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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
21.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE RODA ET BONFATTI c. ITALIE

(Requête no 10427/02)

ARRÊT

STRASBOURG

21 novembre 2006

DÉFINITIF

26/03/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Roda et Bonfatti c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
Mmes A. Mularoni, désignée pour siéger au titre de l’Italie,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 novembre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 10427/02) dirigée contre la République italienne et dont deux ressortissants de cet Etat, Mme Daniela Roda et M. Matteo Bonfatti (« les deux premiers requérants »), agissant également au nom de S.B., leur fille et sœur, ont saisi la Cour les 21 et 23 janvier 2002 respectivement, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me D. Paltrinieri, avocate à Mirandola (Modène). Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I.M. Braguglia, et par son coagent, M. F. Crisafulli.

3. Le 13 décembre 2004, la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

A. Les circonstances de l’espèce

4. Les requérants sont nés respectivement en 1962, 1979 et 1988. Ils résident à Finale Emilia, Massa Finalese et Mirandola.

1. La prise en charge de S.B.

5. Le 23 octobre 1998, M., cousine de S.B., confirma devant le procureur de la République près le tribunal pour enfants de Bologne (« le tribunal pour enfants »), les déclarations faites aux services sociaux dans le cadre du suivi psychothérapeutique dont elle faisait l’objet depuis le printemps. Elle soutint avoir subi – de même que son frère et d’autres enfants, parmi lesquels S.B. –, des abus sexuels dans une habitation privée et, lors de rites sataniques dans un cimetière, de la part de ses parents et d’autres adultes, entre autres la sœur de la première requérante et son mari, ainsi que M.B., mari de Mme Roda et père de ses enfants.

6. Le 27 octobre 1998, compte tenu de la « nécessité de procéder à des examens approfondis » sur la mineure, le parquet demanda au tribunal pour enfants, en vertu de l’article 330 du code civil (« CC ») :

- d’ordonner l’éloignement de S.B. de ses parents, le père « présumé abuseur » et la mère « au minimum gravement complice » ;

- d’obtenir les informations nécessaires sur les parents ;

- d’ordonner le placement des enfants, par l’intermédiaire du service local de Santé (« AUSL ») de Mirandola, dans une structure d’accueil « protégée » et de faire procéder au plus vite aux visites médico-légales et aux examens psychologiques afin de vérifier si la mineure avait subi des abus sexuels. Le procureur pria enfin le tribunal de déclarer les pièces du dossier couvertes par le secret en raison des poursuites pénales pendantes.

7. Statuant sur la base de l’article 336 CC, le 6 novembre 1998 le tribunal pour enfants décida, entre autres, de suspendre l’autorité parentale de la première requérante et de son mari, de nommer l’AUSL de Mirandola tuteur de S.B. en chargeant l’organisme de placer l’enfant dans une structure « protégée » et de mettre en route une enquête psychologique. Il autorisa également l’AUSL à faire appel à la force publique pour procéder à l’éloignement de l’enfant.

Le tribunal estima crédibles les déclarations de M. car la mineure avait commencé à les faire une fois éloignée de son foyer et placée dans un lieu « protégé », les résultats des visites médico-légales avaient confirmé les abus sexuels, et ses déclarations coïncidaient avec celles d’autres enfants. L’éloignement de S.B. devenait donc urgent, son père apparaissant, à la lumière desdites déclarations, directement impliqué dans les faits, et sa mère pour le moins incapable d’offrir la protection nécessaire à son enfant. Le tribunal pour enfants releva également qu’outre le père de S.B., d’autres membres de la famille de Mme Roda étaient en cause : sa sœur et son mari ainsi que le père de celui-ci.

8. La décision fut mise à exécution le matin du 12 novembre 1998. Les requérants affirment que l’éloignement eut lieu à 6 heures du matin. S.B. et sa mère furent accompagnées au commissariat de police où S.B. fut confiée aux services sociaux et Mme Roda reçut la notification de la décision du tribunal pour enfants. Le même jour, le tribunal déclara les pièces du dossier couvertes par le secret.

9. Deux expertises médico-légales furent effectuées le 21 décembre 1998 en présence de l’expert nommé par M.B.

Déposés le 13 février 1999, les rapports concluaient, quant à la visite gynécologique, à « l’existence de lésions liées à des rapports sexuels complets, multiples et répétés » ; quant à l’autre visite, à « une cohérence élevée avec l’hypothèse d’actes d’abus sexuels ayant intéressé la région anale ».

10. Le 3 mars 1999, l’expert désigné par M.B. déposa son rapport dans lequel il critiquait pour certains aspects les deux rapports, mais considérait « hautement probable qu’il y ait eu abus sexuels ».

11. Les services sociaux déposèrent deux rapports les 8 et 9 mars 1999 : dans le premier, ils faisaient notamment état de ce qu’au cours des rencontres presque hebdomadaires avec S.B., celle-ci se montrait très fermée et refusait d’exécuter les tests et les dessins proposés. Elle parlait souvent de sa famille et des disputes violentes au cours desquelles son père battait sa mère. Quant aux résultats des visites médico-légales, elle avait d’abord déclaré que le médecin s’était trompé, puis que son père était l’auteur des violences, puis elle s’était rétractée. Le deuxième rapport relatait la prise en charge de S.B. et son placement dans une structure d’accueil. S.B. s’était très vite intégrée à son nouvel environnement ; toutefois, après les visites médico-légales, elle avait commencé à manifester de l’agressivité. Sa mère avait téléphoné régulièrement afin d’avoir de ses nouvelles. Elle considérait l’éloignement de sa fille comme une grave erreur, car les déclarations de M. étaient selon elle « le fruit de la fantaisie d’une enfant malheureuse, avec des parents incapables (...) ». Tout en admettant que M. B. n’avait pas été un bon père, elle ne le croyait pas capable « de faire du mal à sa fille ».

12. Le 31 mars 1999, le tribunal pour enfants leva la mesure du secret. Le renvoi en jugement devant le tribunal pénal de Modène des dix-sept personnes inculpées des abus sexuels dénoncés par M. remonte à cette même date.

13. Le 2 avril 1999, la première requérante demanda au tribunal pour enfants, à titre principal, de lui confier la garde de son enfant ou, à titre subsidiaire, le retour de l’enfant chez elle ou, à défaut, la possibilité de la rencontrer.

14. A l’audience du 7 avril 1999, les parents de S.B. démentirent catégoriquement les affirmations des services sociaux ; Mme Roda réitéra sa conviction selon laquelle les expertises médico-légales étaient erronées. Le 14 avril, la première requérante demanda à nouveau à pouvoir rencontrer sa fille.

15. Le 14 mai 1999, estimant que les parents de S.B. ne pourraient lui fournir la protection nécessaire dans une situation aussi grave, en attendant l’issue de l’enquête pénale en cours, le tribunal pour enfants considéra impraticable le retour de l’enfant chez sa mère. Il ordonna une expertise afin de « vérifier la personnalité des parents et la relation entre eux et l’enfant » et d’évaluer également l’opportunité d’un retour de S.B. dans son foyer.

16. Le 25 mai 1999, le parquet exprima un avis défavorable à la possibilité de rencontres père-fille, mais favorable à celles entre S.B. et sa mère à condition qu’elles eussent lieu dans un lieu protégé et en présence d’assistants sociaux. Il se déclara toutefois opposé au placement de l’enfant chez sa mère, qui n’était pas en mesure de lui fournir sa « protection ».

17. L’expert prêta serment le 24 juin 1999.

18. Le 28 janvier 2000, le tribunal pour enfants reçut un autre rapport de suivi de la situation établi par les services sociaux. Les assistants sociaux avaient rencontré les intéressés plusieurs fois : une fois Mme Roda et son fils ensemble, douze fois Mme Roda, sept fois son fils et quatre fois M.B. (après sa remise en liberté). La conclusion dudit rapport fut la suivante :

« Il ressort à l’évidence de cette première partie de l’évaluation de la situation que, bien qu’ayant vécu des années de conflits entre eux, avec des accusations graves et réciproques quant à leur comportement en famille, les parents s’accordent à considérer injustifiées les décisions des juridictions saisies de l’affaire au motif que les éléments de fait ne suffiraient pas à affirmer que S.B. a subi un quelconque mauvais traitement, exception faite d’une forte souffrance résultant de la situation familiale, situation à laquelle les parents ont par ailleurs déjà remédié en se séparant. En cela les parents reçoivent le soutien de Matteo. »

19. Le 31 janvier 2000, l’expert obtint, « en raison de la complexité et du caractère de l’enquête », une prorogation de quarante-cinq jours pour accomplir l’expertise.

20. Le 30 mars 2000, la première requérante réitéra devant le tribunal pour enfants sa demande visant la reprise des contacts avec sa fille, celle-ci ayant déclaré le 22 février 2000 devant le tribunal pénal de Modène vouloir rentrer à la maison.

