont bénéficié d’un relèvement d’une peine d’interdiction n’est pas de droit : l’autorité administrative se réserve la faculté de la refuser dans l’hypothèse où l’intéressé représente une menace pour l’ordre public. Il ajoutait cependant que « des instructions [avaient] été données aux services concernés afin que M. Sayoud obtienne un visa l’autorisant à revenir en France où il sera autorisé à s’établir sous couvert d’un titre de séjour ».

Les 1er novembre et 19 décembre 2005 et 13 février 2006, le requérant et son conseil ont informé la Cour que les demandes de visas adressées par ce dernier au Consulat général de France d’Annaba en Algérie avaient été rejetées, nonobstant la production d’une copie de la décision de relèvement.

Le 17 mars 2006, se référant à la lettre du Gouvernement du 16 décembre 2005 ainsi qu’à celle du requérant du 13 février 2006, le juge rapporteur a invité le conseil du requérant à préciser si l’intéressé avait désormais reçu une réponse positive à ses demandes de visa. Ledit conseil a répondu le 27 mars 2006 par la négative. Le Greffier de la Section a alors, le 29 mars 2006, invité le Gouvernement à fournir des explications. En réponse, le 6 avril 2006, le Gouvernement a confirmé les termes de sa lettre du 16 décembre 2006 ; il déclarait par ailleurs qu’il « regrett[ait] les délais d’instruction de [l]a demande [de visa formulée par le requérant], justifiés par la nécessité d’un examen particulièrement attentif » et qu’ « il [était] toutefois en mesure de porter à la connaissance de la Cour que le visa de M. Sayoud devrait lui être délivré, au plus tard, d’ici quinze jours ».

Entre-temps, par un courrier du 4 avril 2006, le requérant avait précisé que, nonobstant ses demandes répétées, il n’avait toujours pas obtenu de visa.

Le 13 juillet 2006, le juge rapporteur a invité les parties à préciser si le requérant avait pu recevoir un visa pour la France et y obtenir un titre de séjour. Le Gouvernement a répondu le 21 juillet 2006 qu’un « visa C de trente jours a été délivré à M. Sayoud le 17 avril 2006 » ; il ajoutait ce qui suit :

« (...) le Gouvernement n’est, à ce stade, pas en mesure d’informer la Cour sur l’état de la procédure de délivrance d’un titre de séjour à M. Sayoud et sur son retour sur le territoire français. Il serait sans doute plus aisé à l’intéressé de fournir à la Cour des précisions sur ce point, ce qui permettrait en outre aux autorités françaises de prendre connaissance de son département de résidence afin de pouvoir donner des instructions adéquates à la préfecture concernée par sa demande ».

Le 5 septembre 2006, l’avocat du requérant a confirmé que ce dernier a obtenu – « dans des conditions très difficiles » – un visa de trente jours et a précisé qu’il est entré en France au mois de mai 2006. Il ajoute que, le 9 mai 2006, la Préfecture de la Marne a délivré à son client un titre de séjour provisoire valable jusqu’au 8 août 2006, puis, à cette dernière date, un autre titre de séjour provisoire valable jusqu’au 7 novembre 2006. Il souligne en particulier qu’avant son expulsion, le requérant bénéficiait d’un titre de séjour d’une durée de dix ans.

Le 24 novembre 2006, l’avocat du requérant a informé la Cour que son client a obtenu un « certificat de nationalité » puis une carte nationale d’identité, délivrée le 20 octobre 2006 par la sous-préfecture de Reims.

Etabli le 9 octobre 2006 par le greffier en chef du tribunal d’instance de Reims, le « certificat de nationalité » est ainsi libellé :

« Le greffier en chef certifie sur le vu des pièces suivantes :

(...) Que M. Sayoud Leulmi (...)

EST FRANÇAIS, en application des dispositions de l’article 17-1o du code de la nationalité française, rédaction de l’ordonnance no 45-2441 du 19 octobre 1945 et des dispositions de l’article 153-1o du code de la nationalité française, rédaction de la loi n0 60-752 du 28 juillet 1960 et de l’ordonnance no 62-825 du 21 juillet 1962.

En effet, la filiation de l’intéressé est établie d’un père lui-même Français en sa qualité d’originaire de l’Algérie.

