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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
16.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE TSALKITZIS c. GRÈCE

(Requête no 11801/04)

ARRÊT

STRASBOURG

16 novembre 2006

DÉFINITIF

26/03/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Tsalkitzis c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Quesada, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 octobre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 11801/04) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Vassilis Tsalkitzis (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 mars 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes S. Tsakyrakis et N. Hatzis, avocats au barreau d'Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, MM. Y. Halkias, assesseur auprès du conseil juridique de l'Etat, C. Georghiades, assesseur auprès du conseil juridique de l'Etat et Mme Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du conseil juridique de l'Etat.

3. Le 26 mai 2005, la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. Le requérant, M. Vassilis Tsalkitzis, est un ressortissant grec, né en 1944 et résidant à Afidnes.

5. Le requérant est promoteur immobilier. Le 9 novembre 1995, le requérant signa avec F.P. un contrat pour la construction d'un immeuble comprenant des bureaux et commerces sur un terrain de F.P. sis à Kifissia, banlieue nord d'Athènes.

6. En 1996, le service d'urbanisme de la municipalité accorda un permis au requérant pour la construction d'un bâtiment sur le terrain précité (permis de construire no 269/1996).

7. Le 3 mars 1997, le directeur du service d'urbanisme de la municipalité de Kifissia prit un acte d'interruption des travaux de construction. Le requérant affirme que le lendemain, il rendit visite au maire de Kifissia pour connaître les raisons de cette interruption. Aux dires du requérant, le maire de Kifissia, C.T., lui réclama un montant de 70 000 000 drachmes (environ 205 400 euros) afin d'autoriser la poursuite des travaux. Le requérant dit avoir refusé la proposition.

8. Le 26 mars 1997, en vertu de l'acte no 760/1997 du maire de Kifissia, le permis de construire délivré au requérant fut révoqué. A une date non précisé, le requérant saisit le Conseil d'Etat de deux recours en annulation contre les actes du directeur du service d'urbanisme de la municipalité de Kifissia et du maire de Kifissia. En vertu des arrêts nos 3928 et 3929/1997, la haute juridiction administrative annula les actes attaqués.

9. Le 2 novembre 2001, le requérant déposa une plainte contre C.T. des chefs de chantage et forfaiture. Il se constitua partie civile pour le dommage moral qu'il aurait subi sans déterminer une somme exacte à titre d'indemnité.

10. C.T. ayant été entre-temps élu député, lors des élections législatives tenues en 2000, le procureur près le tribunal correctionnel d'Athènes demanda au Parlement, conformément à l'article 62 de la Constitution, l'autorisation d'engager des poursuites pénales contre lui des chefs de tentative de chantage, forfaiture et subornation.

11. Le 20 mars 2002, le Parlement, réuni en assemblée plénière, rejeta sa demande.

12. Le 5 août 2003, le requérant déposa une nouvelle plainte contre C.T. pour les mêmes actes incriminés. S'appuyant sur les arrêts Cordova nos 1 et 2 c. Italie, rendus par la Cour le 30 janvier 2003, il soutenait que le rejet par le Parlement de la demande du procureur d'engager des poursuites pénales contre C.T. violait l'article 6 § 1 de la Convention et, en particulier, son droit à la protection judiciaire. Le requérant se constitua partie civile pour le dommage moral subi en raison des actes prétendument illégaux de C.T., sans fixer une somme spécifique d'indemnisation.

13. Le 7 octobre 2003, le procureur près le tribunal correctionnel d'Athènes fit droit à sa demande. En particulier, il estima qu'il incombait au Parlement de décider si les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Cordova constituaient un « fait nouveau » au sens de l'article 83 § 8 du Règlement du Parlement. Conformément à l'article 83 § 1 du même Règlement, il envoya l'affaire au procureur près la Cour de cassation pour prendre les mesures nécessaires.

14. Le 21 octobre 2003, le procureur près la Cour de cassation décida d'envoyer la nouvelle demande d'engager des poursuites pénales au président du Parlement afin que celui-ci se prononce sur sa recevabilité. Le procureur près la Cour de cassation s'appuya sur la conclusion du procureur près le tribunal correctionnel, à savoir que les arrêts Cordova c. Italie constituaient un « fait nouveau », susceptible de permettre un nouvel examen de la demande de levée de l'immunité parlementaire.