21. Le 12 avril 2000, le juge délégué par le tribunal pour enfants accorda à l’expert une nouvelle prorogation de quatre-vingt-dix jours afin de lui permettre d’examiner l’enregistrement vidéo de l’audition de S.B. du 22 février ainsi que le nouveau rapport des services sociaux.

22. Le 7 juin 2000, l’expert remit au tribunal pour enfants ses considérations relatives à l’audition de S.B. :

« Je crois que S.B. a été obligée de grandir vite dans un environnement violent et marqué par un manque d’affection, dans lequel les rôles des parents se sont rapidement figés avec, d’une part, [le rôle] de persécuteur (le père) et, d’autre part, [celui] de victime (la mère). Cette situation a facilement pu amener une enfant mûre et sensible à devenir protectrice d’une mère faible, qui a un besoin extrême de tendresse et de reconnaissance narcissique, telle que m’est apparue Mme Roda jusqu’à présent.

(...)

Je crois partant qu’afin de mieux évaluer (...) la qualité des rapports affectifs actuels entre [mère et fille], il pourrait se révéler très utile de programmer des rencontres entre les intéressées (même en ma présence), d’organiser une série de rencontres avec elles, seules ou ensemble ».

23. Le 10 juillet 2000, les services sociaux firent parvenir au tribunal pour enfants leur rapport sur la situation psychologique de S.B. Selon ce rapport, l’enfant s’était montrée plus spontanée et ouverte seulement peu avant l’été 1999. Elle avait commencé à raconter à la psychologue qui la suivait que son père l’avait maltraitée, « qu’elle le craignait beaucoup, qu’il lui avait bien fait mal là où le médecin gynécologue l’avait visitée (ce qu’elle avait ensuite rétracté en affirmant ne pas se souvenir de l’avoir dit) ». S.B. ne voulait pas rentrer chez elle au moins jusqu’à ce que « tout soit réglé » mais elle n’expliquait jamais pour quelle raison car elle ne voulait pas que « sa mère aille en prison ». Après l’audition du 22 février 2000, S.B. avait affirmé avoir peur de rentrer chez sa mère. L’enfant avait raconté qu’elle avait pleuré de rage à la nouvelle de la condamnation du père et des autres personnes à cause de ce qu’elle avait subi de leur part ; elle disait « haïr » tous les hommes car elle avait appris à avoir peur de son père.

24. A l’issue de la rencontre avec sa cousine M., S.B. avait dit à la psychologue qu’elle craignait que M. ne l’aime plus parce qu’elle n’arrivait pas à raconter ce qui leur était arrivé lorsqu’elles vivaient à Massa Finalese, et qu’elle avait très peur.

25. Le 19 juillet 2000, l’expert déposa son rapport. Il relatait avoir examiné les documents pertinents, rencontré et discuté avec les assistants sociaux compétents, et rencontré à plusieurs reprises M.B. ainsi que Mme Roda, assistée d’un expert privé. Jugeant ce matériel suffisant pour mener à bien son travail, il n’avait pas estimé nécessaire de s’entretenir avec S.B., évitant de la sorte « une nouvelle et gratuite situation traumatisante ». Les considérations faites par les services sociaux dans leur rapport du 10 juillet 2000 l’avaient convaincu de l’inutilité d’organiser des rencontres entre la mère et la fille. L’expert concluait qu’aucun des deux parents n’avait

« les aptitudes suffisantes et les compétences nécessaires à l’exercice adéquat des fonctions parentales (...). Bien qu’ayant deux personnalités différentes, ils démontr[aient] tous les deux être trop pris par leurs propres besoins pour pouvoir reconnaître et s’occuper valablement de ceux, extraordinairement douloureux et délicats, de leur enfant ».

26. Le tribunal pour enfants accorda ensuite vingt jours à l’expert de la première requérante pour présenter ses observations sur le rapport d’expertise du 19 juillet 2000.

27. Le 4 octobre 2000, Mme Roda déposa les observations de son expert et demanda à être entendue par le tribunal ou le juge délégué et de pouvoir obtenir la garde de son enfant ou la reprise des contacts avec l’établissement d’un calendrier de rencontres. L’expert critiquait ouvertement les conclusions de l’expert d’office et sa décision de ne pas rencontrer S.B., en soutenant, entre autres, que la situation psychologique de l’enfant était le résultat de la séparation.

28. Dans un rapport du 16 octobre 2000, les services sociaux faisaient état de ce que la situation de S.B. n’avait pas subi d’importants changements : elle était bien intégrée dans son école et ses résultats scolaires étaient satisfaisants ; elle se montrait plus active que d’habitude. Sa mère avait téléphoné régulièrement (toutes les deux ou trois semaines) pour avoir des « nouvelles concernant les conditions psychiques et physiques de sa fille et avait amené des vêtements, des cadeaux et des fournitures pour l’école ». Mis à part l’envoi de petits cadeaux par l’intermédiaire de la mère, « les oncles et la cousine paternels » n’avaient jamais pris contact avec les services sociaux pour avoir des informations ou pour parler de S.B.

29. Les 17 et 18 octobre 2000, le tribunal pour enfants entendit les responsables du centre où était placée S.B. ; selon eux, l’enfant craignait toujours de « s’ouvrir », « a[vait] besoin de câlins et de contact physique mais n’arriv[ait] pas à démontrer de l’affection ».

30. Le 20 novembre 2000, le tribunal pour enfants entendit Mme Roda, laquelle demanda à pouvoir revoir sa fille « avec l’assistance de personnes aptes à l’aider » et affirma ne pas recevoir de photographies ou de lettres de sa part. Elle déclara, entre autres, que si S.B. « avait subi des choses, elle le lui aurait dit mais qu’on ne lui avait pas permis de parler à sa fille ». Un délai de quinze jours fut accordé à la première requérante pour le dépôt d’un mémoire et d’une attestation prouvant qu’elle suivait une psychothérapie. Dans son mémoire du 5 décembre 2000, la première requérante réitérait sa conviction que la situation de fermeture quasi-totale de sa fille n’était que le résultat de l’éloignement qui durait depuis deux ans.

31. M.B avait aussi été entendu par le tribunal pour enfants le 27 novembre 2000. Dans un mémoire du 11 décembre 2000, son avocat suggérait que la garde de S.B. fût confiée à sa mère ou du moins à son frère.

Le 17 janvier 2001, le deuxième requérant demanda la reprise des contacts avec sa sœur et la possibilité d’obtenir sa garde.

32. Par un jugement du 29 janvier 2001, le tribunal pour enfants décida que la garde de S.B. continuerait à être confiée à l’AUSL de Mirandola afin que cet organisme « la place dans un environnement protégé, de préférence de type familial », « organise, après préparation préalable de la mère et de la fille, la reprise des rapports entre elles, qui devront se dérouler, tant que cela sera nécessaire, dans un environnement protégé et en présence des [assistants sociaux] ».

Dans sa décision, le tribunal pour enfants, à la lumière des éléments recueillis aussi bien au cours de l’enquête menée par lui que dans le cadre de la procédure pénale contre le père de S.B. et seize autres personnes, estima

« que l’on [pouvait] considérer comme prouvé que S.B. a[vait] effectivement subi des abus graves ». « (...) la condamnation du père (bien que le jugement ne [fût] pas encore définitif), mais surtout les caractéristiques de la personnalité de celui-ci telles que mises en évidence en particulier par l’expert d’office, ainsi que le vécu de peur et d’incommunicabilité nourri envers lui par S.B., conduis[aient] à estimer que M.B. n’[était] décidément pas en mesure d’exercer de manière adéquate le rôle de père (...) ».

Cela justifia la déchéance de l’autorité parentale du père et le maintien de l’interruption des rapports entre le père et sa fille.

33. Concernant la relation mère-fille, le tribunal se prononça en ce sens :

« Le vécu de S.B. envers sa mère est plus complexe, tout comme la personnalité de cette dernière. Tout en relevant que les poursuites pénales n’ont pas montré l’implication de Mme Roda dans les abus, S.B. a toutefois un vécu très ambivalent envers elle : elle a déclaré vouloir retourner vivre avec elle, pour demander ensuite que cela se passe le plus tard possible ; elle a manifesté des sentiments confus et, comme l’a souligné l’expert d’office, en tout cas pas d’affection profonde (...). Si S.B. ne s’est jamais confiée à sa mère au sujet des abus, pas même après la séparation de ses parents (...), c’est parce qu’elle ne s’est pas sentie protégée. L’éloignement de l’enfant et l’interruption des rapports avec sa mère se révèlent donc justifiés puisque la mère n’était pas et ne pouvait pas apparaître proche du vécu de l’enfant et prête à tout pour la protéger. Ces considérations conduisent à estimer que la mère n’est pas encore en mesure d’aider S.B. à élaborer ses vécus et ses souffrances. La situation personnelle de l’enfant est trop complexe et le parcours d’analyse de la mère sur son rôle de parent trop embryonnaire. »

Le tribunal pour enfants ne déchut pas la première requérante de son autorité parentale.

La juridiction ne fixa pas de limite de temps au placement de S.B. en raison de la nécessité de suivre « l’évolution de la situation complexe » de l’enfant.