L’intéressé A CONSERVE DE PLEIN DROIT LA NATIONALITE FRANCAISE lors de l’accession à l’indépendance de l’Algérie, le 03 juillet 1962, par l’effet collectif attaché à la déclaration en vue de se faire reconnaître la Nationalité Française, en application de l’article 2 de l’Ordonnance no 62-825 du 21 juillet 1962, souscrite par son père (...) le 15 janvier 1963 devant le tribunal d’instance d’Uzes, Gard, régulièrement enregistrée par le Ministère chargé de la Naturalisation le 28 mars 1963 (...), alors qu’il était mineur de 18 ans et non marié.

Il a été vérifié que l’intéressé n’a pas été libéré des liens d’allégeance à l’égard de la France.

( ...) ».

B. Le droit interne pertinent

1. La loi no 2003-1119 du 26 novembre 2003, relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité

La loi no 2003-1119 du 26 novembre 2003, relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, a inséré dans le code pénal, un article 131-30-2 ainsi libellé :

« La peine d’interdiction du territoire français ne peut être prononcée lorsqu’est en cause :

1º Un étranger qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ;

2º Un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;

3º Un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, à condition que ce mariage soit antérieur aux faits ayant entraîné sa condamnation et que la communauté de vie n’ait pas cessé ou, sous les mêmes conditions, avec un ressortissant étranger relevant du 1º ;

4º Un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ;

5º Un étranger qui réside en France sous couvert du titre de séjour prévu par le 11º de l’article 12 bis de l’ordonnance nº 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.

Les dispositions prévues au 3º et au 4º ne sont toutefois pas applicables lorsque les faits à l’origine de la condamnation ont été commis à l’encontre du conjoint ou des enfants de l’étranger.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par les chapitres Ier, II et IV du titre Ier du livre IV et par les articles 413-1 à 413-4, 413-10 et 413-11, ni aux actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV, ni aux infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous prévues par les articles 431-14 à 431-17, ni aux infractions en matière de fausse monnaie prévues aux articles 442-1 à 442-4. »

Aux termes de l’article 86 de cette même loi :

I. - Par dérogation aux dispositions de l’article 28 quater de l’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France et sans préjudice de l’article 702-1 du code de procédure pénale, s’il en fait la demande avant le 31 décembre 2004, tout étranger justifiant qu’il résidait habituellement en France avant le 30 avril 2003 et ayant été condamné postérieurement au 1er mars 1994, par décision devenue définitive, à la peine complémentaire d’interdiction du territoire français, est relevé de plein droit de cette peine, s’il entre dans l’une des catégories suivantes :

1o Il résidait habituellement en France depuis au plus l’âge de treize ans à la date du prononcé de la peine ;

2o Il résidait régulièrement en France depuis plus de vingt ans à la date du prononcé de la peine ;

3o Il résidait régulièrement en France depuis plus de dix ans à la date du prononcé de la peine et, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française ou avec un ressortissant étranger qui réside habituellement en France depuis au plus l’âge de treize ans, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé ;

4o Il résidait régulièrement en France depuis plus de dix ans à la date du prononcé de la peine et, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil, cette condition devant être remplie depuis la naissance de ce dernier ou depuis un an.

Il n’y a pas de relèvement lorsque les faits à l’origine de la condamnation sont ceux qui sont visés au dernier alinéa de l’article 131-30-2 du code pénal. Il en est de même lorsque l’étranger relève des catégories visées aux 3o ou 4o et que les faits en cause ont été commis à l’encontre du conjoint ou des enfants de l’étranger.

La demande ne peut davantage être admise si la peine d’interdiction du territoire français est réputée non avenue.

La demande est portée, suivant le cas, devant le procureur de la République ou le procureur général de la juridiction qui a prononcé la condamnation ou, en cas de pluralité de condamnations, de la dernière juridiction qui a statué.

Si le représentant du ministère public estime que la demande répond aux conditions fixées par le présent article, il fait procéder à la mention du relèvement en marge du jugement ou de l’arrêt de condamnation et en informe le casier judiciaire national automatisé. Il fait également procéder, s’il y a lieu, à l’effacement de la mention de cette peine au fichier des personnes recherchées. Il informe le demandeur, par lettre recommandée avec avis de réception à l’adresse qu’il a fournie lors du dépôt de la demande, du sens de la décision prise.

