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Rozsudek
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE DIMA c. ROUMANIE
(Requête no 58472/00)
ARRÊT
STRASBOURG
16 novembre 2006
DÉFINITIF
26/03/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Dima c. Roumanie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,
L. Loucaides,
Mme F. Tulkens,
M. C. Bîrsan,
Mme N. Vajić,
MM. D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Quesada, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 octobre 2006,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 58472/00) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Victor Dima (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 décembre 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Me M. Manache, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Beatrice Ramaşcanu, directrice au ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant se plaignait en particulier de l'iniquité de la procédure civile contre la R.A. « Monetaria statului » S.A. (« la société M. »), notamment du fait que les juridictions internes ont appliqué rétroactivement la loi no 8/1996 pour conclure à l'inexistence de son droit d'auteur et qu'elles n'ont pas examiné le moyen qu'il avait soulevé relatif à la nullité de l'expertise comptable effectuée dans cette procédure.
4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
6. Par une décision du 26 mai 2005, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.
7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8. Le requérant est né en 1953 et réside à Bucarest. Licencié de l'Institut d'arts plastiques de Bucarest, il était à l'époque des faits officier actif de l'armée roumaine et travaillait au sein du studio d'arts plastiques du ministère de la Défense.
9. Après la chute du régime communiste en décembre 1989, les autorités roumaines décidèrent d'adopter un nouvel emblème d'Etat. A une date non précisée, une commission parlementaire spécialement constituée, mandatée par le Parlement pour engager des experts provenant de divers domaines, afin de présenter, dans un délai fixé, les maquettes de l'emblème et du sceau de l'Etat, désigna le requérant pour travailler avec d'autres experts pour conseiller la commission et réaliser le projet d'emblème à soumettre au Parlement avec un projet de loi.
10. La maquette réalisée par le requérant sur commande de la commission précitée, approuvée par le Parlement après quelques retouches, fut entérinée par la loi no 102/1992 portant sur l'emblème et le sceau de l'Etat, publiée dans le Journal officiel de la Roumanie no 236 du 24 septembre 1992. Le nom du requérant figurait dans ce numéro du Journal officiel avec la mention « auteur des maquettes graphiques » en bas de la dernière page du texte de la loi no 102/1992.
11. Le 29 mars 1996, le requérant saisit en vertu du décret no 321/1956 sur les droits d'auteur (ci-après, le « décret no 321/1956 ») le tribunal départemental de Bucarest d'une action contre la société M., entreprise d'Etat chargée de frapper la monnaie roumaine, tendant à la condamner au paiement du pourcentage légal des bénéfices obtenus par la reproduction de ses maquettes. A l'appui de son action, il soumit au tribunal, entre autres, le numéro du Journal officiel précité ainsi que deux lettres du directeur de l'agence chargée des droits d'auteur au sein du ministère de la Culture reconnaissant sa qualité d'auteur des maquettes.
12. En parallèle, le requérant introduisit deux autres actions ayant un objet similaire contre d'autres entreprises qui reproduisaient l'emblème et le sceau de l'Etat. Dans ces deux procédures, par deux arrêts du 2 juillet 1999 rendus en dernier ressort, la Cour suprême de justice rejeta l'action du requérant comme mal fondée. Elle estima que le travail du requérant n'avait pas eu pour résultat une « œuvre de création intellectuelle », au sens du décret no 321/1956, et que les symboles de l'Etat ne figuraient pas dans ce décret, qui avait utilisé la technique législative de l'énumération des œuvres protégées par les droits d'auteur.
13. Dans la procédure contre la société M., le tribunal départemental de Bucarest ordonna, sur demande du requérant, la réalisation d'une expertise comptable en vue de déterminer le bénéfice obtenu par la société défenderesse pour la reproduction des maquettes litigieuses. Il ressort du dossier que le tribunal approuva les propositions du requérant quant aux termes du mandat de l'expert. Ce dernier devait déterminer le nombre de commandes ayant pour l'objet la reproduction de l'emblème et du sceau de l'Etat exécutées par la société M. depuis octobre 1992, le montant des sommes encaissées à cet égard et le montant dû au requérant en vertu de la loi invoquée à l'appui de son action. A l'audience du 30 mars 1998, le tribunal désigna un nouvel expert pour effectuer l'expertise en cause.