15. Le 2 février 2004, le président du Parlement, en s'appuyant sur l'article 83 § 8 du Règlement du Parlement rejeta la demande du procureur près la Cour de cassation.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La Constitution

16. Les extraits pertinents des articles 53, 61 et 62 de la Constitution grecque disposent :

Article 53

« 1. Les députés sont élus pour quatre ans consécutifs qui commencent le jour des élections générales (...). »

Article 61

« 1. En aucun cas, un député ne peut être poursuivi ni mis en examen en raison de l'opinion exprimée ou du vote émis lors de l'exercice de ses fonctions parlementaires. (...)

2. Un député ne peut être poursuivi que pour diffamation, conformément à la loi, après obtention de l'autorisation parlementaire. (...) »

Article 62

« 1. Pendant la session parlementaire aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou restreint de toute autre manière sans l'autorisation du Parlement (...) »

B. Le Règlement du Parlement

17. L'article 83 du Règlement du Parlement dispose :

« 1. Les demandes de la part de l'autorité du procureur pour l'autorisation d'engager des poursuites contre un député, conformément aux articles 61 § 2 et 62 § 1 de la Constitution, après avoir été examinées par le procureur près la Cour de cassation, sont soumises au Parlement par le ministre de la Justice et enregistrées dans un registre spécial selon l'ordre de leur introduction. »

(...)

3. Le Comité [de Déontologie Parlementaire] après avoir entendu le député en cause, si ce dernier le souhaite, (...) examine sur la base des pièces jointes à la demande, si l'acte incriminé est lié à l'activité politique du député, si derrière la poursuite pénale se cachent des motifs politiques ou si celle-ci vise à saper soit l'autorité du Parlement soit celle du député ou à entraver de manière substantielle l'exercice de ses fonctions ou à influer sur le fonctionnement du Parlement ou du groupe parlementaire dont le député est membre.

(...)

8. Toute nouvelle demande tendant à déclencher des poursuites pénales qui se fonde sur les mêmes faits est irrecevable ».

C. Le code civil

18. Entrent ici en ligne de compte les dispositions suivantes du code civil :

Article 57

« Celui qui, d'une manière illicite, est atteint dans sa personnalité, a le droit d'exiger la fin de l'atteinte et, en outre, l'abstention de toute atteinte à l'avenir (...).

En outre, la prétention à des dommages-intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n'est pas exclue. »

Article 59

« Dans les cas prévus par les deux articles précédents le tribunal peut, par son jugement rendu à la requête de celui qui a été atteint et compte tenu de la nature de l'atteinte, condamner en outre la personne en faute à réparer le préjudice moral de celui qui a été atteint. Cette réparation consiste dans le paiement d'une somme d'argent, dans une mesure de publicité, et aussi dans tout ce qui est indiqué par les circonstances. »

D. La loi d'accompagnement (Εισαγωγικός Νόμος) du code civil

19. L'article 105 de la loi d'accompagnement du code civil se lit comme suit :

« L'Etat est tenu à réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l'exercice de la puissance publique, sauf si l'acte ou l'omission a eu lieu en méconnaissance d'une disposition destinée à servir l'intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l'Etat, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »

20. Cette disposition établit le concept d'acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l'Etat. Cette responsabilité résulte d'actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être, non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l'administration, y compris des actes non exécutoires en principe (Kyriakopoulos, Commentaire du code civil, article 105 de la loi d'accompagnement du code civil, no 23; Filios, Droit des contrats, partie spéciale, volume 6, responsabilité délictueuse 1977, par. 48 B 112 ; E. Spiliotopoulos, Droit administratif, troisième édition, par. 217; arrêt no 535/1971 de la Cour de cassation; Nomiko Vima, 19e année, p. 1414; arrêt no 492/1967 de la Cour de cassation ; Nomiko Vima, 16e année, p. 75). La recevabilité de l'action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l'acte ou de l'omission.