Tous incidents relatifs à la mise en oeuvre des dispositions prévues aux alinéas précédents sont portés devant le tribunal ou la cour qui a prononcé la sentence qui statue dans les conditions prévues par l’article 711 du code de procédure pénale. A peine d’irrecevabilité, le demandeur doit saisir le tribunal ou la cour dans un délai de dix jours à compter de la notification de la lettre visée à l’alinéa précédent.

(...)

III. - La carte de séjour temporaire visée à l’article 12 bis de l’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 précitée est délivrée de plein droit, à sa demande, à l’étranger qui a été relevé de l’interdiction du territoire français dont il faisait l’objet (...) dans les conditions prévues par le I (...) du présent article.

(...) »

  1. La correspondance des détenus avec la Cour, ses membres ou son greffe

Les articles pertinents du code de procédure pénale sont ainsi rédigés :

Article D. 262

« Les détenus peuvent, à tout moment, adresser des lettres aux autorités administratives et judiciaires françaises dont la liste est fixée par le ministre de la justice.

Ces lettres peuvent être remises sous pli fermé et échappent alors à tout contrôle ; aucun retard ne doit être apporté à leur envoi.

Elles font l’objet d’un enregistrement, tant à l’arrivée qu’au départ, sur le registre prévu à cet effet, tenu sous la responsabilité du chef d’établissement. »

Article A. 40

« La liste des autorités administratives et judiciaires avec lesquelles les détenus peuvent correspondre sous pli fermé, en application de l’article D. 262, est fixée comme suit :

(...)

IV. - Doivent être assimilés aux autorités françaises :

Le président de la Cour européenne des droits de l’homme ;

Le greffe de la Cour européenne des droits de l’homme ;

Tous membres de la Cour européenne des droits de l’homme ;

(...). »

GRIEFS

1. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant soutient que la peine d’interdiction du territoire prononcée contre lui porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

2. Invoquant ce même article, il affirme dans sa requête que les courriers qui lui ont été adressés par la Cour alors qu’il était en détention ont été systématiquement ouverts par l’administration pénitentiaire. Il en aurait vainement avisé ladite administration et aurait déposé une plainte devant le Procureur, laquelle aurait été classée sans suite.

EN DROIT

1. Le requérant soutient que la peine d’interdiction du territoire prononcée contre lui porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il invoque l’article 8 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Le Gouvernement soutient à titre principal, que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, dès lors qu’il n’a pas, avant de s’adresser à la Cour, saisi les juridictions internes sur le fondement des articles 702-1 et 703 du code de procédure pénale d’une demande en relèvement de la peine d’interdiction du territoire prononcée contre lui. Il se réfère à cet égard à la décision de la Cour du 15 novembre 2001 dans l’affaire Karagoz c. France (no 47531/99).

Ensuite, le Gouvernement souligne que le requérant a demandé, le 28 octobre 2004, à bénéficier des dispositions de l’article 86 de la loi du 26 novembre 2003 puis obtenu, par une décision du 20 janvier 2005, le relèvement de plein droit de la peine complémentaire d’interdiction temporaire du territoire français. Se référant à la décision Achour c. France du 10 novembre 2004 (no 67335/01, CEDH 2004-...), il en déduit que le requérant ne peut plus se dire victime de la violation de l’article 8 qu’il allègue et qu’en conséquence, cette partie de la requête est irrecevable en application des articles 34 et 35 § 4 de la Convention.