34. Enfin, le tribunal pour enfants rejeta en l’état la demande visant la reprise des rapports entre le deuxième requérant et sa sœur,

« Matteo a[yant] toujours partagé avec ses parents l’attitude de négation de toute souffrance possible de S.B. autre que celle liée à la relation difficile entre les parents.

Il vit par ailleurs avec son père, de sorte qu’une reprise des contacts de l’enfant avec son frère, même [sous la surveillance des services sociaux], pourrait être pour S.B. ambiguë et source de confusion.

D’autre part, Matteo ne s’est plus adressé aux services sociaux afin d’obtenir des nouvelles de sa sœur.

Les services sociaux pourront par ailleurs convoquer Matteo et déterminer l’existence des conditions permettant d’élaborer, s’il le souhaite, un programme de suivi destiné à lui faire comprendre les exigences et le difficile vécu de sa sœur. S’il est prêt à faire cela, les services sociaux pourront alors évaluer, compte tenu des exigences de la mineure, l’opportunité d’organiser des rencontres. »

35. Le 8 mars 2001, la première requérante attaqua le jugement devant la cour d’appel de Bologne en alléguant, entre autres, la violation de l’article 8 de la Convention en raison de l’éloignement de sa fille et le droit de tout enfant à être éduqué dans sa famille (article 1 de la loi no 184/1983 sur l’adoption et la prise en charge et le placement des enfants).

36. Le 6 juin 2001, les services sociaux déposèrent un rapport de suivi de la situation de S.B. Il ressortait notamment dudit rapport que le deuxième requérant avait demandé des renseignements après la dernière décision du tribunal pour enfants et que la mère téléphonait tous les quinze jours et avait remis des cadeaux et des lettres pour sa fille. Les services sociaux signalaient également « leur impuissance à soutenir psychologiquement la mineure car celle-ci refusait en bloc le monde extérieur. »

37. Le 7 juin 2001, la cour d’appel rejeta la demande de la première requérante, jugeant correcte l’analyse qui avait été faite de la situation et les conclusions qu’en avait tirées le tribunal pour enfants. Toutefois, compte tenu de la gravité de la situation de l’enfant, elle estima qu’il fallait

« essayer avant qu’il ne soit trop tard de parcourir aussi la voie du rapprochement entre la fille et la mère (...) il n’[était] plus possible de laisser l’enfant grandir dans un état désespéré d’abandon et d’isolement. Il [était] nécessaire que les services sociaux s’activent immédiatement pour mettre en œuvre avec sagesse les décisions du tribunal pour enfants. »

38. Le 18 septembre 2001, la première requérante informa le procureur de la République près le tribunal pour enfants que les services sociaux n’avaient pas encore procédé à l’organisation des rencontres avec sa fille.

39. Le 5 novembre 2001, les services sociaux, jugeant nécessaire de rencontrer la première requérante et sa psychologue avant de mettre en œuvre les décisions judiciaires pertinentes, eurent un entretien avec la psychologue de Mme Roda.

40. Dans un rapport de suivi du 10 janvier 2002, les services sociaux affirmèrent que la situation de S.B. n’avait point subi de changements. Elle avait été informée que le 11 juillet 2001, la cour d’appel de Bologne avait acquitté son père mais condamné les autres personnes, en reconnaissant qu’elle avait subi des violences sexuelles. S.B. avait alors déclaré vouloir être placée au sein d’une famille d’accueil. Dans le but de préparer les rencontres, les services sociaux avaient reçu la première requérante et sa psychologue. Le père et le frère de S.B. n’avaient plus repris contact avec les services.

41. Le 11 février 2002, Mme Roda demanda au procureur d’autoriser l’enregistrement vidéo de la future rencontre avec sa fille et la présence de l’expert qui la conseillait depuis le début de l’affaire. Informés de la demande le 18 février, les services sociaux se déclarèrent perplexes et affirmèrent que S.B. avait exprimé son refus quant à l’enregistrement et à la présence d’autres personnes pendant la rencontre. Le 9 mars 2002, le procureur autorisa l’enregistrement mais estima inopportune la présence de l’expert de Mme Roda.

42. Le 12 mars 2002, la veille de la rencontre, les services sociaux informèrent la première requérante qu’il serait impossible de procéder à l’enregistrement. Le 13 mars, Mme Roda communiqua au procureur la nouvelle en indiquant qu’elle refusait de participer, puis les 18 et 22 mars 2002, elle lui fit parvenir les coordonnées de certains centres auprès desquels la rencontre pourrait être enregistrée.

43. Le 27 mars 2002, le juge des tutelles, accueillant la demande introduite la veille par la première requérante, ordonna aux services sociaux de procéder à la rencontre et de l’enregistrer ; il autorisa la première requérante à obtenir une copie de l’enregistrement.

44. La première rencontre eut lieu le 28 mars 2002, et fut suivie par d’autres rencontres les 28 mai, 10 juillet, 23 septembre et 18 novembre 2002, et les 14 janvier, 29 avril, 17 juin, 26 juillet, 7 octobre et 25 novembre 2003.

45. Le 23 avril 2002, accueillant la demande de la première requérante, le juge des tutelles ordonna à l’AUSL de déposer très rapidement la vidéocassette de la rencontre du 28 mars. En juillet 2002, le même juge fixa à trois jours le délai pour le dépôt des enregistrements des rencontres. Le 31 juillet, Mme Roda s’adressa audit juge afin d’obtenir la fixation des rencontres à des dates plus rapprochées, la remise d’un téléphone portable à sa fille, le maintien des rencontres à Modène, ainsi que la possibilité de rester seule avec sa fille pendant une bonne partie des rencontres.

46. Le 11 septembre 2002, le juge des tutelles prit acte de ce que l’AUSL maintiendrait les rencontres à Modène et autorisait la correspondance entre la mère et la fille, et rejeta pour le surplus les demandes de Mme Roda.

47. Le 11 décembre 2002, l’AUSL communiqua à celle-ci le calendrier des rencontres avec échéances bimestrielles, puis le 17 décembre 2002, informa l’avocate de Mme Roda que S.B. avait été placée dans une famille depuis environ une semaine.

48. Le 18 décembre 2002, l’AUSL déposa un rapport de suivi des rencontres enregistrées et un autre sur l’aide psychologique fournie à S.B. et à sa mère.

Selon le premier document,

« La scène que nous avons devant nous est celle d’une fille enfermée dans sa vérité, vérité qui ressort d’expressions physiques et non pas des mots, une fille qui semble subir silencieusement les rencontres avec sa mère, ce qui représente un [comportement] dur mais peut-être protecteur envers une mère ancrée dans son idée d’une grande injustice commise à son égard et envers sa fille et sa famille. »

49. Les services sociaux estimaient que l’utilisation du portable n’était pas de nature à faciliter la communication, compte tenu des difficultés relationnelles observées, et préconisaient la poursuite des rencontres « protégées » et le support psychologique de préparation aux rencontres.

50. Le rapport sur l’aide psychologique indiquait que S.B.

« a[vait] toujours exprimé désappointement et désintérêt envers sa mère, [qu’]elle s’[était] plainte de ce que sa mère lui pos[ait] avec insistance beaucoup de questions, et [qu’]elle l’a[vait] parfois critiquée pour son comportement dans ces moments ».

Il ressort aussi de ce rapport que S.B. suivait des cours d’équitation et qu’elle aidait sa monitrice dans le cadre de séances d’hippothérapie destinées à des enfants handicapés. Quant à Mme Roda, la psychologue chargée de la suivre, qui n’appartenait pas aux services sociaux, relevait que l’intéressée avait observé une attitude défensive pratiquement tout au long des cinq rencontres (du 7 janvier au 2 février 2001),

« une attitude marquée par la conviction formelle que la fille n’a pas été abusée, tout en mettant en évidence la contradiction entre les expertises d’office et celles de son expert, en soulignant par là même l’existence d’une autre vérité. [Mme Roda] a réaffirmé que la cause principale du mal-être de S.B. est l’impossibilité pour elle de la soutenir, convaincue qu’avec elle sa fille aurait sans doute parlé de ce qui s’était passé (...) ».

51. Le 19 décembre 2002, le juge des tutelles autorisa S.B. à utiliser le téléphone portable pour appeler sa mère en présence d’un assistant social, subordonna à l’accord de S.B. (à exprimer devant sa mère) les enregistrements des futures rencontres, et invita l’AUSL à tenir constamment informée Mme Roda sur le placement en famille de S.B. et à respecter les dates des rencontres sans les reporter.

52. Selon les renseignements fournis par la requérante, les services sociaux ont continué à reporter des rencontres déjà prévues et, notamment, celle fixée au 10 juin 2003 ne se tint que le 17 juin et celle prévue pour le 25 novembre 2003 fut annulée le jour même faute de clés permettant l’accès au local d’enregistrement vidéo.