E. Le code de procédure pénale

Article 83

« 1. La déclaration de constitution de partie civile se fait soit sur la plainte soit sur tout autre document déposé jusqu'à la fin de l'instruction (...). »

21. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la fixation de la somme pour laquelle l'intéressé s'est constitué partie civile peut avoir lieu jusqu'à l'audience de l'affaire et, en particulier, jusqu'au début de l'administration des preuves (Cour de cassation, arrêts nos 1480/1987, 1898/1994, 419/1996).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

22. Le requérant se plaint que le refus du Parlement grec d'autoriser l'ouverture de poursuites pénales contre le député C.T. pour tentative de chantage, forfaiture et subornation, actes dont le requérant allègue avoir été victime, a violé son droit d'accès à un tribunal, tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

1. Le Gouvernement

23. En premier lieu, le Gouvernement plaide l'irrecevabilité de la requête pour incompatibilité ratione materiae avec l'article 6 § 1 de la Convention. Il soutient que l'issue de la procédure litigieuse n'était pas directement déterminante pour les droits civils du requérant, car celui-ci se constitua partie civile sans demander d'indemnisation pour le dommage allégué. Le Gouvernement argue ainsi que, faute pour le requérant d'avoir demandé une réparation, le dépôt de sa plainte contre C.T. n'aurait pas porté sur une demande d'indemnisation mais sur la culpabilité de l'accusé. Par conséquent, le Gouvernement conclut que le litige ne portait pas sur un droit civil, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

24. En deuxième lieu, le Gouvernement, affirme que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes. Il soutient qu'il a sollicité l'engagement de poursuites pénales contre C.T. en raison du dommage moral subi mais que le Parlement grec ne l'a pas autorisé. Pour le Gouvernement, rien n'empêchait le requérant de saisir, d'une part, les juridictions civiles d'une action tirée des articles 57 et 59 du code civil tendant à son indemnisation pour l'atteinte prétendue à sa personnalité en raison des actes de C.T. D'autre part, le requérant aurait pu intenter une action devant les juridictions administratives, sur le fondement des articles 105 et 106 de la loi d'accompagnement du code civil pour solliciter son dédommagement en raison de l'interruption des travaux de construction ordonnée par la mairie de Kifissia. Le Gouvernement note que selon le droit interne, le pénal ne tient pas le civil en état. L'évolution de la procédure pénale n'aurait donc exercé aucune influence sur une procédure éventuelle d'indemnisation devant les juridictions civiles et administratives. Bien au contraire, par le biais de l'action civile ou administrative, le juge civil ou administratif aurait pu aussi apprécier la légalité des actions de C.T et des fonctionnaires à la mairie de Kifissia.

25. Enfin, le Gouvernement affirme que la requête est tardive. Il note que le refus, le 20 mars 2002, du Parlement grec d'autoriser l'engagement des poursuites pénales contre C.T. était la décision interne définitive au sens de l'article 35 § 1 de la Convention. Pour le Gouvernement, le fait que le requérant a réitéré ultérieurement sa demande d'engagement de poursuites pénales, n'a aucune influence sur la date à partir de laquelle le délai de six mois avait commencé à courir car cette nouvelle demande ne reposait pas sur des « faits nouveaux », condition exigée par l'article 83 § 8 du Règlement du Parlement. Par conséquent, le requérant n'a pas respecté le délai de six mois, puisque sa requête a été introduite le 18 mars 2004, à savoir plus de six mois après le 20 mars 2002, date à laquelle le Parlement grec avait rejeté pour la première fois sa demande.

2. Le requérant

26. S'agissant de l'inapplicabilité de l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se réfère à l'arrêt Perez c. France [GC] (no 47287/99, CEDH 2004-I) pour soutenir que l'article 6 § 1 de la Convention est applicable dans la présente affaire.

27. Quant à l'exception du non-épuisement des voies de recours internes, le requérant affirme que la nature de la demande de dédommagement devant les juridictions pénales n'est pas de la même nature que celle soumise auprès des juridictions civiles, surtout en ce qui concerne l'établissement des preuves. De plus, le requérant affirme que la demande de dédommagement dans le cadre de la procédure pénale se fonde sur l'accomplissement d'un acte erroné du point de vue moral de la part de l'accusé. En revanche, dans le cadre de la procédure civile, la demande d'indemnisation découle uniquement de l'existence d'un litige civil, à savoir un désaccord entre deux individus.

28. Enfin, pour ce qui est de l'exception de tardiveté, le requérant rétorque que, selon le droit interne, le procureur est l'instance judiciaire qui déclenche des poursuites pénales. Si C.T. n'avait pas été député, la décision du procureur aurait automatiquement engagée la procédure pénale à son encontre. Par conséquent, à supposer même que la décision du procureur de demander à nouveau le déclenchement des poursuites pénales ait été erronée, son initiative n'a pas été sans conséquence en ce qui concerne la règle de six mois ; l'organe judiciaire compétent a fait droit à la demande du requérant de rouvrir la procédure pénale et, par conséquent, la demande auprès du procureur était un recours efficace que le requérant devait épuiser. Ainsi, la décision qui lui a porté préjudice était le rejet, le 2 février 2004, de la demande du procureur près la Cour de cassation auprès du président du Parlement tendant à lever l'immunité parlementaire.