Quant au fond, le Gouvernement déclare ne pas contester que le requérant peut se prévaloir d’une vie privée et familiale en France puisqu’il y résidait depuis son entrée sur le territoire national en 1965, à l’âge de 15 ans et que, bien qu’à l’époque à laquelle l’interdiction de territoire est devenue définitive il n’avait plus de contact avec eux, il est père de deux enfants nés sur le territoire français. Le Gouvernement souligne ensuite que la peine d’interdiction du territoire litigieuse était « prévue par la loi » dès lors qu’elle se fondait sur les articles 131-30 et 222-34 à 222-39 du code pénal, applicables au moment des faits. Il ajoute que le requérant a été condamné pour des faits de trafic de stupéfiants en grande quantité, de sorte que le prononcé de cette peine visait plusieurs des « buts légitimes » énumérés au second paragraphe de l’article 8 : la défense de l’ordre public, la prévention des infractions pénales et la protection de la santé. Enfin, selon le Gouvernement, cette mesure était « nécessaire dans une société démocratique et « proportionnée aux buts légitimes poursuivis ». Il souligne à cet égard que le requérant n’avait plus de contact avec sa concubine et ses enfants depuis le 8 septembre 1999 : le lien familial étant rompu depuis plusieurs années, la décision d’éloignement critiquée n’a pu porter atteinte à sa vie familiale. Par ailleurs, le requérant ne justifierait ni d’autre attaches familiales ni d’attaches sociales particulières en France, aurait conservé sa nationalité algérienne et parlerait la langue de son pays d’origine. Selon le Gouvernement, dans ces conditions, eu égard à la gravité des faits commis par le requérant, une peine temporaire d’interdiction du territoire pour une durée de cinq ans était parfaitement proportionnée. Il souligne tout particulièrement à cet égard que l’intéressé a été condamné à une peine de 6 ans d’emprisonnement en raison de la particulière gravité des infractions à la législation des stupéfiants commises ; cette condamnation, dans le cadre d’un procès concernant treize co-prévenus, se rapportait un trafic de stupéfiants d’un volume important sur plusieurs années, et le requérant a été découvert en possession d’une grande quantité de résine de cannabis et mis en cause par plusieurs co-prévenus pour des activités de revente. Il ajoute que le requérant avait précédemment fait l’objet de condamnations judiciaires pour des faits différents. Le Gouvernement conclut au défaut manifeste de fondement de cette partie de la requête.

Le requérant invite la Cour à rejeter l’exception de non épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement, exposant que la raison pour laquelle il n’a pas exercé d’action sur le fondement des articles 702-1 et suivants du code de procédure pénale tient au fait que la mesure d’interdiction du territoire a été exécutée. En tout état de cause, peu de demandes de relèvement seraient accueillies par les juges du fonds.

Il considère en outre qu’il conserve la qualité de victime nonobstant la décision du 20 janvier 2005 constatant la levée de plein droit de la peine d’interdiction du territoire prononcée contre lui. Il souligne que cette peine a été exécutée à son encontre avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 novembre 2003, puisqu’il a été reconduit en Algérie sur son fondement le 24 novembre 2002.

Sur le fond, le requérant souligne que lorsque la peine d’interdiction du territoire a été prononcée puis exécutée, il était en France depuis plus de 35 ans et était père de deux enfants mineurs nés en France. Il souligne que, comme la Cour l’a relevé dans sa décision du 1er avril 2004 sur la recevabilité de la requête, il a constamment essayé de maintenir le contact avec ces derniers durant sa détention, usant à cette fin de tous les moyens dont il disposait.

La Cour rappelle en premier lieu qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes ; tout requérant doit avoir préalablement donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre eux. Le grief dont on entend saisir la Cour doit avoir été soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (voir, parmi d’autres, l’arrêt Selmouni c. France [GC] 28 juillet 1999, no 25803/94, ECHR 1999-V, § 74). L’article 35 doit cependant s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (voir, notamment, l’arrêt Selmouni précité, § 77). Par ailleurs, lorsque plusieurs recours effectifs sont disponibles au plan interne, il suffit que les requérants usent de l’un d’entre eux (voir, par exemple, la décision Moreira Barbosa c. Portugal du 29 avril 2004, no 65681/01, CEDH 2004-V (extraits)). Ce qui importe c’est que les Etats contractants aient eu l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises à la Cour (voir, par exemple, l’arrêt Selmouni précité, § 74).

Ceci étant, il suffit à la Cour de constater qu’en l’espèce, à la différence des circonstances de l’affaire Karagoz à laquelle se réfère le Gouvernement, le requérant s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de condamnation de la cour d’appel de Reims et a vainement saisi la Cour de cassation d’un moyen tiré de la violation de l’article 8 de la Convention résultant de la peine d’interdiction du territoire prononcée contre lui par les juges du fond. Ce faisant, il a mis l’Etat défendeur en mesure de prévenir la violation alléguée. L’exception de non épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement doit en conséquence être rejetée.

La Cour rappelle ensuite qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Lüdi c. Suisse du 15 juin 1992, série A no 238, § 34, Amuur c. France, du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, § 36, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 142, CEDH 2000-IV et Guisset c. France, no 33933/96, § 66, CEDH 2000-IX, ainsi que la décision Achour précitée).