2. La procédure pénale contre le père de S.B. et 16 autres accusés

53. Par un jugement du 5 juin 2000, M.B. ainsi que la sœur et le beaufrère de la première requérante furent condamnés, en même temps que d’autres personnes, par le tribunal de Modène du chef d’abus sexuels sur mineurs.

54. Dans son arrêt du 11 juillet 2001, déposé au greffe le 8 octobre 2001, la cour d’appel de Bologne affirma la crédibilité générale des déclarations faites par tous les enfants quant aux abus subis dans le milieu domestique. Elle estima que les dépositions des enfants, qui confirmaient les déclarations de M., devaient être considérées comme étant dignes de foi et indépendantes de toute pression ou influence de la part des services sociaux, des magistrats impliqués dans l’affaire ou encore des familles d’accueil.

55. Sur la base de ces considérations et des preuves recueillies, la cour d’appel confirma notamment la condamnation des parents de M., dont la mère était la sœur de la première requérante, par rapport aux abus commis à leur domicile sur M., son frère et sur quatre autres enfants.

56. La cour d’appel acquitta ces mêmes personnes quant aux abus prétendument commis dans un cimetière, au motif que les faits n’étaient pas établis. Sur ce point la cour d’appel soutint que les déclarations concernant les rites sataniques tiraient leur origine des dépositions altérées de D.G., l’un des enfants impliqués, qui avait évoqué de telles situations en 1997 à la suite d’une reconstitution artificielle des expériences d’abus réellement subis. Ces déclarations avaient par la suite été reprises, grâce aussi au contexte provincial et à la médiatisation de l’affaire, générant ainsi chez les autres enfants des suggestions et des faux souvenirs collectifs et les amenant à amplifier les violences effectivement subies. La cour d’appel ne partagea donc pas les conclusions des experts concernant la crédibilité des enfants à cet égard.

M.B. fut également acquitté au motif que les déclarations de M. le concernant n’avaient trouvé aucune confirmation valable.

57. Le 19 novembre 2001, le parquet de Bologne se pourvut en cassation. Par un arrêt rendu le 26 novembre 2002, la Cour de cassation confirma l’arrêt de la cour d’appel de Bologne sauf pour un des accusés.

3. La procédure relative à la réintégration de l’autorité parentale entamée par le père de S.B.

58. A une date non précisée, M.B. demanda au tribunal pour enfants la révocation de la décision du 29 janvier 2001 lui ôtant l’autorité parentale sur S.B.

59. Par une décision provisoire du 13 mars 2002, le tribunal pour enfants ordonna l’accomplissement d’une expertise afin de savoir si le demandeur était en mesure d’engager un parcours de compréhension et de réflexion sur le vécu et les besoins de sa fille. Le tribunal observait que la cour d’appel pénale n’avait pas estimé suffisamment prouvé que des abus avaient été commis également par le père de S.B., que la décision du 29 juin 2001 ne se fondait pas sur la responsabilité pénale de M.B. mais sur le lourd vécu de l’enfant vis-à-vis de lui, sur la personnalité de M.B. et sur son comportement face à la souffrance de sa fille.

60. Le 12 juin 2002, le tribunal rejeta la demande de récusation de l’expert introduite par M.B.

61. La première requérante déposa un mémoire sollicitant la garde de S.B., et l’organisation de rencontres avec elle ainsi qu’avec le deuxième requérant.

62. Dans sa décision du 7 juillet 2004, le tribunal pour enfants releva qu’il ressortait clairement du rapport d’expertise, déposé le 21 janvier 2003, que M.B.

« n’était pas encore capable de comprendre les vécus profonds de sa fille, ni ceux [de sa vie actuelle] d’adolescente, ni ceux de son lourd passé d’enfant sexuellement abusée ».

La réintégration de l’autorité parentale et l’organisation de rencontres étaient en l’état impossibles. Les demandes de M.B. pourraient être prises à nouveau en considération si l’intéressé démontrait avoir réussi à entreprendre le parcours psychothérapeutique et psychopédagogique indiqué par l’expert.

63. Quant aux demandes de la première requérante, compte tenu des résultats encourageants du placement de S.B. en famille d’accueil, le tribunal décida de le maintenir pour une période non inférieure à deux ans, S.B. n’étant toujours pas « en mesure d’affronter un retour en famille, chez sa mère, les sentiments concernant son passé étant encore trop chargés de douleur inexprimable. » Eu égard aux indéniables progrès accomplis par la première requérante dans son travail de rapprochement avec sa fille, le tribunal opta pour la poursuite des rencontres à échéances mensuelles et invita les services sociaux à prévoir aussi des rencontres lors de certaines festivités (anniversaires, Noël, etc.) et à évaluer la possibilité d’organiser des rencontres avec le deuxième requérant. La première requérante fit appel le 2 septembre 2004.

64. A une date non précisée, estimant que l’intérêt de S.B. était en conflit avec la demande de sa mère, l’AUSL demanda au juge des tutelles de nommer un curateur spécial aux fins de la procédure d’appel.

65. Le 4 novembre 2004, le juge saisi rejeta la demande en raison de son incompétence ratione materiae, ainsi que Mme Roda l’avait relevé dans son mémoire.

66. Le 9 novembre 2004, le tribunal de Modène nomma, à la demande de l’AUSL, un curateur spécial à S.B. en la personne du directeur de l’AUSL. Le 22 novembre 2004, la première requérante s’opposa à la nomination.

67. Le 26 novembre 2004, la cour d’appel confirma la décision du 7 juillet 2004 quant à la prise en charge de S.B. par l’AUSL et invita les services sociaux de Mirandola à mettre en œuvre pendant une période d’essai le retour de S.B. chez sa mère la journée uniquement.

Le même jour, l’AUSL informa la première requérante que la rencontre avec S.B. déjà fixée au 21 décembre 2004 avait été anticipée à la veille en raison de l’indisponibilité du local équipé pour l’enregistrement vidéo.

68. Les 16 et 18 décembre, la première requérante demanda aux services sociaux d’appliquer la décision de la cour d’appel, puis le 22 décembre, elle s’adressa au juge des tutelles en sollicitant notamment que sa fille fût accompagnée par les services sociaux pour se rendre chez elle le jour de Noël ou à une autre date avant le 31 décembre 2004.

69. Le juge fixa au 30 décembre 2004 l’audience de comparution de S.B. et de sa mère et ordonna aux services sociaux de fixer une rencontre entre les deux afin de discuter et d’évaluer ensemble le programme de retour.

70. Le 28 décembre 2004, la première requérante demanda au juge des tutelles de faire en sorte que les rencontres ne fussent pas si rapprochées entre elles et que la rencontre prévue pour le lendemain se déroulât sans S.B., car elle souhaitait connaître « les vraies intentions de l’AUSL quant au retour de sa fille à la maison ». Le juge rejeta cette demande le jour même.

71. S.B. ne participa pas à l’audience du 30 décembre 2004 et le juge fixa au 16 février 2005 la nouvelle date de l’audition de la mineure.

72. Dans sa décision du 28 février 2005, le juge des tutelles approuva le calendrier des rencontres proposé par l’AUSL jusqu’au 30 septembre 2005, réaffirma que ces rencontres étaient destinées à évaluer la possibilité du retour de S.B. chez sa mère la journée uniquement et fixa au 15 mai 2005 la date du dépôt du rapport de suivi par les services sociaux.

73. Auparavant, le 26 janvier 2005, les services sociaux avaient signalé au parquet près le juge des tutelles les difficultés rencontrées dans l’application de la décision de la cour d’appel.

74. Le 18 février 2005, le parquet près le tribunal pour enfants demanda au tribunal de « suspendre l’exécution de la décision de la cour d’appel de Bologne du 26 novembre 2004 en attendant un changement d’attitude de la mineure ». S.B. avait en effet déclaré ne pas vouloir rentrer chez sa mère, préférant continuer à la rencontrer une fois tous les deux ou trois mois.

75. Le 14 mars 2005, le tribunal pour enfants fit droit à la demande du parquet, chargea les services sociaux de poursuivre les rencontres mensuelles en lieu « protégé » pendant trois mois et convoqua Mme Roda à l’audience du 27 mai 2005.

76. Selon les informations fournies par les parties en mai et en août 2006, le deuxième requérant a rencontré les services sociaux à plusieurs reprises. Le 13 mars 2006, il a également sollicité auprès du tribunal pour enfants la garde de sa sœur, l’organisation de rencontres avec elle, seul ou avec sa mère, ainsi que l’autorisation de téléphoner à sa sœur. Le 15 mai 2006, le tribunal pour enfants rejeta ces demandes et chargea les services sociaux d’évaluer si la reprise des contacts de S.B. avec le deuxième requérant était dans l’intérêt de celle-ci.

Mme Roda continue de voir sa fille en présence d’assistants sociaux. Elle a introduit au moins trois demandes visant à obtenir le dépôt de l’enregistrement vidéo des rencontres.

B. Le droit interne pertinent

77. Aux termes de l’article 330 CC :

« Le juge peut prononcer la déchéance de l’autorité parentale lorsque le parent enfreint ou néglige ses obligations ou abuse des pouvoirs en découlant, d’une manière sérieusement préjudiciable à l’enfant.

