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Rozhodnutí
PREMIÈRE SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 18607/05
présentée par Kyriakos TSERONIS et autres
contre la Grèce
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 7 décembre 2006 en une chambre composée de :
MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
E. Steiner,
MM. K. Hajiyev
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 28 avril 2005,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les huit requérants, dont les noms figurent en annexe, sont des ressortissants grecs. Ils sont représentés devant la Cour par Mes P. Yatagantzidis et E. Metaxaki, avocats au barreau d’Athènes.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.
Les requérants sont propriétaires des plusieurs terrains situés dans la ville de Patras.
Par un décret royal du 15 février 1971, confirmé par la suite par un décret présidentiel en date du 11 mars 1983, les terrains des requérants furent partiellement ou totalement expropriés en vertu du nouveau plan d’alignement de la ville de Patras. Pendant plusieurs années, l’administration n’adopta aucune mesure en application de ces décrets.
En 1988, le bureau d’urbanisme de la préfecture d’Achaia adopta un acte de désignation des terrains expropriés et de répartition proportionnelle des indemnisations dues aux propriétaires (πράξη τακτοποίησης και αναλογισμού αποζημιώσεως). Cet acte fut par la suite annulé, en raison de la nouvelle modification du plan d’alignement par l’arrêté no X7328/1988 du préfet d’Achaia en date du 14 septembre 1988.
Le 16 novembre 1988, le premier requérant intenta un recours en annulation de l’arrêté préfectoral no X7328/1988.
Le 5 octobre 1992, le Conseil d’Etat annula l’arrêté attaqué pour vice de forme (arrêt no 3152/1992).
Le 4 février 1993, le préfet adopta l’arrêté nº X395/1993 modifiant à nouveau le plan d’alignement.
Le 8 mars 1993, le premier requérant saisit le Conseil d’Etat d’un recours en annulation contre le nouvel arrêté.
En vue de mettre en œuvre l’arrêté nº X395/1993, le bureau d’urbanisme de la préfecture d’Achaia adopta, en 2002, un acte de répartition proportionnelle des indemnisations dues aux propriétaires (acte no 27/2002).
Entre-temps, à une date non précisée, les requérants saisirent le tribunal de première instance de Patras d’une demande tendant à la fixation du prix unitaire provisoire d’indemnisation. En mars 2004, le tribunal de première instance fixa l’indemnisation provisoire en application de l’arrêté nº X395/1993 et de l’acte no 27/2002 (arrêt nº 470/2004). Les requérants ne fournissent pas copie de cette décision.
Le 6 septembre 2004, statuant sur le recours en annulation intenté par le premier requérant, le Conseil d’Etat annula l’arrêté nº X395/1993 pour vice de forme. Selon la haute juridiction administrative, la modification du plan d’alignement n’aurait dû être effectuée que par décret présidentiel (arrêt nº 2280/2004). Cet arrêt fut certifié conforme et mis au net le 1er novembre 2004.
Suite à l’annulation de l’arrêté préfectoral, toutes les procédures de fixation du prix unitaire d’indemnisation devinrent sans objet puisque cet arrêté constituait la base légale sur laquelle les intéressés pouvaient réclamer une indemnisation pour l’expropriation de leur propriété.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
Entrent ici en ligne de compte les dispositions suivantes de la loi d’accompagnement (Εισαγωγικός Νόμος) du code civil :
Article 104
« L’Etat est responsable conformément aux dispositions du code civil relatives aux personnes morales, des actes ou omissions de ses organes concernant des rapports de droit privé ou son patrimoine privé. »
Article 105
« L’Etat est tenu à réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité de ministres. »
Article 106
« Les dispositions des deux articles précédents s’appliquent aussi en matière de responsabilité de communes ou des autres personnes de droit public pour le dommage causé par les actes ou omissions de leurs organes. »
L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’Etat. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux ayant causé un préjudice matériel ou moral à l’administré. Les actes concernés peuvent être, non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes non exécutoires en principe (Kyriakopoulos, Commentaire du code civil, article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, no 23; Filios, Droit des contrats, partie spéciale, volume 6, responsabilité délictueuse 1977, par. 48 B 112 ; E. Spiliotopoulos, Droit administratif, troisième édition, par. 217).
Aux termes de l’article 19 de la loi no 1868/1989, l’action en dommages-intérêts devant les juridictions administratives est un recours indépendant par rapport au recours en annulation ou tout autre recours contre l’acte ou l’omission administrative dont découle l’obligation éventuelle d’indemnisation ; elle peut donc être exercée de façon autonome au choix de l’intéressé. Puisque la nature illégale de l’acte ou de l’omission est l’une des conditions de recevabilité de l’action en réparation, le tribunal administratif saisi d’une telle action examine aussi la légalité de l’acte ou de l’omission administratifs incriminés, à condition que celle-ci ne soit pas déjà examinée avec force de chose jugée dans le cadre d’une autre procédure.
Il existe une abondante jurisprudence des tribunaux internes au sujet de l’action en dommages-intérêts. Selon cette jurisprudence, si un terrain affecté à la construction d’un ouvrage d’utilité publique demeure bloqué pendant une longue période sans que l’administration ne procède à son expropriation formelle moyennant une indemnité, le propriétaire concerné peut demander le déblocage de son bien, ainsi qu’une indemnisation pour le dommage subi (voir, par exemple, tribunal administratif de Thessalonique, décision no 2839/1991). De même, si l’administration bloque un terrain au–delà du délai raisonnable, le propriétaire affecté peut demander une indemnité pour le dommage subi en raison du blocage illégal de son bien et de la privation de son usage (voir, par exemple, tribunal administratif de Kalamata, décision no 104/2003). Enfin, si l’administration occupe illégalement un terrain, le propriétaire peut demander, outre la restitution de son bien, une indemnité pour la privation de l’usage de son terrain (voir, par exemple, tribunal de grande instance de Rhodes, décision no 35/2004).