Plus spécifiquement, la Cour a jugé que, lorsqu’un requérant se plaint d’une mesure d’éloignement prise contre lui, les moyens adéquats minimaux à mettre en œuvre pour qu’il y ait reconnaissance et réparation par les autorités de la violation alléguée de la Convention sont, premièrement, l’annulation de ladite mesure et, deuxièmement, la délivrance d’un titre de séjour lorsque l’intéressé en est dépourvu (voir, par exemple, les décisions Mikheyeva c. Lettonie du 12 septembre 2002, no 50029/99, et Kaftailova c. Lettonie, no 59653/00, du 21 octobre 2004).

La Cour a également jugé dans l’affaire Achour précitée que le requérant – qui développait un grief similaire au présent – avait perdu la qualité de victime dès lors qu’il avait obtenu, sur le fondement de l’article 86 de la loi no 2003-1119 du 26 novembre 2003, le relèvement de plein droit de la mesure d’interdiction du territoire prononcée contre lui, concluant à cet égard comme il suit :

« Compte tenu de ce qui précède, la Cour est d’avis que les autorités internes ont, au moins en substance, reconnu la violation de l’article 8 de la Convention en interdisant la mesure d’interdiction du territoire français pour les personnes se trouvant dans la situation du requérant, et qu’elles ont réparé cette violation en prévoyant un relèvement de plein droit lorsqu’une telle mesure a, comme en l’espèce, été prononcée antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. »

Cependant, pour parvenir à cette conclusion au vu des principes généraux exposés ci-dessus, la Cour a pris en compte la circonstance que l’interdiction du territoire prononcée contre M. Achour n’avait fait l’objet d’aucun commencement d’exécution. Or le cas de M. Sayoud se distingue à cet égard de celui de M. Achour, puisqu’il a été expulsé en exécution de la mesure d’interdiction prononcée contre lui et a été écarté du territoire français durant environ trois ans, quatre mois et trois semaines, et que se pose de ce fait la question de son accès au territoire français et de son maintien sur celui-ci.

Selon la Cour, dans le cas spécifique où la mesure d’éloignement a été exécutée, d’une part, le Gouvernement doit démontrer que l’intéressé a été effectivement mis en mesure de retourner sur son territoire et d’y obtenir un titre lui permettant d’y séjourner dans les mêmes conditions qu’avant que ladite mesure ait été prise, d’autre part, en tout état de cause, lorsque la durée de l’éloignement était importante, l’obtention, à elle seule, d’un visa et d’un titre de séjour adéquat ne constitue qu’une réparation partielle de la violation de l’article 8 alléguée (voir, mutatis mutandis, la décision Aristimuño Mendizabal c. France du 21 juin 2005, no 51431/99, ainsi que l’arrêt Chevrol c. France, du 13 février 2003, no 49636/99, CEDH 2003-III, § 42).

En l’espèce, la Cour constate le manque de diligence du Gouvernement ; en particulier, il n’a lui-même produit aucun élément prouvant que le requérant a été mis en mesure de retourner en France et d’y séjourner. La Cour relève tout particulièrement à cet égard que le Gouvernement a, le 21 juillet 2006, répondu à la lettre du rapporteur du 13 juillet 2006 qu’il n’était « pas en mesure d’informer la Cour sur l’état de la procédure de délivrance d’un titre de séjour à M. Sayoud et sur son retour sur le territoire français » ; elle s’en étonne au demeurant, dès lors qu’il résulte des indications fournies par l’avocat de l’intéressé qu’un premier titre provisoire lui avait été délivré le 9 mai 2006 par la Préfecture de la Marne (soit plus de deux mois avant la date de la réponse du Gouvernement au rapporteur). La Cour note d’ailleurs que le requérant a eu le plus grand mal à retourner en France : nonobstant ses demandes répétées auprès des autorités compétentes, un visa ne lui a été délivré que le 17 avril 2006, soit un an et trois mois après la décision de relèvement du 20 janvier 2005. Ensuite, à son retour en France, le requérant n’a obtenu qu’un titre provisoire, expirant le 7 novembre 2006, alors qu’il était auparavant titulaire d’un titre de séjour valable dix ans renouvelable, et le Gouvernement n’a produit lui-même aucun élément indiquant que le requérant n’est plus dans une situation précaire quant à son séjour en France. Enfin et surtout, la Cour constate qu’en tout état de cause, comme cela est souligné ci-dessus, le requérant a été éloigné du territoire français durant une longue période : environ trois ans, quatre mois et trois semaines.