Dans cette hypothèse, en cas de motifs graves, le juge peut ordonner l’éloignement de l’enfant de sa résidence familiale. »

78. La loi no 149 du 28 mars 2001 a modifié certaines dispositions du livre I, titre VIII, du code civil et de la loi no 184/1983.

L’article 333 du code civil, tel que modifié par l’article 37 § 2 de la loi no 149/2001, dispose ce qui suit :

« Lorsque le comportement d’un ou des deux parents n’est pas de nature à donner lieu à la décision de déchéance prévue par l’article 330, tout en étant préjudiciable à l’enfant, le juge peut, selon les circonstances, adopter les mesures qui s’imposent et peut même ordonner l’éloignement de l’enfant de la résidence familiale ou l’éloignement du parent ou concubin qui maltraite ou abuse l’enfant.

Ces mesures peuvent être révoquées à tout moment. »

L’article 336 CC, tel que modifié par l’article 37 § 3 de la même loi, prévoit que :

« Les mesures indiquées dans les articles qui précédent sont adoptées à la suite d’un recours de l’autre parent, de membres de la famille ou du ministère public et, lorsqu’il s’agit de révoquer des décisions antérieures, aussi du parent concerné.

Le tribunal décide en chambre du conseil, après avoir recueilli des informations et entendu le parquet. Si la mesure est demandée contre un des parents, celui-ci doit être entendu.

En cas d’urgence, le tribunal peut adopter, même d’office, des mesures intérimaires dans l’intérêt du mineur.

Pour les décisions mentionnées aux paragraphes précédents, les parents et le mineur sont assistés par un avocat, rémunéré par l’Etat dans les cas prévus par la loi. »

Selon l’article 4 § 4 de la loi no 149/2001, les décisions qui ordonnent la prise en charge et le placement d’un mineur au sein d’une famille doivent indiquer la durée prévisible du placement qui ne peut dépasser les deux ans. Le tribunal pour enfants peut toutefois décider de proroger la période si la suspension du placement nuit au mineur.

Les décisions des tribunaux pour enfants aux termes des articles 330 et 333 CC relèvent de leur juridiction gracieuse (« volontaria giurisdizione »). Elles n’ont pas un caractère définitif et peuvent dès lors être révoquées à tout moment. En outre, les décisions en question ne sont pas susceptibles d’appel mais peuvent faire l’objet de demandes de l’une des parties en cause à la cour d’appel pour qu’elle réexamine la situation (« reclamo »).

EN DROIT

I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

79. Le Gouvernement soutient que dans des affaires concernant l’éloignement d’un mineur de sa famille d’origine, les parents de celui-ci ne sauraient introduire une requête en son nom, les intérêts des uns et des autres étant dans pareilles situations distincts, voire contradictoires. Si toutes les personnes concernées ont le même droit au respect de leur vie privée et familiale, ce droit se concrétiserait pour les parents dans l’intérêt à reprendre chez eux le mineur, alors que pour ce dernier il pourrait fort bien consister dans le maintien de la situation d’éloignement de sa famille.

Dans un tel contexte, on ne peut accepter l’idée qu’une seule de ces deux positions soit portée à l’attention d’un organe judiciaire et que l’autre position soit empêchée de s’exprimer. S.B. a dernièrement formulé son avis de façon très claire sur la manière dont elle conçoit ses rapports avec sa mère et son frère.

Or, il serait inacceptable que la Cour puisse prendre une décision qui, directement ou indirectement, pourrait affecter les droits de S.B., sans avoir pris la peine d’entendre son opinion.

Le Gouvernement estime qu’il serait raisonnable d’inviter la famille d’accueil de S.B. à intervenir ou alors que la Cour devrait nommer une personne chargée de représenter S.B. devant elle.

En conclusion, la requête présentée au nom de S.B. par sa mère et son frère, qui défendent leur propre intérêt et non celui de la jeune fille, serait, pour cette partie, irrecevable.

80. Quant au deuxième requérant, le Gouvernement allègue qu’il ne s’est jamais constitué partie à la procédure devant le tribunal pour enfants de Bologne. L’affirmation contenue dans le résumé des faits de la requête (paragraphe 34 ci-dessus) selon laquelle ledit tribunal, dans sa décision du 29 janvier 2001, rejeta « en l’état la demande du deuxième requérant visant la reprise des rapports avec sa sœur », ne serait pas exacte. Cette demande fut en réalité avancée par le père de S.B., lequel n’avait cependant aucun locus standi pour introduire des demandes au nom de son fils. Le deuxième requérant, lui, ne présenta aucune demande sur le fond de l’affaire et se borna à solliciter le dépôt de la décision.

Par conséquent, il y aurait en l’espèce non-épuisement des voies de recours internes.

81. En se référant à l’arrêt Nielsen c. Danemark du 28 novembre 1988, série A no 144, les deux premiers requérants affirment que leur qualité de mère et frère biologiques leur donnent le droit d’introduire la requête au nom de S.B. afin de la protéger.

Le deuxième requérant conteste ensuite l’exception de non-épuisement soulevée à son égard en relevant qu’il s’est bel et bien constitué partie à la procédure le 24 janvier 2001, et qu’il a demandé la reprise des contacts avec sa sœur. Dans sa décision de rejet, le tribunal ne releva par ailleurs aucun motif d’irrecevabilité pour tardiveté ou capacité à agir en justice.

Enfin, malgré sa disponibilité, les services sociaux ne l’auraient jamais convoqué pour « le début des rencontres ».

82. La Cour rappelle qu’en principe, une personne n’ayant pas, au plan interne, le droit de représenter une autre personne peut tout de même, dans certaines circonstances, agir devant la Cour au nom de cette autre personne (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Nielsen c. Danemark précité, pp. 21-22, §§ 56-57, et Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 138, CEDH 2000-VIII). Des mineurs peuvent saisir la Cour même, et à plus forte raison, s’ils sont représentés par une mère et un frère en conflit avec les autorités, dont ils critiquent les décisions et la conduite à la lumière des droits garantis par la Convention.

Selon la Cour, en cas de conflit au sujet des intérêts d’un mineur entre le parent biologique et la personne investie par les autorités de la tutelle des enfants, il y a un risque que certains intérêts du mineur ne soient jamais portés à l’attention de la Cour et que le mineur soit privé d’une protection effective des droits qu’il tient de la Convention.

83. Par conséquent, la qualité de mère et frère biologiques de S.B. suffit à leur octroyer le pouvoir d’agir devant la Cour pour protéger les intérêts de S.B. La Cour observe, en outre, que Mme Roda n’a jamais été déchue de son autorité parentale.

84 En ce qui concerne le second volet de l’exception du Gouvernement, la Cour relève que le dossier de la requête contient l’acte de constitution à la procédure du deuxième requérant, daté du 7 janvier 2001 et déposé au greffe du tribunal pour enfants de Bologne le 24 janvier 2001. Ce document porte sur la première page la procuration signée par le requérant en faveur du même représentant légal que son père.

De plus, et même si, dans sa décision du 29 janvier 2001 (paragraphe 34 ci-dessus), le tribunal pour enfants donna aux services sociaux la possibilité de convoquer le deuxième requérant et de décider, le cas échéant, d’élaborer avec lui un programme de suivi destiné à lui faire « comprendre les exigences et le difficile vécu de sa sœur » et pouvant aboutir à l’organisation de rencontres avec S.B., aucune suite ne fut donnée par ces services jusqu’en 2006.

Dans la même décision, le tribunal pour enfants avait en outre motivé le rejet de la demande du deuxième requérant en soulignant, d’une part, que celui-ci avait toujours partagé avec ses parents l’attitude de négation de toute souffrance possible de S.B. autre que celle liée à la relation difficile entre les parents, et, d’autre part, qu’il vivait avec son père, « de sorte qu’une reprise des contacts de l’enfant avec son frère (...) pourrait être pour S.B. ambiguë et source de confusion. »

85. Eu égard à ce qui précède, l’exception du Gouvernement ne saurait être retenue.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION

Sur la recevabilité

86. Les requérants se plaignent de l’impossibilité d’avoir accès au dossier de la procédure de prise en charge de S.B. et de l’absence en droit interne d’un recours effectif pour obtenir une décision définitive jusqu’en janvier 2001.

87. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive. Or, lorsque la violation alléguée consiste en une situation continue, le délai de six mois ne commence à courir qu’à partir du moment où cette situation continue prend fin (voir, mutatis mutandis, Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, p. 508, § 35 et Marinakos c. Grèce, (déc.) no 49282/99, 29 mars 2000).

88. En l’espèce, les requérants ont introduit ces deux griefs dans la formule officielle de requête parvenue au greffe le 22 janvier 2003, alors que la situation dont ils se plaignent avait pris fin, d’une part, avec la levée de la mesure déclarant les pièces du dossier couvertes par le secret le 31 mars 1999 et, d’autre part, avec la décision du tribunal pour enfants de Bologne du 29 janvier 2001 confirmant notamment le placement de S.B. et ordonnant la reprise des contacts entre l’enfant et sa mère (paragraphes 12 et 32 ci-dessus).