14. Le 16 mai 1998, l'expert envoya au requérant une lettre simple, dans laquelle il précisait le montant de ses honoraires et faisait état que l'insuffisance des preuves au dossier ne lui permettait pas de répondre aux termes du mandat. L'expert indiquait qu'il contacterait la société défenderesse le 18 mai 1998 à 14 heures et qu'il convoquait également le requérant à cette occasion, et précisait qu'en l'absence des éléments de preuves susmentionnés, il informerait le tribunal de son impossibilité de réaliser l'expertise. Selon le requérant, qui fournit une copie de l'enveloppe de la lettre, ce courrier ne lui parvint que l'après-midi du 18 mai 1998.
15. Le 1er juin 1998, l'expert, qui s'était rendu au siège de la société défenderesse le 18 mai 1998 en l'absence du requérant pour réaliser son expertise, déposa au dossier de l'affaire le rapport d'expertise. Dans son rapport, il exposa que le requérant revendiquait des droits « dont il présumait seulement qu'ils lui appartenaient ». Il ajouta que le requérant aurait transmis au Parlement son droit sur les maquettes litigieuses et que les symboles de l'Etat ne pouvaient faire l'objet de commerce. Se fondant principalement sur la déclaration des représentants de la société M., l'expert indiqua que cette société n'avait ni reçu, ni exécuté de commandes pour la reproduction de l'emblème et du sceau de l'Etat afin de les commercialiser et d'en tirer un profit pécuniaire.
16. A l'audience du 29 juin 1998, l'avocat du requérant présenta au tribunal départemental de Bucarest ses objections au rapport d'expertise.
17. Par un jugement du 28 septembre 1998 le tribunal départemental de Bucarest rejeta l'action du requérant comme irrecevable, au motif qu'en vertu de la nouvelle loi no 8/1996 concernant les droits d'auteur (ci-après, la « loi no 8/1996 »), l'emblème et le sceau de l'Etat ne bénéficiaient pas de la protection revendiquée par l'intéressé. Le requérant interjeta appel contre le jugement, faisant valoir notamment que la loi no 8/1996 avait été appliquée de manière rétroactive à son action.
18. Par un arrêt du 27 janvier 2000, la cour d'appel de Bucarest rejeta l'appel du requérant, aux motifs que l'absence de rémunération de l'intéressé par le Parlement en tant qu'expert parlementaire ne transformait pas son droit à une rémunération en droit d'auteur, et que la reproduction de l'emblème et du sceau de l'Etat par la société M. ne poursuivait pas un but commercial. La cour d'appel conclut, sans d'autres précisions, que le rejet de l'action du requérant était justifié tant pour la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi no 8/1996 que pour celle postérieure.
19. Contre cet arrêt, le requérant se pourvut en cassation le 8 février 2000, en faisant valoir que les tribunaux n'avaient pas pris en compte les lettres des autorités reconnaissant son droit d'auteur, et en contestant l'application rétroactive en l'espèce de la loi no 8/1996 et le fait que l'expertise comptable, sur laquelle les juridictions s'étaient fondées, avait été rédigée sans qu'il soit cité par l'expert. Le 9 octobre 2000, le requérant compléta son recours précisant que l'expertise en question était frappée de nullité en vertu des articles 105 et 208 du code de procédure civile, en raison de la méconnaissance par l'expert de la procédure de citation des parties, et que l'expert avait outrepassé, par des appréciations d'ordre juridique, le mandat qui lui avait été fixé par le tribunal.
20. Par un arrêt du 17 octobre 2000, la Cour suprême de Justice rejeta le recours du requérant. Les passages pertinents des motifs de l'arrêt se lisent comme suit :
« Il ressort de l'action introductive que le requérant a demandé que la société défenderesse soit obligée à lui rembourser le pourcentage légal dû en raison de la reproduction et de la vente des maquettes graphiques représentant l'emblème et le sceau de l'Etat, dont il est l'auteur (...).
En l'espèce, il n'a pas été prouvé que la société défenderesse avait reçu ou exécuté des commandes pour la reproduction de l'emblème et du sceau de l'Etat afin de les commercialiser et d'en tirer un profit pécuniaire, ce qui pourrait justifier la demande du requérant sur un quota du profit, conformément au décret no 321/1956. Les preuves auxquelles le requérant fait référence et dont il prétend qu'elles ont été ignorées par la cour d'appel, à savoir les lettres du 31 mai 1999 du Parlement et des 24 février et 22 novembre 1995 du ministère de la Culture, ne sont pas déterminantes en l'espèce, vu l'objet de l'action.