GRIEFS
1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent que l’arrêt nº 2280/2004 du Conseil d’Etat, constitue une intervention de l’Etat dans la procédure d’exécution de l’arrêt nº 470/2004 du tribunal de première instance de Patras.
2. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent en outre de la durée de la procédure devant le Conseil d’Etat.
3. Invoquant l’article 1 du Protocole nº 1, les requérants se plaignent d’une atteinte à leur droit au respect de leurs biens. Se référant à l’historique de l’affaire depuis 1971, date du premier décret affectant les terrains litigieux, ils invitent la Cour à sanctionner le blocage de leur propriété qui perdure à ce jour.
EN DROIT
1. Les requérants se plaignent d’une atteinte à leur droit à un procès équitable. En particulier, en se référant à la jurisprudence de la Cour, ils allèguent qu’en raison de l’arrêt nº 2280/2004 par le Conseil d’Etat, ils n’ont pas pu toucher l’indemnisation fixée par l’arrêt nº 470/2004 du tribunal de première instance de Patras. Selon eux, ceci constitue une ingérence du pouvoir étatique dans l’administration de la justice. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
La Cour relève que selon sa jurisprudence (voir, notamment Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 57, CEDH 1999‑VII, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 74, CEDH 1999‑V et Satka et autres c. Grèce, no 55828/00, § 57, 27 mars 2003), ni le législateur ni les autorités administratives ne peuvent intervenir dans une procédure d’exécution d’une décision de justice dans le but d’empêcher ou d’invalider ou encore retarder de manière excessive l’exécution, ou, encore moins, de remettre en question le fond de cette décision. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, par l’arrêt nº 2280/2004, la haute juridiction administrative s’est prononcée sur la légalité de l’arrêté préfectoral no X7328/1988 et l’a déclaré nul pour vice de forme, en agissant dans le cadre de ses compétences et en respectant les limites de ses pouvoirs. Le fait que l’annulation de l’arrêté préfectoral ait rendu par la suite l’arrêt nº 470/2004 sans objet ne saurait s’interpréter comme une ingérence de l’Etat dans l’administration de la justice. Au contraire, dès lors que le droit d’indemnisation trouvait sa base légale dans l’arrêté préfectoral, il était logique que, suite à l’annulation dudit arrêté, la procédure d’indemnisation soit arrêtée.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4.
2. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent en outre de la durée de la procédure devant le Conseil de l’Etat.
La Cour relève qu’à l’exception du premier requérant, les sept autres requérants n’ont pas participé à la procédure devant la haute juridiction administrative. Dans ces conditions, ils ne peuvent pas prétendre avoir été personnellement touchés par la violation alléguée (voir, en ce sens, Kakamoukas et autres c. Grèce (déc.), no 38311/02, 25 mars 2004).
Il s’ensuit que pour autant que cette partie de la requête a été introduite par les sept derniers requérants, elle doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
En ce qui concerne le premier requérant, en l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.
3. Les requérants se plaignent du blocage de leur propriété pendant une période de plus de trente-cinq ans sans avoir reçu d’indemnité. Ils invoquent l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
La Cour constate que durant la période incriminée les intéressés se sont trouvés dans l’impossibilité d’exploiter leurs biens, ayant donc à supporter une charge substantielle. Toutefois, la Cour estime que ceux-ci auraient dû d’abord saisir les tribunaux administratifs d’une action en réparation fondée sur les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil. En effet, la jurisprudence interne accepte explicitement que si l’administration bloque un terrain au-delà du délai raisonnable, le propriétaire affecté peut demander une indemnité pour le dommage subi. Lors de l’examen de cette demande, les tribunaux saisis procèdent à leur initiative au contrôle de la légalité de l’acte administratif visé.
Or, en l’occurrence, les intéressés n’ont intenté aucun recours tendant à obtenir une indemnisation pour le préjudice que le blocage de leur propriété pendant une longue période a pu leur causer aux requérants.
Les requérants ne sauraient donc reprocher aux autorités nationales de ne pas les avoir indemnisés pour la privation d’usage et d’exploitation de leur propriété pendant une longue période, parce qu’eux-mêmes ne leur ont pas donné l’occasion de redresser la situation dont ils se plaignent actuellement devant la Cour (voir parmi beaucoup d’autres, Roussakis et autres c. Grèce (déc.), no 15945/02, 8 janvier 2004 ; Amalia S.A. et Koulouvatos S.A. c. Grèce (déc.), no 20363/02, 28 octobre 2004 ; Kosmidis et autres c. Grèce (déc.), no 32141/04, 24 octobre 2006).
Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Ajourne l’examen du grief du premier requérant tiré de la durée de la procédure devant le Conseil d’Etat;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président
Liste des requérants
- Kyriakos TSERONIS
- Eleni TSERONI
- Aikaterini DIMOPOULOU
- Ion DIMOPOULOS
- Christina-Maria PAPAÏOANNOU-DIMOPOULOU
- Nikolaos DIMOPOULOS
- Ioanna FOKA-TZENTZERATOU
- Pavlos DIMOPOULOS