Il s’ensuit que cette partie de la requête est tardive au sens de l’article 35 § 1 de la Convention et doit donc être rejetée conformément à l’article 35 § 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 4 DE LA CONVENTION

Sur la recevabilité

89. Les requérants affirment que S.B. suit un programme d’hippothérapie dans un centre équestre et qu’elle est également obligée de travailler tous les après-midi en assistant sa monitrice dans le cadre d’un autre programme d’hippothérapie destiné à des personnes handicapées. Il s’agirait là d’une activité dont le but réel et inavoué serait d’obtenir de la main d’œuvre gratuite. Ils en infèrent une violation de l’article 4 de la Convention, seul ou combiné avec l’article 3.

90. La Cour estime nécessaire d’examiner ce grief uniquement sous l’angle de la première disposition. Elle doit déterminer si la situation dénoncée par les requérants relève de l’article 4 et, en particulier, si l’on peut la qualifier de travail « forcé ou obligatoire ». Cela évoque l’idée d’une contrainte, physique ou morale. Il doit s’agir d’un travail « exigé (...) sous la menace d’une peine quelconque » et, de plus, contraire à la volonté de l’intéressé, pour lequel celui-ci « ne s’est pas offert de son plein gré » (voir l’arrêt Siliadin c. France, no 73316/01, § 117, CEDH 2005-...).

91. La Cour note qu’en l’espèce, rien ne permet d’affirmer que des contraintes physiques ou morales furent exercées sur S.B., ni que l’aide prêtée à la monitrice puisse passer pour un travail imposé contre la volonté de l’intéressée.

Par conséquent, ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

Sur la recevabilité

92. Dans leurs premières lettres à la Cour des 21 et 23 janvier 2002, les requérants alléguaient la violation de l’article 10 de la Convention au motif que les autorités publiques n’auraient pas pris en considération la volonté exprimée par S.B. au cours de son audition par le juge pénal de retourner à la maison avec sa mère. La liberté d’expression de S.B. aurait donc été méconnue.

93. Les requérants n’ont pas repris ce grief dans la formule de requête parvenue au greffe par télécopie le 15 janvier 2003, puis par courrier le 22 janvier 2003. Cette circonstance dispense la Cour d’examiner le grief.

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 8 DE LA CONVENTION

A. Sur la recevabilité

94. Dans leurs lettres des 21 et 23 janvier 2002, les requérants se plaignaient également d’une violation des articles 3 et 8 de la Convention en raison de l’éloignement de S.B. du foyer familial et de l’absence de tout contact avec l’enfant pendant près de quatre ans, et cela sans « aucune nécessité juridiquement fondée ». Le 22 janvier 2003, les requérants ont soulevé de nouveaux griefs. Invoquant l’article 3 de la Convention, ils se plaignaient que la prise en charge et le maintien du placement à l’assistance publique sans aucune prévision quant au retour en famille exposaient la vie de S.B. à un grave danger. Sur le terrain de la même disposition, le deuxième requérant se plaignait de l’absence de toute prise en considération des démarches qu’il avait entreprises afin d’avoir des contacts avec sa sœur. Selon les requérants, les services sociaux n’oeuvreraient pas en faveur du retour de S.B. dans sa famille.

95. La Cour estime qu’il y a lieu d’examiner ces griefs sous l’angle du seul article 8 de la Convention. Elle constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

96. Selon l’article 8 de la Convention,

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1. Sur l’existence de l’ingérence

97. Selon le Gouvernement, il y a certainement eu ingérence des autorités dans la vie familiale de Mme Roda ainsi que de S.B. En revanche, étant donnée la situation concrète de la famille, il n’y a pas eu ingérence dans la vie privée et familiale du deuxième requérant, qui n’habitait plus avec sa sœur.

98. La Cour rappelle que la notion de vie familiale « englobe pour le moins les rapports entre proches parents, lesquels peuvent y jouer un rôle considérable », par exemple, entre grands-parents et petits-enfants (Marckx c. Belgique, arrêt du 13 juin 1974, série A no 31, § 45, et Bronda c. Italie, no 22430/93, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, § 51). Dans une affaire concernant le refus d’octroyer l’accès du requérant à son neveu alors que ce dernier était placé dans une famille d’accueil, la Commission européenne des Droits de l’Homme s’était penchée sur la question de savoir si ce genre de rapports pouvaient être inclus dans la notion de « vie familiale » au sens de l’article 8 (Boyle c. Royaume-Uni, no 16580/90, rapport de la Commission du 9 février 1993). La Commission y souligna d’abord que la cohabitation n’était pas une condition sine qua non du maintien des liens familiaux et, considérant les contacts fréquents entre le requérant et son neveu ainsi que le fait que l’enfant avait passé de nombreuses fins de semaine chez son oncle, elle conclut que le lien substantiel existant entre les deux rentrait dans le champ d’application de la notion de « vie familiale ».

99. En l’occurrence, la Cour relève qu’ainsi qu’il ressort du dossier, le deuxième requérant a vécu en famille avec sa sœur jusqu’à la séparation de ses parents, quand il décida de suivre son père. Il est vrai qu’au moins à partir de la prise en charge de S.B., aucun contact entre les deux n’a eu lieu, mais cette circonstance n’est pas le résultat de son seul comportement ; les atermoiements des services sociaux y ont considérablement contribué. Partant, la Cour estime que le lien entre le deuxième requérant et sa soeur rentre dans la notion de vie familiale et qu’il y a eu ingérence dans la vie familiale du premier.

100. La Cour rappelle que toute ingérence dans la vie familiale emporte violation de l’article 8 de la Convention sauf si elle est « prévue par la loi », vise un ou plusieurs des buts légitimes énumérés au paragraphe 2 de cet article et peut passer pour « nécessaire dans une société démocratique ».

2. Sur la justification de l’ingérence

101. Selon le Gouvernement, l’ingérence en question était manifestement prévue par la loi. Le tribunal pour enfants a scrupuleusement respecté les dispositions légales en vigueur en adoptant des mesures intérimaires urgentes pour la protection de la mineure, au titre de l’article 336 § 3 du code civil. Ensuite, le tribunal a œuvré pour éclaircir les différents aspects de la situation, extrêmement délicate et complexe, en limitant autant que possible l’ampleur de l’ingérence. Il a pour ce faire réservé un traitement distinct à chacun des parents de S.B. « en fonction des différences non seulement dans le degré de responsabilité quant aux abus, mais aussi et surtout en fonction d’une appréciation attentive et différenciée des aptitudes respectives à l’exercice des devoirs parentaux et des possibilités qu’offraient l’un et l’autre (...) de pouvoir s’acquitter un jour positivement de ces tâches. »

102. Les requérants ne contestent pas le fait que l’intervention des autorités nationales était conforme au droit national.

103. La Cour observe que l’ingérence litigieuse était prévue par la loi et visait un but légitime, à savoir la sauvegarde de l’intérêt de l’enfant (« la protection des droits et libertés d’autrui »). Reste à savoir si cette ingérence pouvait passer pour une mesure « nécessaire dans une société démocratique ».

104. Selon le Gouvernement, la nécessité de prendre des mesures urgentes pour la protection de S.B. et le but légitime poursuivi par ces mesures ne font aucun doute. Les faits exceptionnellement graves mis à jour par l’enquête criminelle suffiraient à expliquer la prise en charge de l’enfant.

105. Le Gouvernement souligne que la tâche du tribunal pour enfants ne consiste pas à infliger à des parents une sanction par rapport à des comportements répréhensibles, mais à « intervenir dans les situations familiales pathologiques afin, d’une part, d’assurer autant que faire se peut le bien-être physique et psychologique des mineurs, leur développement harmonieux et serein, leur éducation correcte et, d’autre part, d’aider les adultes de la famille, pour autant que ces derniers soient disposés à collaborer (...), à résoudre leurs propres problèmes [afin de] leur permettre d’exercer leurs droits parentaux de manière positive (...) ». Même un parent condamné pour abus ou ayant observé un comportement simplement négligent pourrait ensuite faire preuve d’une si grande capacité de réflexion et de telles ressources morales et psychologiques qu’il pourrait fort bien recouvrer un rôle parental positif. A l’inverse, un parent innocenté après une procédure pénale ne serait pas pour autant apte à s’occuper de ses enfants et pourrait se montrer à tel point réfractaire à tout soutien psychologique et pédagogique que tout espoir de recouvrement du rôle parental pourrait être vain ou exigerait un long et patient travail à l’issue incertaine.

Les autorités nationales interviennent sur deux fronts pour protéger l’intérêt de l’enfant. D’une part, elles placent celui-ci dans un milieu apte à prendre la relève de son éducation et à lui offrir la protection et les soins matériels, psychologiques et affectifs dont il a besoin, le temps nécessaire pour lui permettre d’élaborer positivement son vécu de souffrance. D’autre part, elles mènent un travail de préparation aussi bien à l’égard du mineur que des adultes de sa famille, pour rétablir à terme les relations qui apparaissent encore potentiellement positives. Difficile et délicat, ce travail s’accommoderait mal de toute précipitation, susceptible de compromettre le résultat final.