Concernant le rapport d'expertise comptable, ses conclusions fondées sur des constats directs prouvent que la société défenderesse n'avait pas reçu ou exécuté des commandes pour la reproduction de l'emblème et du sceau de l'Etat afin de les commercialiser et d'en tirer un profit.
Le fait que les décisions rendues en premier ressort et en appel ont fait également référence à l'article 9 de la loi no 8/1996 sur le droit d'auteur ne conduit pas à conclure à leur illégalité, car tant le décret nº 321/1956 que la constitution de 1965 ont prévu que l'emblème et le sceau de l'Etat ne peuvent faire l'objet d'un droit d'auteur. »
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
21. Le décret no 321/1956, qui régissait le droit d'auteur au moment de l'introduction par le requérant de son action contre la société M., se lisait comme suit dans ses parties pertinentes :
Article 2
« Est auteur la personne qui a créé l'œuvre. L'auteur jouit tout au long de sa vie des droits d'auteur. Le droit d'auteur naît à partir du moment où l'œuvre prend la forme de manuscrit, esquisse, thème, tableau ou autre forme concrète. »
Article 9
« Dans la dénomination d'œuvres sur lesquelles s'exerce les droits d'auteur sont comprises toutes les œuvres de création intellectuelle du domaine littéraire, artistique ou scientifique, nonobstant leur contenu ou leur forme d'expression, indifféremment de leur valeur et leur destination, telles que : (...) les œuvres de peinture, sculpture, graphique (...), les plans, les esquisses et les œuvres plastiques concernant toute branche de la science. »
22. Ni le décret no 321/1956, ni la constitution de 1965 ne contenaient de dispositions relatives aux droits d'auteur sur des œuvres représentant les symboles de l'Etat.
23. Le 26 septembre 1996 est entrée en vigueur la loi no 8/1996 relative au droit d'auteur, qui a abrogé le décret no 321/1956. Son article 9 se lit ainsi :
« Ne peuvent bénéficier de la protection légale du droit d'auteur : (...)
c) les symboles officiels de l'Etat, des autorités publiques (...), tels que : l'emblème, le sceau (...) »
24. Les dispositions pertinentes du code de procédure civile, relatives à la citation des parties par l'expert lors de la réalisation d'une expertise et à la nullité des actes de procédure, se lisent comme suit :
Article 105
« (...)
(2) Les actes de procédure accomplis en méconnaissance des dispositions légales (...) seront déclarés nuls seulement si cette méconnaissance a produit à la partie en question un préjudice qui ne peut être réparé que par l'annulation de l'acte. Dans le cas des nullités prévues par la loi, le préjudice est présumé jusqu'à preuve du contraire. »
Article 108
« Les nullités d'ordre public peuvent être invoquées par les parties ou par le juge en tout état de la procédure.
Les autres nullités seront constatées seulement si la partie intéressée les a invoquées.
Les irrégularités des actes de procédure sont couvertes si la partie intéressée ne les a pas invoquées à la première audience consacrée au dépôt des conclusions sur le fond de l'affaire et avant qu'elle soumette de telles conclusions. (...) ».
Article 208
« (1) Si pour l'expertise il s'avère nécessaire de procéder à un acte dans un lieu défini, il ne pourra être effectué qu'après convocation des parties par lettre recommandée, avec avis de réception, avec indication des jours et des heures auxquels l'acte commencera et se poursuivra. L'avis de réception sera joint à l'expertise (...) »
25. L'article 89 du code de procédure civile prévoit que, sous peine de nullité, la citation doit être remise à une partie au moins cinq jours avant la date de l'audience.