3. La position de la Cour

a. Sur l'exception d'inapplicabilité de l'article 6 § 1

29. La Cour rappelle que le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers ne saurait être admis en soi : il doit impérativement aller de pair avec l'exercice par la victime de son droit d'intenter l'action, par nature civile, offert par le droit interne, ne serait-ce qu'en vue de l'obtention d'une réparation symbolique ou de la protection d'un droit à caractère civil, à l'instar, par exemple, du droit de jouir d'une « bonne réputation » (Perez c. France [GC], no 47287/99, §§ 70-71, CEDH 2004-I et Schwarkmann c. France, no 52621/99, § 41, 8 février 2005).

30. En l'espèce, la Cour constate que le requérant s'est constitué partie civile au moment du dépôt de sa plainte contre C.T., qu'il a demandé réparation du préjudice moral résultant des actes dénoncés et qu'il n'a pas renoncé à son droit (Perez c. France, précité, § 74). Le fait que le requérant n'a pas spécifié la somme exacte pour laquelle il se constituait partie civile n'est pas déterminant dans le cas d'espèce. En effet, selon le droit interne et la jurisprudence constante de la Cour de cassation, au moment de la constitution de partie civile, l'intéressé doit spécifier le genre d'indemnisation réclamée, tout en conservant le droit de déclarer la somme exacte à l'audience de l'affaire et jusqu'au début de l'administration des preuves.

31. Par conséquent, la Cour estime que la procédure litigieuse rentre dans le champ d'application de l'article 6 § 1 de la Convention. Il convient donc de rejeter l'exception d'irrecevabilité pour incompatibilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement.

b. Sur l'exception de non-épuisement des voies de recours internes

32. La Cour note, tout d'abord, que, selon le Gouvernement, les articles 56 et 57 du code civil ainsi que les articles 105 et 106 de la loi d'accompagnement du code civil offraient au requérant une possibilité de solliciter une indemnisation pour les actes prétendument illégaux de C.T. et la mairie de Kifissia respectivement. La Cour considère qu'en demandant l'engagement de poursuites pénales avec constitution de partie civile, procédure qui a, entre autres, comme objectif l'indemnisation de la partie civile pour le dommage allégué, le requérant a utilisé une des voies de recours offertes par le droit interne. On ne saurait donc exiger de lui qu'il utilisât d'autres voies de recours (voir, mutatis mutandis, ZANTE – MARATHONISI A.E. c. Grèce (déc.), no 14216/03, 1er juin 2006).

33. Au demeurant, la Cour rappelle que lorsque l'ordre juridique interne offre un recours au justiciable, tel le dépôt d'une plainte avec une constitution de partie civile, l'Etat a l'obligation de veiller à ce que celui-ci jouisse des garanties fondamentales de l'article 6. En l'espèce, le requérant avait donc une espérance légitime à ce que les tribunaux statuent sur cette demande d'indemnisation, que ce soit de manière favorable ou défavorable (Anagnostopoulos c. Grèce, no 54589/00, § 32, 3 avril 2003).

34. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le requérant a fait un usage normal des voies de recours qu'il avait à sa disposition en droit grec. Il convient donc de rejeter l'exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.

c. Sur l'exception de tardiveté

35. La Cour rappelle qu'en vertu de l'article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie d'une affaire que « dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive ». Pour obtenir la « décision interne définitive », le requérant doit avoir préalablement utilisé un « recours effectif », à savoir un recours normalement disponible et suffisant dans l'ordre juridique interne pour lui permettre d'obtenir réparation de la violation alléguée (voir, en ce sens, Tanrıkulu c. Turquie [GC], no 23763/94, § 76, CEDH 1999IV). S'il n'existe pas de recours effectif contre l'acte qui serait contraire à la Convention, la date à laquelle cet acte a lieu sert à définir le moment où la décision est « définitive » aux fins de la règle de six mois (voir, parmi d'autres, Valašinas c. Lituanie (déc.), no 44558/98, 14 mars 2000).