En conclusion, la Cour voit dans le fait que le requérant a obtenu dans les mêmes conditions que M. Achour le relèvement de plein droit de la mesure d’interdiction du territoire prononcée contre lui, une reconnaissance en substance par l’Etat défendeur de la violation de l’article 8 de la Convention ; elle relève par ailleurs que la situation de l’intéressé quant à son séjour en France est réglée puisqu’il est aujourd’hui titulaire d’un « certificat de nationalité » et d’une carte nationale d’identité. Cependant, en l’absence, le cas échéant, d’une réparation des préjudices subis par le requérant du fait de son éloignement durant plus de trois ans, l’on ne saurait en déduire, dans les circonstances de la cause, qu’il y a eu complète « réparation » de cette violation. L’exception du Gouvernement tirée de la perte de qualité de victime dans le chef du requérant ne saurait donc être retenue.

Ceci étant, la Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de son examen, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit qu’il ne saurait être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’ayant été relevé, il y a lieu de le déclarer recevable.

2. Invoquant l’article 8 précité, le requérant affirme dans sa requête que les courriers qui lui ont été adressés par la Cour alors qu’il était en détention ont été systématiquement ouverts par l’administration pénitentiaire ; il en aurait vainement avisé ladite administration et aurait déposé une plainte devant le Procureur, laquelle aurait été classée sans suite.

Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Il expose à cet égard que, s’il a adressé une réclamation à l’autorité hiérarchique compétente, il n’a pas poursuivi cette voie en saisissant ensuite les juridictions administratives d’une demande tendant à l’indemnisation de la faute résultant de l’ouverture par l’administration de correspondances bénéficiant de garanties de confidentialité. Il ajoute qu’il n’y a aucune trace d’une plainte que le requérant aurait déposée devant le procureur pour ces faits.

Selon le Gouvernement – qui se réfère à la décision Touroude c. France (no 35502/97) du 3 octobre 2000 – cette partie de la requête est en tout état de cause manifestement mal fondée dès lors qu’une seule des lettres adressées par la Cour au requérant a été ouverte par l’administration pénitentiaire. Cela témoignerait du caractère purement accidentel de l’événement et de l’absence d’une volonté délibérée de porter atteinte au respect de la correspondance échangée entre le requérant et la Cour.

Le requérant estime que l’on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir épuisé les voies de recours internes dès lors qu’il n’avait aucune procédure efficace à sa disposition. Il rappelle en particulier que la Cour a retenu dans l’affaire Touroude citée par le Gouvernement, qu’en l’absence d’une prise de position du Conseil d’Etat en la matière, l’on se peut conclure qu’il résulte de la jurisprudence interne qu’il aurait eu une chance d’obtenir gain de cause devant le juge administratif. Quant au fond, répondant au Gouvernement, il admet qu’une seule des lettres que lui a adressées la Cour a été ouverte par les autorités pénitentiaires. Il persiste cependant dans l’affirmation qu’il s’agissait d’un acte délibéré, la Cour usant d’enveloppes aisément reconnaissables.

La Cour estime ne pas avoir à examiner l’exception d’irrecevabilité pour non épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement, dès lors que la requête est en tout état de cause manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle constate en effet qu’une seule des lettres qu’elle a adressées au requérant alors qu’il était en détention a été ouverte par les autorités pénitentiaires. Elle en déduit qu’aucun élément ne permet de conclure qu’il y a eu une volonté délibérée des autorités de porter atteinte au respect de la correspondance du requérant avec elle, et qu’il n’y a pas eu d’incidents répétitifs révélateurs d’un dysfonctionnement du service du courrier au sein de l’établissement pénitentiaire concerné, susceptibles d’être analysés sans conteste en une ingérence dans le droit au respect de la correspondance de l’intéressé (voir la décision Touroude précitée). Partant, cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief tiré de l’article 8 de la Convention et relatif au renvoi du requérant en Algérie en exécution de la peine complémentaire d’interdiction du territoire prononcée contre lui ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Søren Nielsen Christos Rozakis
Greffier Président