26. Dans des arrêts des 1er février 1994, 10 septembre 1997, 12 mai et 23 novembre 2004, la Cour suprême de justice a constaté la violation de la procédure de citation d'une partie au procès par l'expert lors de la réalisation de l'expertise, procédure imposée par l'article 208 du code de procédure civile. En conséquence, elle a jugé illégaux les jugements qui se sont appuyés sur de telles expertises, les a cassés et les a renvoyés pour la réalisation de nouvelles expertises. Dans l'arrêt no 343/1980, la Cour suprême de justice a jugé que la procédure de citation n'a pas été accomplie conformément aux exigences du code de procédure civile dans le cas où l'expert a cité les parties le jour même de la réalisation de l'expertise, vu qu'il n'y a pas de certitude que les parties ont été effectivement informées en temps utile de la date et de l'heure auxquelles l'expert ferait ses constatations de fait.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
27. Le requérant allègue qu'il n'a pas bénéficié d'une procédure équitable en raison, d'une part, du défaut de réponse par la Cour suprême de justice au moyen de recours tiré de la nullité de l'expertise comptable résultant de l'absence de citation par l'expert et, d'autre part, de l'application rétroactive de la loi no 8/1996 à son affaire. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention dont les passages pertinents se lisent comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Thèses des parties
28. Le Gouvernement considère que, même si leur motivation n'est pas très détaillée, les juridictions internes ont satisfait à l'exigence d'examiner et de réponde de manière motivée aux arguments du requérant, conformément à l'article 6 § 1 tel qu'interprété par la jurisprudence de la Cour (Ruiz Torija c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303-A, p. 12, § 29 ; et Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, p. 20, § 61). Par ailleurs, tout au long de la procédure, le requérant a eu l'opportunité de soumettre des moyens de preuve et des arguments à l'appui de sa cause ainsi que de débattre contradictoirement ceux de la partie défenderesse.
29. S'agissant de la méconnaissance de la procédure de citation du requérant par l'expert et du fait que ce dernier aurait outrepassé ses pouvoirs, le Gouvernement fait valoir que la Cour suprême de justice a indiqué que les conclusions de l'expert étaient fondées sur des constats directs et ajoute que, de toute manière, l'expert a cité le requérant afin de réaliser contradictoirement l'expertise le 18 mai 1998 au siège de la société M. Par ailleurs, il considère que l'expertise comptable qui portait sur le droit de l'intéressé à une partie des bénéfices obtenus par la reproduction de ses maquettes dépendait de la reconnaissance préalable du droit d'auteur de ce dernier. De ce fait, il estime que les conclusions de l'expertise n'ont pas joué un rôle déterminant dans le rejet de l'action du requérant.
30. Concernant l'application rétroactive alléguée par le requérant de la loi no 8/1996, le Gouvernement relève que, dans leurs arrêts des 27 janvier et 17 octobre 2000, la cour d'appel de Bucarest et la Cour suprême de justice respectivement ont répondu à ce moyen, jugeant que le droit d'auteur sur les maquettes des symboles de l'Etat n'était pas protégé par les dispositions pertinentes antérieures à la loi no 8/1996, à savoir le décret no 321/1956 et la constitution de 1965. Rappelant qu'il revient au premier chef aux tribunaux nationaux d'interpréter le droit interne, il ajoute que même si le décret et la constitution précités ne contiennent pas de dispositions relatives aux symboles de l'Etat, les tribunaux les ont interprétés dans le sens que ces symboles ne font pas l'objet de la protection du droit d'auteur, ce qui ne saurait passer pour une conclusion arbitraire, compte tenu des motifs fournis.
31. Le requérant considère que les juridictions ont méconnu l'article 6 § 1 de la Convention, en omettant d'examiner ses principaux moyens, dont notamment la nullité de l'expertise comptable, ainsi que les preuves fournies à l'appui de l'existence de son droit d'auteur, en particulier les documents délivrés par le ministère de la Culture.
32. Il estime que l'expertise comptable a joué un rôle essentiel dans le rejet de son action, fait démontré par l'argument de la Cour suprême de justice selon lequel l'existence d'un profit commercial de la société M. aurait pu justifier l'accueil de sa demande en dommages-intérêts. De ce fait, l'absence de tout examen par la Cour suprême de l'exception tirée de la nullité de l'expertise en raison du défaut de citation par l'expert, alors que les tribunaux sont obligés de traiter ces questions en priorité en vertu de l'article 137 du code de procédure civile, a porté atteinte à son droit à un procès équitable. Le requérant ajoute que la lettre qui lui a été envoyée par l'expert le 16 mai 1998 ne respectait pas les dispositions prévues sous peine de nullité par les articles 89 et 208 du code de procédure civile en matière de citation et fait valoir, preuves à l'appui, qu'il ne l'a reçue que l'après‑midi du 18 mai 1998, de sorte qu'il a été dans l'impossibilité de participer à la réalisation de l'expertise.