36. La Cour note que, selon le droit interne, l'engagement de poursuites pénales contre un député du Parlement consiste en deux procédures distinctes mais intrinsèquement liées l'une à l'autre : dans un premier temps, l'intéressé doit déposer plainte contre le député auprès du procureur compétent ; ensuite, si ce dernier estime que des circonstances sont réunies pour engager des poursuites pénales contre le député, il demande au Parlement l'autorisation d'y procéder. Il revient, alors au président du Parlement de faire droit ou de rejeter la demande du procureur, décision qui n'est pas susceptible de recours.

37. En l'occurrence, la Cour observe que, suite au rejet de la demande initiale du procureur près le tribunal correctionnel d'Athènes au président du Parlement de l'autorisation d'engager des poursuites pénales contre C.T., le requérant réitéra sa plainte, le 5 août 2003, en s'appuyant sur les arrêts Cordova nos 1 et 2 c. Italie, rendus entre-temps par la Cour. La Cour note sur ce point que le procureur près le tribunal correctionnel accueillit, le 7 octobre 2003, la demande du requérant, au motif qu'il incombait au Parlement de décider si les arrêts de la Cour à l'occasion des affaires Cordova constituaient un « fait nouveau » au sens de l'article 83 § 8 du Règlement du Parlement. De plus, cette décision fut par la suite entérinée par le procureur près la Cour de cassation. La Cour observe ainsi que le recours exercé le 5 mai 2003 par le requérant n'a pas été considéré prima facie infondé par les procureurs près le tribunal correctionnel et la Cour de cassation, au motif que les arrêts Cordova pouvaient constituer un « fait nouveau » au sens de l'article 83 § 8 du Règlement du Parlement. Par conséquent, le dépôt de la nouvelle plainte était un « recours effectif » au sens de l'article 35 § 1 de la Convention : premier stade juridictionnel de la procédure visant la levée de l'immunité parlementaire, la nouvelle plainte pouvait permettre au requérant d'obtenir réparation du préjudice alléguée. Or, le président du Parlement a consécutivement rejeté la demande du procureur près la Cour de cassation, ce qui a placé le requérant dans l'impossibilité de poursuivre sa plainte contre C.T.

38. Partant, le 2 février 2004, la date à laquelle le président du Parlement a rejeté la demande du 21 octobre 2003 du procureur près la Cour de cassation, peut être considérée comme celle à laquelle l'acte prétendu contraire à la Convention a eu lieu, le droit interne ne prévoyant pas de recours contre la décision de rejet du président du Parlement. Le 2 février 2004 sert, ainsi, à définir le moment où la décision « définitive » aux fins de la règle de six mois a été rendue. La Cour note que la présente requête a été introduite le 18 mars 2004, à savoir moins de six mois après le 2 février 2004. Il s'ensuit que la requête n'est pas tardive. Partant, il convient de rejeter l'exception du Gouvernement.

39. La Cour constate par ailleurs que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.

B. Sur le fond

1. Le Gouvernement

40. Le Gouvernement affirme, tout d'abord, que le droit d'accès à un tribunal n'a pas été atteint. Il fait savoir que le rejet par le président du Parlement de la demande d'engager des poursuites pénales contre C.T. était légal, car la plainte du requérant visait à atteindre le prestige de C.T et à compromettre ainsi le fonctionnement du Parlement. Le Gouvernement souligne, sur ce point, le retard pris par le requérant à demander l'engagement de poursuites pénales, en 2001, tandis que les actes prétendument préjudiciables de C.T. dataient de 1997. Enfin, le Gouvernement soutient que l'immunité parlementaire prévue par l'article 62 de la Constitution n'est valable que pendant le mandat du député concerné. En l'occurrence, rien n'empêcherait donc le requérant de demander l'engagement de poursuites pénales contre C.T. à l'issue de son mandat parlementaire.

2. Le requérant

41. Le requérant rétorque que l'immunité parlementaire telle qu'elle est appliquée par le Parlement grec met, de fait, un groupe de personnes, les députés parlementaires, à l'abri de toute poursuite pénale. Il produit des statistiques publiées dans un quotidien grec, selon lesquelles sur huit cents demandes d'autorisation d'engager des poursuites pénales contre des députés déposées auprès du Parlement entre 1974 et 2003, cinq seulement ont été finalement accordées. Le requérant allègue que ce privilège crée une situation préjudiciable au citoyen ordinaire, puisqu'un député conserve, lui, toujours son droit de demander l'engagement de poursuites pénales à l'encontre du premier. Enfin, le requérant affirme qu'il a dû en fait attendre la fin du mandat de C.T. en tant que maire pour demander l'institution des poursuites pénales. En effet, dans le cas contraire, il n'avait aucune chance que la mairie de Kifissia lui permette la reprise de la construction de l'immeuble en cause.