106. Le Gouvernement fait remarquer qu’en l’occurrence, compte tenu des éléments en sa possession – à savoir le résultat de l’instruction criminelle, l’expertise d’office ainsi que l’observation quotidienne de la personnalité de S.B. par les services sociaux –, le tribunal pour enfants estima que la jeune fille avait besoin d’une période d’éloignement de sa mère et du reste de sa famille, pendant laquelle elle devait être placée dans une famille d’accueil. Des rencontres ont par ailleurs lieu régulièrement, en milieu protégé, pour permettre à la fille de reconstituer une relation positive avec sa mère, considérée par le tribunal comme « potentiellement capable de récupérer son rôle grâce à un travail psychopédagogique approprié ». En outre, les rencontres non protégées au domicile de la première requérante, prévues par la cour d’appel mais impraticables pour le moment, notamment à cause du refus de S.B., ne seraient pas pour autant exclues.

107. Quant au deuxième requérant, il serait inévitable, selon le Gouvernement, qu’à l’occasion de rencontres avec sa sœur il pût, même involontairement, véhiculer des messages inspirés par leur père, ce qui aurait immanquablement un effet déstabilisant pour S.B. C’est pour cette raison que le tribunal a interrompu les contacts entre le deuxième requérant et sa sœur, tout en n’en excluant nullement une reprise à l’avenir.

108. Enfin, les autorités judiciaires auraient mené les différentes procédures de manière rapide et efficace en prenant soin de recueillir également l’opinion de S.B. De même, les services sociaux auraient effectué et continueraient de faire un travail remarquable en assurant un suivi constant de l’évolution de la situation.

En définitive, les décisions prises par les autorités italiennes se situeraient dans le cadre du deuxième paragraphe de l’article 8 et seraient conformes aux principes énoncés par la jurisprudence de la Cour en la matière.

109. Les requérants contestent les arguments du Gouvernement. L’absence de contacts entre eux et S.B. pendant une longue période et le déroulement des rencontres entre les deux requérantes n’auraient produit d’autre effet que celui de rendre difficile toute tentative de reconstruction de relations sereines. Les autorités italiennes n’auraient pas dû éloigner S.B. de sa mère et de son frère qui étaient en mesure de la protéger et de la soutenir en attendant l’issue des investigations.

La première requérante affirme avoir toujours collaboré avec les services sociaux et stigmatise l’absence d’un vrai projet thérapeutique destiné à la rapprocher à nouveau de sa fille. Selon elle, S.B. aurait dû lui être confiée, notamment, après l’échec du placement dans le centre d’accueil, mais les autorités en ont décidé autrement en plaçant l’enfant dans une famille. Des retards importants seraient enfin à relever dans la conduite de l’affaire par les juges nationaux coupables, par exemple, d’avoir laissé l’expert d’office déposer son rapport un an après avoir accepté le mandat, de ne pas avoir su contrôler plus efficacement les services sociaux qui auraient souvent négligé de rendre compte du suivi de la situation de S.B.

110. La Cour rappelle que si l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. Dans ce contexte, la Cour a déclaré à de nombreuses reprises que l’article 8 implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, IgnaccoloZenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000-I, et Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, § 127, CEDH 2000-VIII).

Cette obligation n’est toutefois pas absolue. Sa nature et son étendue dépendent des circonstances de chaque espèce, mais la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées en constituent toujours un facteur important. Si les autorités nationales doivent s’évertuer à faciliter pareille collaboration, une obligation pour elles de recourir à la coercition en la matière ne saurait être que limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et notamment des intérêts supérieurs de l’enfant et des droits que lui reconnaît l’article 8 de la Convention. Dans l’hypothèse où des contacts avec les parents risquent de menacer ces intérêts ou de porter atteinte à ces droits, il revient aux autorités nationales de veiller à un juste équilibre entre eux (Ignaccolo-Zenide, précité, § 94).

La frontière entre les obligations positives et négatives de l’Etat au titre de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents ; de même, dans les deux hypothèses, l’Etat jouit d’une certaine marge d’appréciation (voir, par exemple, les arrêts W. c. Royaume-Uni du 8 juillet 1987, série A no 121, p. 27, § 60, B. c. Royaume-Uni du 8 juillet 1987, série A no 121, p. 72, § 61, R. c. Royaume-Uni du 8 juillet 1987, série A no 121, p. 117, § 65, Gnahoré c. France, no 40031/98, § 52, CEDH 2000IX, et Couillard Maugery c. France, no 64796/01, § 239, 1er juillet 2004).

111. La Cour relève que le point décisif en l’espèce consiste à savoir si les autorités nationales ont pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles.

112. En ce qui concerne l’éloignement de S.B. et sa prise en charge – que les requérants jugent non fondés –, la Cour relève que le tribunal pour enfants justifia sa décision du 6 novembre 1998 (paragraphe 7 ci-dessus) en se référant aux fortes présomptions que l’enfant avait subi des abus sexuels de la part de personnes faisant partie de la famille des requérants et aux doutes sur la capacité de protection de la première requérante. Considérant crédibles les déclarations de M., le tribunal suspendit l’autorité parentale des deux parents, le père apparaissant directement impliqué dans les faits dénoncés et la mère incapable d’offrir la protection nécessaire à son enfant.

Le recours à une procédure d’urgence pour éloigner S.B. s’inscrit parfaitement dans les démarches que les autorités nationales sont en droit d’entreprendre dans les affaires de sévices sexuels qui constituent incontestablement un type odieux de méfaits qui fragilisent les victimes. Les enfants et autres personnes vulnérables ont droit à la protection de l’Etat, sous la forme d’une prévention efficace les mettant à l’abri de formes aussi graves d’ingérence dans des aspects essentiels de leur vie privée (voir les arrêts Stubbings et autres c. Royaume-Uni du 24 septembre 1996, Recueil 1996-IV, § 64, mutatis mutandis, Z. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, § 73, A. c. Royaume-Uni du 23 septembre 1998, Recueil 1998VI, § 22, et Covezzi et Morselli c. Italie, no 52763/99, § 103, 9 mai 2003).

113. Dans ces conditions, la Cour est d’avis que la prise en charge et l’éloignement de S.B. peuvent passer comme des mesures proportionnées et « nécessaires dans une société démocratique » pour la protection de la santé et des droits de l’enfant. Le contexte délictueux réellement complexe qui voyait parmi les protagonistes des membres de l’entourage familial proche des mineurs victimes d’abus, pouvait raisonnablement amener les autorités nationales à considérer que le maintien de S.B. dans le foyer de sa mère pouvait lui porter préjudice.

114. Partant, la Cour estime qu’il n’y a eu aucune violation de l’article 8 sur ce point.

115. Quant à l’absence de contacts entre les deux premiers requérants et S.B. et l’organisation des rencontres, la Cour rappelle d’abord que toute prise en charge doit en principe être considérée comme une mesure temporaire, à suspendre dès que les circonstances s’y prêtent, et que tout acte d’exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent par le sang et l’enfant (voir, entre autres, les arrêts Olsson c. Suède (no 1) du 24 mars 1988, série A no 130, § 81, et Covezzi et Morselli c. Italie précité, § 118). Une interruption prolongée des contacts entre parents et enfants ou des rencontres trop espacées dans le temps risqueraient de compromettre toute chance sérieuse d’aider les intéressés à surmonter les difficultés apparues dans la vie familiale (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Scozzari et Giunta c. Italie [GC] précité, § 177). Dès lors, même si la mesure d’éloignement était justifiée, il incombe à la Cour d’examiner si les restrictions supplémentaires étaient conformes à l’article 8, en vertu duquel les intérêts des requérants devaient être protégés.

Si les autorités ont l’obligation d’œuvrer pour faciliter la réunion de la famille et les contacts entre ses membres, tout recours à la coercition en la matière se trouve forcément limité par le souci de l’intérêt supérieur de l’enfant. Lorsque des contacts avec les parents semblent menacer cet intérêt, il appartient aux autorités nationales de ménager un juste équilibre entre les intérêts des enfants et ceux des parents (voir, entre autres, l’arrêt K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 194, CEDH 2001VII).

116. La Cour note qu’en novembre 1998, le tribunal pour enfants ordonna l’interruption des rapports entre Mme Roda et sa fille en considérant la première pour le moins incapable d’offrir une protection suffisante à l’enfant. La nécessité de mettre cette dernière à l’abri en la plaçant dans un milieu protégé s’imposait comme une évidence.