33. Le requérant considère également que les tribunaux ont appliqué rétroactivement la loi no 8/1996, puisque ni le décret no 321/1956 ni la constitution de 1965 ne contenaient de dispositions excluant les maquettes représentant des symboles de l'Etat de la protection du droit d'auteur, comme l'a affirmé la Cour suprême de justice dans son arrêt du 17 octobre 2000. A cet égard, il estime également que la Cour suprême de justice n'a pas répondu à ce moyen dans la mesure où elle a jugé inutile tout examen des preuves fournies à cet égard, compte tenu de l'objet de l'action.
B. Appréciation de la Cour
34. La Convention ne visant pas à garantir des droits théoriques ou illusoires mais des droits concrets et effectifs (Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, p. 16, § 33), la Cour rappelle que le droit à un procès équitable ne peut passer pour effectif que si les demandes et les observations des parties sont vraiment « entendues », c'est-à-dire dûment examinées par le tribunal saisi. Autrement dit, l'article 6 implique à la charge du « tribunal » l'obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence et sans qu'il puisse se comprendre comme exigeant une réponse détaillé à chaque argument (Van de Hurk c. Pays-Bas, précité, p. 19-20, §§ 59 et 61). L'étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision. C'est pourquoi la question de savoir si un tribunal a manqué à son obligation de motiver découlant de l'article 6 de la Convention ne peut s'analyser qu'à la lumière des circonstances de l'espèce (Ruiz Torija c. Espagne, précité, p. 12, § 29).
35. En l'espèce, la Cour constate que le grief du requérant se décompose en deux branches : d'une part, le défaut de réponse par la Cour suprême de justice au moyen de recours tiré de la nullité de l'expertise comptable en raison de l'absence de citation par l'expert et, d'autre part, l'application rétroactive de la loi no 8/1996 à son affaire. Il convient d'examiner ces deux branches séparément.
36. S'agissant de la première branche, la Cour observe que l'action du requérant avait pour objet la reconnaissance de son droit à une partie du bénéficie obtenu par la société M. pour la reproduction et la commercialisation des maquettes dont il était l'auteur. Le recours de l'intéressé devant la Cour suprême de justice se fondait notamment sur deux moyens : la nullité de l'expertise comptable, faute d'avoir été cité par l'expert pour la réunion avec ce dernier, et l'application rétroactive de la loi no 8/1996 par les juridictions. Concernant le premier moyen, la Cour observe que la Cour suprême de justice n'y a pas répondu. Toutefois, elle relève que, dans d'autres affaires, elle a également pris en compte dans l'examen du respect par les juridictions internes de leur devoir de motiver leurs décisions, la pertinence et l'incidence de l'argument ou du moyen auquel le tribunal n'a pas répondu sur l'issue de l'affaire (voir Jahnke et Lenoble c. France (déc.), no 40490/98, CEDH 2001-IX ; et Driemond Bouw BV c. Pays-Bas (déc.), no 31908/96, 2 février 1999).
37. Pour ce qui est de la pertinence du moyen tiré du défaut de citation du requérant par l'expert, la Cour estime que l'argument du Gouvernement, selon lequel l'expertise n'était pertinente pour l'action du requérant en dommages intérêts que dans la mesure où les juridictions auraient jugé que l'intéressé bénéficiait d'un droit d'auteur sur les maquettes en question, ne manque pas d'à-propos si la Cour suprême de justice avait opté pour cette approche dans son arrêt. Mais tel n'est pas le cas. En effet, elle relève que, à l'exception du dernier paragraphe de son arrêt du 17 octobre 2000 dans lequel la haute juridiction a répondu à l'autre moyen de recours du requérant, la Cour suprême de justice a fondé pour l'essentiel le rejet de l'action de ce dernier notamment sur le fait qu'il ne ressortait pas de l'expertise comptable que la société M. avait reçu des commandes et obtenu un profit de la commercialisation des maquettes litigieuses, profit qui, selon elle, aurait justifié la demande du requérant en vertu du décret no 321/1956. Or, une telle conclusion se fondait sur l'expertise comptable ordonnée par les juridictions et qui a constitué pratiquement le seul élément de preuve examiné par la haute juridiction. Ce faisant, la Cour estime que le moyen soumis par le requérant était pertinent pour l'issue de l'affaire.