3. La position de la Cour

a. Rappel des principes

42. La Cour rappelle que le droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, doit s'interpréter à la lumière de la prééminence du droit dont l'un des éléments fondamentaux est le principe de la sécurité des rapports juridiques, qui exige l'existence d'une voie judiciaire effective permettant de revendiquer les droits civils (Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 49, CEDH 2002-IX). En effet, chaque justiciable possède le droit à ce qu'un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. C'est ainsi que l'article 6 § 1 consacre le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civil ne constitue qu'un aspect (Golder c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1975, série A no 18, p. 18, § 36 ; Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 43, CEDH 2001-VIII).

43. Le droit d'accès à un tribunal, reconnu par l'article 6 § 1 de la Convention, n'est pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises, car il commande de par sa nature même une réglementation par l'Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d'une certaine marge d'appréciation. En effet, la tâche de la Cour ne consiste pas à se substituer aux juridictions internes. Il incombe au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, d'interpréter la législation interne (voir, mutatis mutandis, les arrêts Brualla Gómez de la Torre c. Espagne du 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2955, § 31 ; Saez Maeso c. Espagne, no 77837/01, § 22, 9 novembre 2004).

44. Il appartient en revanche à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle se doit de vérifier que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l'accès offert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation au droit d'accès à un tribunal ne se concilie avec l'article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 59, CEDH 1999I ; T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], no 28945/95, § 98, CEDH 2001-V). En effet, le droit d'accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente.

45. La Cour observe que lorsqu'un Etat reconnaît une immunité aux membres de son Parlement, la protection des droits fondamentaux peut s'en trouver affectée. On ne peut, pour autant, de façon générale, considérer l'immunité parlementaire comme une restriction disproportionnée au droit d'accès à un tribunal tel que le consacre l'article 6 § 1. De même que ce droit est inhérent à la garantie d'un procès équitable assurée par cet article, de même certaines restrictions à l'accès doivent-elles être tenues pour lui être inhérentes ; on en trouve un exemple dans les limitations généralement admises par les Etats contractants comme relevant de la doctrine de l'immunité parlementaire (voir A. c. Royaume-Uni, no 35373/97, § 83, CEDH 2002X et, mutatis mutandis, Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 56, CEDH 2001-XI).

46. Toutefois, il serait contraire au but et à l'objet de la Convention que les Etats contractants, en adoptant l'un ou l'autre des systèmes normalement utilisés pour assurer une immunité aux membres du Parlement, soient ainsi exonérés de toute responsabilité au regard de la Convention dans le domaine d'activité concerné. Il y a lieu de rappeler que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. La remarque vaut en particulier pour le droit d'accès aux tribunaux, vu la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (voir Aït-Mouhoub c. France, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3227, § 52). Il serait incompatible avec la prééminence du droit dans une société démocratique et avec le principe fondamental qui sous-tend l'article 6 § 1, à savoir que les revendications civiles doivent pouvoir être portées devant un juge, qu'un Etat pût, sans réserve ou sans contrôle des organes de la Convention, soustraire à la compétence des tribunaux toute une série d'actions civiles ou exonérer de toute responsabilité des catégories de personnes (voir Fayed c. Royaume-Uni, arrêt du 21 septembre 1994, série A no 294B, p. 49, § 65).

47. Ainsi, dans le cas où l'immunité parlementaire entrave l'exercice du droit d'accès à la justice, la Cour recherchera si les actes incriminés étaient liés à l'exercice de fonctions parlementaires stricto sensu afin de conclure sur la proportionnalité ou non de la mesure mise en cause (Cordova c. Italie (no 1), no 40877/98, § 62, CEDH 2003I et De Jorio c. Italie, no 73936/01, § 53, 3 juin 2004).