Le 19 mai 1999, compte tenu ensuite du résultat des deux expertises d’office – qui avaient conclu à « l’existence de lésions liées à des rapports sexuels complets, multiples et répétés » et « à une cohérence élevée avec l’hypothèse d’actes d’abus sexuels » –, et au vu des deux premiers rapports de suivi déposés par les services sociaux, le tribunal pour enfants estima nécessaire de ne pas modifier la situation de placement de S.B. Ses parents n’étaient pas en mesure de lui fournir la protection dont elle avait besoin et le retour dans le foyer maternel n’était pas possible à ce moment-là.

117. La Cour relève que les rapports de suivi des services sociaux déposés à l’issue de multiples rencontres avec les quatre membres de la famille Bonfatti-Roda –, ainsi que les deux rapports de l’expert désigné le 19 mai 1999, mirent en évidence une grave souffrance chez l’enfant, ce que les parents expliquaient par la situation familiale et par la décision prise en 1998 d’éloigner l’enfant.

118. La Cour note que les deux prorogations du délai fixé le 19 mai 1999 accordées par le tribunal à l’expert (lequel déposa ses premières conclusions sur S.B. le 7 juin 2000 et son rapport final le 19 juillet 2000) entraînèrent un retard important dans la procédure (plus d’un an et un mois à compter du 24 juin 1999, date à laquelle l’expert avait prêté serment).

Tout en reconnaissant que le caractère délicat de ce type d’enquête exige rigueur et absence de précipitation, la Cour estime qu’une plus grande diligence s’imposait.

119. Par contre, la Cour n’estime pas déraisonnable la décision du 29 janvier 2001, par laquelle le tribunal pour enfants confirma le placement de l’enfant dans un environnement protégé de préférence de type familial, déchut le père de son autorité, eu égard notamment à la personnalité de celui-ci et au vécu de peur de sa fille à son égard (paragraphe 32 ci-dessus), et considéra prématurée la reprise des contacts entre les requérants, la première requérante ne semblant pas encore en mesure de venir en aide à sa fille et le deuxième requérant pouvant engendrer des sentiments de confusion chez S.B. (paragraphes 33 et 34 ci-dessus).

120. La Cour note ensuite que le 7 juin 2001, ayant été informée par les services sociaux de leur impuissance à soutenir psychologiquement l’enfant qui refusait en bloc le monde extérieur, la cour d’appel de Bologne exhorta les services à s’activer immédiatement afin de sortir l’enfant de sa situation d’abandon et d’isolement et d’essayer de la rapprocher de sa mère. Toutefois, la première rencontre entre la mère et la fille n’eut lieu que le 28 mars 2002. Il fallait certes un travail de préparation adéquat de la part des services sociaux, mais cette exigence n’explique pas pourquoi il leur fallut cinq mois avant de rencontrer la psychologue de Mme Roda, puis les interventions du parquet et du juge des tutelles qui, à la demande de la première requérante, ordonnèrent aux services sociaux de procéder à la première rencontre et de l’enregistrer.

Par la suite, les rencontres eurent lieu à intervalles presque réguliers. Le juge des tutelles dut néanmoins être sollicité à plusieurs reprises par Mme Roda afin d’obtenir le dépôt rapide de l’enregistrement vidéo des rencontres, le droit de correspondre avec S.B., la remise à celle-ci d’un téléphone portable et une information constante sur le placement en famille de l’enfant (paragraphes 41-46 ci-dessus).

121. Quant au deuxième requérant, la Cour relève que malgré la possibilité laissée aux services sociaux par le tribunal pour enfants d’évaluer l’opportunité d’organiser des rencontres avec sa sœur après une période de préparation adéquate et acceptée par l’intéressé, aucune démarche ne fut entreprise en ce sens, si bien que le même tribunal, le 7 juillet 2004, (paragraphe 63 ci-dessus) réitéra son invitation aux services sociaux. Selon les dernières informations fournies par le conseil des requérants, le deuxième requérant aurait participé à des entretiens avec les services sociaux.

122. Dans sa décision du 7 juillet 2004, au vu des résultats encourageants du placement en famille, le tribunal prorogea de deux ans au moins ce placement, et opta pour la poursuite des rencontres en lieu protégé même lors de certaines festivités. Cette décision fut confirmée en appel le 26 novembre 2004.

123. La Cour constate que si toutes ces interventions des autorités judiciaires ont été adoptées après mûre réflexion et sur la base des enquêtes menées par les experts et les services sociaux, on ne saurait négliger le fait que l’écoulement du temps à partir de la reprise des contacts entre la mère et la fille n’a pas favorisé le rapprochement entre les requérants. En effet, S.B. a manifesté sa volonté de ne pas se plier aux décisions judiciaires prévoyant un contact plus fréquent et moins rigide avec sa mère.

Alerté par les services sociaux, le parquet demanda en février 2005 la suspension de l’exécution de la décision de la cour d’appel de Bologne du 26 novembre 2004 en attendant un changement d’attitude de la mineure. Le tribunal accueillit la demande et, en mars 2005, rétablit le principe plus strict de rencontres mensuelles en lieu protégé.

124. Cette situation n’a pas évolué positivement.

125. Dans ces conditions, et au vu de ce qui précède, et même en tenant compte des réticences manifestées par S.B., il y lieu de conclure que les mesures prises afin de ménager un juste équilibre entre les intérêts de la fille et les droits que les deux premiers requérants tiennent de l’article 8 n’ont pas été entièrement suffisantes. Partant, il y a eu violation de cette disposition du fait de l’interruption prolongée des rapports et de l’organisation défectueuse des rencontres entre les deux premiers requérants et S.B.

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

126. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

127. Les requérants réclament à titre de préjudice matériel : 2 910,68 euros (EUR) correspondant au coût de la psychothérapie suivie par Mme Roda, 60 EUR relatifs aux frais pour les rencontres du deuxième requérant avec les services sociaux, et 200 EUR pour l’achat d’un téléphone portable.

Quant au préjudice moral, les deux premiers requérants sollicitent l’octroi de 100 000 EUR chacun et 200 000 EUR pour S.B.

128. Selon le Gouvernement, les sommes réclamées pour dommage matériel n’ont aucun rapport avec les violations alléguées, mais sont liées à une situation objective qui n’est pas en soi contraire à la Convention.

En effet, les violations éventuelles que la Cour pourrait constater ont trait à des aspects particuliers de la situation litigieuse, mais ne mettent pas en cause la décision initiale d’éloignement de la mineure ou la nécessité de préparer de manière adéquate sa réinsertion dans sa famille d’origine, qui ne saurait être niée.

En particulier, la psychothérapie suivie par Mme Roda, opportune pour l’aider à recouvrer son rôle de parent et surmonter les difficultés qui l’empêchent d’entretenir un rapport constructif avec sa fille, ne constituerait ni une violation de la Convention ni une conséquence directe d’une telle violation. Il en irait de même pour les rencontres du deuxième requérant avec les assistants sociaux. Quant à l’achat d’un téléphone portable pour S.B., on voit mal le lien avec la situation litigieuse.

129. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour pour qu’elle détermine en équité le préjudice moral, en précisant que les sommes réclamées sont excessives et sans justification aucune. En particulier, la somme demandée par le deuxième requérant n’a aucun rapport avec la réelle souffrance qu’il peut avoir ressentie.

Quant à la somme sollicitée au nom de S.B., il y aurait lieu de tenir compte de ce que celle-ci ne cesse de manifester son bien-être dans la situation actuelle de placement en famille. Il serait donc étonnant que la Cour lui octroyât une somme en compensation d’une prétendue souffrance qu’elle ne ressent manifestement pas.

En conclusion, le Gouvernement estime qu’un éventuel constat de violation serait une satisfaction équitable suffisante pour tous les requérants et que de toute manière, les sommes demandées devraient être réduites dans des limites plus raisonnables.

130. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à chaque requérant 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

131. La première requérante demande 8 700 EUR pour l’assistance de sa psychologue lors des rencontres, 18 035 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et 21 930 EUR pour ceux encourus devant la Cour.

Le deuxième requérant demande 10 965 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

132. Le Gouvernement affirme que les frais exposés dans le cadre des procédures internes ne sont pas dus, faute de tout rapport avec les violations alléguées. Selon lui, ces frais étaient nécessaires pour les exigences de la « défense » devant les autorités judiciaires.

Quant aux frais de la procédure de la Convention, ils seraient excessifs par rapport à « la nature et à la relative simplicité de l’affaire, ainsi qu’à la consistance de l’activité défensive effectivement déployée et réellement nécessaire ».

Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour pour la liquidation de ces frais dans une mesure raisonnable et conforme à sa pratique.

133. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 6 000 EUR tous frais confondus et l’accorde aux deux premiers requérants conjointement.

C. Intérêts moratoires

134. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 quant à la prise en charge et à l’éloignement de S.B. ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 quant à l’absence de contacts entre les deux premiers requérants et S.B. et à l’organisation défectueuse des rencontres ;

4. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention,

(i) 3 000 EUR (trois mille euros) à chaque requérant pour dommage moral,

(ii) 6 000 EUR (six mille euros) aux deux premiers requérants conjointement pour frais et dépens,

(iii) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 novembre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Naismith J.-P. Costa
Greffier adjoint Président