38. S'agissant de l'incidence sur l'issue de l'affaire du moyen tiré du défaut de citation du requérant par l'expert, la Cour constate qu'en vertu du droit et de la jurisprudence interne, l'accueil d'un tel moyen aurait mené au renvoi de l'affaire pour la réalisation d'une nouvelle expertise, dans le respect du principe du contradictoire.
39. La Cour considère qu'au regard de la pertinence et de l'incidence sur l'issue de la procédure du moyen du requérant tiré de l'absence de citation par l'expert sanctionnée par la nullité de l'expertise ainsi qu'au regard de l'importance du respect du contradictoire au sens de l'article 6 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Cottin c. Belgique, no 48386/99, §§ 31‑33, 2 juin 2005), le moyen en question exigeait une réponse spécifique et explicite. Faute de cette dernière, il est impossible de savoir si la Cour suprême de justice a simplement négligé ce moyen ou bien a voulu le rejeter et, dans cette dernière hypothèse, pour quelles raisons (Hiro Balani c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303-B, p. 30, § 28).
40. A la lumière de ce qui précède, la Cour considère que le requérant est fondé à soutenir que sa cause n'a pas été entendue équitablement.
41. En conclusion, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
42. Au vu de cette conclusion, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner de surcroît la branche du grief tirée de l'application rétroactive par les juridictions de la loi no 8/1996 (voir, mutatis mutandis, SC Maşinexportimport Industrial Group SA c. Roumanie, no 22687/03, § 39, 1er décembre 2005 ; et Ciobanu c. Roumanie, no 29053/95, § 41, 16 juillet 2002).
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
43. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel et moral
44. Le requérant demande 1 500 000 euros (EUR) au titre du dommage matériel pour la méconnaissance par les autorités de son droit d'auteur sur les maquettes représentant le sceau et l'emblème de l'Etat et pour la reproduction illégale de ces maquettes. Par ailleurs, il demande 500 000 EUR au titre du dommage moral pour la souffrance qui lui a été causée par les juridictions nationales en traitant son action au mépris de son droit à un procès équitable.
45. Le Gouvernement considère qu'aucune somme ne saurait être allouée au requérant pour dommage matériel, compte tenu du fait que le préjudice allégué relève du grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1, qui a été déclaré irrecevable ratione materiae par la Cour dans sa décision du 26 mai 2005. S'agissant de la demande pour préjudice moral, il estime qu'un éventuel constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention constituerait en soi une réparation équitable satisfaisante.
46. La Cour considère que la base à retenir pour l'octroi d'une satisfaction équitable réside en l'espèce dans le fait que le requérant n'a pu jouir dans la procédure en cause des garanties de l'article 6 § 1 de la Convention. Elle ne saurait spéculer sur ce qu'eût été l'issue du procès dans le cas contraire. En outre, aucun lien ne peut être établi entre la violation de la Convention constatée et le dommage matériel allégué, qui s'appuie sur l'hypothèse de l'existence d'un droit d'auteur du requérant sur les maquettes en question. Il y a donc lieu d'écarter la demande sur ce point. Quant au tort moral subi, la Cour estime que le constat de violation auquel elle a abouti ne suffit pas à y remédier et considère, statuant en équité, que la somme de 2 000 EUR constitue une réparation raisonnable du préjudice en cause.
B. Frais et dépens
47. Sans présenter de justificatifs, le requérant soutient que les frais de représentation dans la procédure devant la Cour suprême de justice et devant la Cour s'élèvent à environ 200 EUR, honoraire symbolique accepté par son avocat en raison de sa situation financière, mais il demande 5 000 EUR à ce titre compte tenu de l'importance du préjudice qu'il a subi.
48. Le Gouvernement s'oppose à cette demande dans la mesure où elle n'est pas appuyée par les justificatifs nécessaires.
49. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).
50. La Cour note que le requérant n'a fourni aucun justificatif relatif au frais et dépens encourus dans la procédure interne. S'agissant des frais exposés pour les besoins de la représentation du requérant devant la Cour, celle-ci observe que ses prétentions ne sont ni détaillées ni accompagnées des justificatifs nécessaires et que l'intéressé a d'ailleurs été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire. Il convient donc d'écarter sa demande.
C. Intérêts moratoires
51. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner de surcroît le grief tiré de l'article 6 § 1 relatif à l'application rétroactive alléguée de la loi no 8/1996 ;
3. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral, à convertir en lei roumains au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 novembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Christos Rozakis
Greffier adjoint Président