b. Application dans le cas d'espèce

48. En l'occurrence, la Cour note que la demande d'engagement des poursuites pénales contre C.T. a été déposée du chef de chantage, forfaiture et subornation. Ces infractions ont été prétendument accomplies en 1997, c'est-à-dire avant l'élection, en 2000, de C.T. en tant que député parlementaire. Ainsi, les faits reprochés à C.T. se sont produits trois ans environ avant son élection en tant que député. De ce fait, les actes incriminés ne pouvaient avoir de rapport avec l'exercice par C.T. des fonctions parlementaires subséquentes. Au demeurant, la Cour note que la conduite incriminée de C.T. s'inscrit plutôt dans le cadre du volet pénal d'un litige entre particuliers, afférent à la commission des délits d'une connotation immorale particulière. Partant, la conduite de C.T. tombait manifestement hors le champ de ses fonctions parlementaires. Or, dans un tel cas, on ne saurait justifier un déni d'accès à la justice même dans le cas hypothétique où le litige entre le requérant et C.T. s'inscrirait dans un contexte politique (voir, en ce sens, Cordova c. Italie (no 1), précité, § 62).

49. De l'avis de la Cour, l'absence d'un lien évident avec une activité parlementaire appelle une interprétation étroite de la notion de proportionnalité entre le but visé et les moyens employés. Il en est particulièrement ainsi lorsque les restrictions au droit d'accès découlent d'une délibération d'un organe politique. Conclure autrement équivaudrait à restreindre d'une manière incompatible avec l'article 6 § 1 de la Convention le droit d'accès à un tribunal des particuliers chaque fois que les actes attaqués en justice ont été commis par un membre du Parlement (mutatis mutandis, Cordova c. Italie (no 1), précité, § 63).

50. Enfin, la Cour note que le Gouvernement n'étaye pas suffisamment son argument selon lequel le caractère provisoire de l'immunité parlementaire n'empêcherait pas le requérant de renouveler sa demande de poursuites pénales dès que le mandat de C.T. viendrait à son terme. En effet, cet argument se fonde sur l'hypothèse que C.T. ne serait plus député. Or, le Gouvernement ne fournit aucune information sur le statut actuel de C.T. En tout état de cause, la Constitution grecque ne prévoit pas de limite quant au renouvellement du mandat parlementaire. En l'occurrence, le mandat de C.T. pouvait être renouvelé de manière consécutive dans le futur, privant ainsi définitivement le requérant de son droit de demander l'engagement des poursuites pénales. Au demeurant, le Cour considère que la suspension de toute poursuite pénale contre un député pendant son mandat parlementaire entraînerait l'écoulement d'un laps de temps important entre la commission des actes incriminés et l'ouverture des poursuites pénales rendant celles-ci aléatoires, notamment en ce qui concerne la preuve. Dans un autre contexte, la Cour l'a déjà constaté, le temps nécessaire à l'examen d'un recours pouvait mettre en cause son efficacité (voir, mutatis mutandis, Ganci c. Italie, no 41576/98, § 30, CEDH 2003XI).

51. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que le refus du président du Parlement de lever l'immunité parlementaire de C.T. a porté atteinte au droit d'accès du requérant à un tribunal. Il y a eu donc violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

52. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

53. A titre de dommage moral, le requérant réclame la somme de 15 000 euros (EUR).

54. Le Gouvernement affirme que cette somme est excessive. A titre alternatif, le Gouvernement affirme que la somme allouée au titre du dommage moral ne saurait dépasser 2 000 EUR.

55. La Cour estime que le requérant a vraisemblablement subi une frustration en raison de la violation de son droit d'accès à un tribunal. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour lui octroie 5 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt.

B. Frais et dépens

56. Le requérant demande également une somme globale de 6 200 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et devant la Cour, somme qu'il ventile de la façon suivante :

i. 700 EUR pour la plainte déposée le 5 août 2003. Il produit à ce titre deux factures pour le même montant ;

ii. 5 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour. Il produit à ce titre deux factures pour le même montant ;

iii. 500 EUR pour les frais de photocopies et de téléphone. Il ne produit aucune facture à ce titre.

57. Le Gouvernement affirme que les prétentions du requérant sont excessives. A titre alternatif, le Gouvernement affirme que la somme allouée à ce titre ne saurait dépasser 1 000 EUR.

58. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

59. En l'espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d'allouer au requérant 5 700 EUR pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt.

C. Intérêts moratoires

60. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral et 5 700 EUR (cinq mille sept cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 novembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago Quesada Loukis Loucaides
Greffier adjoint Président